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En direct du 9ème Congrès FADBEN. Journée du 23 mars 2012

Pas moins de quatre conférences, six tables rondes et trois ateliers pour cette deuxième journée du 9ème congrès de la FADBEN qui s'est avérée pour le moins très intense et studieuse. L'équipe des actus des Trois couronnes rend compte ici des interventions auxquelles elle a pu assister.

Louise Merzeau

Lors de son intervention consacrée à "(re)construire la mémoire de nos traces numériques", Louise Merzeau a invité les congressistes à dépasser l'opposition entre une logique sécuritaire, basée sur les moyens techniques et réglementaires, et une logique décomplexée, d'origine marchande, qui toutes deux réduisent l'individu à des stocks de données. En introduisant le concept de présence numérique, elle s'est employée à confronter les traces que nous laissons lors de notre navigation, à l'emploi qui en est fait par les appareils de calcul (robots) qui les grammatisent selon des algorithmes opaques. A l'impossibilité d'y échapper, elle oppose, en forme de résistance, la possibilité d'activer ou de désactiver ces traces, associées au contexte dans lequel elles ont été produites. Elle insiste aussi sur l'importance d'anticiper sa présence numérique. A cette fin, elle propose de développer un principe d' "Identity commons", selon le modèle des creatives commons, qui participerait de la construction d'une citoyenneté numérique passant par un projet collectif de mémoire.

Bruno Bachimont

Dans le prolongement de cette première intervention, Bruno Bachimont, lors d'une intervention consacrée au "gai savoir du numérique", s'est appuyé sur l'opposition de deux figures, celle de Saint Thomas, dont l'invention de nouveaux concepts tenait de sa capacité mémorielle fondée sur un savoir engrammé (corpus engrangé), et celle d'Einstein dont les inventions procédaient de son imagination. A la source de ces deux conceptions du savoir, se situe le contexte socio-technique avec un transfert de l'oralité à l'écrit qui a modifié notre façon de penser. Selon Bruno Bachimont, le support matériel (codex, volumen, numérique) conditionne les parcours interprétatifs du lecteur, sans le déterminer. Il en va de même de la grammatisation de l'écrit qui est structurée selon trois restitutions (liste, tableau, formule). Or, avec le numérique, ces formes de restitutions écrites évoluent pour ne plus être directement explicites (code), ce qui interagit avec nos cadres mentaux de représentation.En conséquence, l'enjeu du numérique n'est pas de connaître, mais de discerner et de se penser dans le numérique en réintroduisant une part de doute, forme d'espace intersticiel entre le savoir savant (calcul algoritmique) et la sagacité critique (habilités numériques).

Table ronde : Les enjeux de la culture médiatique

La matinée s'est clôturée par une table ronde sur les "enjeux de la culture médiatique", autour de trois intervenants. Nikos Smyrnaïos nous a proposé une analyse sur le pluralisme du journalisme en ligne, fondée sur un projet de recherche "Internet, pluralisme et redondance de l'information" (IPRI). Démontant l'idée reçue d'un pluralisme naturel sur Internet, l'universitaire démontre que la redondance sur Internet provient de l'agenda médiatique et des acteurs dominants en audience. C'est pourquoi, pour accéder à une diversité médiatique sur Internet, il faut privilégier davantage les pure-players (rue89, mediapart) ou les blogs. Ensuite, Marie-Valérie Jeanne-Perrier a présenté un exemple précis de média journalistique en ligne : les archives du Monde diplomatique. Enfin, Jacques Kernéis a mis en avant la nécessité d'une éducation aux médias intégrée dans une approche mutualisée : la translittératie.

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Hervé Le Crosnier

Lors de son intervention consacrée à la "culture numérique dans l'éducation", Hervé Le Crosnier s'est employé à dégager des pistes pour que coïncident des pratiques de communautés à l'éducation. Cela passe par la manipulation des objets numériques, la compréhension de ce qu'ils sont dans leur immatérialité en tant qu'objet fini mais aussi in-fini, car transformables (redocumentarisation). Or, le contexte actuel est concurrentiel en ce qu'il oppose, d'une part, les prescriptions scolaires, qui se réfèrent à une histoire de ces objets et à la constitution de repères, et, d'autre part, les prescriptions commerciales, discontinues, car dans l'instantanéité, et qui flattent le narcissisme des élèves. La réponse actuelle de l'école est l'"apprendre à apprendre", formule magique, qui est un mythe en ce qu'elle élimine les repères "traditionnels" de l'école pour, en réalité, réintroduire un système de domination (Bourdieu). Cette "nouvelle modernité" entérine le passage du paradigme de l'autorité du maître fondée sur la raison (démocratie, durée, universalité), à celui de l'influence fondée sur l'émotion (médias, urgence, universalisme).

La construction didactique

La table ronde consacrée à la construction didactique a été l'occasion, pour Muriel Frish, d'aborder la notion de "didactiques" en sciences de l'éducation et en SIC, d'un point de vue épistémologique. Ainsi, elle est revenue sur la mise en tension nécessaire des pratiques ordinaires et des pratiques extraordinaires (mobilisation de savoirs scientifiques) dans la transposition didactique à l’œuvre en information-documentation. Plus concrètement, Cédric Fluckiger a ensuite évoqué l'éducation à la culture informationnelle numérique au travers d'une lecture des programmes scolaires du primaire et du B2i. Enfin, Magali Loffreda nous a fait part de son expérience de stagiaire au sein d'un établissement agricole. Dans ces établissements, la formation des élèves aux compétences informationnelles s'inscrit dans un référentiel précis. Cependant, les difficultés sur le terrain sont nombreuses : ambition du programme, évaluation, organisation...

