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Référence documentographique

Dimier Gildas. "Circulaire de missions : la double incertitude". Les Trois couronnes, mai 2017. URL :

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/circulaire-de-missions-la-double-incertitude

Circulaire de missions : la double incertitude

Gildas Dimier est professeur documentaliste depuis 2004 et est actuellement en poste dans un collège REP de l'académie de Poitiers. Il est formateur PAF dans le cadre de la préparation au Capes interne et membre du Groupe de recherche sur les cultures et la didactique de l'information (GRCDI). Il est également le rédacteur en chef du site Cactus acide et le responsable éditorial de la revue Mediadoc publiée par l'APDEN.

L'équipe des Trois couronnes lui a demandé son avis sur la nouvelle circulaire des professeurs documentalistes.

LTC :Qu'attendiez vous de cette nouvelle circulaire ? Est-elle à la hauteur de vos espérances ?

La circulaire du 28 mars 2017 annonce dans son préambule une actualisation de la mission pédagogique du professeur documentaliste, à mettre en lien avec la création du capes en 1989 et le développement de la société de l'information. Elle vient confirmer une démarche de mise à jour qui avait été amorcée en 2013 avec la publication du référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation. Cette mise en cohérence des textes a défini la structuration de la circulaire selon trois axes qui peuvent répondre aux différentes sensibilités et attentes de la profession.

Mais ce peut être aussi un texte que des imprécisions a rendu fragile et incertain. Je pense notamment à l'emploi de mots ou locutions comme contribue, peut intervenir ou encore aide, dont l'absence de qualification nette est d'autant plus préjudiciable qu'une circulaire est un document juridique qui s'appuie sur une définition stricte des termes employés.

En conséquence, si cette circulaire est la bienvenue, il est difficile pour l'heure d'apprécier quelle sera la réalité de son application par chacun. L'institution a une nouvelle fois fait le choix de déléguer à chaque professeur documentaliste la responsabilité de trouver le point d'équilibre entre les axes de sa mission. Or, si d'aucuns voient en cette délégation de pouvoir une liberté de service, elle ne garantit pas que l'égalité des chances soit assurée entre les élèves, ce qui est pourtant un enjeu éducatif, pédagogique et démocratique essentiel. C'est particulièrement le cas au sujet des savoirs de l'information-documentation, mentionnée dans la circulaire, et dont on est en droit d'attendre désormais qu'elle donne lieu à la rédaction d'un document de cadrage.

LTC :Cette nouvelle circulaire vous semble-t-elle adaptée au regard des différentes missions qui incombent au professeur documentaliste, et notamment celles concernant la pédagogie ?

Il est ici important de rappeler la qualité du travail de rédaction qui a été réalisé pour la circulaire de 1986. La longévité de ce texte en est un indice que la continuité dans la structure et l'articulation des axes de missions de la nouvelle circulaire vient confirmer. Ce n'est pas anodin au regard des projets successifs, pour certains en rupture, qui n'ont finalement pas été retenus. La capacité des rédacteurs à discerner et à anticiper des phénomènes émergents pour se projeter sur le temps long de l'école a été remarquable.

J'émets en revanche une réserve sur le bien-fondé épistémologique de l'inclusion du volet formation dans la politique documentaire. Pour m'être déjà exprimé sur ce point, j'y vois un amalgame entre des compétences transversales qui, considérées pour leur seule dimension méthodologique, pourraient éventuellement être intégrées à la politique documentaire, et des savoirs de l'information-documentation qui n'y ont certainement pas leur place. Au-delà de ce qui est pour moi une incohérence, cela risque d'être cause de problèmes pour le professeur documentaliste dès lors que la politique documentaire est élaborée avec les autres membres de la communauté pédagogique et éducative, et validée par le conseil d'administration. Dans la mesure où il s'agit de savoirs dont la référence aux SIC est explicite dans la nouvelle circulaire, la logique est à un conseil d'enseignement et non à celle d'un conseil pédagogique. Des difficultés me semblent donc être à anticiper dans ce domaine.

LTC :Pensez-vous que ce texte soit de nature à changer le quotidien du professeur documentaliste ?

