Publications liées

Cinq textes de l’auteur pour une analyse critique du document PACIFI :

1- Le Pacifi, un océan de questions. Introduction à une analyse critique du document Pacifi. Les Trois couronnes, 01-2011

2- Le Pacifi et le tropisme procédural de l'institution. Les Trois couronnes, 01-2001

3- Le Pacifi : Une référence ambiguë au Socle commun. Les Trois couronnes, 01-2001

4- Le Pacifi : Un hiatus entre les fiches « Repères » et le cadrage institutionnel. Les Trois couronnes, 02-2011

5- Vers une validation du Pacifi par les disciplines ? Les Trois couronnes, 10-2011

Référence documentographique

Duplessis Pascal. Le Pacifi et le tropisme procédural de l'institution : Analyse critique du document Pacifi (2). Les Trois couronnes, 01-2011

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/le-pacifi-et-le-tropisme-procedural-de-l-institution-analyse-critique-du-document-pacifi-2

Le Pacifi et le tropisme procédural de l'institution. Analyse critique du document Pacifi (2)

Gosier beach. Louis Gély, 2008. Sous Creative commons. lien Modif. P. Duplessis

Quels types de connaissances le document Pacifi propose-t-il aux élèves ? Une analyse statistique des occurrences révèle la nature épistémologique de ces connaissances. Les discours de cadrage confirment bien que le choix a été fait de ne s’en tenir qu’à des compétences de type procédural ou transversal, en référence au modèle anglo-saxon d’information literacy centré sur la maîtrise de l’information. Mais la réduction des contenus info-documentaires à des capacités et des attitudes tirées du Socle commun n’est pas sans poser des questions de fond relativement à la recherche de cohérence affichée par l’Inspection générale. Certaines contradictions commencent à apparaître…

Dis-moi ce que tu enseignes, je te dirai qui tu es

S’agissant d’un parcours de formation, l’une des premières questions à poser concerne l’objet de connaissance mis en jeu dans les situations proposées. Quelles sont les connaissances que les élèves pourront acquérir au travers de ce Pacifi ? Et tout d’abord, de quelle nature, ou catégorie épistémologique, relèvent ces connaissances ?

La réponse à ces questions est capitale. En effet, de la nature des objets de la transmission (au sens générique du terme) dépendent de manière imbriquée à la fois le statut de la matière concernée et celui des enseignants impliqués. S’agissant de la matière, celle-ci ne peut exister avec quelque considération que si ses contenus sont reconnus comme ayant une spécificité. S’ils sont au contraire considérés comme étant transversaux, la matière se dilue aussitôt dans d’autres corps disciplinaires qui vont l’absorber, et disparaît.

Il en va de même du statut des professionnels qui portent de telles abstractions volatiles… De puis 2004, la volonté de l’institution n’est-elle pas d’intégrer purement et simplement la matière info-documentaire dans les disciplines constituées et de modifier en profondeur le statut des enseignants documentalistes ?

Quels types de connaissance ? Éléments statistiques

Dès la première lecture du document, apparaît très nettement une volonté assumée de centrer la formation sur certains types de connaissance, bien connus d’ailleurs du domaine depuis ces deux dernières décennies au moins, à savoir la compétence, la capacité et l’attitude. Ces trois registres ne sont cependant pas placés sur le même niveau puisque la compétence nous est présentée comme une entité regroupant en son sein des capacités et des attitudes. Si c’est le cas, nous reconnaîtrions là une conception déjà ancienne, antérieure à tout projet didactique, où la compétence, telle qu’elle est mise en avant dans le document Pacifi, serait de nature procédurale. Une rapide recherche des occurrences de ces trois termes dans le document confirme cette intention.

