Référence documentographique

Duplessis Pascal. Projet de circulaire de mission : quand l'expérience nourrit la vigilance. Les Trois couronnes, nov. 2016.

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/identite-professionnelle/projet-de-circulaire-de-mission-quand-l-experience-nourrit-la-vigilance

Projet de circulaire de mission : quand l'expérience nourrit la vigilance

Le travail sur la circulaire de mission des professeurs documentalistes initié par la DGESCO se poursuit, réunissant représentants de l’administration et représentants des organisations syndicales. Un deuxième projet de circulaire est soumis aux participants comme base de travail pour la troisième réunion prévue pour le 16 novembre prochain, qui précise les orientations suivies et la terminologie employée. A ce stade, nous proposons aux participants de ce groupe de travail d'être attentifs aux trois questions suivantes : la présentation des axes de mission, la prévalence d'un axe particulier, les rôles et place du professeur documentaliste.

Analyse des enjeux d'une nouvelle circulaire de mission à la lumière des textes et des projets précédents.

Le projet d'écriture d'une nouvelle circulaire de mission abrogeant celle de 1986 a connu de nombreux avatars, de 2001 à aujourd'hui. Ces documents sont autant de strates qui permettent à l'observateur de déceler, parmi les réorganisations du texte, le choix des termes ou le moindre déplacement de virgule, les véritables enjeux de l'entreprise. On ne peut tout simplement pas comprendre ce qui se joue aujourd'hui - et demain si le texte paraît - si on ne garde pas en mémoire les tâtonnements d'hier. Un rapide retour sur l'histoire des projets de circulaire pouvant ainsi aider à construire sa réflexion, nous établirons notre analyse sur un ensemble de sept textes de mission, incluant aussi bien les textes réglementaires en vigueur (1986, 2013) que les projets connus (2002, 2011) ou déviés (2007) ou enfin des rapports intégrant des propositions de circulaire (2001, 2004)1.

1- La présentation des axes de mission

Un texte de mission se caractérise en premier lieu par le nombre de ses axes et l'ordre selon lequel il les organise. S'il n'est pas primordial en soi, parce que s'attachant en partie aux aspects formels, c'est toutefois le premier point de vigilance à observer dès lors que l'on souhaite entrer dans la compréhension du texte à partir de sa structure.

11- Le nombre des axes de mission

Ce nombre varie de trois à quatre selon les textes. Lorsqu'ils sont au nombre de quatre, il est à remarquer que deux des axes déclinent une même mission. C'est le cas en 1986 lorsque les axes 1 et 2 concernent la mission pédagogique, et c'est le cas encore en 2004, 2007 et 2011 quand, respectivement, les axes 1 et 2, puis 1 et 3 et enfin 2 et 3 sont dédiés à la gestion du centre et des ressources. Dans tous les cas, le texte perd ainsi en lisibilité et tend à multiplier les tâches sans pour autant mieux les structurer. Pour sortir de cette impasse, le rapport Pouzard (2001) présente seulement trois axes : gestion (politique documentaire), pédagogie (formation des élèves) et ouverture de l'établissement. L'arrêté de 2013, relatif au référentiel des compétences professionnelles, quant à lui, offre une alternative intéressante consistant à présenter trois axes mais quatre compétences. L'axe 2, consacré à la politique documentaire, contient en effet deux compétences complémentaires. Les deux axes restant concernent à nouveau la pédagogie (axe 1) et l'ouverture de l'établissement (axe 3).

Une lecture attentive du contenu de l'axe consacré à l'ouverture de l'établissement, souvent rejeté à la fin du texte, donne le sentiment que certaines tâches ont été placées là par défaut, dans le souci de rassembler celles dont le rattachement à l'un des deux axes précédents n'avait pas été facile. De fait, nombre de ces contenus naviguent d'un axe à l'autre selon les textes, comme l'orientation, la communication ou la promotion de la lecture. Une analyse un peu plus poussée de ces tâches pourrait faire rapidement apparaître leur véritable destination, tantôt appartenant au pôle gestionnaire lorsqu'il s'agit de la gestion et de la mise à disposition de ressources, tantôt relevant du pôle pédagogique lorsque des connaissances sont mises en jeu. Une telle entreprise aurait pour effet de limiter le texte à deux axes principaux, à l'image de la bi-valence de la profession.

