La didactique de l’information-documentation : Émergence et perspectives d’une matière disciplinaire

NDLR : Ce texte est issu d'une proposition de contribution au Livre bleu des professeurs documentalistes (édition 2011) émanant du CRDP du Centre. En retour, le comité de lecture a demandé la suppression de nombreux passages touchant au positionnement de l'institution, jugés trop polémiques. Plutôt qu'amputer le texte et ainsi déconnecter la question du curriculum de la responsabilité de l'institution, j'ai alors préféré décliner l'offre de publication. Le texte publié ici est conforme à la proposition adressée en novembre 2010.

Sommaire :

  • Introduction
  1. Qu’est-ce que la didactique ?
    • Essai de définition
    • Ses caractéristiques
    • Ses objets d’étude
  2. Pourquoi une didactique de l’information-documentation ?
    • Répondre à des enjeux éducatifs essentiels
    • Construire et transmettre les savoirs scolaires de l’information-documentation
    • Proposer un changement de matrice disciplinaire
  3. Comment se constitue la didactique de l’information-documentation ?
    • Quelques repères historiques
    • La fabrique des savoirs enseignables
    • Les chantiers de la didactique de l’information-documentation
    • Les défis à surmonter
  4. Vers un curriculum info-documentaire ?
    • Ce qu’est un curriculum et ce qu’il n’est pas
    • Les raisons d’un curriculum
    • Les préconisations du GRCDI
  • Conclusion

Introduction

La didactique de l’information-documentation est née d’une controverse : l’information-documentation doit-elle être considérée comme une matière d’enseignement ou non ? Cette question, ainsi que les enjeux éducatifs et les conséquences structurelles qu’elle sous-tend, ne saurait être réduite à l’opposition des acteurs en présence que sont les professionnels, les chercheurs et les institutionnels. Si ces derniers, bien qu’ayant changé d’appréciation dans le temps, affichent aujourd’hui une position unique, il n’en est pas de même pour les deux premiers qui prolongent le débat dans leurs propres rangs. Ce débat se structure à partir de polarités telles que pédagogie/gestion, spécificité/transversalité, enseignement/méthodologie, ou encore savoirs/capacités. Ces tensions se sont avérées fécondes puisqu’elles ont suscité, chez les professionnels, le besoin de produire une argumentation qui a débouché, nous le mesurons aujourd’hui, sur la construction d’une nouvelle didactique.

Un très rapide retour en arrière permet de saisir le contexte de cette émergence. Dans les années 70 et 80, la profession et l’institution s’entendent pour définir ensemble le mandat pédagogique de l’enseignant documentaliste. La décennie suivante, aux lendemains de l’instauration du CAPES de sciences et techniques documentaires1, l’institution prend à son compte l’idée que les compétences info-documentaires sont de type procédural et de nature transversale, décevant ainsi toute une partie de la profession qui pensait pouvoir prendre appui sur la création du CAPES pour affirmer son identité enseignante et, pourquoi pas, aller vers la constitution progressive d’une discipline. Pour l’institution donc, les compétences info-documentaires étant de nature transversale, elles ne sauraient constituer la matière d’une discipline particulière. L’origine de l’idée d’une prise en charge de la formation méthodologique par les autres disciplines se situe ici, dans une prise de position de nature épistémologique. Dès lors, pour les tenants de l’identité enseignante, il restait à trouver une parade : prouver qu’il existait bien des savoirs info-documentaires de type conceptuel et, par conséquent, spécifiques, légitimant l’existence d’un enseignement à part entière. L’arrivée d’internet et le déploiement rapide et global d’une société de l’information numérique hâtera les choses en apportant la preuve que ces nouveaux savoirs valent la peine d’être enseignés. Les années 2000 voient une sorte de radicalisation des positions, entre l’importation du concept de politique documentaire centré sur les ressources d’un côté, et les premiers travaux en didactique de l’information, centrés sur l’élucidation et la didactisation des savoirs, de l’autre. La didactique est ainsi saisie comme outil de rationalisation des contenus d’enseignement info-documentaires. C’est alors qu’apparaît un troisième acteur, l’université. Les sciences de l’information et de la communication (SIC) notamment, apportent justement un objet à didactiser, la culture de l’information.

Le travail de cette didactique consiste par conséquent à faire émerger une matière d’enseignement et à la faire passer du statut d’implicite et transversal à celui d’institué et spécifique. C’est bien à une véritable conversion épistémologique que cette science naissante nous convie.

Les quelques éléments rapportés dans ce chapitre sont en grande partie extraits des travaux des chercheurs et des professionnels membres du Groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information (GRCDI)2. Ils ont pour but de faire mieux connaître aux professeurs documentalistes et à tous les acteurs impliqués ce qu’est la didactique de l’information, au travers de sa courte histoire, de ses enjeux, de ses objets d’étude, de sa méthodologie et de ses perspectives. Il s’agira de montrer comment elle peut répondre aux exigences actuelles d’enseignement des savoirs nécessaires à une acculturation informationnelle.

1. Qu’est-ce que la didactique ?

1.1. Essai de définition

Nouvelle discipline instituée, la didactique est enseignée à l’université depuis le milieu des années 70. Mais c’est aux disciplines scientifiques, et notamment les mathématiques, que l’on doit son essor, dans les années 80, à partir de concepts centraux, tels le contrat didactique et la transposition didactique. Issue en premier lieu des disciplines, n’ayant sens qu’à travers elles, la didactique se rattache pourtant aux Sciences de l’éducation comme le suggère son étymologie : didactique est un emprunt tardif (1554) au grec didakticos « propre à instruire, relatif à l’enseignement », adjectif verbal de didaskein « enseigner, faire savoir ». Dans sa forme usuelle, ce sens est toujours d’actualité. Pour Michel Develay, la didactique est une science de la connaissance, au statut de discipline-outil puisqu’elle offre aux Sciences de l’éducation une problématique axée sur le rapport au savoir3. Elle s’intéresse en effet aux processus d’élaboration (épistémologie), de transmission (ingénierie pédagogique) et d’appropriation (psychologie cognitive) des savoirs à enseigner. Elle est constituée par « l’ensemble des procédés, méthodes et techniques qui ont pour but l’enseignement de connaissances déterminées »4. Lorsqu’elle n’est pas prise au sens d’activité d’enseignement, la didactique se présente encore comme une démarche particulière d’analyse portant sur l’enseignement. Ses outils conceptuels permettent alors de mieux appréhender ce qui se joue à l’intérieur d’une situation d’enseignement-apprentissage entre l’élève, l’enseignant et le savoir scolaire.

Empruntant à des disciplines extérieures à son champ, la didactique est qualifiée de multiréférentielle. Alain Pagès donne à la didactique la figure d’ « un carrefour intellectuel où aboutissent des savoirs variés »5. Ces savoirs, précise-t-il, peuvent être généralistes, s’agissant des Sciences de l’éducation et des Sciences cognitives, et encore disciplinaires, en l’occurrence pour le Français, les Sciences de la langue et les Sciences du texte. L’idée d’un ancrage exclusif à la discipline, au motif que tout concept œuvrant à l’intérieur d’un domaine particulier ne peut être opératoire qu’à l’intérieur de ce domaine, se heurte à la question de l’émergence possible d’une didactique générale. Cependant, la migration des concepts issus des didactiques disciplinaires est bien réelle, accréditant l’idée de pouvoir définir un cadre conceptuel commun à différentes disciplines.

