Référence documentographique

Duplessis Pascal. Et pourtant, ils enseignent... Le « curriculum réalisé » de l'information-documentation. 10ème congrès de l'APDEN "Enseigner - apprendre l’information-documentation ! », 9-10-11 octobre 2015, Limoges. Les Trois couronnes, nov. 2016.

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/didactique-information/et-pourtant-ils-enseignent-le-curriculum-realise-de-l-information-documentation

Et pourtant, ils enseignent... Le « curriculum réalisé » de l'information-documentation

Les 10 domaines d'enseignement de l'Information-Documentation

Texte de la communication au 10ème congrès de l'APDEN en octobre 2015 à Limoges.

Bien qu'adossée à des savoirs savants issus des SIC et à différentes pratiques sociales de référence (journalisme, bibliologie), la matière information-documentation n'a jamais fait l'objet d'une transposition didactique dite "externe", c'est-à-dire d'une transformation maîtrisée et institutionnalisée de ces savoirs en contenus à enseigner (notions scolaires) à l’École. Pour autant, force est de constater que les professeurs documentalistes enseignent, de la 6° à la Terminale, des notions et des compétences, comme s'ils les tiraient d'un texte du savoir qui, pourtant, n'existe pas.

Ils nous a ainsi paru intéressant de regarder de plus près à quoi ressemblaient ces "savoirs enseignés" afin de pouvoir dégager, le cas échéant, le "curriculum réalisé" des professeurs documentalistes.

Pour ce faire, nous avons construit un corpus à partir de plus d'un millier de fiches pédagogiques réalisées par des professeurs documentalistes et actuellement disponibles en ligne. Les 400 fiches retenues on été analysées dans le but d'identifier la totalité des contenus déclaratifs mobilisés dans les séances auxquelles ces fiches se réfèrent et de repérer quelles méthodes pédagogiques sont utilisées par les enseignants dans ces séances.

L'analyse des contenus d'enseignement dégagés a permis de mettre en évidence les dix principaux thèmes organisateurs de l'enseignement de l'information-documentation et d'ouvrir la voie à de nouveaux chantiers pour la didactique de l'Information-Documentation.


Plan

Introduction : le contexte de l'étude

  • Des freins à la didactisation
  • De la pédagogie documentaire à la didactique de l'information-documentation
  • L'évolution de la matrice disciplinaire de l'information-documentation
  • Et pourtant, ils enseignent...

1- Quelle approche transpositionnelle pour l'information-documentation ?

  • Le chaînon manquant
  • Quand l'action didactique guide la transposition...
  • Le pari de l'approche ascendante
  • Enjeux et questionnement

2- Comment a été circonscrit le curriculum réalisé de l'information-documentation

  • Pourquoi choisir des fiches pédagogiques
  • Les critères de sélection des fiches pédagogiques
  • La présentation du corpus

3- Les résultats de l'étude

  • Les thèmes organisateurs du curriculum réalisé de l'information-documentation
  • Les méthodes pédagogiques
  • Répartition des fiches par modèle et par niveau

4- Quelques prolongements à l'étude des savoirs enseignés

  • Des notions à facettes
  • Le champ d'application des notions

Conclusion

Bibliographie

Introduction : le contexte de l'étude

L'occasion qui nous est donnée par ce 10ème congrès de reprendre le fil du projet didactique de l'information-documentation amène inéluctablement à regarder un peu en arrière pour apprécier le chemin parcouru. Et bien qu'il faille accepter l'idée que ce projet soit encore « embryonnaire » [Gardiès et Venturini, 2005], il importe d'attester de ses assises pour assurer son développement, notamment au moment où l'institution pousse en force une éducation aux médias et à l'information (EMI). Cette perspective historique, qui relie inévitablement le projet didactique au processus de professionnalisation des professeurs documentalistes, vient d'être magistralement tracée par l'une des fondatrices du projet, Françoise Chapron [Chapron, 2015] en avant-propos de ce congrès, aussi nous ne nous y attarderons pas davantage.

Comment ne pas voir défiler cependant, même au prix d'un accéléré réducteur, le film de ces quinze dernières années : l'élan et l'espoir générés par les Assises nationales pour l'éducation à l'information de mars 20031, la naissance du GRCDI en 2007, le rendez-vous peut-être manqué de l'ERTé « Curriculum documentaire et culture informationnelle » (2006-2010), les premières études bien connues relatives à la délimitation et à la définition d'un corpus de notions et celles, qui le sont un peu moins, sur les représentations et les connaissances info-documentaires des élèves ? Relevons enfin la naissance d'une blogosphère professionnelle dynamique et créative.

Des freins à la didactisation

Force est de constater, par contre, le peu de chantiers ouverts ces dernières années en didactique de l'information-documentation. S'il faut en rechercher les causes, reconnaissons que celles-ci sont distribuées entre les principaux acteurs du processus. Du côté de l'institution, sans qui rien n'est in fine projetable dans le système éducatif, les offres de constitution d'un groupe de travail autour d'un projet curriculaire ont toujours trouvé une fin de non recevoir. L'Inspection générale EVS, tout particulièrement, a préféré suivre une voie radicalement opposée en privilégiant la dimension managériale du professeur documentaliste (politique documentaire, learning centres), ne considérant les contenus notionnels de l'information-documentation que lorsqu'ils pouvaient être enseignés ailleurs. La recherche, de son côté, et depuis la clôture de l'ERTé, semble avoir repris ses distances avec le monde professionnel alors qu'ils avaient su trouver, dans la réflexion sur la culture informationnelle, un terrain commun. Il manque de toute évidence un pont didactique entre l'université et l'école et les doctorants sont plus attirés par les Sciences de l'information et de la communication (SIC) que par les Sciences de l'éducation. La profession elle-même, pour terminer un tour d'horizon bien nuancé, nous paraît peu sensible aux prémisses de la didactique, sans doute par méconnaissance ou incompréhension. On discute moins didactique que littérature jeunesse sur les listes de discussions et dans les réunions professionnelles. Les lacunes des formations initiales et continues, indexées à un CAPES qui évite le sujet, en sont sans doute la cause première. Il reste que le projet didactique contient un risque de déstabilisation de la profession dans la mesure où il interroge les missions du professeur documentaliste et où il pose la question de la disciplinarisation, même si les deux projets, didactisation et disciplinarisation, peuvent, d'un certain point de vue, être saisis comme disjoints [Frisch, 2007].