12- L'ordre des axes de mission

Si le nombre des axes et leur contenu (pédagogie, gestion, ouverture) a peu évolué dans le temps, l'ordre de présentation de ces axes a, quant a lui, connu des disparités fortes. La circulaire de 1986 avait été le point d'orgue d'une évolution2 plaçant la mission pédagogique comme essentielle et au premier rang du texte. Mais l'introduction du concept exogène de politique documentaire est venue détrôner la mission pédagogique pendant toutes les années 2000, la rétrogradant en 2ème position dans le rapport Pouzard (2001), et même au troisième rang dans le rapport Durpaire (2004). La réaction de la profession fit reprendre à l'axe de la pédagogie la deuxième place, après celui de la gestion, dans le Protocole d'inspection (2007) et dans la première version du projet de 2011. La forte réaction des syndicats et de la profession, une nouvelle fois, eut pour effet de lui faire retrouver la première place dans la deuxième version de janvier 20113. L'arrêté de 2013 semble l'avoir confortée dans cette position première, recueillant d'ailleurs l'assentiment de la profession, puisqu'elle la conserve dans les versions du projet actuel.

2- La prévalence d'un axe particulier, marqueur de l'identité professionnelle

21- L'essentiel

Ainsi, ce premier rang attribué à la mission pédagogique semble de nouveau assuré, malgré une décennie d'hégémonie de la mission de gestion par le biais de la politique documentaire. Mais le rang, à lui seul, est-il une garantie suffisante pour en faire une mission prioritaire, caractérisant principalement le métier ? Faut-il se satisfaire du sens littéral, de l'organisation formelle du texte, ou bien faut-il chercher à pénétrer l'intention réelle ?

Par exemple, la mission pédagogique occupait le tout dernier rang des sept « fonctions » du rapport Tallon (1974) et des six « aspects » de la première circulaire (1977). Pour autant, les deux textes soulignaient qu'elle était « essentielle » entre toutes et qu'elle les englobait. C'est ainsi le fait d'être ou non « essentiel » qui confère la prééminence de tel axe sur les autres, davantage encore que le rang qui lui est attribué, installant de la sorte l'idée que « les » missions seraient non seulement hiérarchisées (ainsi l'axe d'ouverture se trouve toujours au dernier rang) mais en quelque sorte emboîtées et orientées, régies par l'une d'entre elle. Tel axe prépondérant marquerait alors la finalité de l'action de la profession, tandis que les autres axes, ses composantes secondaires, se réduiraient à des moyens placés à son service. Si cela se vérifie, il en découle deux conséquences :

  • il n'y aurait pas « des » missions mais « une » seule et il faudrait veiller à ce que le titre du texte reflète le singulier de cette direction ;
  • le choix de la mission « essentielle » instituerait radicalement l'orientation identitaire de la profession, soit enseignante, soit gestionnaire.

Dans le cas qui nous intéresse, le professeur documentaliste est-il d'abord « professeur » ou d'abord « documentaliste » ? Le recrutement se faisant par voie de CAPES depuis 1989, le statut, définitivement fixé, obligerait à réaffirmer l'orientation pédagogique. Mais est-ce bien cette logique que suit le Ministère ? Voici le deuxième point de vigilance, qui nous paraît bien plus important que le premier tant il se démarque de la forme, du discours apparent, pour toucher l'essentiel.

L'adjectif « essentiel », justement, ou bien son dérivé adverbial « essentiellement », est un des marqueurs de cette orientation identitaire donnée à la profession. Il n'est que de le repérer, telle une balise de géolocalisation, dans chaque projet de texte de mission pour connaître la position institutionnelle à cet égard. Rappelons qu'il apparaît ainsi dans le préambule des textes des deux premières circulaires en étant accolé à l'adjectif « pédagogique »4. Mais à l'époque de l'introduction de la politique documentaire, il abandonne le « pédagogique » pour s'attacher au « gestionnaire »5. Ce positionnement, on le sait, nourrira des tensions entre l'institution et la profession pendant toute la décennie suivante, sans rien y pouvoir changer. Et c'est ainsi qu'on retrouvera l'adjectif dans le texte de projet de 2011, passé du préambule au titre de l'axe 3 : « Le professeur documentaliste est un acteur essentiel de la gestion et de la diffusion de l’information au sein de l’établissement ». Le Ministère étant reparti de ce projet de 2011 pour démarrer les travaux de 2016 – projet pourtant rejeté par la profession - retrouverons-nous en l'état ce glissement du « pédagogique » vers le « gestionnaire » ? Non seulement cette opération n'est pas souhaitée par les professeurs documentalistes, mais elle se situe à l'opposé de leur statut de professeur, garanti par un Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES). Elle se trouve de plus contraire à l'esprit de l'arrêté de 2013 relatif au référentiel des compétences professionnelles.

