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Du Learning Centre au Centre de Connaissances et de Culture

Dernière révélation en date de l'IGEN, la mise en œuvre de « centres de connaissances et de culture » (3C). Cette incitation apparaît dans les annexes des Orientations et instructions pour la préparation de la rentrée 2012. Pour illustrer le propos sibyllin de cette circulaire, un lien pointe vers le site d'Eduscol où un article et une vidéo présentent cette "innovation". Nous proposons quelques premiers commentaires...

Ecrans Vidéo Eduscol Extrait de la vidéo Eduscol

L’origine du 3C

Il y a de cela un an, un séminaire sur les learning centres se tenait à l'École supérieure de l'éducation nationale (ESEN), prolongeant une stratégie de communication de l'Inspection Générale de l'Education Nationale (IGEN) sans précédent, avec pour ambition affichée de "réinventer les CDI". Depuis, des expériences de learning centres ont été encouragées et médiatisées par l'institution, afin de prouver la faisabilité de ce concept. Dernière pierre à l'édifice, donc, les learning centres font leur apparition au Bulletin Officiel n° 13 du 29 mars 2012 sous le nom de "centres de connaissances et de culture" (3C) dans le chapitre 7 des annexes des Orientations et instructions pour la préparation de la rentrée 2012. Deux phrases suffisent pour lancer le concept de 3C qui est sommairement présenté comme une innovation à l'échelle de l'établissement : "Ainsi, dans le cadre d'expérimentations, les établissements peuvent réfléchir à la mise en œuvre de « centres de connaissances et de culture » (3C). Ce projet éducatif et pédagogique s'appuie sur les compétences du professeur documentaliste qui peut, dans cette perspective, recourir au soutien des CRDP. Le centre de connaissances et de culture privilégie à la fois le numérique et le livre, dans une approche où la maîtrise de la langue est un appui indispensable aux autres apprentissages."

Un lien hypertexte associé à "centres de connaissances et de culture" renvoie à une page d'Eduscol qui présente ces centres "innovants", notamment à partir d'une vidéo (4mn 50) proposée par le Scéren. Cette vidéo prend pour modèle, par ailleurs unique, le projet de learning centre du lycée Emile Mathis de Schiltigheim, déjà largement médiatisé il y a quelques semaines.

Effet vitrine

Le "centre de connaissances et de culture" y est présenté par les instigateurs de cette expérimentation comme un système innovant au service de la réussite des élèves. Dans un esprit critique constructif, on peut légitimement se demander, à la vue de cette vidéo, en quoi ces centres seraient innovants.

En visionnant une première fois le document, l'impression se veut positive. Nous sont donnés à voir de beaux espaces bien agencés et une communauté éducative soudée autour d'un projet de restructuration du CDI. Les mots que l'on retient dégagent une impression d'harmonie : modularité des espaces, espace de détente, espace calme et convivial, design... Un espace équipé et pensé pour, nous assure-t-on, la réussite des élèves. Pour ce qui est de la modernité du lieu, elle semble ne faire aucun doute, et le renfort incessant de l'imagerie 3 D pour visiter les locaux y participe sans doute. C'est une belle vitrine pour les financeurs, les collectivités territoriales, et pour l'IGEN qui voit là la concrétisation d'un concept qu'elle souhaiterait étendre aux établissements du secondaire.

Une communication hâtive

Mais ne nous y trompons pas, cette vidéo du Scéren, promu "soutien" du professeur documentaliste par la circulaire, n'est qu'un outil de communication. Elle ne nous dit pas, par exemple, que ce learning centre n'est encore qu'un projet qui ne sera effectif qu'à la rentrée 2012. En l'état, pourtant, cette vidéo laisse penser que ce LC est opérationnel. Faut-il y voir un oubli, ou le choix délibéré de passer sous silence cette information, afin de laisser supposer que ce modèle fait déjà ses preuves et que l'on peut s'y risquer sans réserve ? Remarquons encore que, tandis que la voix off du commentaire évoque des "centres de connaissances et de culture", toutes les personnes interviewées s'expriment, quant à elles, sur le learning centre. Preuve que la vidéo est déjà datée et que cette appellation de 3C a été intégrée à la dernière minute, pour la sortie de la circulaire de rentrée, dans une volonté d'effacer le terme polémique de "learning centre".