De la pédagogie documentaire à la didactique de l'information-documentation

Une autre raison de ce manque d'élan doit attirer notre attention : la didactique de l'information-documentation marque une rupture avec la « pédagogie documentaire ». Celle-ci, tout en ayant évolué en « maîtrise de l'information » dans le sillage de l'information literacy, est indissociable des origines de la mission pédagogique des professeurs documentalistes. Elle est basée sur un ensemble de compétences et de techniques de traitement de l'information permettant à l'apprenant de construire des connaissances dans un domaine spécialisé, en l'occurrence une discipline, à partir d'informations prélevées dans un système documentaire. Il s'agit en d'autres termes d'une médiation qui met le document au service du « texte du savoir » [Chevallard, 1985] disciplinaire mais qui ne dispose pas de son propre « texte du savoir ». L'absence de savoirs à enseigner en information-documentation fait de celle-ci une technique auxiliaire des disciplines et constitue notamment l'une des causes du déficit identitaire d'une profession qui vit d'autant plus mal cette situation qu'elle est recrutée par un CAPES depuis 1989. Or le tournant des années 2000 a vu l'émergence d'une didactique qui se présente comme un contre-champ à cette logique instrumentée et dont l'objectif, justement, est l'élaboration d'un texte du savoir spécifique à l'information-documentation. Cette didactique, inspirée en premier lieu des didactiques des sciences [Duplessis, 2006], s'intéresse à la référence et à la production (épistémologie), à la transmission (praxéologie) et à la réception (cognition) des savoirs scolaires. Elle oriente les professeurs documentalistes vers la connaissance et la maîtrise de leurs propres savoirs à enseigner et de leurs objets d'étude spécifiques. Elle vise à transformer des objets informationnels, de nature socio-technique, invisibles jusque là, considérés comme neutres, en objets scolarisables et enseignables. Ses fins ne sont pas seulement d'assurer aux élèves une plus grande maîtrise de l'information, ce que recherche la pédagogie documentaire, mais de les pourvoir d'outils intellectuels leur assurant une plus grande intelligibilité des phénomènes informationnels.

L'évolution de la matrice disciplinaire de l'information-documentation

Pour rendre compte de la cohérence, à un moment donné, du discours d'une discipline et de sa spécificité au regard des autres, Michel Develay a proposé le concept de « matrice disciplinaire » [Develay, 1992]. Il est de l'ordre du naturel que chaque discipline, dans un souci d'adaptation à son époque, en écho aux évolutions scientifiques et aux pratiques sociales, mais également suivant les orientations politiques tracées par son institution, produise successivement différentes matrices. Ce fut le cas pour la Documentation qui, depuis ses origines dans les années 70, a vu se succéder différentes matrices disciplinaires : la méthodologie documentaire dans les années 80, inspirée des bibliothèques ; la médiation documentaire dans les années 90, inspirée de la psychologie cognitive ; l'information-documentation depuis les années 2000, inspirée des SIC [Duplessis, 2016]. Chacune de ces matrices est ainsi caractérisée par des tâches, des méthodes, des situations didactiques, des notions et des outils particuliers. A chaque matrice s'attache également un texte du savoir singulier constitué des contenus à enseigner fixé par l'institution d'enseignement. La situation originale, et paradoxale, que connaît l'information-documentation est que, disposant de toutes les caractéristiques propres à une matrice disciplinaire, elle ne dispose pour autant pas d'un texte programmatique contenant les savoirs à enseigner.

Et pourtant, ils enseignent...

Et pourtant, force est de constater qu'aujourd'hui, les professeurs documentalistes enseignent. Ils « font cours », créent des situations d'enseignement-apprentissage dans le but d'amener leurs élèves à construire des savoirs propres à l'information-documentation à partir de tâches fondées sur l'analyse et le traitement de matériaux informationnels. S'ils enseignent, il est important de prêter attention à ces objets qu'ils désignent, de facto, comme contenus enseignables et effectivement enseignés. Le paradoxe que nous souhaitons mettre en évidence ici réside ainsi dans le fait que les professeurs documentalistes disposent de savoirs enseignés alors qu'ils ne peuvent s'appuyer sur aucun texte du savoir identifiant quelque savoirs à enseigner que ce soit. Il est d'ailleurs significatif que, si de nombreuses études se sont penchées sur leur légitimité à enseigner ou sur ce qu'ils devraient enseigner, aucune ne se soit encore intéressée de manière synthétique aux véritables contenus de cet enseignement, autrement dit au curriculum effectivement réalisé.

C'est précisément à cette question que notre communication tentera de donner des réponses concrètes en présentant les résultats d'une étude analytique constituée de productions didactiques émanant de professeurs documentalistes engagés dans des situations d'enseignement-apprentissage. Mais avant cela, nous souhaitons inscrire ce questionnement dans le cadre théorique de la transposition didactique des savoirs info-documentaires afin de mieux saisir la spécificité de l'information-documentation. Nous présenterons ensuite le corpus de l'étude et la méthodologie suivie pour le constituer et l'exploiter. Les résultats de l'étude seront présentés en deux parties, l'une relative aux contenus enseignés, l'autre aux méthodes pédagogiques mobilisées par les professionnels lorsqu'ils font cours. Enfin, deux prolongements seront proposés pour aller plus loin dans l'exploitation de ces résultats.

1- Quelle approche transpositionnelle pour l'information-documentation ?

Ce questionnement qui fait de l’information-documentation un cas singulier s'inscrit d'emblée dans le modèle de la transposition didactique tel que l'a redéfini Yves Chevallard [Chevallard, 1991] à la suite des travaux pionniers de Michel Verret (1975), et davantage encore dans le modèle élargi aux pratiques sociales de référence [Martinand, 1986], puisque les références de l'information-documentation tiennent autant des savoirs savants issus des SIC que des pratiques sociales, culturelles et professionnelles de l'information. La transposition didactique désigne « le processus social par lequel les savoirs sociaux de référence sont, dans le système éducatif, transformés en savoirs à enseigner (premier mouvement) puis en savoirs effectivement enseignés (deuxième mouvement) » [Vergnaud, 1992]. Le premier mouvement correspond à ce que Chevallard nomme la transposition didactique externe et le second, la transposition didactique interne.