Il appartient donc aux membres du groupe de travail, nous semble-t-il, de veiller à ce que le dit caractère d'essentialité désigne bien le « pédagogique » comme axe majeur de la mission du professeur documentaliste, et non pas le gestionnaire (politique documentaire) ou d'autres visions techniques conjoncturelles, comme l'intégration du numérique par exemple.

22- La mission intégrative

Si la bivalence de la fonction est à l'origine de ces oppositions, il n'en reste pas moins que l'une doive l'emporter sur l'autre, même si les deux aspects du métier en font la richesse et l'attrait. Mais s'il faut décider d'un but et d'un moyen, il serait bien difficile d'admettre qu'un principe de gestion de bibliothèque, en l'occurrence la politique documentaire, l'emporte sur une intention pédagogique, relative au développement, chez les élèves, des cultures de l'information6. Non, l'intention pédagogique ne peut pas être mise au service de buts qui relèvent de l'organisation technique de l'accès aux ressources mais, bien au contraire, c'est à la politique documentaire d'être définie comme un moyen dont « l'objectif principal [est] de permettre à tous les élèves d'accéder aux informations et aux ressources nécessaires à leur formation » (arrêté de 2013).

L'enjeu est important qui doit faire explicitement la part entre, d'une part, la finalité pédagogique, qui vise à faire acquérir des connaissances et des compétences info-documentaires par voie d'enseignement-apprentissage et, d'autre part, le moyen gestionnaire, qui consiste à mettre à disposition des ressources et à en permettre l'accès. L'enjeu de cette prévalence, nous le savons à présent, touche à la liberté pédagogique du professeur documentaliste : si la politique documentaire est sous la responsabilité du chef d'établissement et dépend de la validation par les membres du conseil d'administration, alors il ne faut en aucun cas que l'action pédagogique lui soit subordonnée, au risque que le professeur documentaliste en perde le contrôle. Accepterait-on que les collègues de français, d'arts plastiques ou de mathématiques dépendent ainsi du chef d'établissement et du CA pour connaître leurs modalités d'enseignement ? Bien sûr que non. Il en est de même de l'enseignement des cultures de l'information qui relèvent d'un impératif national et qui, au nom de l'égalité, ne sauraient entièrement dépendre d'orientations locales.

Une circulaire de mission, nous semble-t-il, devrait s'attacher à préciser les deux valences de la profession tout en instituant la valence pédagogique comme intégrative de la valence gestionnaire. L'inverse reviendrait à limiter l'action pédagogique à une simple formation méthodologique relative aux ressources et à leur accès alors que les enjeux éducatifs relatifs à l'information documentation et médiatique dans un environnement numérique sont aujourd'hui cruciaux. L'action pédagogique du professeur documentaliste ne saurait alors être réduite à un « volet » de la politique documentaire. Par contre, celle-ci, plutôt sous la forme plus réaliste de « projet documentaire », devrait être explicitement désignée comme un moyen mis au service des apprentissages scolaires et notamment info-documentaires.

3- Le rôle et la place des professeurs documentalistes

Après l'ordre de présentation des axes et la prévalence d'une mission intégrative, le troisième point de vigilance concerne la déclinaison du rôle du professeur documentaliste et de la place qu'il prend dans l'équipe pédagogique et éducative. Le vocabulaire et la syntaxe composant un texte réglementaire sont, nous en avons bien conscience, bien choisis et réfléchis. C'est la particularité même du discours pédagogique, le plus idéologique des discours selon le philosophe Olivier Reboul (1984), et notamment le discours officiel, que de se montrer optimiste, réformateur et œcuménique pour mieux imposer son pouvoir décisionnel7. C'est donc sur ce terrain-là, celui du verbe, qu'il convient d'exercer sa vigilance. Pour ce faire, nous proposons de nous focaliser sur les quelques points suivants, sans vouloir bien entendu tendre à l'exhaustivité en la matière.

