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ACTU. EMI : ce qui se TraAM

Les équipes des TraAM EMI, Travaux Académiques Mutualisés concernant l’Éducation aux Médias et à l'Information ont publié le 26 novembre la synthèse de leur travail pour l'année dernière.

Une lecture fort intéressante pour les professeurs documentalistes, qui trouveront là, s'il en était encore besoin, l'occasion de mesurer à quel point l'arrivée de l'EMI dans les programmes du collège est une vraie fausse bonne nouvelle.

Commençons par rappeler ce que sont les TraAM, et les équipes qui les produisent. Les TraAM « ont pour objectif d'aider et d'accompagner le développement du numérique en mutualisant les expériences». Ils sont pilotés par la DNE (Direction du Numérique pour l'Éducation), disciplinaires ou liés à des dispositifs interdisciplinaires ou transversaux (Histoire des Arts, EMI) et doivent répondre à des thématiques nationales annuelles, qu'ils déclinent en sujets choisis par chaque équipe académique. Les équipes sont constituées de professeurs, des chargés de mission DANE (Délégation Académique au Numérique Éducatif), et pilotées par un IPR. Il existe donc des TraAM Documentation, dont les archives disponibles en ligne remontent à 1989 , et des TraAM EMI depuis 2014. Les TraAM nourrissent la base de fiches pédagogiques Edubase.

Pour information, voici les thématiques pour cette année :

  • TraAM Documentation 2015-16 : Nouvelles pratiques pour informer, nouveaux usages pour s'informer.
  • TraAM EMI : L’EMI dans les cycles 3 et 4. Les priorités seront données aux équipes présentant une liaison école – collège (sur le cycle 3) ainsi que des projets autour de la thématique « hoax, rumeurs et désinformation ».

Depuis l'année dernière, des TraAM EMI ont donc été mis en place dans cinq académies. Cette synthèse des travaux est par conséquent la première, et pose les bases des orientations futures. Elle est intéressante parce qu'elle explicite les choix et les attentes de l'institution, et notamment son refus de s'appuyer sur la spécificité disciplinaire des professeurs documentalistes (leur expérience de l'enseignement de l'information-documentation) et par le choix d'une « éducation à » transversale, censée être prise en charge par tous. Ainsi, au lieu d'avoir saisi la chance de disposer d''un corps d'enseignants formés, expérimentés, et capables de mener des projets notamment interdisciplinaires pour donner aux élèves les éléments d'une culture de l'information, translittératique, l'institution a choisi de refuser aux professeurs documentalistes leur mission d'enseignement.

L'EMI, à marche forcée

Sous l'intertitre sybillin « Une interdisciplinarité qui n'induit pas la transversalité », on comprend que plusieurs groupes académiques ont rencontré des difficultés, non pas pour mettre en œuvre des projets qui réuniraient plusieurs disciplines autour d'un même objet de l'EMI (interdisciplinarité), mais parce que la transversalité tant attendue n'a pas été possible. En clair, les collègues de disciplines n'étant pas formés, pas conscients des enjeux, sauf cas particuliers (correspondants CLEMI par exemple, mais orientés EAM), ils ne se sont pas emparés de l'EMI, en dehors ou au-delà de leur discipline (transversalité), mais sont restés dans « une posture de consommateur plutôt que d'acteur». On nous explique alors qu'« iI y a donc des besoins indispensables d'explication, d'appropriation, de compréhension de l'EMI par chaque discipline avant de pouvoir réinvestir en pluridisciplinarité». « Inter », « pluri », « trans », tout cela n'est pas explicité pour autant, mais comment s'étonner du manque de formation des collègues dans ce domaine ? La logique « top down » de l'institution, consistant à imposer, d'en haut, de nouvelles pratiques sans pour autant s'assurer que le terrain a les moyens de les mettre en œuvre, et contraindre, à marche forcée, les professeurs « de discipline » à s'emparer d'un enseignement qu'ils ne maîtrisent pas, montre ici ses limites. Des professeurs formés, il en existe pourtant bien, et le paragraphe suivant, qui a le mérite d'être clair, nous explique pourquoi on ne peut pas faire appel à leur expertise.

L'EMI, moins on en sait, mieux on l'enseigne ?

« De leur côté, les professeurs documentalistes, souvent identifiés en établissement comme experts légitimes, ont eux aussi éprouvé des difficultés à sortir des partenariats habituels des enseignements info-documentaires et à mettre en place des équipes réellement transversales. Cette posture d'expert du professeur documentaliste ne saurait être exclusive, sous peine de constituer un frein à la dimension transversale souhaitée.»

Il faut lire plusieurs fois le paragraphe et se frotter les yeux : les professeurs documentalistes, experts de l'EMI -il semble y avoir consensus là-dessus, et c'est bien le moins que l'on pourrait attendre s'agissant de professeurs dont les savoirs scientifiques de référence sont ceux des Sciences de l'Information et de la Communication…-, constitueraient « un frein » à sa mise en œuvre ? L'enjeu est-il réellement de former les élèves le mieux possible ? Ou plutôt d'introduire un nouveau dispositif transversal paré des vertus du travail par projets, permettant ainsi d'évacuer d'une part des savoirs qui nécessiteraient une réelle formation pour être transmis, et d'autre part la mission enseignante des professeurs documentalistes, relégués une fois de plus dans un rôle d'animateurs, peut-être vaguement facilitateurs, mais certainement pas en charge d'un enseignement ?