Entrée du 3C Vidéo Eduscol Extrait de la vidéo Eduscol

Le présupposé « pédagogique » du LC-3C

Le proviseur du lycée Emile Mathis, Francis Navlet, ouvre la présentation. Son intervention est très courte mais elle suffit pour tracer le cadre. A en croire ces propos, il semblerait qu'il ait imaginé seul, avec le professeur documentaliste, la création du learning centre (LC) dès la rentrée 2010. Cette affirmation peut laisser perplexe si l'on considère l'intérêt récent de notre inspection pour ce modèle. Vraie programmation ou simple opportunisme pour appuyer par l'exemple, si peu cohérent soit-il, le projet politique sous-tendu par les LC ? Il énonce ensuite "les atouts" du LC, lesquels "portent d'abord sur la modularité des espaces et donc une vision nouvelle, une pratique nouvelle de la pédagogie par le croisement de flux d'usagers différents, enseignants, élèves et personnels de vie scolaire". Le discours est assez confus mais on croit comprendre l'argument : l'espace, l'agencement et le matériel, notamment informatique, constitueraient un projet pédagogique en soi. L'action pédagogique résiderait dans l'organisation de l'espace et dans les services proposés à l'usager, comme dans toute bibliothèque. Tournant le dos à la médiation enseignante, l’innovation proclamée s’appuie sur un autre type de médiation qui serait architecturale et technologique. Mais peut-on dans ce cas encore parler de pédagogie ? L'Inspection voit probablement dans ce projet, la concrétisation du modèle anglo-saxon qu'elle défend. Sous couvert d'autonomie et de responsabilité supposées des élèves, il s'agirait de passer du "teaching" au "learning", en ne laissant à l'enseignant qu'un statut d'auxiliaire dans le processus d'apprentissage.

Rôle du professeur documentaliste dans un LC-3C

Cette auxiliarisation est bien intégrée dans le discours de Frédéric Absalon, professeur documentaliste du lycée, qui s'attribue un simple rôle de relais entre le technologique et le pédagogique. A l’entendre, dans le learning centre, c'est l'équipement -"les outils et le matériel"- qui participe à la réussite des élèves et "qui les forcera ou en tout cas qui les incitera fortement à rester au lycée"(sic). Les ambitions affichées reprennent d’ailleurs parfaitement les directives de l’IGEN : « on espère, dans le futur espace ainsi créé, avoir des services performants, grâce aux outils mis à disposition, mais aussi on espère développer tout un système, un service d'ingénierie éducative, c'est-à-dire que les personnels du learning centre vont faire le trait d'union entre les enseignements et la technologie. » L’enseignant documentaliste perdrait ainsi son mandat pédagogique pour se cantonner à la fonction de gestionnaire de flux en tous genres : flux d'usagers, flux de ressources, flux de services. La pédagogie, la « vraie », n'est d'ailleurs mentionnée que par les enseignants de discipline. Frédéric Absalon, quant à lui, préfère s’inscrire dans une perspective aussi large et consensuelle que floue : "l'objectif principal d'un learning centre est de participer à la réussite de nos élèves"... Les CDI, et plus largement l'Ecole, n'auraient-ils pas la même visée ? La différence réside sans doute dans les moyens d'y parvenir.

La fusion CDI - Vie scolaire

« Un des atouts, et pas des moindres, du learning centre, poursuit le proviseur, c'est d'abord chercher à associer la détente et le travail dans un même lieu. » Le LC-3C proposerait ainsi la création d'un espace, non seulement modulable, mais permettant la fusion CDI - Vie Scolaire. Comme le souligne le professeur documentaliste, « l'un des premiers objectifs de la fusion de la vie scolaire et du CDI, c'est la mutualisation des services et des compétences » en un "guichet unique". Un élève interrogé voit là l'occasion pour les élèves et les professeurs de se rencontrer, "discuter ensemble, boire un café ensemble, passer du temps ensemble, travailler même ensemble". De telles rencontres pédagogiques sont-elles interdites à l'heure actuelle, l'innovation tient-elle dans la capacité d'une structure à offrir du café aux élèves ?