Pour en rester à une approche théorique du texte, je ne suppose pas que cette nouvelle circulaire modifie en profondeur le quotidien des professeurs documentalistes. Mais je n'affirmerai rien sur ce point, laissant l'empreinte du temps faire son œuvre.

Dès lors que le texte de la circulaire peut souffrir d'imprécisions, le bon fonctionnement du CDI en étant l'illustration la plus symptomatique, il est à craindre que l'« agir » du professeur documentaliste reste du domaine de l'implicite. C'est le cas depuis 1986 et l'on peut regretter que cette nouvelle circulaire de missions n'ait pas entérinée clairement le travail accompli dans les CDI depuis 30 ans. Je pense notamment à la manière dont les professeurs documentalistes ont su se saisir des notions et concepts, émergents ou non, pour élaborer des séquences pédagogiques dont les objectifs et les approches dépassent la seule initiation à la recherche documentaire (IRD).

Il faut savoir être juste toutefois et reconnaître l'hétérogénéité des situations qui a pu pousser l'institution à temporiser. Cette circulaire, au-delà de ses imperfections, vécues ou ressenties, peut être considérée comme la grille de lecture d'une profession en transformation, laquelle appelle à avancer. En la matière, le rôle de la formation me semble être une question essentielle et un enjeu majeur pour les années à venir.

Gildas-Dimier La Double incertitude d'un équilibre à trouver pour chaque avancée vers une promesse encore floue. Source

LTC :Sur le plan pédagogique (axe 1), comment pensez-vous tirer parti du texte ? Quelle sera votre stratégie ?

L'axe 1 de la circulaire de missions exprime un paradoxe qu'il convient de surmonter.

D'un côté, l'enseignement des professeurs documentalistes, dont l' expertise dans le champ des sciences de l'information et de la communication (SIC) est reconnue, s'inscrit dans une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale, dans la voie générale, technologique et professionnelle. Il est important de bien mesurer ici que la reconnaissance de cet enseignement est une avancée fondamentale. Pour le mettre en œuvre, il est précisé que le professeur documentaliste peut intervenir seul auprès des élèves […] ainsi que dans le cadre de co-enseignements. C'est là une deuxième avancée notable, avec la mention explicite d'une forme d'intervention seul, en responsabilité.

Mais, d'un autre côté, il est aussi précisé que le professeur documentaliste contribue à l'acquisition par les élèves des connaissances et des compétences définies dans les contenus de formation (socle commun de connaissances, de compétences et de culture, programmes et référentiels), en lien avec les dispositifs pédagogiques et éducatifs mis en place dans l'établissement, dans et hors du CDI. Or, si le renvoi à des textes programmatiques qui viennent apporter un cadre aux savoirs enseignés est juste, il n'est pas précisé dans ces textes ce qui ressort de l'expertise du professeur documentaliste. De sorte que si le domaine d'enseignement et l'enseignement du professeur documentaliste sont reconnus, les savoirs de l'information-documentation, reconnaissables par lui, sont pour l'essentiel intégrés dans des programmes dont il n'a pas la responsabilité de l'enseignement.

En conséquence, le professeur documentaliste se trouve là en situation de blocage théorique, laquelle doit pouvoir être surmontée, selon toute hypothèse, de deux façons, l'une n'excluant pas l'autre. Soit par le biais de la politique documentaire, ce qui suppose une concertation, donc une entente préalable avec des enseignants de discipline profanes et une validation en conseil d'administration par des non-initiés. Soit en intégrant des projets interdisciplinaires, en inscrivant son enseignement dans les dispositifs ou lors de collaborations plus ponctuelles, ce qui suppose de les multiplier pour mettre en œuvre une progression des apprentissages satisfaisante.

LTC :Quel sera votre positionnement concernant la politique documentaire ?