  • veiller à la présence du mot « enseigner » : si la circulaire de 1986 évoque bien l'initiation et la formation des élèves, l'évolution du mandat pédagogique du professeur documentaliste, marquée par l'émergence de nouveaux enjeux liée à l'environnement numérique et à la didactisation concomitante de l'information-documentation, oblige à préférer aujourd'hui le terme d'enseignement. Le projet de 2011 n'en fait pas mention, ce qui peut inquiéter dès lors qu'il sert de base aux travaux actuels. Mais l'arrêté de 2013, postérieur et faisant force de loi, l'a heureusement bien relevé en l'inscrivant dans le premier axe de mission : « Les professeurs documentalistes, enseignants et maîtres d’œuvre... » Il faudra par conséquent veiller à ce qu'il soit de nouveau employé, voire précisé.
  • veiller à l'usage de l'expression « maître d’œuvre » : si l'expression verbale « mettre en œuvre » est repérable dès 2007 en lien avec la politique documentaire, le rôle de « maître d’œuvre » n'apparaît que dans l'arrêté de 2013. Il y est même présent dans la dénomination de deux des trois axes qui la composent, associé pour le premier à la pédagogie et pour le deuxième à la politique documentaire8. Dans ce dernier cas, la maîtrise d’œuvre peut se comprendre comme l'exercice d'un contrôle et d'un pilotage des différentes étapes constitutives de la politique documentaire. Par contre, associée à la formation des élèves, le risque est important de dissocier une réelle activité d’enseignement en responsabilité du seul pilotage d'une formation qui pourrait être exercée par les équipes disciplinaires. Le professeur documentaliste, maître d’œuvre, pourrait alors limiter son action pédagogique à veiller à ce que d'autres que lui assurent ce travail, planifiant des projets et organisant des validations de compétences en fin de cycle. Il est alors rassurant de constater que l'axe 1 de l'arrêté de 2013 associe « enseignant » et « maître d’œuvre », garantissant au moins le respect du mandat pédagogique du professeur documentaliste. Ce sera un point de vigilance important.
  • Veiller à ce que le professeur documentaliste conserve la responsabilité du CDI : sous une forme ou sous une autre, il est établi que cette responsabilité est affirmée avec constance depuis la circulaire de 19869. Elle a même résisté aux effets d'une politique documentaire en partie instaurée sur un discours de discrédit de la responsabilité du professeur documentaliste et insistant par conséquent sur le fait qu'elle soit dorénavant placée sous l'autorité du chef d'établissement. Il n'y a donc pas de raison que ce point positif disparaisse mais il vaut mieux être vigilant sur ce point également. Déresponsabiliser le professeur documentaliste de cet outil serait évidemment une grave erreur.
  • Veiller à ce que l'emploi des verbes « assurer » et « contribuer » ne soient pas utilisés au détriment de la mission pédagogique : le bon usage de ces deux verbes a été à l'origine des échecs des tentatives précédentes de réactualisation de la circulaire et la cause d'incompréhension entre l'institution et la profession. Ces deux verbes ont connu dans les différents textes des fortunes croisées et opposées. Ainsi « assurer » était-il davantage employé en 1986 (4 occurrences) qu'il ne l'a été en 2001 (0), en 2007 (0), en 2011 (2) ou dernièrement en 2013 (1). A l'inverse, « contribuer » a été peu employé en 1986 (4 occurrences) mais beaucoup plus par la suite, notamment en 2002 (12 fois), en 2007 (8) ou encore en 2011 (10). L'arrêté de 2013 est beaucoup plus sobre puisqu'il ne l'utilise que deux fois. Si l'usage de « assurer » ajoute à son statut de responsable et fait de lui un acteur incontournable de l'établissement, celui de « contribuer » lui confère une place au sein des équipes et concourt à son intégration au profit des élèves et de l'établissement.

Le point d'achoppement est donc à rechercher du côté du complément d'objet de ces deux verbes. Une ligne de démarcation très nette apparaît ainsi dès lors qu'on cherche des associations entre ces verbes et l'action pédagogique directe au bénéfice des élèves : « contribuer à la formation » n'apparaît jamais dans la circulaire de 1986 mais à chaque fois depuis. A contrario, « assurer la formation » est présent à quatre reprises dans ce dernier document, une seule fois en 200210, mais plus jamais dans les autres textes. Ce choix de l'institution, constant depuis l'époque de l'introduction de la politique documentaire, s'accompagne du refus de reconnaître les contenus de l'information-documentation, en tant que matière d'enseignement scolaire spécifique, alors qu'ils sont enseignés de fait par les professeurs documentalistes11. Ces savoirs scolaires ont progressivement été ventilés dans les programmes disciplinaires et, depuis novembre 2015, modestement structurés à partir d'une nouvelle « éducation à », l'EMI, pour être pris en charge par toutes les disciplines et les professeurs documentalistes. Dans le contexte actuel, il semble à présent bien difficile pour ces derniers de revendiquer cet enseignement, même si l'épistémologie de l'EMI n'est à rechercher nulle part ailleurs que dans l'information-documentation12 et même si les professeurs documentalistes, de tous les enseignants certifiés, sont les seuls à tenir d'un CAPES référé aux sciences de l'information et de la communication. Cette expertise ne semble d'ailleurs pas leur être déniée lorsque l'institution leur demande de la transférer, sous la forme de fiches didactiques ou bien de formation continue, à leurs collègues disciplinaires. Ainsi cette revendication est-elle légitime et autorise que l'on attende d'une éventuelle circulaire de mission qu'elle permette à la profession d'assurer cet enseignement, dans des conditions décentes, au travers de dispositifs interdisciplinaires ou non et nonobstant le fait que certaines disciplines s'y emploient également dans le cadre de leur programme.