S’agissant du « croisement des flux d’usagers » dont rêve le proviseur, il n'est pas abusif de penser qu'ils consacreront majoritairement les échanges entre la permanence et le CDI, ce qui nous ramène à l'intégration des services de la vie scolaire au CDI. A moins que ce ne soit le début de l'intégration des personnels du CDI à un nouveau pôle Vie scolaire multifonctionnel, et à visage culturel...

Ordi Vidéo Eduscol Extrait de la vidéo Eduscol

Les profs de discipline : un simple besoin d’espace

Autre point de vue convoqué, celui des professeurs du lycée : "l'intérêt du LC par rapport au CDI est la multiplicité des espaces de travail qui permet par exemple avec une classe de la scinder en plusieurs groupes pour pouvoir multiplier les différentes activités". Là encore, la réponse pédagogique est matérielle. Même constat, pour un professeur d'allemand qui retient, quant à lui, la possibilité d'installer un labo de langues. Les CDI ne sont-ils pas les lieux par excellence de la pédagogie différenciée et les labos de langues n'existent-ils pas déjà depuis longtemps ?

Pourquoi est-il urgent de nous imposer le LC-3C ?

La dernière phrase du commentaire voudrait faire entrer le learning centre dans la légende : "le CDI transformé en centre de connaissances et de culture est emblématique de ce que devient progressivement l'école et pose la question de l'apprendre pour tous". Nous n'avons plus qu'à espérer que cette vidéo ne sera pas représentative de ce que pourrait devenir progressivement le CDI, à savoir un "centre de connaissances et de culture", affichant de manière formelle l’innovation et la modernité, mais qui, tous comptes faits, se révèle être un projet bricolé à la va-vite et surtout vide de contenus. Nous nous étonnons que cette vision futuriste, aux appâts séduisants mais trompeurs, ait été aussi rapidement intégrée à la circulaire de rentrée. Élaborée pourtant sans aucune concertation avec les professeurs documentalistes, elle laisse perplexe sur la méthode employée pour s’imposer. Aussi n’est-il pas à exclure qu'en matière de solution pédagogique matérielle, les interlocuteurs privilégiés de notre inspection soient désormais moins les professeurs documentalistes que les acteurs du marché numérique. A ce titre, le 3C est emblématique d'un transfert d'une logique pédagogique à une logique de marché.

Disparition de l’information-documentation

Pour terminer, notons qu'il y a un grand danger à vouloir remplacer "documentation et information" par "connaissances et culture". C'est nous retirer notre référence scientifique, les sciences de l'information et la documentation, qui fondent notre métier et notre enseignement. Quant à la référence aux "connaissances", c'est ignorer, dans l'acquisition d'un savoir, la phase d'appropriation de l'information, nécessaire à l'acquisition de connaissances, et, par conséquent, passer sous silence notre rôle dans ce processus d'apprentissage. Il est à ce propos fort regrettable que l'enseignement info-documentaire et l'acculturation informationnelle des élèves ne trouvent pas plus d'écho dans ce nouveau sigle que dans la vidéo...

Bonjour,
Dès lundi prochain mon principal de collège veut m'imposer un "learning center" et un travail de collaboration avec la vie scolaire pour la rentrée 2012/2013.
Je viens de lire avec attention cet article et je suis tout à fait d'accord avec ce qui est dit sur notre perte d'identité de certifié.
Cependant puis-je m'opposer à une telle politique d'établissement?
Ai-je le DROIT de le faire et COMMENT?
J'attends beaucoup de vos réactions et de l'aide.
Merci,
Une professeure documentaliste qui ne veut pas devenir un prestataire de service pour ses "collègues" !!!!!
Académie de Versailles
"La question de l'apprendre pour tous" trouve sa solution unique dans "un guichet unique" (Un guichet est un canal de distribution). En somme, à en croire les acteurs de ce film, "apprendre" se résume à être en mesure de recevoir la connaissance grâce aux robinets numériques. Quelle avancée !

