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La troisième version du projet de circulaire de mission des professeurs documentalistes : des contradictions de fond

Comme il l'avait fait à la veille du dernier groupe de travail en novembre dernier, le syndicat SNES diffuse la dernière mouture du projet de circulaire de mission et invite la profession à réagir. Une fois de plus, le texte a été adressé aux participants à la table ronde seulement quelques jours auparavant, rendant de fait la concertation et la réflexion difficiles, voire impossibles. Cela étant, il est important que la profession lise avec la plus grande attention cette troisième version, compte-tenu du calendrier électoral qui pourrait inviter le Ministère à précipiter les choses. Nous observons pour notre part que de nombreuses modifications ont été apportées au texte par endroits, alors que d'autres sont restées identiques. Les retouches témoignent d'une écoute attentive des réactions de la profession, tandis que des passages, pourtant vivement critiqués, n'ont pas évolué. Nous nous proposons de relever d'un côté les plus grandes avancées et de l'autre les blocages importants qui persistent encore.

1- L'axe pédagogique valorisé, mais...

1.1. Mention de l'Information-Documentation

C'est dans le préambule et l'axe 1 que se concentrent les avancées notables sur le plan pédagogique. On peut ainsi lire dans le préambule, pour la première fois, la mention de l'Information-Documentation :

  • « Ils forment tous les élèves à l’information documentation et contribuent à leur formation en matière d’éducation aux médias et à l’information. »

La distinction entre « former à » s'agissant de l'Information-Documentation et « contribuer à former à » en matière d'EMI s'avère satisfaisante dans la mesure où elle prend acte du cœur d'enseignement du professeur documentaliste en le distinguant de l' « éducation à » transversale. C'est bien la moindre des choses et cela était réclamé depuis longtemps. Ce serait donc acté.

Pour autant, si « Information-Documentation » apparaît une fois, l'expression « Education aux médias et à l'information » est reprise six fois dans le texte, réinstaurant ce déséquilibre et rappelant du même coup avec force au professeur documentaliste sa place de « contributeur », ce qui ne peut pas satisfaire la profession.

1.2. Le retour de l'enseignant

Le titre de l'axe 1 mentionne à nouveau, après l'éclipse très critiquée de la version 2, le terme « enseignant » :

  • « 1- Le professeur documentaliste, enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias. »

Pour autant, l'emploi de « maître d'oeuvre », refusé pour être soupçonné de vouloir faire du professeur documentaliste un ingénieur pédagogique distribuant les formations à ses collègues disciplinaires, se maintient.

Le statut d'enseignant est par ailleurs conforté dans le premier paragraphe de cet axe :

  • « Son enseignement s’inscrit dans une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale, dans la voie générale, technologique et professionnelle. »

Outre le rappel de la progression des apprentissages, prérogative de l'enseignant responsable de ses actes pédagogiques au sens premier du terme, cette phrase prend en compte le fait, souvent oublié par les rédacteurs, qu'il existe des professeurs documentalistes égalemnt en LGT et en LP. Cette évolution du texte nous paraît donc satisfaisante.

1.3. Le décompte des heures d'enseignement

Suite à de nombreuses demandes, un paragraphe distinct sur le décompte des heures d'enseignement, appuyé par la circulaire d'avril 2015, a été ajouté :

  • « Le professeur documentaliste peut exercer des heures d’enseignement. « Les heures d’enseignement correspondent aux heures d’intervention pédagogique devant élèves telles qu’elle résultent de la mise en œuvre des horaires d’enseignement définis pour chaque cycle » (circulaire n°2015-057 du 29 avril 2015). En application du III de l'article 2 du décret 2014-940, chaque heure d’enseignement est décomptée pour deux heures dans le maximum de service des professeurs documentalistes. »

Il confirme ainsi le statut de professeur certifié par un CAPES, ce qui en soi consiste en une avancée non négligeable au regard de la circulaire de 86 et de tous les projets qui lui ont succédés. Cet ajout répond explicitement à une demande de clarification urgente, dans la mesure où les applications locales de ce texte ont été sujettes à maintes interprétations d'une part et où elles ont même conduit à priver certains collègues de faire cours d'autre part. En effet, le corrolaire de cette avancée majeure - majeure parce qu'elle établit une parité avec les conditions d'exercice des autres certifiés - est qu'elle réduise d'autant le temps de présence du professeur documentaliste au CDI et impacte la gestion et l'accueil notamment. S'il faut, suivant en cela les injonctions citées ci-dessus, former «  tous les élèves à l’information documentation » (préambule) et ce, en suivant « une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale » (axe 1), on devine, dans l'état actuel des effectifs prévus, le grand embarras devant le quel se trouvent les professeurs documentalistes. Et encore, le flou étant toujours de mise, nul ne sait combien d'heures de formation nécessitent cette formation à l'Information-Documentation et cette progression.