Cette crainte de voir l'EMI « récupérée » par les professeurs documentalistes s'illustre à nouveau plus loin dans le texte, au sujet des lieux de publication pour les TraAM : « Cette problématique de la transversalité s'est aussi traduite concrètement autour de la question des espaces de publication des travaux. Il s'agit d'un TraAM EMI et non d'un TraAM Documentation. La question d'un espace EMI sur les sites académiques est posée.» Le paradoxe se poursuit, on sent ainsi entre les lignes la tension entre « documentation » et « EMI », qui, rappelons-le, ont, au sein des TraAM, des thématiques de travail qui se recouvrent parfois parfaitement, comme par exemple le thème de l'identité numérique, traité à la fois en EMI et en Documentation.

Notons également le choix de la dénomination « documentaliste » au lieu de « professeur documentaliste » s'agissant des espaces de publication, sites qui pourtant ont bien tous l'intitulé exact de notre métier sur leurs pages d'accueil : « Bordeaux a publié sur le site des documentalistes», ou : « Double publication également pour Dijon, sur le site de la DAN et celui des documentalistes» et encore : « Versailles a envisagé une double publication sur le site dédié éducation aux médias (EAM) de l'académie et le site des documentalistes, avant d'abandonner le dispositif TraAM.». Quant aux scénarios pédagogiques produits, ils l'ont été sur l'Edu'Base documentation, secteur qui, il est vrai, publie depuis longtemps des travaux de professeurs de toutes disciplines.

TraAM_EMI Dessin de DAZ.

L'EMI : une éducation à… rien ?

Il y a assez peu de choses sur les contenus d'enseignement dans cette synthèse, et encore moins sur les modalités d'évaluation de cet enseignement, tant on sent que la question n'est pas vraiment là, mais plutôt autour des modalités de sa mise en œuvre dans les collèges.

Le texte nous explique que l'année dernière, le référentiel EMI n'étant pas encore paru, les collègues ont donc composé avec ce qu'ils trouvaient ça et là, en vrac, mêlant compétences du socle, du B2i, et référentiels médias, et il semble que la priorité ait été donnée aux outils numériques et à la production médiatique, hormis à Dijon qui « a transformé un cycle de formation 6e « initiation à la recherche documentaire » axé sur les étapes de la recherche documentaire, en une progression didactique et pédagogique transdisciplinaire (documentation, technologie, histoire-géographie, éducation civique et SVT) de 31h de cours, basée sur l'EMI, pour permettre de développer les cultures informationnelle, médiatique et numérique des élèves», dont on ne voit pas très bien pourquoi elle se revendique transdisciplinaire puisqu'elle est très nettement centrée autour de l'information-documentation, et enseignée par le seul professeur documentaliste… Un bel exemple de progression info-documentaire -comme il s'en pratique dans bien des établissements qui ont introduit depuis des années des heures à l'emploi du temps des 6e, dont les professeurs documentalistes ont l'entière responsabilité pédagogique-, et un problème pour les rédacteurs de cette synthèse, puisque c'est justement ce scénario pédagogique qui sert d'exemple pour illustrer le manque de transversalité et le besoin de formation des professeurs « de discipline ».

Nous connaissons aujourd'hui la teneur décevante du référentiel EMI, qui va certainement aider les TraAM EMI à l'oeuvre cette année, et nous pouvons nous demander si ses contenus n'auraient pas été volontairement appauvris pour permettre à n'importe quel collègue de les enseigner.

Va-t-on vers un « catalogue des bonnes pratiques », utilisable par tous ? Oui, si l'on en croit la DANE de Dijon : « Pour cette année, il a été décidé de travailler sur le repérage des pratiques disciplinaires liées à l’EMI. Ce n’est qu’une première étape, car l’EMI est par essence transversale. Ce sera la suite du travail du réseau IATICE de Bourgogne pour l’année 2015-2016» . Un choix fort discutable, comme nous l'explique Michel Fabre (chercheur en Sciences de l'éducation) dans un article intitulé « Les éducations à : problématisation et prudence » : « Le troisième obstacle, c’est celui que j’appellerais le militantisme des « bonnes pratiques ». L’éducation à la santé, à la citoyenneté ou au développement durable peuvent en effet déboucher sur une pédagogie du projet dans laquelle les thèmes d’étude sont transformés en injonctions politiquement correctes : apprendre à trier les déchets, à réduire sa consommation d’électricité, à se nourrir « bio »… Dans cette pédagogie des bonnes pratiques, l’aspect réflexif est laissé au second plan. Les élèves n’ont pas accès, par exemple, à l’idée de développement durable dans ses aspects historiques : pourquoi et comment cette idée nouvelle émerge-t-elle ? Pourquoi le développement scientifique et technique se voit-il questionné à un moment donné ? Quelles sont les significations de ces questionnements ?» . Il pourrait l'avoir écrit à propos de l'EMI, et le thème retenu cette année pour les TraAM EMI est significatif « Avec le numérique, construire un parcours et contribuer à une appropriation de l'information pour un usage responsable et citoyen».

Conclusion

La formation des élèves à l'information-documentation ou aux « médias et à l'information » devrait être bien autre chose qu'un discours performatif sur la citoyenneté ou l'occasion « d' entrer dans le numérique ». De même que la « pédagogie de projet » est bien autre chose qu'un discours performatif sur la nécessité de faire du lien entre les disciplines. Interroger l'EMI et la placardisation des professeurs documentalistes, c'est aussi interroger la finalité de l'école et ses évolutions actuelles, car la place faite aux savoirs, aux disciplines, et aux professeurs révèle la conception de l'éducation portée par le pouvoir politique. Le développement des « éducations à » transversales, lié à celui de l'approche par compétences issu du monde de l'entreprise, est le signe du choix d'une finalité utilitariste de l'école, répondant d'abord et avant toute autre chose à des besoins économiques d’employabilité.


À lire : Beitone, Alain, Professeur de sciences économiques et sociales Éducations à… Ya basta !