Référence documentographique

Duplessis Pascal. Le curriculum "pour les Nuls" [en ligne]. Les Trois couronnes, 2009. Disponible sur le web :

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/le-curriculum-pour-les-nuls

Le curriculum « Pour les nuls »

De Boeck, 2006. 301 p.

Qu’est-ce qu’un curriculum ? Comment le construire ? Quelles sont les étapes de son élaboration ? Quels en sont les acteurs ? Quelle différence avec un programme scolaire ? L’ouvrage de Marc Demeuse et de Christiane Strauven, « Développer un curriculum d’enseignement ou de formation : des options politiques et pilotage » (De Boeck, 2006) apporte-t-il des réponses satisfaisantes à ces questions ?

Sommaire : - Besoin d’information sur le curriculum - Résumé de l’ouvrage - Intérêts de l’ouvrage - Critique de l’ouvrage - En conclusion

Besoin d’information sur le curriculum

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Si l’opportunité d’un plan d’action éducative, ou curriculum d’enseignement en Information documentation fait aujourd’hui relativement consensus parmi les professeurs-documentalistes, la réflexion sur les orientations, les contenus et la méthodologie à suivre n’est quant à elle pas véritablement engagée.

Côté recherche

Certes les fondations sont en ce moment même posées et formalisées par l’équipe ERTé, en termes de réflexion sur les finalités, de relevé des pratiques documentaires scolaires ou informelles et des représentations des acteurs, mais il ne s’agit encore là que d’un nécessaire examen de l’existant ayant pour visée de dresser un bilan des formations et un état des lieux de la question d’une part, de construire une culture et un langage commun d’autre part.

Côté terrain

Certes, des équipes de praticiens, depuis leurs académies, élaborent et mutualisent des progressions curriculaires pour les différents niveaux du secondaire, mais on ne peut réduire le curriculum à ces outils parcellaires dépourvus d’une vision d’ensemble. Ces esquisses aléatoires traduisent cependant assez bien les besoins et les attentes de la profession, et manifestent une véritable prise en charge spontanée de la responsabilité pédagogique face à une vacance de l’institution. Elles trahissent également un dysfonctionnement de la communication entre la recherche et le terrain qui semblent encore pour l’heure s’ignorer.

Enjeux d’une démarche participative

A terme pourtant, il faudra bien que les utilisateurs d’un éventuel curriculum soient suffisamment formés pour le faire vivre à l’intérieur de chaque classe de chaque établissement. L’un des enjeux majeurs de l’élaboration et de l’implantation réussies du curriculum consiste par conséquent en la formation des enseignants-documentalistes. Cette formation et cette information, propres à éclairer les choix à venir, ne devraient pas être différées plus longtemps. Il importe dès à présent de travailler à l’établissement d’une synergie entre la recherche et le terrain sur la question curriculaire comme sur la réflexion didactique ou sur la promotion du mandat pédagogique du professeur-documentaliste.

Deux livres sur le curriculum

L’ouvrage de Marc Demeuse et de Christiane Strauven, « Développer un curriculum d’enseignement ou de formation : des options politiques et pilotage » peut contribuer à ce dialogue ou au moins permettre de se dégager de certaines représentations erronées qui empêchent d’avancer. Ecrit par deux spécialistes belges du curriculum, ce livre est l’une des deux monographies exclusivement consacrées à ce sujet, l’autre étant coordonnée par F. Audigier, M. Crahay et J. Dolz sous le titre « Curriculum, enseignement et pilotage ». Tous deux publiés chez De Boeck en 2006, le premier ouvrage reste d’un abord très facile (importante structuration du contenu, récapitulatifs, tableaux de synthèse, nombreux exemples en annexes) tandis que le second, plus dense et plus ardu –mais aussi plus riche !- s’adresse à un public de chercheurs en sciences de l’éducation. Si l’approche belge a pour avantage de fournir une représentation structurée et claire du processus d’élaboration d’un curriculum, l’approche suisse –la seconde- a le mérite d’offrir une vision complexe et fort critique de l’existant.

Résumé de l’ouvrage de Demeuse et Strauven (2006)

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Mais revenons-en à l’ouvrage de Demeuse et Strauven pour en relever l’intérêt, avant que d’avancer quelques critiques. Voici d’abord un résumé du texte qui nous donnera une idée de ses principaux axes :

Introduction

Le curriculum ne se réduit pas à l’énoncé des contenus, comme le programme, mais se centre sur les processus et les besoins en précisant les méthodes pédagogiques, les modalités de l’évaluation et la gestion des apprentissages. Produit culturel, il dépend d’un cadre de référence constitué des valeurs de la société, de ses lois, du besoin des acteurs, du cadre normatif du système d’éducation et des pratiques sociales de référence.

