D’espoirs en désespoir, en attendant les moyens de ces missions
Florian Reynaud est professeur documentaliste depuis 2009 et est actuellement en poste en collège dans l'académie de Lyon. Docteur en Histoire et chercheur associé en Histoire au CRHQ de Caen, il a été président de l'APDEN de 2014 à 2016, actuellement chargé de mission pour le Bureau national pour le Wikinotions Info-Doc et l’IABD. Il est également rédacteur et webmaster du site Prof' doc' consacré aux réflexions sur la profession de professeur documentaliste et à la mutualisation de séquences pédagogiques relatives à l'enseignement de l'information et des médias, et développeur du logiciel InfodocLog.
L'équipe des Trois couronnes a voulu savoir ce qu'il pensait de la nouvelle circulaire des professeurs documentalistes.
LTC : En tant qu'ancien président de l'APDEN, ayant rencontré à plusieurs reprises l'institution et œuvré au côté des syndicats, quels sentiments vous ont animé à la réception de la nouvelle circulaire ?
C’est d’abord un sentiment de gâchis, devant le manque d’ambition de l’institution, au-delà d’efforts de communication, vu l’incohérence d’ensemble des textes. On sait, et c’est un des moteurs initiaux de la réforme des collèges, qu’une certaine injonction est nécessaire pour amener des évolutions dans le cadre scolaire, notamment pour qu'elles bénéficient à tous les élèves. Les professeurs documentalistes disposent pour leur part d’un texte fourre-tout, sans clarté, avec un jeu d’interprétation qui nous est fort préjudiciable, professionnellement parlant et pour les élèves également. Les inégalités statutaires, au sujet des heures supplémentaires, de l’ISOE, de l’agrégation, de l’inspection, qui dépendent d’autres textes, sont le ferment d’un état d’esprit qu’on retrouve dans notre circulaire, pleine de négligence.
C’est la surprise aussi, de lire des projets brouillons, perfectibles, sujets de discussions, finalement publiés officiellement sans grandes évolutions, avec quelques éléments à la marge. Une seule évolution est à mon sens essentielle du côté positif, l’inscription de l’information-documentation, à côté de reculs importants pour la profession, relatifs à la gestion documentaire, à la hiérarchisation des interventions éducatives et pédagogiques par exemple.
C’est aussi un sentiment d’échec, celui de n’avoir su convaincre sur des questions essentielles, sans doute à cause d’un entêtement institutionnel qui se dégage de toute argumentation contradictoire et d’une quelconque écoute, selon ce que j’ai ressenti au sujet de la politique documentaire. C’est de n’avoir pas su convaincre les interlocuteurs institutionnels, certes, mais aussi les organisations syndicales qui, pour celles qui connaissaient le dossier et les enjeux de certains axes du texte, n’ont pas toutes été à la hauteur, je pense. D’un point de vue comme de l’autre, on voit peut-être là la limite à vouloir satisfaire tout le monde, quand cette option ne peut aboutir que sur un statu quo globalement satisfaisant pour personne.
Je ne peux enfin, pour soutenir ces sentiments, que constater le manque de dynamique à la suite de cette publication et, pour l’heure, l’absence d’enthousiasme. Si l’on peut sans doute apprécier qu’une telle circulaire soit publiée avant un changement de gouvernement, c’est aussi là admettre notre fébrilité, avec une incertitude encore pour l’avenir. Il ne s’agit pas de craindre la suppression de la profession, mais d’estimer que les moyens et les considérations peuvent se faire attendre encore bien longtemps, sans possibilité de correctement exercer le métier et de mettre en œuvre des missions dont les priorités peuvent être plus qu’avant soumises aux instances locales des établissements ou au chef.
LTC : Ce texte vous semble-t-il adapté au regard des différentes missions qui incombent au professeur documentaliste, et notamment celles concernant la pédagogie ?
Il s’agit là d’un ensemble de missions qui ne peuvent incomber à un professeur documentaliste seul, non plus qu’à plusieurs professeurs documentalistes d’ailleurs. Peut-être plus qu’en 1986, parce qu’on ajoute finalement des tâches, plutôt que des missions, sans en supprimer, il apparaît de prime abord qu’il est demandé l’impossible. Cela suppose donc des choix, selon des individualités, ce qui amènent à ce que plusieurs tâches ne soient pas effectuées, que plusieurs missions ne soient pas assurées. Cela concerne la mission pédagogique, en première place dans la circulaire pourtant, qui peut tout à fait ne pas être conduite, comme il n’est pas difficile de mesurer que plusieurs autres aspects supposent un temps complet pour être bien assumés.