  • Veiller au respect de l'initiative pédagogique : assurer un enseignement ne peut se faire que si l'on dispose de la liberté élémentaire, pour tout professeur, d'exercer devant des élèves, de manière directe. On prendra garde toutefois à ne pas confondre liberté de faire cours ou non et liberté de choisir parmi les méthodes pédagogiques et construire des progressions. Car détenir un CAPES n'offre pas seulement un mandat pédagogique mais donne également l'obligation d'enseigner. S'agissant des professeurs documentalistes, cette liberté peut aussi être comprise comme permettant d'atteindre les élèves « de manière directe ou indirecte », ce qui, dans le contexte que nous connaissons, relève trop souvent d'arrangements locaux. La « prise d'initiatives » est alors l'expression employée par quelques textes, à commencer par la circulaire de 198613, pour signifier cette liberté de faire cours, qui doit être assortie d'une possibilité de faire cours. Le texte de 2007 reprend l'expression tout en y ajoutant l'idée d'une action menée « de manière directe ou indirecte »14 empruntée à la première circulaire de 197715, c'est-à-dire avec ou sans l'aval d'une discipline. Cette disposition permet de fait de sortir le professeur documentaliste d'une posture d'auxiliaire qui ne s'accorde pas à son statut de certifié, tout en permettant et favorisant des configurations interdisciplinaires entre l'information-documentation et d'autres disciplines. Malheureusement, on ne trouvera par contre aucune trace de cette précaution dans le texte de 2011, base de travail du projet actuel. Il conviendrait par conséquent de se référer une nouvelle fois à l'arrêté de 2013 qui précise que les professeurs documentalistes « interviennent directement auprès des élèves dans les formations et les activités pédagogiques de leur propre initiative ou selon les besoins exprimés par les professeurs de discipline ». Le simple fait que les compétences professionnelles spécifiques aux professeurs documentalistes s'ajoutent et s'adossent aux «  compétences qu'ils partagent avec l'ensemble des professeurs » devrait suffire. Il n'est pour autant pas superflu de s'attacher à ce que cela soit clairement précisé dans le corps de la circulaire.

Conclusion

Si les représentants participant au groupe de travail divergent sur la vision du rôle du professeur documentaliste, nous voulons croire qu'ils sauront composer avec les aspirations légitimes de la profession que nous avons tenté d'énumérer ici, pour les principales.

Il reste qu'il devient urgent pour la profession, directement concernée par ce texte réglementaire, d'être convenablement informée, et de pouvoir faire entendre ses besoins et reconnaître ses attentes. Le calendrier étant serré avant les prochaines élections, il serait dommage que le débat démarre trop tard et soit empêché, au risque de précipiter une publication avant que le texte ne soit bien finalisé. Ce fut le cas, souvenons-nous en, de la circulaire de mars 1986, à laquelle on a reproché, à cause de cela, un manque de structure et un amoncellement de tâches. Sans doute faudrait-il moins détailler, moins en référer à des dispositifs contextuels, mais davantage tracer les lignes fortes de la profession. C'est toute la difficulté d'un texte de mission que de trouver le bon équilibre entre prescription institutionnelle et représentation de la réalité, entre construction subjective et reflet objectif du métier, entre approche descendante et approche ascendante.