Ce qui apparaît donc au premier abord comme un gain, une avancée substantielle, peut, comme cela se produit déjà, constituer un écueil de plus à l'accès des collègues aux élèves. Là encore, le manque de précisions sur les contenus de cette matière, comme le manque de courage politique sur le nombre de postes à pourvoir pour tenir les ambitions souhaitées, empêchent toute application équilibrée de la circulaire de 2015 et toute issue favorable au problème. La phrase qui clôt l'axe 1, confirmant cette crainte, apparaît dès lors comme une menace des plus graves à la réalisation de tout ce qui vient d'étre posé jusque là en terme d'identité enseignante :

  •  Les heures d’enseignement sont effectuées dans le respect nécessaire du bon fonctionnement du CDI. »

Le soufflet retombe brutalement au rappel de la « nécessité » et des hiérachies instituées. L'enseignant et son devoir d'enseigner s'effacent alors soudainement devant l'image d'un CDI saisi comme une bibliothèque dont le « bon fonctionnement » consisterait en son ouverture maximum. Viendrait-il à la raison du prescripteur qu'un CDI soit aussi un outil didactique dont le « bon fonctionnement » serait qu'il serve aux séances d'enseignement-apprentissage ? On devine assez bien comment cette phrase pourrait-être lue et interprêtée par les chefs d'établissement dont cette version 3 du projet ne cesse de rappeler l'autorité sur le professeur documentaliste. Qu'est-ce donc qu'un « bon fonctionnement » s'agissant du CDI ?

En l'état des choses, l'impression générale est que le discours que nous venons de relever sur le professeur documentaliste « enseignant » n'ait pour unique fonction de charmer celui-ci afin de lui faire accepter un texte qui, in fine, et au simple rappel des nécessités de service, le priverait totalement du libre exercice d'enseigner.

Il est alors remarquable que cette simple phrase, avec tout la pression qu'elle exerce sur l'axe 1 de la circulaire, se trouve en dernière place de celui-ci et donc à la charnière avec l'axe dédié à la politique documentaire.

2- La politique documentaire, axe toujours intégrateur

L'axe 2 a subi de nombreux remaniements en l'espèce de déplacements de paragraphes, ce qui le rend plus cohérent, et de suppressions diverses (consernant le conseil pédagogique, l'équité, l'énumériqton de sdispositifs pédagogiques, etc.). Des propositions ont donc été entendues et suivies d'effet.

L'élément le plus significatif est la réécriture du titre de l'axe, qui inscrivait auparavant la politique documentaire comme objet principal : « 2- Le professeur documentaliste concepteur et maître d'œuvre de la politique documentaire de l’établissement ». Dans cette nouvelle version, on peut ainsi lire :

  • « Le professeur documentaliste maître d’œuvre de l’organisation des ressources documentaires de l’établissement et de leur mise à disposition »

La traduction du concept de politique documentaire en organisation des ressources et de leurs accès satisfait dans la mesure où elle se limite à son acception bibliothéconomique première. On pourrait alors juger que la critique portée à l'encontre de la version 2, qui outrepassait ces limites pour investir intégralement le champ pédagogique de l'axe 1, avait été entendue. Mais force est de constater qu'il n'en est rien à la lecture des deux premiers paragraphes. En effet, la définition donnée à la politique documentaire a été totalement maintenue depuis la version 2 et ce, en complète contradiction avec l'arrêté de 2013 portant sur les compétences professionnelles :

  • « Elle a pour objectif principal la réflexion et la mise en œuvre de la formation des élèves à la culture informationnelle »

Le deuxième paragraphe commence, de même que dans la version 2, par :

  • « La politique documentaire comprend la définition des modalités de la formation des élèves »

Cette définition, en contradiction, rappelons-le, avec le concept bibliothéconomique et l'arrêté de 2013, est refusée par un grand nombre de professionnels et de formateurs pour des raisons maintes fois évoquées, principalement :

  • l'assimilation de l'enseignement à un volet de la politique documentaire, au même titre que le service de prêts, la politique d'acquisition ou l'accueil. Est-ce le cas pour les autres enseignements ?
  • l'effet de déresponsabilisation pédagogique vécu par le professeur documentaliste, consécutif au fait que la politique documentaire, et donc les volets qui la constitueraient, soient placée sous l'autorité du chef d'établissement et dépende d'un vote du CA pour pouvoir être effectuée. Le chef d'établissement a-t-il une autorité pédagogique allant jusqu'à réduire, interdire l'enseignement d'un professeur ou lui prescrire ce qu'il doit enseigner ? Est-ce le cas pour les autres enseignements ?
  • la dépendance au CA pour effectuer son enseignement si celui-ci devait être voté en même temps que la politique documentaire. Est-ce le cas pour les autres enseignements ?
  • placer ainsi la politique documentaire comme axe intégrateur de tous les autres axes (le pédagogique comme l'ouverture de l'établissement ainsi que rappelé dans l'axe 3) la placerait hiérarchiquement comme LA mission du professeur documentaliste, en complète opposition avec l'historique de la profession qui a toujours promu comme « essentiel » l'axe pédagogique (1974, 1977, 1986) et a culminé avec la création du CAPES en 1989. Ce serait un déni complet de la nature et du statut du professeur documentaliste et un renversement complet de leurs valeurs et de leurs aspirations.

Une circulaire de mission fondée sur un tel reniement ne saurait être acceptée par la profession qui ne s'y reconnaîtrait pas.

Conclusion

Pour conclure, nous ressentons la vive impression d'une contradiction flagrante entre les deux premiers axes, l'un ouvrant à l'exercice responsable de l'enseignement (mais aussitôt hypothéqué par le « respect nécessaire du bon fonctionnement du CDI »), le second le contenant dans le carcan d'un concept bibliothéconomique. A nos yeux, la politique documentaire doit constituer un moyen, et l'accès des élèves à la culture de l'information et des médias un but indépassable aujourd'hui. Et non le contraire.


Le texte de la version 3 du projet est disponible sur le site du SNES à l'adresse : https://www.snes.edu/Professeur-documentaliste-c-est-un-metier.html

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