Olivier Le Deuff

Olivier Le Deuff, lors de sa communication sur "la convergence médiatique : la culture de l'information sur la piste de la littératie", a vivement regretté le hiatus entre l'intérêt affiché pour la culture de l'information et le fait que cela n'entraîne pas la mise en place d'une réelle formation des élèves. Démontrant l'échec du B2i, dont les évaluations sont tronquées par une logique de résultat, il déplore la surenchère introduite dans le modèle des Learning centres, où l"apprendre à apprendre" n'est que l'expression d'une logique de contrôle des corps (en tant que lieu de surveillance), et des esprits, dans la soumission aux prescriptions commerciales par les ressources (Foucault). Il y oppose la convergence de l'éducation aux médias, de l'éducation à l'information et à l'informatique dont la finalité est de permettre aux élèves de distinguer les littératies et la hiérarchie des contenus et des contenants, au-delà du modèle actuel basé sur la formation aux seuls usages. A cette fin de compréhension, plus que d'utilisation, la mise en œuvre de dispositifs institutionalisés s'imposent (autres que le B2i, le PACIFI...)

Enseignement info-documentaire et pratiques informationnelles des élèves

Parallèlement, une table ronde intitulée "Enseignement info-documentaire et pratiques informationnelles des élèves : mieux connaitre leurs pratiques personnelles pour mieux les former" a apporté un éclairage très instructif sur les pratiques numériques des élèves. A partir d'un travail d'observation dans le cadre scolaire et hors cadre scolaire, les trois intervenants ont esquissé les principales conclusions de leurs thèses. Elisabeth Schneider s'est appliquée à étudier les pratiques d’écriture outillées (du papier au numérique) des lycéens. Karine Aillerie s'est attachée à analyser les articulations entre recherches personnelles et recherches scolaires. Enfin, Anne Cordier a mené une enquête qualitative (élèves de 6ème et enseignants documentalistes de trois établissements) pour évaluer la "prise de risque" que constituent les formations de recherche sur internet en 6e pour ces professionnels et dégager des pistes pour une autre pédagogie documentaire. Ces trois intervenants convergent vers la même idée portée par le sous-titre de cette table ronde : il est indispensable de connaître les pratiques numériques des élèves et même de les légitimer pour que les objets documentaires numériques deviennent des objets d'apprentissage.

Document de collecte et apprentissages info-documentaires

La journée s'est terminée sur un atelier dans lequel Marion Carbillet, jeune professeure documentaliste, a relaté son travail sur le "document de collecte et [les] apprentissages info-documentaires". Cette expérience de terrain s'appuie essentiellement sur les travaux de recherche de Nicole Boubée sur l'utilisation des copiés-collés comme première stratégie de recherche d'information. En effet, le document de collecte est un moyen de remettre en cause les étapes "traditionnelles" de la recherche documentaire et de prendre en compte les pratiques sociales de référence des élèves. Véritable document de travail, le document de collecte fait intervenir des connaissances à la fois procédurales et déclaratives (notions de source, de document ...).

Autres interventions

L'équipe n'a pas pu suivre toutes les manifestations proposées. Elle regrette ainsi de n'avoir pu assister à la table ronde "Culture informationnelle et enseignement info-documentaire : des pratiques ordinaires à la raison scientifique" animée par Alexandre Serres et où intervenaient Yolande Maury et André Tricot.

Notons enfin que deux autres ateliers ont eu lieu. Le premier a porté sur la notion de veille. Marie-Astrid MEDEVIELLE y a présenté une progression dans les apprentissages informationnels mis en œuvre au LGT. Le second, dirigé par Angèle Stalder, a porté sur l'enseignement de la veille technologique en Lycée des Métiers. Deux notions ont été particulièrement explorées : le document technique et la validation de l'information.

Conclusion de la journée :

Journée très enrichissante et très intense. Dommage que les conférences, les tables rondes et les ateliers se superposent : il est difficile de faire des choix ! Toutefois la richesse de ce congrès se trouve dans la diversité de l'offre et dans la coexistence des approches théoriques et des expériences de terrain ! Cette journée a mis en évidence que la documentation était encore trop soumise aux autres disciplines et qu'il devient nécessaire et indispensable d'aborder l'information-documentation comme discipline à part entière : nécessité d'enseigner des notions et de partir des pratiques des élèves. Pour revenir à la thématique du congrès, les intervenants nous recommandent tous de nous emparer des objets documentaires numériques pour les enseigner.


Le programme des journées

Je vous signale que le pdf de ma conférence "Reconstruire la mémoire de nos traces numériques" est en ligne : http://www.slideshare.net/louisem/reconstruire-la-mmoire-de-nos-traces-numriques
Un grand merci pour cet ajout qui vient apporter une densité nouvelle au compte rendu.