Le terme « compétence(s) » est utilisé 27 fois dans le document Pacifi (hormis la bibliographie). Mais ce sont les associations relatives à ce terme qui sont parlantes. En effet, si l’on retire le lien au Socle commun (5 fois), à la transversalité (à 2 reprises) et à des champs divers comme le numérique, la lecture ou la communication (5 fois), il reste que, dans plus de la moitié de ces occurrences (15), le terme est directement associé à la maîtrise de l’information (recherche d’information, information literacy). Ceci, on le mesure, oriente plutôt la compréhension de cette notion vers une acception méthodologique et procédurale. Notons encore que ces dernières occurrences sont bien réparties dans les quatre chapitres composant le document (cadrage institutionnel, cadrage scientifique, méthodologie, fiches Repères).

Le terme « capacité(s) » vient en seconde position dans le décompte statistique, puisqu’il apparaît à 24 reprises. Les articulations au Socle commun (4 fois) et à la compétence (2 fois) sont minimes. Ce sont les scientifiques qui en font le plus souvent usage (12 fois), mais le plus fréquemment pour d’autres domaines que la maîtrise de l’information. En revanche, pour l’ensemble du texte, la notion de capacité renvoie bien majoritairement à ce domaine (14 fois) et on la retrouve notamment dans la seconde partie pratique, comprenant la méthodologie et les fiches (9 fois). Mais l’idée de « capacité » a d’autres expressions possibles, notamment « savoir faire (quelque chose) ». Celle-ci connaît ainsi 32 occurrences qui peuvent s’ajouter aux 24 de « capacité(s) ». Parmi ces 32 reprises, 7 sont relatives à des capacités (méta-) cognitives et 25 sont en lien direct avec la maîtrise de l’information. C’est alors l’idée d’utilisation et de maîtrise d’un outil qui prédomine (9 fois), devant celle de détermination et de sélection (4 fois chacune).

Le terme « attitude(s) », enfin, se retrouve 21 fois, dont 19 fois en relation avec le domaine qui nous intéresse. Il est peu employé par les institutionnels (1 fois) et les scientifiques (1 fois) mais essentiellement dans la partie pratique (19 fois). C’est d’ailleurs dans la partie supérieure de chaque fiche, qui présente le thème, que se concentrent ces emplois (10 fois).

On ne pourrait donner un sens à ces données si on ne les comparait aux occurrences de termes relatifs aux connaissances déclaratives, tels « notion », « concept », « savoir » ou « connaissance ». Et justement, dans ces cas, les comptes sont vite faits.

Le premier apparaît à 13 reprises, mais 3 fois seulement concernant le domaine info-documentaire (auteur, information, droit de l’information). « Concept » n’est repéré que 5 fois, mais sans jamais concerner les contenus propres à notre domaine. Il en est de même pour « savoir », pourtant employé 10 fois, mais à chaque fois pour d’autres raisons. Enfin, le terme « connaissance », proche de l’idée de « notion », pourtant repéré à 32 reprises, ne renvoie au domaine info-documentaire que 2 fois seulement, dont une figurant en extrait du programme de STG et une autre au sujet du droit de l’information.

Ces statistiques sont éloquentes. Le faible emploi des termes désignant des connaissances déclaratives met en perspective la survalorisation accordée aux connaissances procédurales (capacités) et psychologiques (attitudes) de la compétence.

Quels types de connaissance ? Éléments de discours institutionnels

Ces données statistiques sont-elles confirmées ou infirmées par le discours institutionnel tel qu’il nous est livré au travers des deux textes de cadrage introduisant le document Pacifi ?

Le premier est signé de Jean-Michel Blanquer1 docteur en droit, deux ans recteur de l’académie de Créteil avant d’être nommé à la tête de la DGESCO en Conseil des ministres en décembre 2009, et grand spécialiste de l’Amérique latine.

Ce discours, très court mais dense, définit en quelques mots un cadre précis à la formation à la maîtrise de l’information. Ouvrant sur l’idée consensuelle que la culture de l’information « constitue un élément de la culture générale que chacun se doit d’acquérir » (p. 2), il rappelle de manière plutôt convenue les enjeux de cognition et d’autonomisation relatifs à l’insertion universitaire et professionnelle. Il esquisse ensuite très rapidement le cadre épistémique de la formation : celui-ci s’avère restreint puisqu’il doit se suffire des seules « compétences en matière de recherche d’information2 ».