On peut avoir l’impression, vu la multiplicité des tâches, sans personnels associés, qu’on propose là au professeur documentaliste de faire tout ce qui doit être fait et que personne d’autre ne veut faire, tant que cela tourne autour du document, de la ressource. Ce n’est pas sérieux. Il existe pourtant plusieurs solutions pour assumer les différents axes de mission : une mission pédagogique claire, un pilotage de gestion documentaire, dans un service spécifique, avec un personnel associé, un pilotage partagé sur les questions d’ouverture culturelle avec d’autres personnels également responsables de ce domaine.
La place donnée à la notion de politique documentaire, enfin, est beaucoup trop importante, trop englobante, avec une dépendance préjudiciable du professeur documentaliste à plusieurs tutelles. Vis-à-vis du chef d’établissement et du conseil d’administration, le professeur documentaliste peut se voir imposer d’autres priorités que sa mission pédagogique. Par ailleurs, notre inspection EVS ne peut qu’être séduite en priorité par cette notion, d’obédience managériale, organisationnelle, avec par exemple tous les ingrédients de ce parti pris très à la mode dans la publication proposée à Aix-Marseille le 23 avril dernier, avec une inspection locale qui, en l’occurrence, soutient activement la mission pédagogique des professeurs documentalistes.
Enfin, rappelons que la politique documentaire apparaît dans la loi, à la suite de l’arrêté définissant notre référentiel de compétences professionnelles, dans le décret du 28 décembre 2014 relatif à l’organisation nouvelle du Réseau Canopé. On lit ainsi dans ce texte, modifiant le Code de l’éducation, que « dans le cadre du projet académique défini par le recteur, notamment dans les domaines de l'innovation pédagogique, du numérique éducatif, de la formation des enseignants, de la politique documentaire et de l'éducation artistique et culturelle, le comité académique Canopé identifie les axes d'accompagnement et de valorisation des pratiques pédagogiques des enseignants qui seront développés conjointement avec le Réseau Canopé ». Quand on sait le positionnement politique engagé de Canopé contre une spécialité pédagogique du professeur documentaliste, et tout en considérant le principe, dans notre circulaire, de l’intégration de la question pédagogique dans la politique documentaire, on ne peut que rester dubitatif devant cette forme de tutelle qui nous éloigne davantage encore de cette mission, même si nous avons là toute latitude à rester à distance raisonnable de ce réseau.
LTC : Pensez-vous que ce texte soit de nature à changer le quotidien du professeur documentaliste ?
Je pense que ce texte, globalement, ne change rien, d’autant plus que l’avenir semble confirmer l’autonomie accrue des établissements, non pas sur des questions administratives budgétaires, mais sur des questions d’organisation pédagogique, avec un début dans l’organisation de l’AP et des EPI, ainsi qu'un regard accru des parents et élèves sur la question pédagogique. Si le professeur documentaliste peut trouver dans ce texte des arguments législatifs, encore qu’une circulaire ne soit qu’une circulaire, il pourra trouver face à lui des arguments contradictoires pour lui donner d’autres priorités, d’autorité, sous une autorité d’ailleurs bien affirmée dans la circulaire, celle du chef d’établissement.
On en viendrait finalement à ce que les bien lotis, soit qui sont bien tombés soit parce qu’ils se sont évertués à convaincre pendant plusieurs années, seront toujours bien lotis, et que les autres, une grande majorité, continuera de se battre pour développer leur mission pédagogique. Le problème se pose dans la relation avec les chefs d’établissement, avec l’administration, qui n’ont pas forcément connaissance de nos missions en théorie. Il se pose aussi avec les autres enseignants, avec des académies nombreuses dans lesquelles il n’existe aucune formation en collaboration, ou encore sans précisions sur notre mission auprès de ces autres enseignants, tout simplement. L’ a priori des collègues, construit parfois aussi par l’observation même, reste impressionnant.
L’impossible mise au point d’une lueur info-documentaire. (https://pixabay.com/p-1261022/?no_redirect)
LTC : Sur le plan pédagogique (axe 1), comment pensez-vous tirer parti du texte ? Quelle sera votre stratégie ?
Personnellement, je n’ai pas de stratégie avec ce texte, car mon chef d’établissement est convaincu aujourd’hui de la légitimité pédagogique du professeur documentaliste, de même que les parents, après des débuts difficiles. Je suis dans cet établissement depuis deux ans, et fus accueilli deux mois après mon arrivée par des reproches, ceux de fermer trop souvent le CDI alors que je proposais des séances pédagogiques sur les créneaux concernés. Il n’en reste pas moins que l’avenir est incertain, avec un nouveau chef d’établissement dans deux ans, et tout de même une grande difficulté à disposer d’horaires pour les séquences, tout se faisant à deux semaines près selon les absences des collègues, sans rien d’institué. La réforme a pu en ce sens être une grande difficulté pour l'organisation de ces séquences, du fait de freins importants liés à l’organisation nouvelle des emplois du temps, sans que j’y trouve encore ma place de manière satisfaisante.