1.2. Ses caractéristiques

S’affirmant en tant que science, la didactique se fixe deux buts principaux : d’une part, clarifier et rationaliser ce qui se produit à l’intérieur des situations d’enseignement-apprentissage, d’autre part, optimiser les variables repérées et surmonter les difficultés d’apprentissage. Dans cette entreprise, la didactique se caractérise par une ambition pragmatique, par la revendication de rationalisation et d’autonomie scientifique et, enfin, par une inclination vers le sujet apprenant6.

L’ambition de la didactique est toute pragmatique, en ce sens qu’elle vise des résultats sensibles permettant de rendre l’enseignement plus efficace. La question de l’utilité de son apport est alors posée :

  • que faut-il enseigner aux élèves ?
  • comment définir les méthodes les mieux adaptées à la transmission des connaissances ?
  • quels outils pédagogiques construire à l’intention des enseignants ?

La didactique se définit ainsi comme une science appliquée, ou directement applicable, une « science-action », susceptible de transformer les pratiques scolaires7. Cette démarche mixte, à la fois théorique et pratique, se nourrit par conséquent de recherches et d’expérimentations ancrées dans le terrain.

Les didactiques des disciplines revendiquent un statut de science autonome, au regard notamment des Sciences de l’éducation, en campant sur un positionnement avant tout disciplinaire. Elles se caractérisent en effet par l’intérêt qu’elles portent à la question des contenus spécifiques, en particulier l’origine de ces contenus, leur référence, leur construction et leur structure. Yves Chevallard fait ainsi du « retour au savoir » le sceau de « l’entreprise didacticienne dans son ensemble »8. Ce « retour au savoir » se réclame rationnel, car soumis à des critères d’ordre scientifique. Les didactiques entendent ainsi se démarquer de la pédagogie, laquelle est alors considérée, de manière plutôt péjorative, comme un « art » ou comme le produit d’une vision de l’homme. Pour autant, il ne doit pas s’agir d’une science dure et prédictive : elle reste « ouverte, offrant des concepts que chacun peut s’approprier »9.

Il reste enfin à corriger l’image donnée jusqu’à présent d’un projet didactique seulement orienté vers les savoirs. En fait, ce ne sont pas tant les contenus qui forment l’objet d’étude des didactiques que les interactions à l’œuvre dans le système didactique, lequel, nous le verrons, articule le savoir à deux autres actants que sont l’enseignant et l’élève. La centration est donc également opérée sur le sujet apprenant. Cette dimension psychologique a été mise en évidence et promue par la thèse de Hans Aebli (Didactique psychologique, 1951). Elle s’est appuyée sur la psychologie génétique piagétienne pour rechercher, dans les processus d’apprentissage des élèves, des structures de pensée invariantes. En symétrique de l’intérêt porté au savoir, le didacticien va ici s’intéresser à la réception de ce savoir par l’élève et, notamment, aux représentations que celui-ci se fait du savoir et qui peuvent se révéler autant d’obstacles à son appropriation. En miroir, le statut épistémique du savoir est modifié, et c’est plutôt du savoir scolaire dont il est en définitive question. Les didacticiens postulent en effet que l’origine des difficultés rencontrées par les élèves, hormis les facteurs socio-psychologiques mis en évidence ailleurs, est à trouver dans la définition, l’organisation et la présentation des savoirs scolaires aux élèves. L’analyse didactique du rapport de l’apprenant au savoir permet ainsi, en retour, de questionner le savoir scolaire, et de participer à son élaboration.

1.3. Ses objets d’étude

Nous venons de délimiter au moins deux champs de la réflexion didactique : la question des contenus enseignables et la question psychologique de leur appropriation par les élèves. Il est temps d’inscrire à présent ces perspectives dans un système qui les articule et leur donne sens. Il ne s’agit ni plus ni moins que de définir l’objet d’étude des didactiques des disciplines, à savoir le système didactique.

Il faut alors faire référence à Yves Chevallard et à son ouvrage La transposition didactique (1985). Pour ce didacticien des mathématiques, la didactique s’intéresse au jeu qui se déroule entre un enseignant, des élèves et un savoir (scolaire). Le savoir, « si curieusement oublié », semble avoir été introduit en tant qu’actant en réaction contre le modèle linéaire de la pédagogie qui privilégie, selon Chevallard, la seule relation binaire enseignant/enseigné. Les trois actants du système didactique ainsi constitué entretiennent évidemment des relations de type systémique entre eux. Ce sont ces relations qui font l’objet même des recherches en didactique. Cette relation ternaire est généralement représentée sous la forme du fameux triangle didactique, qu’il faut distinguer, dans sa lecture comme dans ses buts, du triangle pédagogique10.

Les trois axes ainsi produits vont situer les différents travaux, pistes et entrées possibles à la réflexion dont le système didactique est l’objet :

Triangle_didactique

La dimension épistémologique (axe Savoir – Professeur) privilégie l’élaboration didactique des contenus d’enseignement sous l’angle de la transposition didactique, de l’élucidation des principaux concepts du domaine, de l’étude de leurs relations, de leur structuration et de leur hiérarchisation à l’intérieur de ce domaine. La question de la référence et de l’origine des savoirs y est également posée, qu’ils soient savants, experts, sociaux ou non formels. L’histoire de leur institutionnalisation est également au menu : on étudiera la manière dont ils ont été transposés, comment et pourquoi ils sont apparus. Seront encore distinguées la transposition externe, définie par la réception que fait l’enseignant des programmes produits en amont, de la transposition interne que doit effectuer cet enseignant lorsqu’il recontextualise ces savoirs à enseigner en fonction du niveau de ses classes et de ses choix méthodologiques.

La dimension psychologique (axe Elève – Savoir) s’intéresse aux processus de l’appropriation didactique. Ce registre puise aux sources de la psychologie génétique et du constructivisme, partant de l’idée que l’élève construit ses connaissances. Cet axe se donne pour perspective l’exploration des conditions de l’apprentissage, et notamment la construction des concepts par l’apprenant, le statut de l’erreur, les stratégies particulières d’apprentissage, les processus mentaux, les représentations que se font les élèves des savoirs scolaires et des obstacles aux apprentissages.

La dimension praxéologique (axe Professeur – Elève) sert de cadre à l’étude des conditions de l’intervention didactique. L’épithète praxéologique fait référence à la nature des tâches complexes et variées qui sont dévolues à l’enseignant lorsqu’il œuvre à l’intérieur de la situation didactique. Ces tâches articulent théories et techniques et sont orientées vers l’action et la recherche d’efficacité. L’étude porte alors sur l’organisation des situations d’enseignement-apprentissage, la construction de cycles et de séquences pédagogiques, la définition des objectifs, l’organisation de l’évaluation et la mise en œuvre de stratégies adaptées à la classe.

Ces trois axes dessinent également les perspectives d’une didactique nouvelle, celle de l’information-documentation.

2. Pourquoi une didactique de l’information-documentation ?

2.1. Répondre à des enjeux éducatifs essentiels

La montée en puissance d’une société de services dans un monde dominé par l’industrialisation des médias, de l’information et de la communication, l’inscription grandissante de toute activité sociale, professionnelle et personnelle dans les réseaux sociaux, les usages incontournables et massifs des outils info-documentaires numériques dans toutes les sphères d’activité, la re-documentarisation effrénée du monde, et de l’homme lui-même au travers des processus de traçabilité de ses conduites : tout appelle aujourd’hui à prendre au sérieux une éducation raisonnée à l’information, une éducation visant la construction d’une culture informationnelle. Les enjeux éducatifs liés à l’information impactent, on le sait, des enjeux laïques et politiques, des enjeux d’intégration sociale et professionnelle, des enjeux scientifiques, économiques et humanistes.