Le film, dans ses images, fait la part belle à la matérialité, alors même que l'enjeu porte sur l'accès à l'immatériel.
Il utilise également un vocabulaire très orienté "mercatique" : atouts, modularité, flux, guichet ... Le plus frappant, me semble-t-il est l'effet de schématisation que produisent les images de synthèse en trois dimension. En bref, les mots et les images sont schématiques comme la réflexion des personnes qui travaillent à ce projet.

Prenons l'exemple du terme "modularité", qui est la propriété de ce qui modulable. "Modulable" a pour termes voisin : flexible, acclimatable, ajustable, adaptable, docile, souple, désobéissant, malléable ...
On voit donc ici que le désir est de proposer un espace doux, alternatif, un "tiers lieu"...
Flexible dans le sens où le professeur documentaliste devra faire des horaires les plus larges possibles !
Acclimatable pour créer un climat différent du climat de classe qui est le plus souvent détestable !
Ajustable afin d'accueillir en même temps une classe qui fait de l'Allemand, une classe qui fait l'histoire et géographie travaillant en tâches éclatées, des élèves sans professeur qui veulent se détendre, d'autres qui désirent apprendre par eux-même grâce à Google etc...
Docile et désobéissant en même temps !
Malléable pour ce qui est du professeur documentaliste qui accepte de se plier à toutes les exigences à la mode !

Ce que j'ai le plus apprécié c'est "L'apprentissage au centre de l'établissement" sur vue d'un escalier en béton où stationnent des élèves. Est-ce une métaphore visuelle ?
Deuxième métaphore visuelle tonitruante :"la pratique nouvelle de la pédagogie par le croisement de flux..." sur une image de synthèse où le spectateur gravit un escalier, croise une personne inactive (c'est ça les flux !) et pénètre dans un espace indéfini où trône un fauteuil design. On ne peut pas faire plus abscons !
Le LC-3C de Schittelheim n'est pas le reflet de la réalité car cet espace a été construit de toute pièce dans le cadre d'une transformation architecturale de l'établissement, ce sera loin d'être le cas de tous les établissements où le CDI ou autre sera toujours une ou deux salles de classes réaménagées avec plus ou moins de moyen et d'intelligence.

Ensuite j'aimerai que tout ceux qui critiquent avec de la pertinence le plus souvent, proposent un projet d'un CDI où autre appellation selon leurs vœux, et qui tiennent comptent des réalités en personnel, en matériel et en locaux dont les établissements disposent.

Ensuite paradoxalement les LC-3C répondent à une des préconisations de la circulaire de mission : le CDI est un lieu où les élèves travaillent en autonomie, un lieu où ils viennent volontiers et volontairement pour y trouver de la convivialité, et cela ne veut pas dire une machine à café, car qui n'a pas essayer de faire un espace confortable pour la "lecture plaisir" : BD, album, périodique, etc., dans le CDI.

Je ne suis pas naïve sur la gestion de la pénurie des personnels en documentation et en Vie scolaire qui est sous-jacente en nos temps de réduction des effectifs dans l'EN.
C'est un pluriel bien singulier ! On médiatise la rénovation d'un lycée, dont le CDI, et on en fait ce qu'il faut bien appeler un outil de propagande au profit d'une nouvelle offensive contre les missions pédagogiques des professeurs documentalistes. La vidéo citée est bien évidence sur Eduscol http://eduscol.education.fr/
Quel évènement !! ! Les 3 C sont arrivés !!! Vive le dialogue social ! On pense pour vous ! Soyez reconnaissants ! Il y a bien évidemment les prosélytes de service au service de cette nouvelle doctrine.