1.1- Le chaînon manquant

S'en tenant pour l'heure au schéma proposé par Michel Develay [Develay, 1995], nous situerons les « savoirs 01-Develay-TD enseignés » par les professeurs documentalistes comme le produit du travail de l'enseignant dans le processus de la transposition didactique interne. Tout enseignant, quelle que soit sa discipline, suit ce processus lorsque, pour adapter à son cours une prescription de contenus « à enseigner », crée un contenu « enseignable » tenant compte de contraintes fortes, et notamment du contexte particulier de sa classe. Nous observons, d'après ce modèle, que ces savoirs enseignés ont, ou devraient avoir pour référence des « savoirs à enseigner », disponibles sous la forme donnée par les concepteurs du programme : instructions officielles, accompagnements de programmes, manuels scolaires. Ces prescrits n'existant pas pour le professeur documentaliste en quête de légitimité autant que de références, celui-ci se rabat alors vers des versions approximatives (B2i), intégratives (Socle commun) ou non officielles (PACIFI) pour reconstituer à sa mesure un texte du savoir qui n'existe pas. Insatisfait, il arrive qu'il s'adresse également à des sources extérieures à l'école, comme la CNIL ou des sites de management pour les entreprises. Pour le dire de manière triviale, le professeur documentaliste fait figure de bricoleur ; il arrange diverses références qui ne lui sont pas directement adressées pour aménager un équivalent de transposition interne à partir duquel il pourra disposer de contenus enseignables plus ou moins stables. 02-Chainon-TD Du point de vue du professeur documentaliste, le texte du savoir est illisible et lui fait l'effet d'un puzzle dont les pièces seraient éparpillées dans différents textes et programmes disciplinaires sans qu'il ait même la certitude qu'elles y soient toutes et sans disposer d'une vue d'ensemble de l'image à réaliser. Il se trouve devant une gageure concrètement irréalisable. Du point de vue institutionnel maintenant, il n'existe tout simplement pas de texte du savoir relatif à l'information-documentation. D'ailleurs, aucune instance instituante, ou noosphère, n'a entrepris ce processus de transposition externe qui ferait des savoirs de référence des savoirs à enseigner. C'est ce que l'on pourrait appeler le chaînon manquant de la didactique de l'information-documentation, qui fait de celle-ci une discipline particulière, même si elle n'a pas le monopole des références floues puisqu'il en est de même pour le français, l'éducation physique, la technologie ou encore les arts plastiques. Il résulte néanmoins de cette situation que les professeurs documentalistes, pour enseigner, constituent un ensemble de savoirs enseignés qu'ils tirent comme ils le peuvent d'essais transpositionnels plus ou moins réussis.

1.2- Quand l'action didactique guide la transposition...

Nous en sommes restés jusque là à une vision descendante de la transposition, estimant que les savoirs enseignés, nommés « curriculum réel ou réalisé » par Philippe Perrenoud, devaient obligatoirement dépendre d'un texte du savoir, ou « curriculum prescrit ou formel » [Perrenoud, 2002], lui même étant le produit de la transposition didactique de savoirs de référence articulant des savoirs savants à des pratiques sociales. Critiquant cette démarche analytique de la fabrication des savoirs, de nombreux chercheurs défendent l'idée d'autres approches, au nombre desquelles l'action créative des enseignants qui, confrontés aux contraintes didactiques, sont conduits à proposer des savoirs scolaires autonomes, notamment en histoire-géographie [Audigier, 1995]. Tandis que Philippe Perrenoud évoque à ce propos une transposition « pragmatique » où les contraintes de l'action guideraient la transposition [Perrenoud, 1998], nous retrouvons chez Gérard Langlade, pour le français, cette volonté de rompre avec ce qu'il nomme l'applicationnisme réducteur de la transposition descendante (Langlade, 1997). Il rejoint Alain Pagès, toujours pour le français, qui propose dès lors une transposition ascendante qui pousserait à « l'invention de concepts spécifiques, à partir de problèmes que la pratique pédagogique fait naître. Elle détermine la réorganisation des concepts dans l'ensemble du savoir enseigné, et elle impose que ces derniers soient convergents – au lieu d'être concurrents, comme ils le sont dans le domaine de la recherche spécialisée » [Pagès, 1993]. Cette convergence des savoirs enseignés pour former un tout intelligible, à des fins d'enseignement progressif, est en effet une des caractéristiques des savoirs scolaires. En fait, il s'agirait de faire se rencontrer savoirs savants et savoirs experts et de les mettre au contact des savoirs enseignés pour former peu à peu un nouveau savoir enseigné. C'est la conclusion que tire Bernard Schneuwly lorsqu'il constate un « enchevêtrement de mouvements transpositionnels ascendants et descendants, de différents systèmes de savoir qui forment finalement le savoir enseigné »[Schneuwly, 1995]. C'est ainsi que la démarche actuelle des professeurs documentalistes, créateurs de contenus à enseigner en dehors de prescriptions formelles, peut être saisie : produire un mouvement ascensionnel partant à la rencontre de ses savoirs de référence et ayant pour finalité l'élaboration d'un texte du savoir.

Cette démarche est toutefois à distinguer du phénomène de contre-transposition didactique qu'observe Yves Chevallard à propos de pratiques scolaires n'ayant aucune référence scientifique pertinente à faire prévaloir, mais seulement des pratiques sociales, et qui tentent, a posteriori, de se construire un savoir savant, ou pseudo-savant à partir duquel exhiber sa légitimité à enseigner. Le cas de la comptabilité est avancé et on peut y reconnaître aussi l'éducation physique. Cela ne peut valoir en aucun cas pour l'information-documentation, matière multi-référentielle, pour laquelle nombre de savoirs enseignés ont bien pour référence des objets de savoirs en SIC. Il reste seulement à établir ces relations, en direction des savoirs sociaux de l'information également.