Du côté des phénomènes informationnels contemporains, les stratégies de communication sous influence, l’info-pollution, la course sans fin vers l’innovation et l’idéologie techniciste qui lui est associée, obligent à prendre conscience de l’opacité des médias – au sens large du terme – et de la nécessité de doter les élèves d’outils conceptuels leur permettant de prendre du recul et de comprendre les mécanismes en jeu.

Du côté des élèves et de leurs usages banalisés, spontanés et non formels, on remarque que ces apprentissages aléatoires et non structurés se limitent à des routines instrumentales et à l’installation de représentations, pour la plupart erronées, susceptibles de faire tôt ou tard obstacle à des connaissances raisonnées et opératoires. Aussi attend-on du système éducatif qu’il apporte à chacun, dans un souci d’égalité des chances, les outils intellectuels nécessaires à la construction de savoirs de l’information et des médias. Mais la prise en charge scolaire se borne aujourd’hui, pour une part, à des perspectives procédurales et instrumentales acquises dans une logique de résultats (B2i) et, pour une autre part, à la vision adaptationniste de l’approche par les compétences (Socle commun, 2006) où le goût pour l’utilitarisme et la compétence l’emporte sur la visée éducative et la connaissance.

Afin d’éviter, sacrifiant au seul besoin d’efficacité dont a besoin le marché, que les jeunes ne succombent aux sirènes médiatiques et aux discours technicistes et économiques impactés dans les outils socio-techniques tels que Google, Twitter, Wikipedia ou Facebook, une acculturation informationnelle est aujourd’hui nécessaire. Elle requiert bien évidemment des contenus structurés et adaptés, mais encore des médiateurs reconnus et un enseignement institué.

2.2. Construire et transmettre les savoirs scolaires de l’information-documentation

L’acculturation informationnelle des élèves semble devoir se faire en bonne part au travers de la construction d’une intelligibilité des phénomènes informationnels liés à l’élaboration, à la communication et aux usages de l’information et des médias, notamment des médias sociaux. Ces phénomènes, ces mécanismes principalement à l’œuvre aujourd’hui dans la sphère de l’Internet, deviennent par conséquent des objets d’étude de prédilection des SIC, ou des supports professionnels pour les différents métiers de l’information. Certains d’entre eux, ou du moins un regard particulier sur ces objets et ces supports, doivent faire l’objet d’une transposition didactique afin d’être scolarisés sous la forme de savoirs enseignables. C’est bien la raison d’être et l’une des intentions essentielles de la didactique de l’information-documentation que de construire la dimension conceptuelle de cette acculturation. Comme nous l’avons évoqué plus haut, cette élaboration didactique se fait en résonance avec l’attention portée aux possibilités d’appropriation de cette matière par les élèves selon les différents niveaux, ainsi qu’aux conditions pédagogiques de cet apprentissage. Ainsi les pratiques pédagogiques des enseignants documentalistes sont-elles étudiées et sollicitées pour éprouver les propositions didactiques sur le terrain.

Le chantier didactique vient ici renforcer l’identité enseignante des professeurs documentalistes et des formateurs du supérieur en proposant une structuration des séquences d’enseignement-apprentissage.

La réflexion didactique imprime par conséquent sur la pédagogie documentaire un nouveau regard, de nouveaux objets scolaires et, très certainement, de nouvelles pratiques pédagogiques. Comment appréhender ce qui ressemble à l’émergence d’un nouveau paradigme pédagogique dans le paysage de l’éducation à l’information ?

2.3. Proposer un changement de matrice disciplinaire

La perspective pédagogique des responsables des CDI s’est ouverte en 1966, lorsque les SDI ont commencé à accueillir les élèves. Il a fallu dès lors non seulement offrir à ces derniers une documentation accessible, mais encore commencer à élaborer des stratégies d’intervention directe dans les classes. Le rapport Tallon de 1974, accompagnant l’ouverture des CDI et préparant la première circulaire de missions de 1977, insistait déjà sur la nature « essentiellement pédagogique » des missions de celui qui deviendra, par l’instauration d’un CAPES en 1989, le professeur documentaliste. De 1974 à aujourd’hui, ce personnel s’est vu confier la tâche de former les élèves du secondaire à la maîtrise de l’information, tâche difficile et ingrate lorsque l’on sait qu’il ne dispose encore d’aucun moyen horaire ni de contenu programmatique.

Le terme générique de maîtrise de l’information recouvre en fait différentes visées et manières de faire pédagogiques apparues au cours de ces quatre dernières décennies. Chacune de ces visées est le résultat de la prise en compte de l'héritage d'un modèle éducatif dans le champ de la formation info-documentaire : béhavioriste, psychologique et, dernièrement, didactique. La conséquence en fut à chaque fois l’apparition d’un nouveau paradigme pédagogique, modifiant les perceptions sur l’acte d’enseigner et l’acte d’apprendre, mais encore et surtout renouvelant les objets scolaires eux-mêmes. Trois matrices disciplinaires, véritables principes d’intelligibilité d’un enseignement qui ne dit pas son nom, structurent de fait l’histoire de ce que l’on appelle la pédagogie documentaire.

Matrices_disciplinaires

La méthodologie ou le discours de la méthode : la première matrice de la pédagogie documentaire, si l’on excepte les conceptions illustratives et autodidactes qui ont précédé l’entrée en scène des enseignants documentalistes, est portée par le courant béhavioriste, ou comportementaliste, et par la pédagogie par les objectifs (PPO). Cette approche considère la recherche documentaire comme un processus de production décomposable en un certain nombre d’étapes successives (repérage des documents, sélection de l’information, etc.) La circulaire de missions de 1986 institutionnalise cette démarche linéaire en proposant une méthodologie structurée en sept étapes. Ce « discours de la méthode » se centre sur des procédures dont il fait son objet d’étude, suivant en cela les productions de référentiels documentaires issus du monde des bibliothèques anglo-saxonnes engagées dans le développement de l’ information literacy.

La transversalité ou le discours de la compétence : la deuxième conception est axée sur l’idée que les compétences info-documentaires sont avant tout des compétences transversales. Elle suit également l’évolution de l’information literacy, laquelle inverse la polarité entre la tâche et le sujet cognitif, allant de la tâche à accomplir vers le sujet accomplissant cette tâche. L’arrivée de la psychologie cognitive dans le champ de l’info-documentation eut pour effet de ramener l’attention non plus sur l’observable des comportements attendus par les élèves, mais sur les processus mentaux de traitement de l’information responsables de ces comportements (besoin d’information, régulation de la tâche, etc.). Dès la fin des années 80, on parle de méthodologie intellectuelle et on dresse de nouveaux référentiels pointant les capacités documentaires à construire. La centration se fait alors sur ces capacités, assimilées aux compétences dites transversales au motif que « chercher de l’information, c’est d’abord chercher », quel que soit le domaine considéré. Ainsi déconnectée d’une référence à un champ d’expertise spécifique, en l’occurrence l’information-documentation, la maîtrise de l’information se voit progressivement dévolue à toutes les disciplines instituées.