Dès lors que la politique documentaire est inscrite dans les textes qui encadrent la fonction de professeur documentaliste, elle doit être mise en œuvre. Mais quelques difficultés subsistent néanmoins, dans la mesure où une tension existe entre les axes pédagogique et gestionnaire de la circulaire. De même qu'il y a des incohérences entre le référentiel et la circulaire, notamment au sujet de la lecture, laquelle est en partie inscrite dans la politique documentaire pour le référentiel mais absente de celle-ci dans la circulaire. Je devine une deuxième difficulté liée à la différence de temporalité entre une politique documentaire qui pourrait être élaborée et actualisée selon le rythme du projet d'établissement, auquel il est précisé qu'elle se réfère dans la circulaire, et l'élaboration d'un enseignement selon des modalités de mise en œuvre variées, sur des temps courts ou longs. Dernière difficulté, je pense nécessaire de surveiller le devenir de la liberté pédagogique des professeurs documentalistes, ceux-ci, en termes de formation, se trouvant dans une situation de contraintes qui nécessite une élaboration conjointe, donc une validation par les enseignants de discipline, laquelle peut être compromise dans les contextes d'établissement défavorables. Pour l'ensemble de ces raisons, quoiqu'elle puisse avoir un réel intérêt pour la gestion des ressources, l'accueil et la veille, je pense privilégier une mise en œuvre prudente de la politique documentaire, particulièrement pour ce qui ressort de la formation des élèves.

LTC :Quelles répercussions ce texte devrait-il avoir sur la formation initiale et continue des professeurs documentalistes ?

Avec cette nouvelle circulaire, la question de la formation redevient essentielle dans le processus de professionnalisation. C'est particulièrement le cas sur le plan pédagogique avec l'inscription dans le texte de l'information-documentation et la création d'un enseignement spécifique aux professeurs documentalistes. Au-delà de la seule circulaire, la cohérence de ce document avec le référentiel de compétences, dont la formulation des axes est partagée, laisse supposer une actualisation des maquettes de formation pour le master MEEF documentation. Un mouvement similaire, pour la formation continue, doit pouvoir être attendu par la profession, soucieuse de se mettre à jour. Dans ce domaine, l'enseignement, les pratiques sont diversement formalisées, ce qui peut laisser supposer une demande de formation. Elle serait en tout cas légitime.

C'est d'autant plus le cas si l'on considère la part numérique de l'information-documentation et de l'Éducation aux médias et à l'information, laquelle, dans ses transformations, obéit à des rythmes rapides quand celui de l'acquisition des savoirs par les élèves est plus lent. De sorte qu'il est important de pouvoir discerner des paradigmes et des notions pérennes qui fassent l'objet d'une transposition didactique et donnent de la matière à cet enseignement.

LTC :Quelles devraient être à présent les nouvelles avancées à obtenir, et selon quelles priorités ?

La reconnaissance d'un enseignement spécifique passe à mon sens par une réflexion d'ensemble sur les contenus et sa mise en œuvre, laquelle rappelle la pertinence d'une inspection distincte pour les professeurs documentalistes. Ce travail, primordial et monumental, a la chance de pouvoir s'appuyer sur les expérimentations menées par les professeurs documentalistes depuis trente ans. Si celles-ci peuvent être inégales, ce qu'il faut pouvoir reconnaître, elles n'en forment pas moins une base à mettre en perspective avec les travaux de la recherche, notamment dans le domaine épistémologique.

Il manque à ce jour un texte qui vienne cadrer cet enseignement, ce dont l'institution doit se saisir. On sait le poids que purent avoir les disciplines instituées au sein des Groupes d'élaboration des projets de programmes (GEPP) lors de l'élaboration des nouveaux programmes. Ces programmes qui, en l'état, ne permettent pas au professeur documentaliste d'établir une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale. Sans doute ce rôle est dévolu à la politique documentaire, laquelle inclut possiblement le volet formation. Mais le report d'un enseignement vers cette instance de gouvernance locale liée au C.A, s'il peut séduire les professeurs documentalistes qui privilégient leur liberté, se fait mécaniquement aux détriments des élèves, lesquels ne se voient plus garantir l'égalité des chances. Il est donc urgent de travailler sur la réalisation d'un texte de cadrage qui vienne affirmer l'égalité des chances, lequel n'est pas en contradiction avec les singularités de chaque établissement.


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