Cette vision procédurale de la « culture de l’information » doit trouver sa réalisation dans une « démarche» et centrer sa réflexion « sur la place des pratiques au cœur des apprentissages ». Ce qui frappe d’emblée dans ce discours, c’est le peu d’importance accordée aux contenus d’apprentissage. Tout semble en effet compris dans l’expression « compétences en matière de recherche d’information ».

Le second texte, de la main de Jean-Louis Durpaire, tente d’expliciter davantage ce domaine au travers de références tirées du monde des bibliothèques d’une part, et d’exemples choisis d’extraits de programmes disciplinaires d’autre part. Les premières proposent des tentatives de définition de l’expression information literacy, ce qui ne peut évidemment aboutir qu’à une énumération bien ordonnée de capacités : « les capacités d'identifier, de trouver, d'évaluer et d'organiser l'information – ainsi que de la créer, de l'utiliser et de la communiquer efficacement en vue de traiter des questions ou des problèmes qui se posent » (p. 3). D’ailleurs, cette « compétence dans l'usage de l'information », selon la Déclaration de Prague, se présente comme synonyme de « maîtrise de l’information » dans la Déclaration d’Alexandrie.

On le voit bien, la référence présentée par ces institutions respectables et reprise par le discours cadre du Pacifi n’est ni plus ni moins que celle des modèles de référentiels de compétences produits par les bibliothèques anglo-saxonnes depuis les années 80 et 90, même si l’entrée par les compétences du sujet a remplacé le découpage béhavioriste de l’activité. Il s’agit simplement d’une autre manière de poser son regard sur un objet identique qui est une réalisation finalisée.

Les capacités rappelées ici nous renvoient d’ailleurs tout simplement aux étapes connues de la recherche documentaire, quand bien même elles sont coiffées de l’appellation information literacy.

On peut par ailleurs s’étonner de l’écart entre l’emphase qui caractérise ces textes porteurs d’idéologie positiviste – la maîtrise de l’information faisant « partie du droit humain primordial d'apprendre tout au long de la vie » et représentant « le phare de la société de l'information, éclairant les chemins vers le développement, la prospérité et la liberté » - d’un côté, et de l’autre, la simplicité, toute prosaïque en comparaison, des pratiques qui seraient censées permettre d’atteindre ces idéaux.

Ainsi, trois exemples, fournis à la suite des ces arguments d’autorité à résonance universelle, donnent une traduction concrète de ces contenus : en Français (6ème), l’élève doit savoir « se repérer dans cette immense bibliothèque mondiale (sic), trier et hiérarchiser des informations, adopter une attitude critique et responsable vis-à-vis d’elles et adapter sa lecture au support retenu » ; les Sciences physiques, au collège, « coopèrent à la maîtrise des techniques de l’information et de la communication » ; au lycée en ECSJ, enfin, la « culture de l’information » se définit simplement comme « une aptitude » à traiter l’information.

L’auto-référence (p. 4) au rapport des Inspections générales IGEN et IGB L’accès et la formation à la documentation du lycée à l’université de mars 2009 nous permettra-t-elle de préciser à quelle compétence se rattachent ces capacités ?3 On comprend alors qu’il s’agit de la compétence d’autonomie, liée au thème de l’apprendre à apprendre cher au prototype européen du Socle. Elle regrouperait des capacités générales nécessaires aux méthodes de travail et des capacités plus spécifiques touchant l’information. Cette inscription des capacités informationnelles dans un ensemble plus large d’opérations cognitives de base (trier, sélectionner, extraire, analyser…) nous renvoie aux méthodologies du travail intellectuel de la fin des années 80.