Cécile Gardiès met d'ailleurs en garde contre l'oubli, chez les professeurs documentalistes, des savoirs savants de référence sans lesquels l'accès aux savoirs à enseigner est difficilement envisageable [Gardiès, 2012]. Elle rappelle l'impérieuse nécessité d'appuyer la transposition didactique interne sur une véritable maîtrise conceptuelle et de maintenir une vigilance épistémologique impliquant des relations avec les chercheurs ou, pour le moins, avec les productions scientifiques. Il en va de l'assise de cet enseignement sur des savoirs savants de référence.

1.3- Le pari de l'approche ascendante

Dans le cas où cette démarche ascendante devait réussir, nous verrions là la possibilité d'un dépassement de l'injonction institutionnelle par une prise en charge spontanée de la responsabilité pédagogique des professeurs documentalistes. C'est d'ailleurs ce qui s'observe déjà dans les faits et ce qui est somme toute légitimé par la création du CAPES.

Notre contribution au congrès consistera donc à prendre acte du fait que les professeurs documentalistes assument leur responsabilité pédagogique et produisent des pratiques scolaires fondées sur des savoirs enseignés. A défaut de pouvoir restaurer, dans le cadre de cette étude, le « chaînon manquant » ou de configurer le curriculum prescrit, nous tâcherons d'être le témoin de ce qu'ils enseignent réellement, ou déclarent enseigner, en circonscrivant le curriculum réalisé de l'information-documentation, tel que nous pouvons l'observer aujourd'hui. Nous faisons le pari d'une approche transpositionnelle ascendante pour l'information-documentation et d'une réappropriation de l'expertise didactique pour les professeurs documentalistes qui en sont les porteurs légitimes, postulant que la (re-)connaissance d'une assise didactique commune constitue un levier original et incontournable pour relancer la didactique de l'information-documentation.

1.4- Enjeux et questionnement

Au-delà de l'enjeu didactique consistant à révéler le curriculum réalisé, deux autres enjeux essentiels sont à rappeler. Le premier est épistémologique, dans la mesure où ce nouveau chantier devrait permettre de mieux connaître les contours réels de l'information-documentation au regard de ses véritables références. Les objets d'études info-documentaires ainsi définis devraient mettre en évidence la pluri-référentialité de la discipline et mieux cerner ce qui revient aux SIC, aux pratiques culturelles et aux pratiques expertes, tout en prenant en compte leur articulation. Il s'agira également d'appréhender les rapports qu'entretiennent ces savoirs enseignés avec les éléments combinés de la convergence translittératique. Le second enjeu est professionnel. L'existence reconnue, par la profession elle-même, d'une matrice disciplinaire autour de laquelle se rassembler est cruciale pour dégager, en miroir, une identité forte. Elle est d'autant plus attendue et nécessaire pour faire face aujourd'hui aux prescriptions institutionnelles de la mise en œuvre d'une EMI dans la mesure où celle-ci laisse peu de place aux professeurs documentalistes.

L'étude présente se donne par conséquent pour but d'identifier les savoirs notionnels réellement enseignés par les professeurs documentalistes dans le cadre de leur mission d'enseignement et d'apporter des précisions sur leur hiérarchie et leur dispersion curriculaire. Nous attendons de savoir en particulier si cet enseignement se présente de manière cohérente, dégageant des tendances fortes et une certaine rationalité ou si, au contraire, il ne parvient pas à faire corps, à constituer cette matrice à partir d'une quelconque intelligibilité. Nous mettrons également en évidence, et en lien avec ces contenus, la ou les méthodes pédagogiques les plus utilisées par ces acteurs lorsqu'ils projettent des situations didactiques.

2- Comment a été circonscrit le curriculum réalisé de l'information-documentation

Pour répondre à ces questions, nous avons constitué un corpus réunissant des fiches pédagogiques mises en ligne par des professeurs documentalistes. Dans la période de juillet et août 2015, plus d'un millier de documents de ce type, ou désignés tels, étaient disponibles sur le web. Quatre cents fiches seulement ont pu être retenues, représentant environ un tiers des ressources existantes. Cette sélection appelle quelques précisions.

2.1- Pourquoi choisir des fiches pédagogiques

Tout d'abord, pourquoi avoir choisi comme matériau d'étude la fiche pédagogique, ou fiche de préparation de séance ? Nous avions bien à l'esprit que ce type de document n'est qu'une simple représentation de la séance et qu'à ce titre, elle ne peut pas tout révéler. De nombreuses distorsions peuvent avoir lieu entre le déclaré et le réalisé, même si certaines fiches publiées se présentent comme le compte-rendu de séances réalisées. On peut aussi questionner la représentativité des fiches mises en ligne au regard de toutes celles qui ne le sont pas. Enfin, nous avons conscience que certaines contraintes éditoriales imposent un format comportant des conventions et des obligations. Pour autant, et puisqu'il était impossible d'observer à grande échelle tout ce qui pouvait se réaliser de fait, il nous a semblé que le recours à la fiche pédagogique pouvait constituer un moyen terme acceptable et en tout point préférable à une enquête. Le fait que la publication de fiches ne concerne qu'une faible proportion des professionnels peut constituer un biais important, mais peut être compensé par l'idée que ce qui est ainsi mis en ligne a une influence certaine. Au-delà même des valeurs de trace et de témoignage, les fiches pédagogiques publiées ont un indéniable effet d'entraînement. La plupart des professionnels n'hésitent pas à dire qu'ils s'inspirent régulièrement de ces publications. On observe d'ailleurs une circulation sur le web de ces documents et de leurs annexes qui sont ainsi échangés, discutés, redocumentarisés. Cette observation met au premier plan le rôle essentiel joué par des collectifs au sein de réseaux professionnels, la blogosphère, dans la production de manières de faire, de savoirs experts, de méthodes et d'outils didactiques. Les fiches pédagogiques se révèlent être des vecteurs de l'acculturation didactique, le creuset où la profession donne consistance à son mandat pédagogique. C'est également à ce titre qu'elles révèlent leur importance.

2.2- Les critères de sélection des fiches pédagogiques

Trois critères principaux ont déterminé la constitution du corpus de l'étude.