L’acculturation informationnelle ou le discours du savoir : la troisième matrice, et la dernière à ce jour, à renouveler la pédagogie documentaire est porté par le « discours de l’acculturation à l’information ». Le but avoué ne se limite pas ici à disposer d’un savoir-faire à visée pragmatique - savoir trouver l’information dont j’ai besoin pour résoudre mon problème - proche de la débrouillardise, mais plutôt à construire chez les élèves une véritable culture informationnelle, fondée sur la connaissance et l’intelligibilité des phénomènes informationnels propres à la société des industries médiatiques. La perspective est ici orientée par la didactique, et les objets d’étude sont conceptuels : le média, l’information, le document.

Trois remarques doivent être posées pour mesurer l’impact de ces trois matrices sur l’état et les enjeux de la pédagogie documentaire.

  1. La simultanéité : ll faut ainsi remarquer en premier lieu que ces différentes matrices ne s’excluent pas mais qu’elles se sont au contraire superposées au fur et à mesure de leur apparition sans que le débat sur leur validité soit véritablement tranché. Aujourd’hui, dans le secondaire, ces trois approches sont donc à l’ordre du jour, ainsi que leurs différents objets d’étude : les étapes de la recherche documentaire, les compétences transversales et les notions info-documentaires.

  2. Les discours : les différents promoteurs de ces trois matrices méritent d’être identifiés tant ils renvoient à des sphères distinctes mais complémentaires. Ainsi le discours de la méthode est-il principalement tenu par une majorité d’enseignants documentalistes dont les pratiques ont somme toute assez peu changé depuis le début des années 80. Le discours de la compétence et de la transversalité est, quant à lui, très largement promu par l’institution, laquelle cherche un appui scientifique du côté de la psychologie cognitive. Le discours de la culture informationnelle, enfin, est nourri par les didacticiens de l’information-documentation, lesquels puisent sans cesse aux didactiques des autres disciplines, aux Sciences de l’éducation et aux SIC.

  3. Les postures : les conséquences de ces différentes orientations pour l’implication du professeur documentaliste doivent être rappelées. Le choix de la méthodologie place celui-ci dans une posture d’auxiliaire des enseignants disciplinaires, au travers d’une partition des apports didactiques entre technique pour les premiers et contenus pour les seconds. S’agissant de la deuxième matrice, le choix de la transversalité imposé par l’institution aboutit, on le mesure aujourd’hui, à la déresponsabilisation pédagogique du professeur documentaliste et au transfert des formations vers les disciplines. Le choix didactique de l’acculturation informationnelle des élèves, enfin, se situe à l’opposé du précédent. Il appuie fortement en faveur de la professionnalisation enseignante du professeur documentaliste, cherchant à construire un curriculum info-documentaire et visant à terme la disciplinarisation.

La didactique de l’information-documentation se présente ainsi comme une science émergente, confirmant peu à peu une spécificité disciplinaire, et un vecteur scientifique essentiel au processus de professionnalisation du professeur documentaliste.

3. Comment se constitue la didactique de l’information-documentation ?

3.1. Quelques repères historiques

Si l’expression « didactique de l’information-documentation » est aujourd’hui reconnue, il n’en reste pas moins qu’elle n’a pas encore d’assises scientifiques suffisamment établies. Aucun laboratoire universitaire ne s’identifie aujourd’hui de manière lisible à ce champ de recherche, bien que des équipes et des recherches-actions se constituent autour de problématiques comme la didactisation, le curriculum ou l’étude des pratiques pédagogiques. La didactique de l’information-documentation n’en serait par conséquent que dans sa phase d’émergence. Il faut cependant noter que, depuis les assises nationales pour l’Éducation à l’information (2003), une montée en puissance des recherches se manifeste dans l’université, rejoignant ainsi les préoccupations des associations professionnelles d’enseignants documentalistes. Ainsi, des projets d’envergure comme l’ERTé Culture informationnelle et curriculum documentaire en 2006 ou LIMIN’R (« Littératies : Médias, Information et Numérique ») en 2010, réunissent des équipes de chercheurs et de professionnels autour de la constitution d’objets d’étude et d’enseignement. A ces configurations temporaires, il faut ajouter le Groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information (GRCDI), né en 2007, qui est une structure pérenne adossée à l’URFIST de Rennes. Un indicateur de l’impact de ce nouveau champ de recherche est apparu en 2010 avec la mastérisation préparant au métier de professeur documentaliste : l’entrée dans la composition des maquettes de Master « Métiers de l’enseignement et de la formation » de modules « didactique de l’information »11.

Les repères chronologiques suivants, mêlant manifestations et publications, peuvent donner une idée de l’émergence de la didactique de l’information-documentation.

  • 1993 : 3ème congrès de la FADBEN. Deux communications, l’une de Françoise Chapron, l’autre de Daniel Warzager, apportent les bases et les perspectives de la didactique de l’information, au travers de la présentation de quelques concepts didactiques et d’une bibliographie de référence où sont convoquées les figures de la didactique des sciences (Develay, Astolfi, de Vecchi…)
  • 1994 : Mémoire de DEA de Muriel Frisch, Vers une didactique de la documentation.
  • 1996 : Un article d’Annette Béguin pose la question d’une "Didactique ou pédagogie documentaire ?"  et de la transversalité. Elle conclue qu’un savoir documentaire doit être formalisé « qui traverse toutes les disciplines mais qui a, lui aussi, sa spécificité. »
  • 1997 : Dans Les ‘apprentissages documentaires‘ et la didactisation des sciences de l’information qui est toujours un article de référence, Jean-Louis Charbonnier défend un enseignement de notions documentaires sur un mode non magistral.
  • 1999 : Françoise Chapron consacre un chapitre de son ouvrage Les CDI des lycées et des collèges, qu’elle intitule « Vers une didactique de l’information-documentation ? » Elle y aborde le statut épistémologique de l’information avant de présenter une liste conséquente de savoirs déclaratifs.
    • Une équipe d’enseignants documentalistes de l’académie de Rouen publie un ouvrage proposant 30 séquences pédagogiques mobilisant des notions info-documentaires selon une progression de la 6ème à la terminale.
  • 2000 : Frédérique Marcillet publie l’ouvrage Recherche documentaire et apprentissage : maîtriser l’information, dans lequel elle définit une matrice disciplinaire qu’elle assoit sur des champs disciplinaires spécifiques.
  • 2001 : Muriel Frisch soutient sa thèse sous la direction de Jean-Pierre Astolfi, Didactique de la documentation. Quel savoir de la documentation au collège ?
  • 2003 : Publication du livre issu de la thèse de M. Frisch : Évolutions de la documentation : naissance d’une discipline scolaire.
    • A Paris se tiennent les Assises nationales Éducation à l'information et à la documentation : Clés pour la réussite, de la maternelle à l'université. Chercheurs et praticiens s’entendent pour appeler à la constitution d’un curriculum et d’un corpus théorique de référence « confortant la légitimité épistémologique des savoirs disciplinaires requis ».
  • 2005 : Le site SavoirsCDI publie le Dictionnaire des concepts info-documentaires : approche didactique à l'usage des enseignants documentalistes, de Pascal Duplessis et Ivana Ballarini-Santonocito.
  • 2006 : Lancement de l’ERTé Culture informationnelle et curriculum documentaire pilotée par Annette Béguin. Enseignants-chercheurs, doctorants et professionnels associés se donnent pour but de rationaliser les apprentissages documentaires à partir de différentes approches.
  • 2007 : La FADBEN consacre un numéro de sa revue Mediadoc aux « Savoirs scolaires en information-documentation » et présente sept notions organisatrices du domaine.
    • Naissance du Groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information (GRCDI), associé à l’ERTé et réunissant professionnels du secondaire, doctorants et enseignants chercheurs sous la houlette d’Alexandre Serres.
  • 2008 : Publication du livre coordonné par Cécile Gardiès, L’éducation à l’information : guide d’accompagnement pour les professeurs documentalistes. L’ouvrage resitue les sciences de l’information-documentation en tant que référence disciplinaire et intègre les données didactiques à la réflexion pédagogique.
  • 2010 : Le GRDI publie son premier rapport pour la période 2007-2010.
    • Naissance du projet Limin-R Littératies : Médias, Information et Numérique, qui réunit une équipe multidisciplinaire pour explorer les convergences entre ces trois territoires.