La documentation, peut-on lire encore, est concernée par deux axes. Le premier concerne l’offre de conditions de travail satisfaisante, et en particulier l’amplitude d’ouverture des CDI. Le second nous intéresse davantage ici : « la documentation intervient pour une aide méthodologique et non disciplinaire. Il s’agit en particulier de l’aide à l’acquisition des compétences info-documentaires ». Nous avons l’impression de tourner en rond… S’ensuit une revue de textes scientifiques permettant de conclure que ces compétences seraient, in fine, des « compétences basiques », une « capacité générale à résoudre des problèmes », des « compétences de l’honnête homme » selon André Tricot, ou bien des « compétences fondamentales » pour Brigitte Simonnot.

Bref, nous oscillons entre une vision procédurale propre à la méthodologie documentaire et une dimension cognitive, transversale, aux contours extrêmement flous… Le fait est qu’aujourd’hui encore, à l’heure du dogme de l’approche par les compétences dans les pays de l’OCDE, le débat scientifique reste vif autour de cette notion si imprécise et si difficile à définir.

Alors, quoi de neuf ?

Ainsi, les propos qui dessinent le cadre institutionnel de la formation Pacifi ramènent celle-ci à un ensemble de connaissances de type procédural déjà bien repérées par la profession, laquelle connaît la méthodologie de la recherche documentaire depuis 1982 au moins et utilise depuis plus de dix ans de nombreux référentiels de compétences.

Dans ces propos, aucune référence à des connaissances théoriques en information-documentation ni à un quelconque champ didactique n’est livrée. Devant ce premier constat de réemploi d’un matériau ancien, on est alors fondé à se demander quels sont l’intérêt et la portée de ce document.

A cela, plusieurs réponses certainement, dont quelques unes seront analysées ultérieurement. Mais du point de vue épistémologique qui nous intéresse pour l’instant, il nous faut interroger le cadre de référence des contenus du Pacifi. C’est là qu’il faut saisir le sens de cette invitation de l’institution « à renouveler les contenus » (p. 2) et à tenir compte de « l’actualité » de la démarche (p 2 et p. 3)

L’actualité, c’est le Socle commun

L’un des arguments fournis par l’Inspection générale part du constat que les formations des élèves manquent de cohérence du fait d’une insuffisance de structuration. C’est pour pallier cette incohérence, doit-on comprendre, que les formations devront à présent s’organiser à partir du cadre structurant du Socle commun. C’est bien le sens du titre du second texte de cadrage : « Actualité du parcours de formation à la culture de l’information » (p. 3).

Toute l’organisation du dispositif tient en une page composée de deux tableaux, intitulée « Capacités et attitudes » (p. 13). La sobriété de ce titre a pour effet d’asseoir comme une chose évidente que ces deux seules catégories de connaissance suffisent au Parcours et qu’il ne saurait être question d’une troisième, en l’occurrence des savoirs. Un autre détail étonnant est celui de l’absence de complément de nom. A quoi s’appliquent ces capacités et ces attitudes ? Un autre évitement se dessine, qu’il nous faudra également bientôt aborder, qui est celui de l’appellation de la matière, du champ ou du domaine concerné par la formation. Notons pour l’heure qu’il n’est point question d’information documentation.

Tenons-nous le pour dit : « Les capacités et les attitudes à faire acquérir aux élèves sont inscrites dans le socle commun de connaissances et de compétences. » Cette formulation se trouve en bonne place dans deux pages du document (p. 11 et 13) et est même soulignée dans la première. Et celui qui s’attendait à trouver dans le grand tableau de cette page des éléments de cohérence interne au domaine info-documentaire en est alors pour ses frais.

Le tableau est une réduction du Socle commun, réduction à 10 capacités et 10 attitudes retenues du fait de leur mise en relation possible avec la formation. Il est crucial, à ce niveau de l’analyse, de prendre conscience que les contenus de formation du Pacifi ne sont pas élaborés à partir des exigences propres au domaine de l’information-documentation, mais qu’ils sont en quelque sorte contraints par les éléments disparates qu’offre le référentiel du Socle commun. Ce déni des contenus de formation, qui a été patiemment tissé par la profession depuis son origine au milieu des années 70, est étonnamment présenté par la DGESCO comme un « renouvellement des contenus ». Il conviendrait alors de dresser un inventaire de tous les contenus qui ont disparu… Mais la tâche s’avère difficile dans la mesure où les expressions extraites du Socle commun, classées en capacités et en attitudes, mélangent le spécifique et le général, le cognitif et l’info-documentaire, un domaine ou l’autre de l’information-documentation.