Pour le dire autrement, la circulaire ne m’est d’aucun appui, au contraire aurais-je envie de dire, à l’heure actuelle. De mon point de vue, la nouvelle organisation des enseignements est, en théorie, un tel problème, qu’elle représente un obstacle pour développer une progression en collège de manière systématique. Nous pouvons toujours intervenir pour des projets ponctuels, encore faut-il savoir jongler avec les cadres et s’éloigner de la rigueur des textes, mais il nous est plus difficile qu'auparavant, peut-être que cela va se tasser rapidement, de prendre des groupes classes en responsabilité.
LTC : Quel sera votre positionnement concernant la politique documentaire ?
J’ai pris les devants en informant mes collègues et le conseil d’administration de mon collège du contenu de la circulaire, quand elle était encore en état de projet, dans son avant-dernière version, et notamment de ce qui pouvait relever de la politique documentaire à valider en CA, à savoir les questions d’ordre pédagogique. Cela a pris la forme d’une motion présentée avec mes collègues élus, avec un rejet du principe de validation de la politique documentaire dans cette instance.
(Lire la motion en annexe).
Pour le reste, je continue de présenter chaque année un bilan et un projet relatifs au CDI en conseil d’administration, avant tout par voie écrite plutôt que par une longue présentation orale qui n’intéresse qu’à la marge. Et je fais par ailleurs un bilan de mon activité pédagogique en CA rapidement pour éviter le retour de reproches de fermeture, d’autant plus que la FCPE, majoritaire dans mon établissement, diffuse au niveau national une information préjudiciable pour nous, réduisant par exemple notre rôle à la gestion des manuels scolaires dans ses flyers. Mais je fais surtout ce bilan en conseil pédagogique, pour insister sur les difficultés à développer une progression satisfaisante associant séquences info-documentaires seules et projets collaboratifs. Si je suis responsable d’une politique documentaire, c’est une politique d’organisation interne avec l’aide-documentaliste, mais c’est alors une politique qui n’est pas reconnue officiellement, avec pourtant une répartition des tâches. Cela me permet de me focaliser sur la mission pédagogique et l’ouverture culturelle, avec pour cette personne, de ma part, un temps initial de formation et un accompagnement professionnel régulier, dans le cadre d’un contrat unique d’insertion pour ce poste que je ne suis pas sûr de voir reconduit, alors qu'il est essentiel.
LTC : Quelles répercussions ce texte devrait-il avoir sur la formation initiale et continue des professeurs documentalistes ?
Il existe plusieurs écoles en matière de formation initiale, avec une mise en valeur différenciée de la mission pédagogique en information-documentation selon les ESPE. L’inscription de l’information-documentation dans notre circulaire doit permettre, et c’est une urgence, de réduire ces différences, en particulier pour trois ou quatre académies dans lesquelles les étudiants eux-mêmes peuvent être amenés à se plaindre de leur structure de formation.
Pour ce qui concerne la formation continue, il est évident que la publication de la circulaire suppose un renouvellement des contenus proposés dans les PAF, avec une entrée spécifique en information-documentation, sans confusions avec le numérique, sans confusions avec l’EMI, avec des formations théoriques sur les notions info-documentaires et avec un travail associé sur les méthodes pédagogiques. Pour autant je suis sceptique sur la volonté des académies à évoluer vers une reconnaissance de l’information-documentation, dans la globalité, avec actuellement peut-être quatre ou cinq académies qui se distinguent, avec une grande dépendance à l’égard de la direction académique et de l’inspection, toujours selon leur propre regard sur le métier. Il faudrait sans doute que la DGESCO prenne ses responsabilités au niveau national, dans la continuité de cette circulaire qui émane de ses services, pour qu’un élan soit donné dans les académies.
LTC : Quelles devraient être à présent les nouvelles avancées à obtenir, et selon quelles priorités ?
Pour moi la première des priorités, c’est l’inspection spécifique. Il est même incompréhensible, théoriquement, que nous ne l’ayons pas obtenu lors de ces cinq dernières années, même s’il est possible qu’à certains égards en pratique le statut d’inspection en EVS tienne un rôle très particulier dans l’Éducation nationale et qu’il n'est pas souhaité par ailleurs que son effectif soit trop réduit. Cette inspection spécifique serait une garantie minimale pour espérer avancer, contre des priorités de gestion et de management, avec une certaine indépendance vis-à-vis des deux réseaux ogres du moment, celui de la DNE et celui de Canopé.
Plusieurs inégalités patentes doivent être supprimées, vis-à-vis de nos collègues, que ce soit pour l’ISOE ou son équivalence, pour le droit aux heures supplémentaires, pour l’agrégation. Mais ce sera complexe, très certainement, d’autant plus que les syndicats ont choisi de ne pas porter ces dossiers devant un arbitrage juridique quand il en était temps.