Ces quelques repères, témoin de l’effervescence des acteurs concernés, masquent difficilement certaines disparités et absences. Ainsi, dans le secondaire, si l’idée d’une nécessaire didactisation des savoirs info-documentaires progresse sur le terrain professionnel au point que le recours aux notions du domaine tend à se banaliser, il n’en est pas de même du terrain institutionnel où les travaux en didactique ne sont toujours pas pris en compte. La question des contenus devient ainsi une pierre d’achoppement sur laquelle l’institution bute et reste sans réponse. Cette attitude d’indifférence questionne les enseignants documentalistes et limite considérablement la part que ces derniers devraient jouer dans le processus de didactisation.

3.2. La fabrique des savoirs enseignables

La didactique est avant tout l’affaire des disciplines, et l’on devrait plus proprement parler des didactiques, plutôt que de la didactique. Cela dit, des convergences conceptuelles sont vite apparues entre les différents champs qui ont fait naître, de manière plutôt consensuelle, une didactique générale constituée d’une quarantaine de concepts susceptibles d’être opératoires dans différentes disciplines. C’est à cette didactique générale qu’est redevable la didactique de l’information-documentation, laquelle a commencé par travailler sa matière conceptuelle à l’aide des outils transversaux aux autres didactiques, tels que les concepts intégrateurs, la transposition didactique, les pratiques sociales de référence ou encore les niveaux de formulation.

Mais si l’affaire des didactiques des disciplines vise de manière générale à fournir des outils d’analyse permettant de décrire et d’améliorer le système didactique, celle d’une didactique émergente se doit d’être, au moins dans un premier temps, plus modeste et circonscrite à des priorités. C’est ainsi que la didactique de l’information-documentation s’est en tout premier lieu intéressée à l’élaboration des savoirs scolaires de son domaine. La tâche qui s’annonçait alors était difficile, puisqu’il fallait commencer par convaincre de l’existence de savoirs théoriques spécifiques de l’information-documentation. A la fin des années 90 encore, et aujourd’hui même dans le discours institutionnel, les seules connaissances en la matière sont de nature procédurale, cognitive et, partant, de type transversal12. Le premier chantier didactique consista donc à faire émerger un corpus de concepts info-documentaires susceptibles d’être enseignés à des élèves du secondaire et à des étudiants du supérieur.

Le concept de transposition didactique, issu des travaux de Chevallard13, a donc été requis pour penser un processus par lequel un savoir social, extérieur à l’école, se trouverait transformé pour produire un savoir scolaire. Ce serait une erreur, à ce stade, de considérer les savoirs scolaires comme de simple déclinaisons, ou pire, dégradations, de savoirs « savants » élaborés à l’université. Bien au contraire, les savoirs scolaires sont des constructions sociales complexes, souvent originales, soumises à des enjeux de pouvoir et destinées in fine à être enseignées, apprises et évaluées.

Se pose alors la question de la référence : à partir de quelles sources, de quels modèles, de quelles fabriques tirer la matière nécessaire à cette élaboration didactique ? Nous distinguons plusieurs références disponibles pour nourrir le mouvement transpositionnel :

  • les savoirs scientifiques, appelés « savoirs savants » : dans le cas de l’information-documentation, ces savoirs proviennent des Sciences de l’information et de la communication, lesquelles sont multidisciplinaires ;
  • les savoirs experts : ils sont issus de différents domaines professionnels qui partagent avec l’information-documentation scolaire des concepts et des pratiques dont cette dernière peut s’inspirer, à la fois pour didactiser des savoirs et pour se référer auprès des élèves dans certaines situations didactiques. Il s’agira en l’occurrence des métiers du livre (bibliothéconomie, bibliographie), de l’information (journalisme) ou de la recherche (Université). C’est ce que Jean-Louis Martinand nomme « pratiques sociales de référence ».
  • les savoirs expérientiels, ou savoirs relatifs à l’expérience : ils sont ici de deux types, selon qu’ils appartiennent ou non à l’ordre scolaire. Dans le premier cas, ils peuvent être tirés de l’analyse des pratiques pédagogiques scolaires en matière documentaire. Pratiques expertes des professeurs documentalistes enseignant l’information-documentation, ou bien formations plus empiriques de professeurs disciplinaires prescripteurs de recherches documentaires, elles constituent la part auto-référentielle du processus transpositionnel. Dans le second cas, hors de l’école, des savoirs expérientiels pourraient être tirés de l’étude des pratiques et des usages ordinaires de l’information par les élèves et les étudiants. Ces pratiques sont dites « informelles », ou « non-formelles » parce que « non prescrites ou régulées par une autorité, non structurées de manière explicite, mais efficaces dans la satisfaction qu’elles procurent au quotidien »14.

Chacun de ces rapports à un type de savoir de référence induit par conséquent une démarche transpositionnelle particulière. Ainsi ont-elles été respectivement qualifiées de générale ou restreinte par Jean-Louis Martinand, et de contre-transpositionnelle par Muriel Frisch. Une autre qualification, fréquemment rencontrée et qui fait débat chez les didacticiens, est l’opposition méthodologique existant entre l’approche descendante ( top-down ) des deux premières références et l’approche ascendante ( bottom-up ) de la dernière.

La construction des savoirs scolaires de l’information-documentation devrait pouvoir bénéficier des dynamiques combinées de ces trois mouvements, sans qu’il soit nécessaire de se limiter à un seul d’entre eux aux dépens des deux autres.

3.3. Les chantiers de la didactique de l’information-documentation 

Plus concrètement, les premiers travaux de didactisation des contenus à enseigner ont été engagés au début des années 2000. L’urgence, rappelons-le, étant de rendre visible la matière conceptuelle afin de combattre l’hégémonie de l’approche procédurale et transversale, il a fallu mettre sur pied un corpus raisonné de notions spécifiquement info-documentaires. Le chantier épistémologique a donc été le premier ouvert. Le deuxième chantier a été consacré à la prise en compte des capacités cognitives des élèves à s’approprier les savoirs en cours d’élaboration pour construire des connaissances. L’approche psychologique a ainsi permis d’entrer pleinement dans le processus de didactisation des savoirs. Le troisième chantier ouvert s’est intéressé à la mise en place, par l’enseignant documentaliste, des situations didactiques propices à ces apprentissages. Le point de vue de celui-ci, en tant qu’ingénieur pédagogique, a été privilégié. Finalement, la question posée par l’entreprise didactique articule ces trois directions complémentaires : quelle(s) situation(s) didactique(s) mettre en œuvre pour faire en sorte que les élèves soient en capacité d’apprendre quoi ?