Le risque du pilotage par les résultats

Un des principaux risques que court le professeur documentaliste en utilisant ce document pour cadrer ses formations, me semble-t-il, tient au fait que le champ des contenus info-documentaires se trouve ainsi morcelé, dispersé, plus ou moins bien formulé, et lacunaire. C’est ce qui se passe sous nos yeux avec le B2i lorsque nos collègues réduisent leurs objectifs d’apprentissage aux seuls items de validation figurant dans le domaine 4 et une partie du domaine 1. Des pans entiers du programme (encore informel) de l’information-documentation sont ainsi laissés pour compte.

Le choix des 10 capacités et des 10 attitudes

Par ailleurs, l’examen de ce qui reste à travailler au travers de ces 10 capacités et 10 attitudes, a également de quoi nous inquiéter. Au moins trois capacités, de fait, n’appartiennent pas au domaine spécifique de l’information-documentation mais au domaine transversal de la cognition :

. C3 : Mobiliser ses connaissances en situation

. C5 : Mobiliser ses connaissances pour donner du sens à l’actualité

. C9 : Identifier un problème et mettre au point une démarche de résolution

Elles n’ont de sens que dans un contexte particulier du traitement de l’information, mais peuvent en trouver un autre dans les divers autres champs disciplinaires. C’est l’argument de transversalité qui prime dans ce choix. Par ailleurs, comment pourrait-on se contenter de cet assemblage hétéroclite de capacités en observant que nombre d’entre elles, au lieu de se distinguer et de se compléter clairement pour assurer la cohérence recherchée, se confondent et se chevauchent ?

La C14, simpliste, se retrouve dans la C85 qui procède à un inventaire fastidieux ; la C66 recoupe largement à la fois la C107 et, ce qui est plus gênant, les attitudes A48 et A59 ; C210 et C411, qui englobent d’ailleurs toutes les autres capacités, se recoupent entre elles…

Comment s’y retrouver clairement ? Comment laisser ce référentiel qu’est le Socle commun gouverner l’étendue du domaine info-documentaire et ses richesses ? Comment croire un seul instant qu’un souci de structuration des formations a pu animer ce Parcours ?

Du côté des attitudes, la même confusion est à l’œuvre. Cinq d’entre elles sur les dix proposées semblent, pour les mêmes raisons évoquées de transversalité, pour le moins discutables :

. A1 : Développer l’intérêt pour la lecture

. A2 : Développer l’ouverture à la communication, au dialogue, au débat

. A3 : Sensibiliser aux différences culturelles et à la diversité culturelle

. A7 : Cultiver une attitude de curiosité

. A10 : Avoir conscience de la nécessité de s’impliquer, de rechercher des occasions d’apprendre

Nous avons en outre déjà signalé la confusion patente entre capacité (C6) et attitude (A4, A5) au sujet de l’esprit critique.

Le choix de ces 20 objectifs ne procède donc pas d’une quelconque intention de structurer ou de clarifier le domaine. Il marque plutôt la volonté de pointer à chacun des sept piliers du Socle commun, quels qu’en soient les résultats. C’est en cela qu’il obéit à une autre logique, qui est celle de la transversalité. Il faut à tout prix montrer que l’information-documentation doit être seulement « identifiée comme un champ de compétences parmi des compétences générales à acquérir et à maîtriser »12.

Vous avez dit « cohérence » ?

Il semble qu’au travers de cet enfermement de la formation info-documentaire dans le cadre contraint du Socle commun, deux inconvénients apparaissent, qui entrent également en contradiction avec les principes avancés par les auteurs du document Pacifi.