  • le format de connaissance : chaque fiche présentant à nos yeux une visée d'enseignement-apprentissage, nous avons choisi de distinguer celles qui avaient une portée utilitaire et celles dont la portée était l'étude et la compréhension. Nous avons donc délaissé les premières, centrées sur les savoirs procéduraux et dont le but est de maîtriser une méthode, un outil ou d'exploiter une ressource. Les fiches axées sur la construction de savoirs déclaratifs, favorisant un retournement intellectuel sur l'objet informationnel, ont en revanche été retenues. Ont également été éliminées les fiches orientées exclusivement sur le développement des attitudes ou sur des objets n'appartenant pas au domaine, telles que la promotion de la lecture et le renforcement des politiques éducatives.
  • la forme : n'ont été conservées que les fiches jugées suffisamment complètes, c'est-à-dire comportant au minimum des données sur le cadre institutionnel de l'intervention, les objectifs d'apprentissage et le déroulement de la séance. Bref, les fiches permettant de répondre de manière satisfaisante à la question des contenus et de la méthode pédagogique utilisée. De nombreux documents, bien qu'ils s'affichent comme étant des fiches pédagogiques, se réduisent à des fiches élèves et n'ont donc pu être retenus.
  • le destinataire de la séance : nous avons retiré les fiches relatives aux séances réservées à des publics particuliers (ULIS, SEGPA, FLE) ou se déroulant dans des cadres singuliers, comme le soutien et les clubs.

Notons enfin que la sélection des fiches ne fait aucune différence entre les professionnels du privé et du public.

2.3- La présentation du corpus

2.3.1- La provenance des fiches

Une distinction a été opérée entre les sources institutionnelles et les sources professionnelles des fiches retenues. Dans la première catégorie ont été regroupées les fiches provenant des sites académiques ou universitaires et du réseau Canopé, dans la seconde celles qui ont été trouvées dans les blogs personnels, les sites professionnels et les outils de publication indépendants. legende La répartition obtenue donne un net avantage aux sources institutionnelles, ce qui n'est pas sans incidence sur la forme, le discours et le dispositif de communication des fiches. En effet, les fiches extraites de sources institutionnelles (61%), centralisées pour la grande majorité sur Edu'base Documentation, revêtent un aspect formel prononcé, étant souvent préformatées. Les contenus sont fortement structurés. L'auteur y est très peu présent et s'exprime sur un mode impersonnel. Enfin, les relations avec les lecteurs sont faibles, voire inexistantes, laissant imaginer ceux-ci comme des lecteurs « consommateurs ». Le second type (39%) est bien différent, presque essentiellement issu de la blogosphère. Souvent, la fiche prend la forme d'un billet au contenu faiblement structuré, ce qui peut rendre difficile sa compréhension et son exploitation. L'auteur y est très présent, recourant au « je » et utilisant un mode narratif et personnel, voire affectif. Il (se) raconte la séance qu'il va faire ou qu'il a faite, tout en s'expliquant et se critiquant parfois, contribuant ainsi à la construction d'une réflexion et d'une identité professionnelle. Les relations avec les lecteurs « amis » est forte.

2.3.2- Les niveaux représentés

La dispersion curriculaire s'étale de la 6è à la terminale et, pour le lycée, distingue le lycée d'enseignement général et technologique (LGT) et lycée professionnel (LP). legende Les niveaux les plus représentés sont la 6è et la 2nde, ce qui correspond bien à la réalité des interventions des professeurs documentalistes à l'entrée des deux cycles.

Rapporté à la répartition des trois types d'établissements au niveau national, il s'avère que ce corpus est tout à fait représentatif. Il marque en effet un écart positif de seulement 3,5 points pour le collège et un écart négatif équivalent pour le lycée, dont -2,5% pour le LGT et -1% pour le LP.

2.3.3- La répartition curriculaire des fiches

La répartition des fiches retenues dans le temps court de 2003 à (août) 2015. Elle donne l'avantage aux fiches déposées le plus récemment. legende La cause principale en est la mutation continuelle des supports qui n'assurent pas toujours, au gré de leur évolution, la pérennité des fiches. Un autre phénomène curieux a été constaté : certaines fiches sont indexées avec une date de péremption, comme des produits de consommation périssables. C'est le cas notamment de séances reposant sur des outils numériques et dont l'éditeur a jugé que ce critère devait l'emporter sur le contenu didactique. Nous remarquons enfin que la durée de vie moyenne d'une fiche pédagogique est de quatre ans sur le web.

3- Les résultats de l'étude

Nous traiterons en premier lieu des contenus enseignés par les professeurs documentalistes avant de nous intéresser aux méthodes pédagogiques qu'ils emploient dans leurs cours.

3.1- Les thèmes organisateurs du curriculum réalisé de l'information-documentation

Pour chaque fiche pédagogique retenue, nous avons identifié la ou les notions mobilisées dans la séance projetée ou réalisée, qu'elles aient été ou non explicitement présentées en tant qu'objectifs d'apprentissages visés mais en tout cas telles qu'elles se dégageaient de l'analyse de la tâche proposée à la classe. En effet, ce qui nous importait était de connaître le plus précisément possible quels étaient les objets d'enseignement effectivement traités au travers du dispositif d'apprentissage mis en place.

Une distinction importante a dû être faite entre l'objet principal de la séance, qui peut être un élément particulier (le document, le moteur de recherche, le centre de ressources), un phénomène informationnel (la publication, l'identité numérique) ou encore un processus (la recherche d'information, la veille) et les notions spécifiques qui structurent les apprentissages liés à ces objets. Très vite est apparu l'intérêt de regrouper ces objets autour des thèmes qui se trouvent être privilégiés par les professeurs documentalistes. A l'analyse, l'ensemble des séances étudiées au travers des fiches pédagogiques gravite autour de dix thèmes seulement : 5-Liste-Fleur

Ces objets de type matriciel se révèlent ainsi comme les dix thèmes organisateurs de l'enseignement de l'information-documentation. L'analyse fait cependant apparaître des traitements différenciés, mais également des périodes d'émergence et des répartitions curriculaires particulières.