Le chantier épistémologique et la détermination des concepts

Ce premier travail a consisté à identifier, à définir, puis à structurer le domaine conceptuel de l’information-documentation. Les intuitions que chacun pouvait avoir sur l’existence de notions info-documentaires ont trouvé ici confirmation. Diverses recherches, menées par différentes équipes, ont alors mis à jour un certain nombre de concepts susceptibles de constituer une matière propre à être enseignée. C’est ainsi que le Dictionnaire des concepts info-documentaires15 inventorie quelques 133 concepts qui servent de base aux développements en cours. Un terminogramme des concepts info-documentaires mobilisés dans les activités de recherche d’information en ligne16, élaboré par une équipe de professionnels de l’académie de Nantes, en recense 80. En 2007, un groupe de travail de la FADBEN17 privilégie 64 « notions essentielles ». Ce travail de délimitation du domaine s’inscrit déjà dans le processus de didactisation dans la mesure où il ne recense nullement des objets scientifiques ou professionnels, mais des objets scolaires, ou du moins scolarisables, c’est-à-dire promis à devenir des contenus d’enseignement-apprentissage. Cet état des lieux, cependant provisoire, étant réalisé, il reste à procéder à la définition opératoire de ces objets d’enseignement. L’évolution numérique rapide que nous connaissons rend plus délicate cette tâche, tant elle oblige à re-questionner des concepts établis (document, information, source, etc.) et à prendre en compte de nouvelles entités (tag, syndication, bibliothèque numérique, etc.). Des premières propositions de définition ont été proposées, notamment dans le Dictionnaire déjà cité et le Petit lexique de 50 concepts info-documentaires18. Elles marquent une distinction nette entre les connaissances scientifiques requises en un premier temps par les professionnels pour s’assurer une base épistémologique, et les connaissances didactiques dont ils ont besoin pour concevoir les situations d’enseignement-apprentissage. Elles ont été par la suite reprises sous l’angle de modèles opératoires, inspirés soit de Britt-Mari Barth19 soit de Gabrielle Di Lorenzo20, lesquels modèles permettent, au travers d’une analyse des caractéristiques propres à chaque concept, de construire des niveaux de complexité adaptés aux différents niveaux scolaires. Ces travaux ont été menés par des équipes académiques de Rouen, Caen et Nantes ainsi qu’au sein de la FADBEN. Dans le même temps, le domaine conceptuel a fait l’objet de plusieurs tentatives de structuration, afin de le rendre cohérent, de lui donner du sens et d’en faciliter la compréhension. Les concepts ont ainsi été classés, hiérarchisés et fédérés autour d’autres dits « intégrateurs », dont le nombre réduit, de 3 à 7 selon les études, donne déjà une idée de la matrice disciplinaire de l’information-documentation21. Ils ont été également projetés spatialement et dynamiquement pour former des cartes conceptuelles. Cette représentation en réseau permet de visualiser les relations d’adjacence et d’association de chaque notion formant la trame conceptuelle de la matière. On se référera principalement ici aux 10 cartes publiées dans l’académie de Nantes22. Là encore, l’outil cartographique favorise une approche soit tournée vers l’enseignant en quête de repères didactiques, soit qui aide l’élève à structurer ses connaissances.

Le chantier psychologique et la prise en compte des élèves

On vient de le voir, l’élaboration didactique est intimement liée à la connaissance des capacités d’appropriation des savoirs scolaires par l’élève. D’une part, l’établissement de niveaux de complexité, encore appelés « niveaux de formulation », sur lesquels appuyer des progressions et, d’autre part, la constitution de cartes conceptuelles favorisant la construction des connaissances par agrégations successives, témoignent de la nature même des savoirs scolaires, ces objets construits à l’échelle de l’apprenant tout au long de son développement cognitif.

Au plus près de ces préoccupations, le concept de représentation – on parle plutôt de « conception » en didactique - qu’ont les élèves sur les savoirs info-documentaires est un objet d’étude privilégié. C’est d’ailleurs l’un des plus anciens que la didactique des sciences ait forgé et étudié. Ce concept désigne l’ensemble des a priori, des idées et des façons de raisonner que l’élève projette sur le monde en général et sur les objets scolaires en ce qui nous concerne. C’est son cadre premier de référence, ce qu’il mobilise en premier lieu pour appréhender un phénomène ou résoudre un problème donné ; c’est « à la fois sa grille de lecture, d’interprétation et de prévision de la réalité, et sa prison intellectuelle »23. Construites aussi bien à partir d’expériences personnelles antérieures, que par transmission d’un héritage social et culturel, ces blocages potentiels peuvent résister très fortement à l’enseignement. Il est de ce point de vue crucial de les repérer et de les analyser24. C’est à ce projet ambitieux que s’est attelé une équipe de l’académie de Nantes. En s’appuyant sur des évaluations écrites générées à partir de questionnaires, elle a produit en 2008 une banque d’énoncés langagiers écrits de la 6ème à la terminale. Le corpus relatif au concept « information », ramené au niveau collège, a fait en 2009 l’objet d’une publication25. Ce premier projet, à considérer comme prototypique du chantier à venir, a permis de dégager trois perspectives intéressantes pour l’entreprise didactique. En premier lieu, il fournit un certain nombre de préconisations d’ordre pédagogique, notamment en termes de consignes à destination des professeurs documentalistes et de précisions s’agissant des objectifs et des tâches. En deuxième lieu, il apporte des éléments nécessaires à la didactisation du concept, établissant des priorités dans ses approches et montrant l’importance de la mise en réseau conceptuel. Enfin, il ouvre la voie à la compréhension et à l’identification des obstacles aux apprentissages documentaires.

Dans la continuité de cette perspective, il deviendrait alors possible de concevoir des situations-problèmes appropriées à partir de l’analyse de ces obstacles.

Le chantier praxéologique et l’analyse de l’ingénierie pédagogique

Le troisième axe didactique s’intéresse au point de vue de l’enseignant documentaliste, concepteur de situations d’enseignement-apprentissage. Les travaux engagés sur cet axe ont pris deux directions distinctes, l’une de portée prospective, la production de situations-problèmes, l’autre de portée analytique, l’étude des productions pédagogiques des enseignants documentalistes.

L’élaboration d’une nouvelle matière théorique d’une part, la prise en compte des conditions d’apprentissage des élèves d’autre part, obligent à œuvrer pour la construction de nouvelles démarches didactiques d’enseignement-apprentissage. Parmi celles-ci, le recours à la démarche de type situation-problème peut constituer un vecteur idéal pour fonder une nouvelle pédagogie documentaire, à l’articulation de l’identité profonde de la profession, héritière de l’Éducation nouvelle, et des apports récents de la didactique de l’information. Un groupe de recherche action-formation (GRAF) s’est constitué en 2010 dans le but de déterminer les conditions d’apparition et de réussite de cette démarche, en termes d’atouts et d’obstacles s’agissant de sa réception professionnelle26. Il s’est fixé pour objectif la construction de cadres didactiques intégrant des situations-problèmes à proposer aux professeurs-documentalistes responsables de la formation des élèves du secondaire, articulant les centres d’intérêt et les savoirs informels des élèves, les problématiques informationnelles actuelles et les savoirs disciplinaires scolaires de référence.