Le premier concerne, nous l’avons dit, le processus drastique de simplification des contenus de formation. Cette opération est préjudiciable au travail de création et de conceptualisation des enseignants documentalistes. Outre le fait qu’elle focalise leur attention sur les seuls items du Socle commun aux dépens d’autres pistes anciennes, actuelles et à venir, elle sème une confusion sur la lecture qui peut en être faite à cause de la maladresse de leur formulation. La contradiction avec le propos du Parcours réside dans le grand écart que l’on ne peut que constater entre les vastes finalités affichées dans l’annonce d’une « formation à la culture de l’information » (p. 3 et 4), entendue, rappelons-le, comme garante d’un « droit humain primordial », de « la paix dans le monde » et « phare de la société de l’information » d’un côté et, de l’autre, ces quelques briques élémentaires et disparates, redondantes, difficilement ajustables, que sont les 10 capacités et les 10 attitudes retenues.

Le second inconvénient possible tient principalement à la structuration des contenus. La contradiction est ici évidente : le document Pacifi aurait été conçu pour apporter de la cohérence aux formations alors même qu’il impose une structuration fondée sur quelques éléments disparates du Socle commun. Pour externe qu’elle soit, et donc méconnaissant le domaine qu’elle cherche à organiser, cette cohérence annoncée ne l’est même pas à l’intérieur de son cadre, ce qui saute aux yeux à la lecture des capacités sélectionnées.

Parlons plutôt d’incohérence, lorsqu’il faut sauter maladroitement d’un pilier à l’autre pour glaner de manière aléatoire un item ou un autre… Il n’existe par conséquent, au final, aucune structuration de la matière. La référence au Socle commun peut être une idée intéressante pour l’administrateur et pour chacun, tant qu’il est question d’abstraction. Mais lorsqu’elle prétend structurer un champ de formation, c’est une aberration.

Ce à quoi nous assistons là est l’inverse exact d’un programme, et peut-être cette démarche est-elle un contre-feu au projet didactique. Mais, partant, cela peut occasionner une perte totale de visibilité pour les acteurs de l’établissement et les parents, ainsi qu’une perte aussi radicale de sens pour l’élève. Si cohérence il y a, et il ne faut pas douter qu’il y en ait, elle se situe à un autre niveau de compréhension, mais qui n’est ni curriculaire ni épistémologique.

Le déni de la dimension théorique de l’information-documentation

Un bilan très provisoire peut être tiré à partir de ces premières investigations qui mettent en évidence le choix qu’ont fait les auteurs du document Pacifi de placer la recherche d’information comme axe matriciel de cette formation. Le choix du lexique épistémologique, la référence aux définitions internationales de l’information literacy, la méthodologie expliquée enfin, montrent à l’évidence non seulement que le Parcours s’organise autour de la dimension procédurale de la compétence, mais que les connaissances de type déclaratif (principes, théories, concepts) sont manifestement occultées alors même qu’elles sont au centre des recherches actuelles.

Ce déni du théorique comme assise conceptuelle à la culture de l’information nous inquiète mais ne nous étonne pas. Il se situe dans le prolongement de la posture qui est celle de l’institution depuis les années 90, lorsque le modèle de la psychologie cognitive s’est imposé. Cela va des Principes pour une réflexion sur les contenus de l'enseignement du Rapport Bourdieu-Gros (1989) qui demandait que soit « livrée à tous les élèves cette technologie du travail intellectuel » aux Quarante propositions du Rapport Blanchet (1998) dont celle insistant sur la multiplication des recherches documentaires en liaison avec les disciplines, en passant par les célèbres Éléments pour une lecture transversale et thématique des programmes de 6ème (1996). Ce dernier texte donnait pour axe à toutes les disciplines des procédures intellectuelles communes (relever, organiser, raisonner, créer et restituer) centrées sur l’information.