3.1.1- Classement des dix thèmes organisateurs selon leur fréquence

Il est possible de classer ces dix thèmes organisateurs selon la fréquence de leur traitement. 6-Frequence Parmi les 400 fiches de notre corpus, près d'un quart sont consacrées à l'étude des médias de masse. Elles ne font pas pour autant référence à la semaine de la presse (SPME) et témoignent de l'intérêt que portent les professeurs documentalistes à la problématique de l'information journalistique (info news). A l'opposé, nous trouvons le thème « Centre de ressources », ce qui peut paraître surprenant lorsque l'on évoque l'accueil des élèves en 6è et en 2nde. C'est l'occasion pour nous de rappeler que les fiches retenues l'ont été parce qu'elles traitent des aspects notionnels et non pas de la simple présentation du CDI. Il faut donc lire ici que 4% des fiches sélectionnées évoquent un travail relatif à l'acquisition de notions mobilisées autour du thème « Centre de ressources ».

3.1.2- Répartition chronologique des dix thèmes organisateurs

Chaque thème organisateur connaît une temporalité particulière, apparaissant plus ou moins tôt dans la période considérée et plus ou moins régulièrement par la suite.

7-Repart-chrono

N.B. : Plus le nombre de fiches par thème est élevé et plus la couleur est foncée. Les thèmes organisateurs sont classés du plus ancien (1ère ligne) au plus récent (dernière ligne).

Le thème organisateur « Média de masse » est réparti tout au long de la période, par contre « Recherche d'information » semble concentrer sa présence dans une période plus restreinte allant de 2004 à 2009.

Les thèmes les plus traditionnels, marqueurs de la discipline, sont déjà présents en 2003, alors que d'autres, comme « Veille » et « Identité numérique », n'ont émergé que récemment. Il est possible d'attribuer certaines de ces positions à des phénomènes d'actualité, tels que les publications universitaires, les prescriptions institutionnelles ou les thèmes des TraAM. Cette répartition dénote une certaine instabilité du curriculum et une sensibilité importante à l'actualité, mais elle témoigne également d'une plasticité conceptuelle qui lui permet de s'adapter rapidement à l'évolution de l'environnement informationnel.

3.1.3- Répartition curriculaire des dix thèmes organisateurs

La répartition des thèmes connaît des variations selon les niveaux scolaires.

8-Repart-curriculaire

N.B. : Plus le nombre de fiches par thème est élevé et plus la couleur est foncée. Les thèmes organisateurs sont classés du plus représenté (1ère ligne) au moins représenté (dernière ligne).

La répartition curriculaire fait apparaître deux groupes très distincts, le premier étant beaucoup plus mobilisé que le second. Il regroupe les thèmes « Médias de masse », « Évaluation de l'information », « Identité numérique », « Veille » et « Recherche d'information ». On note par ailleurs que ces deux derniers thèmes sont principalement étudiés en fin de lycée alors que « Document » l'est en 6è et « Publication » en 4°.

La lecture de l'axe curriculaire permet d'apprécier quels sont les thèmes mobilisés pour chaque niveau. Ainsi, par exemple, trois thèmes sont particulièrement requis en 6è, « Média de masse », « Identité numérique » et « Document », tandis que le niveau 4° délaisse ce dernier thème pour introduire « Publication sur le web ». Les raisons de ces choix mériteraient d'être recherchées. On peut cependant supposer qu'elles tiennent à la fois à l'âge des élèves et aux programmes disciplinaires.

3.1.4- Les notions mobilisées dans les dix thèmes organisateurs

Rappelons que, pour chacune des 400 fiches pédagogiques, nous avons identifié la ou les notions mobilisées. En croisant ces notions aux dix thèmes organisateurs auxquels ces fiches renvoient, il a été possible de circonscrire, pour chacun de ceux-ci, leur champ notionnel. Ce champ est par conséquent déterminé par les choix didactiques des professeurs documentalistes au travers de leurs publications sur le web. De ce fait, c'est bien l'expression de champ notionnel qui est retenue ici, et non pas celle de champ conceptuel, afin de nous démarquer d'une construction a priori. De même, nous n'évoquerons pas ici les « cartes conceptuelles », mais des « cartes notionnelles » représentant les savoirs enseignés pour représenter ces champs. Dix tableaux organisant ces champs notionnels ont été dressés et dix cartes correspondantes tracées2.

9-Carte-Moteur-de-recherche

Carte notionnelle du thème organisateur « Moteur de recherche ».

Chaque thème réunit ainsi un certain nombre de notions particulières articulées entre elles. Ces groupements forment un réseau que l'on peut organiser en sous-thèmes. L'analyse des contenus ainsi identifiés et listés étonne par son aspect exhaustif et structuré, même si, dans certains cas, nous avons dû procéder à des ajustements et faire des choix pour assurer la lisibilité et, par conséquent, une exploitation ultérieure par les professionnels. Ainsi la quasi totalité des notions déjà repérées dans des travaux didactiques antérieurs est identifiée par les professeurs documentalistes qui les mobilisent et les organisent dans des configurations thématiques très précises.

3.2- Les méthodes pédagogiques

Il est notoire que la profession, dès ses origines, s'est positionnée avec force à l'encontre du modèle transmissif associé à la manière directive et verticale dont les disciplines transmettraient le savoir, faisant de l'élève un sujet passif et démotivé. Arguant au contraire de leur héritage des méthodes actives du mouvement de l’Éducation nouvelle, les professeurs documentalistes ont, en promouvant la pédagogie documentaire, défendu l'idée selon laquelle l'élève pouvait accéder aux savoirs au travers d'une recherche active d'informations, sans avoir à passer par la parole du maître. Si le premier mouvement, dans les années 80, de formation à la méthodologie documentaire (matrice 1-A) est de nature béhavioriste, la période qui a suivi a été marquée par l'insistance de la médiation documentaire à partir de laquelle l'information pouvait être transformée en connaissance par l'élève, suivant le modèle constructiviste de l'apprentissage (matrices 1-B et 2) [Duplessis, 2016]. Au-delà de ces intentions de principe affichées dans la presse professionnelle, il nous a paru intéressant de tenter un diagnostic des méthodes pédagogiques réellement mobilisées au travers de notre corpus de fiches pédagogiques.