Toujours dans l’académie de Nantes, un autre groupe de travail s’est attelé à l’analyse des séquences pédagogiques publiées par les professeurs documentalistes depuis 2000. Il s’agit ici de réfléchir à l’approche pédagogique et didactique en partant de l’analyse des traces que laisse sur le web la profession dans son action de formation des élèves au collège et au lycée. Le corpus de séquences obtenu devrait permettre à terme de tirer des conclusions de deux ordres. Tout d’abord, déterminer quels sont, actuellement, les contenus que la profession juge nécessaire d’enseigner. Autrement dit, il s’agira de répondre à la question de savoir quel est le domaine conceptuel qui est projeté par ces enseignants, au travers des choix d’objectifs qui sont opérés lorsqu’ils conçoivent, réalisent et formalisent des séquences. Ensuite, identifier les démarches pédagogiques utilisées, explicitement ou non,  pour conduire ces séquences : à quelle(s) famille(s) ou à quel(s) modèle(s) se réfère la profession ?

Cette dernière piste de réflexion pose en creux la question de l’identité professionnelle. Dans le cadre de sa thèse, Florence Thiault examine le contenu des échanges sur la liste Cdidoc27. Elle relève en 2007 que seulement 10% de ces échanges portent sur les pratiques pédagogiques. Pour Agnès Montaigne, ceci montre que l’éducation à l’information reste davantage une question en suspens qu’une pratique stabilisée. Les réticences enregistrées de la profession à changer de modèle pédagogique par crainte de reproduire la démarche supposément transmissive des disciplines instituées, vont dans ce sens. Seule une acculturation scientifique et didactique de la profession permettrait une réelle évolution vers ce mandat pédagogique pourtant si chèrement revendiqué. Dans leurs IUFM de Caen et de Rouen, Nicole Clouet et Agnès Montaigne s’emploient dès lors à proposer une formation initiale qui tient compte des apports de la didactique de l’information-documentation. Les deux axes privilégiés sont la connaissance du domaine conceptuel et la scénarisation des savoirs, laquelle prend en compte les pratiques des élèves, les savoirs et les principes qui fondent l’action didactique.

3.4. Les défis à surmonter

Si les défis professionnels sont bien présents, au nombre desquels cette acculturation didactique à consolider, une meilleure articulation avec l’université et une amorce de légitimation institutionnelle à construire, d’autres ne manquent pas. Pour en rester à la seule didactisation des savoirs, retenons les trois difficultés suivantes :

  1. Des objets référentiels instables : la première difficulté a trait à la saisie, complexe, d’objets en perpétuelle mouvance, produits d’une culture de l’innovation fondée sur la rapidité des évolutions techniques et qui entrent de fait en complète contradiction avec le temps long que réclament l’étude et la lente décantation de concepts stables et pérennes ;
  2. Des frontières disciplinaires brouillées : la deuxième difficulté tient au détourage épistémologique de la matière, nécessaire à la délimitation de ses frontières, d’une part, avec les disciplines scolaires voisines lorsque des concepts sont homonymes (information, document, auteur, etc.) et, d’autre part, avec les territoires culturels limitrophes, telles que la culture numérique et la culture médiatique28.
  3. Une opérationnalisation des savoirs délicate : la troisième difficulté, enfin, s’applique au degré d’opérationnalité des savoirs scolaires mis en jeu par la didactisation. Il est évident que si identifier, définir et structurer cet ensemble de savoirs est un préalable nécessaire, cela ne peut pas suffire à donner du sens à la situation didactique. Il faut encore que l’appropriation de ces savoirs favorise la structuration cognitive de l’élève, lui apporte des significations qui lui rendent intelligibles les phénomènes qu’il observe ou auxquels il se confronte et, enfin, qu’elle lui serve à résoudre des problèmes dans des situations données. Il importe par conséquent de distinguer entre plusieurs niveaux d’opérationnalisation de ces savoirs, à partir de leurs formes déclarative (« savoir que », connaître), analytique (« savoir pourquoi », comprendre) et opératoire (« savoir pour », résoudre). Des démarches situées, telles que les situations-problèmes, prennent ici tout leur sens.

4. Vers un curriculum info-documentaire ?

4.1. Ce qu’est un curriculum et ce qu’il n’est pas

Le curriculum est un concept organisationnel de l’enseignement qui a pénétré le champ de la réflexion en information-documentation sous l’impulsion de Jean-Louis Charbonnier à partir de 200329. Ce concept provient, via les travaux que lui a consacrés Jean-Claude Forquin dans les années 80, de la sociologie de l’éducation des pays anglophones qui l’ont fait émerger entre 1960 et 1985. Le curriculum désigne une approche structurelle de l’éducation qui reflète une vision générale des phénomènes éducatifs, articulant les questions et les expériences de l’enseignement et celles de l’apprentissage. Il est du ressort de l’institution de prescrire ce qui relève d’un plan général d’enseignement tout au long du cursus scolaire de l’élève. On saisit alors pourquoi cette perspective reçoit un accueil bienveillant de la part des didacticiens de l’information-documentation, puisqu’il présente un modèle susceptible de répondre aux exigences impliquées par la didactisation, à savoir une systématisation et une progression raisonnée d’apprentissages à dominante conceptuelle.

Cela étant, force est de constater, lors de réunions professionnelles ou à la lecture des messages sur les listes de diffusion, l’écart existant entre ces réalités et la représentation que se fait la profession du curriculum en général et du curriculum info-documentaire en particulier. Ces distorsions révèlent un certain nombre de confusions principalement entretenues par la méconnaissance d’une terminologie nouvelle, qui n’a pas encore réussi à trouver sa juste place sémantique parmi des concepts plus anciens et déjà acquis, tels que « programme », « référentiel de compétences », « progression », « discipline », ou même récemment « politique documentaire » et « parcours ».

Le concept de curriculum dépasse celui de programme, qu’il intègre d’ailleurs, pour aborder des réalités éducatives connexes tels la formation des personnels et les contenus et dispositifs évaluatifs. Il dépasse de la même manière le référentiel de compétences qu’il place au rang d’outil de formation. C’est encore le cas du concept de progression, qui renvoie uniquement à un arrangement didactique des contenus d’enseignement répartis sur un cycle.

La confusion avec la discipline est par contre plus compréhensible tant ces deux entités sont souvent associées, dans les faits et dans les représentations, bien qu’un curriculum puisse ne connaître qu’une forme modulaire. Mais si la discipline renvoie davantage à un contenu, à une méthodologie et à une tradition scientifiques, le curriculum se réfère plutôt à l’ensemble des dispositifs, des outils et des plans d’enseignement qui permettent à la discipline de fonctionner.

L’équivoque avec la politique documentaire ou avec un parcours est plus étonnante. Elle traduit une fois de plus un manque sévère de formation continue chez ces professionnels. Dans le premier cas, c’est plus précisément le volet pédagogique de la politique documentaire qui est assimilé à un curriculum, lorsque celui-ci est réduit, nous venons de le voir, à une progression. On peut également trouver incongru ce télescopage entre la gestion et le didactique, d’autant plus lorsque c’est la première qui prétend enchâsser le second dans un « volet », entrant ainsi en contradiction totale avec à la circulaire de mission qui place le pédagogique en axe intégrateur.