ANNEXE

Repère chronologique des principaux textes de mission et projets de circulaire

  • 1986: « Missions des personnels exerçant dans les centres de documentation et d’information ». Circulaire n°86-123 du 13-03-1986
  • 2001 : « Information et documentation en milieu scolaire ». Rapport de l’IGEN Guy Pouzard. 01-2001
  • 2002 : « Missions du professeur documentaliste : projet de circulaire ». InterCDI n°179, sept.-oct. 2002. p. 11-12
  • 2004 : « Les politiques documentaires des établissements scolaires ». Rapport des l’IGEN Jean-Louis Durpaire. 05-2004
  • 2007 : « Protocole d’inspection des professeurs-documentalistes ». IGEN, 02-2007
  • 2011 : « Missions des professeurs documentalistes à l’ère du numérique ». [Projet]. DGESCO, 18-01-2011
  • 2013 : « Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation : Compétences spécifiques aux professeurs documentalistes ». Arrêté du 01-07-2013. B.O. n°30, 25-07-2013

  1. Voir les références de ces textes en annexe. 

  2. Le rapport Tallon en 1974, puis la première circulaire de mission en 1977. 

  3. Pour visualiser cette évolution, voir notre récapitulatif : « Décodage du projet de circulaire du 18 janvier 2011 : 4- La hiérarchie entre les principales missions.. Les Trois couronnes, 28-01-2011. 

  4. 1977, préambule : « Quelles que soient les formes que prend son action, il contribue toujours, soit indirectement, soit directement, à la formation des élèves : sa fonction est donc d'ordre essentiellement pédagogique. » ; 1986, préambule : « Il convient donc de définir avec précision les missions des personnels de ces centres en soulignant que l'appartenance du documentaliste-bibliothécaire à la catégorie des personnels enseignants exige que sa mission, de nature essentiellement pédagogique, soit conduite en étroite liaison avec les professeurs de l'établissement. » 

  5. 2001, préambule : « À la fois professionnel de l’information, enseignant, éducateur et gestionnaire, l’enseignant documentaliste est appelé à jouer un rôle essentiel dans la définition de la politique documentaire de l’établissement scolaire et à participer aux activités qui conduiront progressivement les élèves à une meilleure maîtrise de l’information. » 

  6. A la convergence des cultures info-documentaire, médiatique et numérique avec, pour référence les sciences de l'information et de la communication, comme il est précisé dans l'arrêté de 2013. 

  7. Olivier Reboul. Le langage de l'éducation : analyse du discours pédagogique. PUF, 1984 

  8. 2013, axe 1 : « Les professeurs documentalistes, enseignants et maîtres d'œuvre de l'acquisition par tous les élèves d'une culture de l'information et des médias » ; axe 2 : « Les professeurs documentalistes, maîtres d'œuvre de l'organisation des ressources pédagogiques de l'établissement et de leur mise à disposition » 

  9. 1986, axe 4 : « Le documentaliste-bibliothécaire est responsable du centre de ressources documentaires multimédia » ; 2001, axe 1 : « Il participe à l’évaluation du système d’information dont il a la responsabilité. » ; 2007, axe 3 : « Le professeur-documentaliste a la responsabilité du fonctionnement du CDI et du système d’information documentaire. » ; 2011, préambule : « Il assure la responsabilité du fonctionnement du CDI... » ;2013, préambule : «  Ils ont la responsabilité du centre de documentation et d'information... » et compétence D3 : « Assurer la responsabilité du centre de ressources. » 

  10. 2002, axe 1 : « Les projets pédagogiques, quelle que soit leur ampleur et quels que soient les supports utilisés, se développent d'autant mieux qu'ils bénéficient de l'expertise du professeur documentaliste, qui peut assurer tout au long du processus le développement de compétences documentaires chez les élèves. »

  11. Duplessis Pascal. Et pourtant, ils enseignent... Le « curriculum réalisé » de l'information-documentation. 10ème congrès de l'APDEN "Enseigner - apprendre l’information-documentation ! », 9-10-11 octobre 2015, Limoges. Les Trois couronnes, nov. 2016. 

  12. Duplessis Pascal. L'Information-Documentation au risque de l'EMI. Les Trois couronnes, mars 2016. 

  13. 1986, axe 1 : « Il prend, par ailleurs, toutes initiatives opportunes pour amener progressivement les élèves à  [...] »

  14. 2007, axe 2 : « Le professeur documentaliste participe, de manière directe ou indirecte, à la formation des élèves en matière de compétences « informationnelles » et de lecture. À cet effet, il lui appartient de prendre des initiatives pour que tous les élèves ou étudiants soient formés à la démarche de recherche et de l’information »

  15. 1977, préambule : « Quelles que soient les formes que prend son action, il contribue toujours, soit indirectement, soit directement, à la formation des élèves : sa fonction est donc d'ordre essentiellement pédagogique. » 


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