Pour ce faire, nous avons pris pour cadre théorique une étude antérieure portant sur les méthodes pédagogiques utilisées en information-documentation [Duplessis, 2014]. Cette étude décline trois types de méthodes, expositive, interrogative, active et sous-types.

10-Methodes-peda

3.2.1- Répartition des fiches par méthode

Une première mesure, tout niveaux confondus, permet d'établir un classement des méthodes les plus sollicitées par les professeurs documentalistes.

11-Repart-Methodes

Cette répartition, loin d'être équilibrée, montre une nette préférence pour la méthode interrogative dirigée (31%). Dans cette figure, le cours est dirigé au moyen d'un dialogue entretenu avec la classe. Il est souvent appuyé par une fiche élève organisée en une succession de petits exercices ou bien il part d'un questionnaire initial qui va ensuite être exploité pendant le cours. La centration se fait donc sur le cours, lequel est assimilé à un message que l'on cherche à « faire passer ».

Au deuxième rang se trouve la méthode expositive à visée procédurale (22%). Littéralement, est exposée une procédure au moyen d'explications. Cela peut concerner la recherche d'information pas à pas, les procédures pour démarrer une veille, le paramétrage guidé d'un profil ou les étapes à suivre pour évaluer un site. Dans certains cas, l'exposition de la méthode peut avoir eu lieu auparavant et l'on attend de l'élève qu'il l'applique. Le schéma Explication / application renvoie bien au modèle transmissif.

Au troisième rang figure la méthode expositive à visée déclarative (21%). Ici, c'est un savoir scolaire qui est exposé, sous sa forme déclarative. L'exposition se fait en début de séance, mais les formes peuvent varier. Si, traditionnellement, le discours de l'enseignant prédomine, on le voit aujourd'hui remplacé par une médiation technique, allant d'un support diaporama classique à une présentation plus dynamique, jusqu'à la diffusion d'une petite vidéo (outil Powtoon). Le schéma Exposition / application reste le même.

En quatrième position seulement se place une méthode active basée sur l'observation (19%). Ici, les contenus ne sont plus donnés ni organisés a priori, mais doivent être déduits du travail intellectuel de l'élève au moyen d'une tâche qui lui est proposée. Suite à l'activité, une mise en commun dégage progressivement la notion visée, laquelle doit encore être structurée individuellement. La centration se fait sur la tâche et la construction des connaissances.

En cinquième position, loin derrière, se tient une autre méthode active, basée cette fois-ci sur l'investigation (7%). Plus rare, parce qu'elle demande un temps long et une bonne expertise pédagogique, elle déplace elle aussi l'émergence des contenus après l'activité des élèves. La tâche est fondée sur un travail d'investigation, un problème qui doit être résolu par l'expérimentation. Par exemple, prouver qu'un site n'est pas fiable ou expliquer pourquoi certaines photos proposées ne peuvent pas être publiées. L'activité procède par émission d'hypothèses, par tâtonnement et par essais/erreurs. Le cours est ici présenté comme un laboratoire.

En dernière position se trouve la méthode interrogative à visée contradictoire (1,3%). C'est une variante du cours dialogué, qui demande une grande expertise du sujet et des interactions. Elle se base sur les représentations des élèves qu'il va s'agir de récuser en premier lieu au moyen d'une technique de réfutation. Cette méthode a été parfaitement illustrée par le cours de Frédéric Rabat en 2008 à propos du moteur de recherche Google [Rabat, 2008]. La centration se fait sur les conceptions des élèves mais avec une forte guidance de l'enseignant.

3.2.2- Répartition des fiches par modèle d'apprentissage

Rassembler ces différents résultats autour des deux modèles disponibles d'apprentissage permet de répondre à la question de savoir quel est le modèle privilégié en information-documentation. Nous avons alors regroupé les méthodes expositives et dialoguées dans la catégorie du modèle transmissif et les deux méthodes actives dans celle du modèle actif.

12-Repart-Modeles

Le résultat montre que les trois quarts des fiches étudiées mobilisent une méthode pédagogique inspirée du modèle transmissif et un quart seulement une méthode active. Cela contredit ainsi l'intention de principe selon lequel l'information-documentation, tournant le dos aux disciplines instituées, privilégierait systématiquement les méthodes actives. Une explication liée à notre étude vient expliquer en partie ce constat : n'ayant retenu que les fiches relatives à des séances orientées vers la construction de notions, toutes celles manifestant l'activité des élèves au travers de simples recherches d'information ont été éliminées, dans la mesure où celles-ci ne s'attachaient pas à la dimension déclarative de l'objet. Une enquête internationale récente sur l'enseignement et l'apprentissage montre que 83% des enseignants disciplinaires s'accordent à préférer les méthodes où les élèves sont conduits à résoudre des problèmes par eux-même, ils avouent que, dans les faits, ils ont « plus souvent recours à des pratiques pédagogiques passives ». En cela, les professeurs documentalistes ne seraient donc pas si différents de leurs collègues. Ajoutons à cela que leurs conditions d'intervention, la plupart du temps dépendantes des disciplines, leur laissent peu de temps pour mobiliser des méthodes plus exigeantes en temps, et rappelons également que la formation initiale est en partie guidée par une épreuve orale du CAPES qui n'exige aucune compétence de ce type de la part des candidats.

3.3- Répartition des fiches par modèle et par niveau

Conservant cette polarisation entre modèle transmissif et modèle actif, il est intéressant de voir comment elle affecte chacun des niveaux du cursus.

13-Repart-Mod-Niv

Il apparaît ainsi que les méthodes actives sont davantage mobilisées au milieu du cursus, de la 4° à la 2nde. Le modèle transmissif est quant à lui plus utilisé au début du collège et, au lycée, pour le niveau 1ère.

4- Quelques prolongements à l'étude des savoirs enseignés

Reprenant les résultats obtenus à propos du curriculum réalisé, nous souhaitons indiquer deux prolongements possibles à ce chantier didactique.