Les décisions préalables

Les décisions préalables à sa constitution s’enracinent ainsi dans un courant philosophique et un système de valeurs propres à une culture particulière. Le choix des priorités à faire est influencé par les valeurs de la société, les nécessités économiques, les enjeux politiques et les groupes de pression.

Le développement du curriculum

Le développement du curriculum obéit en outre à certaines contraintes, telles l’intégration des résultats de la recherche, la disponibilité des ressources et le degré de réceptivité des parties concernées. Ses composantes, à propos desquels il importe de trancher, sont la spécification de l’approche éducative retenue (entrée par les contenus, par les objectifs d’apprentissage ou par les compétences), le choix des stratégies pédagogiques afférentes (la transmission, la mise en œuvre d’une pédagogie différenciée, la résolution de situations-problèmes) et des processus didactiques qui les concrétisent, la détermination des contenus et l’énoncé des directives concernant l’évaluation des apprentissages. Aujourd’hui, les institutions éducatives des pays industrialisés préconisent l’entrée par les compétences à construire à partir de situations didactiques mobilisatrices. La rédaction du curriculum, formalisant ces décisions, suivra des principes de lisibilité et d’accessibilité en vue de faciliter l’adhésion des acteurs. Une première évaluation a priori de la version originale, d’approche qualitative, accompagne ces premiers travaux en recueillant et en confrontant les réactions de quelques utilisateurs.

La mise à l’épreuve

La deuxième phase de l’élaboration curriculaire consiste en sa mise à l’épreuve sur le terrain, afin d’apprécier son adéquation et son efficacité. Des essais préliminaires, tout d’abord, testent la version originale à échelle réduite. Une expérimentation à grande échelle est ensuite conduite à partir d’un échantillon représentatif qui fournira des données quantitatives cette fois, avant approbation du commanditaire du curriculum, lequel pourra éventuellement donner le feu vert à sa généralisation. L’implantation est accompagnée par une structure de pilotage chargée de sa régulation et des éventuelles modifications à opérer. Il faudra encore tenir compte des résistances au changement et soutenir, si besoin est, les formations initiale et continue des enseignants. Afin d’éviter un inévitable effet d’usure, l’évaluation du maintien de la qualité du curriculum dans le temps est conduite, à partir de critères comme la pertinence, la cohérence, l’efficacité, l’efficience ou encore la flexibilité.

La gestion du curriculum

Projet d’innovation, le curriculum est géré et piloté à partir d’indicateurs variés, en termes de moyens, de résultats et de retombées.

Intérêts de l’ouvrage

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Une vision complète et claire du processus de l’élaboration d’un curriculum (traduction de l’anglo-saxon development curriculum), présentée étape par étape – bien que les auteurs mettent en garde contre l’effet de linéarité que nécessite l’exposé – est ainsi offerte. Si un curriculum consiste en une œuvre originale, possédant sa propre dynamique d’évolution et d’adaptation aux changements, il ne peut néanmoins se construire que dans un contexte particulier de valeurs et de contraintes et ne constituer que la réponse éducative à des attentes diverses d’ordre à la fois sociale, politique, économique, philosophique et culturelle. Ceci explique la grande diversité des parcours possibles et la spécificité propre à chaque réalisation. Les auteurs se concentrent alors sur la structure du processus de développement, processus qui est composé d’un certain nombre d’invariants allant du choix des finalités visées à son implantation sur le terrain et, au final, à l’évaluation de sa durabilité.

Des représentations sous-jacentes

L’importance qui est accordée à deux idées structurantes de ce développement d’un curriculum est également intéressante.

En premier lieu, l’idée que tout curriculum s’enracine dans un fondement idéologique composé des attentes, des représentations et des valeurs de la société. Sur le plan éducatif, cela peut se traduire par le choix d’un paradigme qui va déterminer par la suite toutes les orientations pédagogiques et didactiques concernant la sélection des contenus à enseigner, les situations d’enseignement-apprentissage, les outils pédagogiques et les formes et modalités de l’évaluation. Les paradigmes dont nous disposerions seraient hérités des trois grands courants pédagogiques suivants : le modèle transmissif centré sur l’exposé des contenus, le modèle béhavioriste centré sur l’identification précise des objectifs d’apprentissage et, enfin, le modèle constructiviste visant la construction de compétences au travers de situations de résolution de problèmes. Cette question du mode d’entrée dans la préparation du curriculum nous semble en effet cruciale si l’on considère celui-ci avant tout comme un plan d’action éducative fédérant et coordonnant un ensemble de moyens, de savoirs et de situations visant des apprentissages.