Depuis cette époque, l’institution a considéré l’information-documentation non pas comme une matière disciplinaire mais plutôt comme une démarche méthodologique transversale. L’intérêt scientifique d’alors pour la psychologie cognitive et la théorisation de la médiation cognitive, l’arrivée en force de la notion de compétence et des référentiels organisateurs de formations professionnelles dans l’éducation, la réception favorable, enfin, que fit alors la profession à l’idée de méthodologie intellectuelle ont concouru à cet état de fait.

A cette époque où la notion de transversalité gagnait en considération, on opposait facilement la discipline, fondée sur le conceptuel, à la Documentation reposant sur un ensemble d’opérations mentales de base (rechercher, sélectionner, trier, extraire, etc.). L’institution pouvait très facilement couper court aux revendications disciplinaires de la profession au motif qu’il ne saurait exister de contenus conceptuels en information-documentation.

Et pourtant...

Cet argument fondateur du tropisme procédural de l’institution aujourd’hui ne tient plus. Il est même cocasse, sinon grinçant, d’observer que la preuve du contraire n’a pas tant été assénée par les efforts des didacticiens de l’information-documentation que par le système éducatif lui-même. En effet, le démenti a été apporté à plusieurs reprises cette dernière décennie, lorsque de véritables programmes d’enseignement de l’information (et de la communication) ont été institués.

C’est le cas notamment en série STG pour les classes de 1ère (2004), en classe de Français pour les 2nde des baccalauréats professionnels (2009) ou encore, très récemment, dans le programme d’Enseignement d’exploration « Littérature et société » des classes de seconde générale et technologique.

Tous ces programmes prennent l’information comme objet d’étude scolaire et structurent un enseignement cohérent articulé, dans l’un ou l’autre cas, sur les théories, les techniques et les problématiques contemporaines. Ce qui n’est pas possible pour le corps des certifiés de Documentation semblerait donc l’être à présent pour d’autres disciplines…

Cette contradiction majeure montre que la véritable raison ne peut plus être de nature épistémologique, mais bien politique.

La publication du document Pacifi confirme l’obstination de l’institution à vouloir barrer la route de la disciplinarisation aux professeurs documentalistes et à maintenir l’information-documentation dans une posture de service (documentaire) aux autres disciplines. Exclure la dimension théorique des compétences tout en insistant sur l’importance de la maîtrise de l’information pour la construction des connaissances disciplinaires permet d’éluder ce débat.

Mais la cause est-elle entendue pour autant et ce, à l’intérieur même du document Pacifi ? Une investigation plus poussée sur ce sujet montre qu’il souffre de deux contradictions majeures…

(A suivre)


  1. http://www.educpros.fr/recherche-de-personnalites/fiche-personnalite/h/39d2bba525/personalite/jean-michel-blanquer.html 

  2. NDLR : C’est nous qui soulignons. 

  3. L’accès et la formation à la documentation du lycée à l’université : un enjeu pour la réussite des études supérieures : rapport à monsieur le ministre de l’Education nationale : rapport à madame la ministre de l’enseignement supérieure et de la recherche. Jean-Louis Durpaire, Daniel Renoult. Ministère de l’Education nationale ; ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, 2009. pp. 44-48 

  4. C1 : Utiliser des dictionnaires imprimés ou numériques. 

  5. C8 : S’appuyer sur des méthodes de travail (organiser son temps et planifier son travail, prendre des notes, consulter spontanément un dictionnaire, une encyclopédie, ou tout autre outil nécessaire, se concentrer, mémoriser, élaborer un dossier, exposer). 

  6. C6 : Apprendre à identifier, classer, hiérarchiser, soumettre à critique l’information et la mettre à distance. 

  7. C10 : Rechercher l’information utile, l’analyser, la trier, la hiérarchiser, l’organiser, la synthétiser. 

  8. A4 : Développer l’esprit critique : (…) l’information dans son contexte. 

  9. A5 : Développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible. 

  10. C2 : Donner des informations, s’informer. 

  11. C4 : S’informer, se documenter. 

  12. Rapport L’accès et la formation à la documentation du lycée à l’université. Ibid. p. 43 


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