4.1- Des notions à facettes

A partir des dix thèmes organisateurs, nous avons pu établir pour chacun un champ notionnel regroupant et articulant entre elles les différentes notions qui le composent. Nous remarquons dès lors que certaines notions sont communes à différents champs. C'est le cas, par exemple, pour les notions « Document » et « Média », présentes dans cinq thèmes.

14-Facette-Doct Les facettes de la notion Document

15-Facette-Media Les facettes de la notion Média

Nous formulons l'hypothèse que chaque thème organisateur offre un contexte particulier dans lequel chaque notion se présente de manière originale. Elle présenterait dès lors un angle ou une caractéristique d'elle-même propre à la situation singulière pour laquelle elle se trouve mobilisée et que nous appelons facette. Ainsi, s'exprimant dans des champs différents, une notion ne montrerait pas la même facette d'elle-même, ne présentant que la ou les caractéristiques utiles à la résolution d'un problème donné appartenant à la famille de problèmes relative à ce thème.

Il en découle que, pour construire complètement une notion, il faudrait pouvoir l'aborder dans différents champs et contextes afin de pouvoir explorer la totalité de ses facettes. De même, il serait intéressant de s'appuyer sur l'existence de ces facettes pour faire entrer les élèves dans la construction de la notion. Cette entrée ne correspondrait dès lors plus seulement à un approfondissement progressif mais procéderait plutôt par une révélation successive de ses différents pas, selon les contextes rencontrés. Et si, pour caractériser une notion, nous avions l'habitude de dégager ses niveaux de formulation [FADBEN, 2007], il nous faudra à présent considérer autant de niveaux de formulation que de facettes composant la notion.

4.2- Le champ d'application des notions

Une autre retombée de cette étude est de disposer, pour chacun des dix thèmes organisateurs et pour chacune des notions mobilisées, des contextes didactiques définis par les 400 fiches pédagogiques du corpus. Cet ensemble sélectionné d'outils didactiques peut se révéler d'une grande richesse pour une exploitation plus ambitieuse que celle proposée dans le cadre de cette étude. Il permettrait par exemple de délimiter le champ d'application de chacune des notions de la discipline information-documentation.

16-Champ-Application

Il conviendrait pour cela d'analyser le dispositif didactique mis en œuvre pour la construction d'une notion et tel qu'il apparaît dans la situation didactique décrite dans la fiche pédagogique. Seraient notamment analysés la situation de référence, les exemples produits, les matériaux donnés à traiter ; la tâche confiée aux élèves, la production à réaliser et la situation permettant le cas échéant l'évaluation des apprentissages. Le but étant de décrire les situations didactiques imaginées par les professeurs documentalistes pour conduire leurs élèves vers la construction de ou des notions visées.

Le regroupement de ces situations particulières, propre à chaque séance, pourrait donner lieu à la constitution de familles de situations considérées comme l'ensemble des situations qui donnent sens à la notion [Vergnaud, 1990].

Conclusion

L'intérêt de cette étude, du moins le voudrions-nous, est d'apporter une certaine clarification des objets d'enseignement de l'information-documentation et de mettre en évidence un curriculum réalisé à partir des pratiques professionnelles des professeurs documentalistes. Pour ces derniers, il est envisageable qu'il soit un miroir tourné vers leur propre expertise et que, sous l'effet structurant que nous lui avons fait subir, il leur donne à mieux percevoir ce qu'ils ont construit et ce qui les réunit, confortant ainsi leur identité enseignante. Ceci est d'autant plus important que les notions info-documentaires, encore totalement inconnues à la fin des années 90, apparaissent aujourd'hui en première place de nombreuses fiches pédagogiques, attestant de leur perception et de leur reconnaissance pour l'édification d'une discipline des savoirs. Cette contribution voudrait ainsi pouvoir donner corps à la matière Information-documentation et tracer une perspective constructive au développement de sa matrice. Au regard de l'EMI notamment, cette matrice peut être d'un grand recours pour situer l'information-documentation. Ce peut être également un message à relayer auprès des interlocuteurs de la profession afin qu'ils sachent (enfin) ce qu'enseignent les professeurs documentalistes et ainsi mieux comprendre leurs demandes et les faciliter.

Cette image matricielle de l'information-documentation ne doit cependant pas être considérée comme une fin en soi mais en tant que processus évolutif. Il convient d'avoir à l'esprit que l'état des lieux réalisé ici résulte non pas d'une œuvre didactique en soi, qui serait autonome de par les moyens mis en œuvre et les directions prises, mais bien de contraintes importantes qui sont imposées aux professeurs documentalistes. Ces contraintes sont le produit à la fois de conditions d'exercices particulièrement difficiles liées à l'accès aux classes et de cadres pour le moins flous servant à définir les contenus à enseigner, tantôt provenant des programmes des autres disciplines, tantôt émanant de politiques éducatives ne précisant pas le rôle de ces professionnels. Il est à ce propos remarquable que cette profession, en l'absence de directives institutionnelles claires et entravée à ce point dans son action, tant au niveau hiérarchique que local, ait pu édifier une œuvre de cette nature, conforme en cela au cadre de mission esquissé par le CAPES de sciences et techniques documentaires. Sans doute faut-il également chercher les raisons de ce succès dans l'étayage épistémologique des références, ces savoirs scientifiques et ces pratiques sociales, qui assure de près ou de loin, de manière plus ou moins consciente, cette élévation d'une matière spécifique scolarisable.

Les contours du curriculum réalisé de l'information-documentation étant à présent plus visibles, la question d'un curriculum formel, c'est-à-dire d'un texte du savoir spécifique, reste à élucider. Nous avons bien conscience qu'elle réclame le concours d'une noosphère, cette « sphère dans laquelle s'exercent les interactions entre les différents acteurs du système éducatif, et dont le jeu détermine la modification des savoirs à enseigner » [Vergnaud, 1992] pilotée par l'instance institutionnelle. Dans cette attente, les travaux didactiques doivent pour le moins se développer et se renforcer. Cette étude, en mettant en évidence les thèmes organisateurs d'une matrice, pose en creux la question de la référence de chacun des contenus d'enseignement qu'ils mobilisent. C'est là une direction de recherche qu'il faudra prendre, tout en gardant à l'esprit que l'information-documentation peut être à la fois une discipline du « faire » mais aussi du « savoir ».


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