C’est aussi continuer de communiquer sur notre travail pédagogique, en mettant en avant nos réflexions et pratiques, bien sûr, mais aussi en insistant auprès de nos partenaires, de nos collègues, sur notre rôle, mal connu, malheureusement parfois en opposition avec une communication institutionnelle plus ou moins assumée qui se complaît dans la réduction de notre rôle, ce qui se traduit par un texte de circulaire très flou qui n’engage en rien de bien concret.
Enfin, c’est triste à dire, mais c’est sans doute engager un nouveau travail de réflexion pour une nouvelle circulaire de missions !
Propos recueillis par Pascal Duplessis et Julien Rousseau.
Annexe
Motion : opposition au concept de politique documentaire en établissement scolaire
Nous, enseignants du collège du Renon, à Vonnas, souhaitons réagir au projet en cours de réécriture de la circulaire de mission des professeurs documentalistes. Celle-ci est en effet en voie d'être révisée, avec des contenus qui nous paraissent problématiques à plusieurs titres pour les professeurs documentalistes aussi bien que pour les autres enseignants.
Le troisième projet de réécriture, qui devrait être le dernier, tend à mettre en avant la mission d'enseignement du professeur documentaliste, reconnaissant ses compétences professionnelles pour enseigner les savoirs de l'information-documentation à tous les élèves, dans le cadre d'une progression pédagogique cohérente. Cette évolution est positive, et peut permettre de mieux évaluer les moyens humains et horaires indispensables pour répondre à l'enjeu essentiel que représente la construction d'une culture de l'information et des médias par tous les élèves.
Ce texte prévoit en revanche l'intégration, dans les établissements scolaires, d'un concept issu du monde des bibliothèques, dont la transposition dans le contexte scolaire nous parait très discutable : il s'agit de la politique documentaire, dont la conception et la mise en œuvre constitueraient, selon le projet de circulaire concerné, une mission principale du professeur documentaliste. La validation de cette politique documentaire d'établissement relèverait par ailleurs du conseil d'administration. Ainsi envisagé, ce concept nous semble poser deux problèmes majeurs.
Le premier tient à l'intégration, dans la politique documentaire, de la formation des élèves dans les domaines complémentaires de l'information-documentation, spécialité du professeur documentaliste, et de l'éducation aux médias et à l'information, formation qui est à la charge de l'ensemble des enseignants. Selon le projet de texte, le professeur documentaliste aurait la responsabilité d'en préciser les moyens, mais aussi les contenus, qu'il s'agisse de ce qu'il doit lui-même enseigner aux élèves, ou de ce que les autres enseignants peuvent être amenés à développer en matière d'EMI dans leurs propres champs disciplinaires. Or, nous affirmons comme un principe général que les contenus d'enseignement ne relèvent pas, et ne doivent pas relever des prérogatives du conseil d'administration. Toute dérogation à ce principe reviendrait à remettre en question la liberté pédagogique des enseignants, qu'il soit question du choix des méthodes, des supports, des moyens, des modes de collaboration à mettre en œuvre dans l'intérêt des élèves, afin de leur garantir le meilleur apprentissage possible.
Le second touche à la portée de la politique documentaire au regard du statut du professeur documentaliste, enseignant certifié recruté par CAPES, au même titre que tous ses collègues de disciplines. Telle qu'envisagée dans le projet concerné, celle-ci aurait en effet pour objet d'encadrer l'ensemble des axes de mission du professeur documentaliste, soumettant ainsi l'exercice professionnel d'un enseignant à la validation du conseil d'administration. Cette remise en cause statutaire d'une catégorie de personnels enseignants pourrait constituer un précédent grave, que nous refusons fermement.
Nous objectons également, de manière globale, que lorsque le concept de politique documentaire est mis en œuvre en bibliothèques, le conseil d'administration y est essentiellement composé de professionnels spécialistes du domaine. Or, ce n'est pas le cas en établissement scolaire. Choisir cette voie reviendrait à nier les compétences professionnelles spécifiques des professeurs documentalistes, en prenant le risque de décisions non cohérentes, entravant la mission que leur a confiée l'institution. Nous souhaitons que la confiance reste la règle, dans le respect professionnel mutuel qui doit prévaloir dans un établissement public.
Pour toutes ces raisons, nous, enseignants du collège du Renon, à Vonnas, nous opposons au principe de la politique documentaire transposé dans l'établissement scolaire, afin de garantir le respect des compétences professionnelles spécifiques ainsi que la liberté pédagogique des professeurs documentalistes, de même que nous sommes attachés à ce que ces objets ne deviennent pas sujets à discussion dans le cadre du conseil d'administration.
Téléchargements
- L'interview de Florian Reynaud au format pdf
- L'annexe : la motion d'opposition au concept de politique documentaire en établissement scolaire au format pdf