Procédures d’évaluation du curriculum

En second lieu, l’idée que, comme tout projet innovant, le processus curriculaire et le curriculum doivent être évalués en amont et en aval de son implantation. Parmi les critères proposés, nous retenons en particulier ceux de l’articulation et de l’adéquation avec, d’une part, les valeurs et les finalités de l’institution éducative, et d’autre part, les besoins des acteurs (élèves et maîtres). L’évaluation doit encore permettre de faciliter la réception et l’appropriation des enseignants (accessibilité, compréhension, lisibilité, faisabilité) en débouchant, si besoin est, sur des propositions de formations initiale et continue. Pour ce faire, le recours à une équipe de pilotage composite (enseignants, experts du domaine disciplinaire et des curriculums, inspection, chefs d’établissement, philosophes et sociologues de l’éducation, parents, élèves, société civile) est recommandé. Des informations minutieuses sont encore rassemblées sur les procédures d’échantillonnage ou encore sur les biais relatifs aux modalités d’évaluation des projets.

Remarquons enfin le souci de clarifier des concepts pédagogiques délicats, tels ceux de « compétence », d’ « objectif », de « stratégie pédagogique » ou encore d’ « innovation ».

Au total, donc, ce livre se présente comme un guide technique ergonomique et accessible à tous les acteurs intéressés par l’entreprise curriculaire.

Critique de l’ouvrage

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C’est justement cette approche nettement techniciste qui nous retient. Une approche sans doute réaliste, mais centrée sur les aspects concrets et pratiques d’un processus qui est ainsi montré comme invariable et mécanique.

Une vision technocratique

Le curriculum serait plutôt une affaire de conduite de projet, où une stratégie habile et rigoureuse et une bonne communication, certes indispensables, seraient des gages suffisants de réussite. Ainsi est-il difficile de percevoir, bien que les éléments soient largement présentés, quelles sont les relations entre les différents acteurs proposant et construisant le curriculum et les grands choix éducatifs à effectuer, quels seraient les enjeux, la force et l’impact d’une approche impliquant davantage la participation de la recherche et du terrain. Si ces derniers sont bien mentionnés, ils semblent n’avoir qu’un poids de modérateur et d’évaluateur dans une approche principalement technocratique, où les décisions ne viennent que d’en haut de la pyramide. On ne s’étonnera pas dès lors de lire un chapitre sur la manière de surmonter les inévitables résistances au changement. Dans nos configurations actuelles de pays industrialisés, les systèmes éducatifs centralisés exercent en effet un pouvoir politique peu contestable et l’approche top-down apparaît comme inéducable. La thèse de l’ouvrage semble inspirée des travaux des propositions d’Arieh Lewy (Handbook of curriculum evaluation, 1977) qui développe une démarche rationnelle en 6 étapes à l’usage des décideurs institutionnels :

  • décisions à propos des buts généraux à viser;

  • développement du matériel pédagogique (définition opérationnelle des obejctifs, sélection des objets d’apprentissage, conception des situations d’apprentissage, rédaction de smanuels, etc.) ;

  • premiers essais sur le terrain ;

  • expérimentation sur le terrain ;

  • dissémination, comprenant la formation des enseignants et des superviseurs ;

  • contrôle de qualité.

Le curriculum n’est-il pas ici le simple produit d’un management purement technique et l’enseignant un simple technicien chargé de le mettre à exécution ?

La critique majeure que l’on peut faire à cet ouvrage est ainsi de ne pas faire de place à une alternative de type participative où les rôles et les pouvoirs des enseignants et des parents seraient de nature à influer sur le développement du curriculum. A la lecture de ce livre, nous sommes au contraire amenés à penser qu’il ne peut exister qu’une seule manière, verticale et descendante, d’appréhender un curriculum, qu’une seule et unique méthode qui, si elle est bien suivie, conduit au succès. A ce titre, l’ouvrage de Audigier, Crahay et Dolz permet de mieux cerner la complexité –et donc de prévoir les difficultés – à partir d’exemples concrets d’implantation.

Il reste ainsi, à la lecture de ce guide méthodologique, une image claire et plutôt positive (mais n’est-ce pas qu’une illusion fondée sur l’impression de rationalité ?) de la marche à suivre, mais où la forme l’emporte sur le fond (40% du texte est consacré à la méthode évaluative) et où l’approche exclusivement top-down évacue malheureusement d’autres possibilités.

En conclusion

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Si l’on fait abstraction du point de vue technocratique qui oriente complètement la conception de l’ouvrage, celui-ci peut permettre de se construire les premiers repères pour amorcer une réflexion sur le développement d’un curriculum et mieux percevoir ses contraintes méthodologiques. Il offre en effet une vision structurée et formelle du processus et pointe de manière satisfaisante les choix fondateurs du projet. Il faudra ensuite poursuivre la réflexion par la lecture de l’ouvrage de Audigier et al. et, bien évidemment, prendre connaissance du bilan de l’ERTé dès sa parution prochaine.