S’agissant du parcours, où la confusion risque d’être amplifiée avec la publication du PACIFI en 2010, il convient de préciser cette distinction : le parcours reflète la part des expériences faites a posteriori par l’élève qui, après coup, pourra dire les formations qu’il a suivies. Le parcours, à l’inverse du curriculum, ne présente aucun caractère d’obligation, mais seulement des possibles dont il pourra bénéficier ou pas. Le curriculum, par contre, organise a priori des expériences d’apprentissages qu’il rend obligatoires en les fixant dans la scolarité de l’élève. Il crée le cadre nécessaire à leur réalisation.

4.2. Les raisons d’un curriculum

Ce sont les « Assises nationales pour l’éducation à l’information » qui, en 2003, inscrivent la dimension curriculaire dans leur problématique. Il s’agit de montrer à quelles conditions il est envisageable de concevoir une éducation obligatoire qui s’inscrit et se déroule dans une progression couvrant tout le cursus de l’élève. Dans la synthèse de ces journées, Gérard Losfeld officialise en quelque sorte l’entrée de cette notion en l’instituant comme projet pour la recherche et pour la profession30. La définition qu’il donne du curriculum trace un cadre précis au chantier qui s’annonce :

  • « Au premier plan est apparue la  nécessité de prendre en compte tous les cycles de formation, de la maternelle (des expériences passionnantes s'y déroulent) à l'université. Et pour ce faire, dans la cohérence de la progression, il conviendrait sans doute de penser en termes de curriculum […] : établir des programmes d'étude et de formation dans le temps, suivant une progression raisonnée et constamment évaluée, et incluant non seulement des contenus mais aussi des situations d'apprentissage. [...] L'objectif est évidemment de donner aux élèves, du point de vue d'une société déterminée, des compétences attendues avec des savoirs identifiés comme capables d'y mener, d'articuler cette construction de savoirs sur des  objets ou des situations  concrètes. »

Professionnels et chercheurs voient en effet dans la constitution d’un curriculum une réponse structurelle à ces questions au motif que la fonction première d’un curriculum est de permettre à l’école de s’adapter et d’anticiper les évolutions de la société. Or la mutation sans précédent que traverse aujourd’hui celle-ci en matière d’information et de communication numériques conduit très sensiblement à modifier les représentations, les pratiques et la responsabilité des usagers, les faisant entrer de façon abrupte dans la culture de l’information.

L’enjeu d’un curriculum, s’il est bien évidemment d’abord éducatif, est également l’institutionnalisation d’un enseignement. Celle-ci apporte la garantie que cet enseignement soit réellement et efficacement effectué par des professeurs certifiés et formés. Dans le cas de l’information-documentation, il s’agit ni plus ni moins que de pouvoir sortir du bricolage actuel marqué par des formations aléatoires et non structurées, centrées sur une approche procédurale inspirée du concept de maîtrise de l’information ( information literacy ). C’est cette obligation et cette rationalisation que seule peut apporter et garantir l’institution qui sont gages d’égalité des chances pour les élèves.

Un autre enjeu, consécutif, est la légitimation professionnelle du professeur documentaliste, qui verrait là son mandat enseignant confirmé par une responsabilité et une expertise reconnues par l’institution.

4.3. Les préconisations du GRCDI

Prolongeant l’un des buts que s’était fixé l’ERTé « Culture informationnelle et curriculum documentaire », le GRCDI, en tant que collectif de recherche associé, a formulé en octobre 2010 un ensemble de douze propositions relatives à la construction d’un curriculum31. Ces propositions s’adressent aux acteurs susceptibles de participer à l’élaboration curriculaire, institution, chercheurs et enseignants du primaire, du secondaire et du supérieur.

Il ne s’agit pas ici de construire un curriculum, mais plus modestement de fournir un balisage pour guider et structurer le projet curriculaire :

  1. Refonder une matrice disciplinaire, en cohérence avec le nouveau paradigme de la culture informationnelle ;
  2. Mettre au premier plan les finalités éducatives d'une formation à la culture informationnelle ;
  3. Définir les buts de la formation à la culture informationnelle ;
  4. Intégrer l’éducation aux médias, l’enseignement info-documentaire et la maîtrise des TIC dans le cadre d'une culture informationnelle globale ;
  5. Identifier les connaissances et les compétences à enseigner et (re)donner la première place aux savoirs et à la culture ;
  6. Veiller à la dimension temporelle des apprentissages de la maternelle à l'université ;
  7. Proposer aux enseignants et aux formateurs des démarches pédagogiques adaptées aux élèves et aux types de connaissances à enseigner ;
  8. Proposer aux enseignants et aux formateurs des exemples d'activités et de tâches favorisant les apprentissages ;
  9. Identifier différents types d’objets appropriés aux apprentissages ;
  10. Favoriser les articulations avec les autres disciplines et promouvoir les différentes formes d’interdisciplinarité ;
  11. S'appuyer sur les différentes fonctions de l'évaluation pour concevoir, accompagner, sanctionner et valider les apprentissages ;
  12. Former les enseignants et les formateurs responsables de l'éducation à l'information et développer la recherche didactique de l'information-documentation.

Du point de vue des contenus d’enseignement, l’entrée privilégiée s’appuie le plus largement possible sur la dimension culturelle de l’information, de la documentation et de la communication. L’élucidation des objets d’enseignement est pensée comme réalisant une synthèse équilibrée entre les différentes approches transpositionnelles : scientifique, professionnelle, expérientielle et non formelle. Les scénarios didactiques sont, quant à eux, pensés comme des situations complexes, ancrées sur des phénomènes informationnels contemporains permettant aux apprenants de construire des compétences intégratives - i.e. des connaissances combinant concepts, capacités et attitudes dans la résolution de problèmes d’information - et des savoirs opérationnels transférables à d’autres situations de même type.

Stratégiquement, enfin, l’élaboration curriculaire devrait pouvoir être appréhendée de manière négociée et participative entre les différents acteurs avec, au centre, l’institution assumant une fonction d’animation autant que d’administration. Les partenariats gagneraient à être ainsi fondés sur la mutualisation des compétences. N’oublions pas que c’est l’enseignant qui constitue la clé de voûte de tout édifice curriculaire…

Conclusion

Ce tour d’horizon peut, bien sûr, ne donner qu’une vision globale de la didactique de l’information-documentation. Restant circonscrit aux limites du rapport du GRCDI, il ne peut rendre compte des nombreuses études menées dans le sillage de l’ERTé et de Limin’R. Il faut encore noter que plusieurs thèses, soutenues ou en cours, prolongent ces premières perspectives.

Au centre de toutes ces réflexions, une préoccupation pose la question de la finalité de cette didactique en construction : se dirige-t-on vers une discipline ? Si la didactisation de la matière info-documentaire ne peut être confondue avec sa disciplinarisation, il est indéniable que l’une construit les conditions intellectuelles de l’autre. Didactique et discipline scolaire ne correspondent d’ailleurs pas forcément terme à terme : une didactique peut exister sans discipline, de même qu’une discipline peut s’appuyer sur plusieurs didactiques. Il ne faudrait donc pas confondre la forme qu’affiche un enseignement dans le panorama scolaire, avec la science qui œuvre à son édification et à son amélioration. Si l’information-documentation doit encore trouver sa voie, il est, in fine, du ressort et de la responsabilité de l’institution d’attribuer à cet enseignement sa forme scolaire, qu’elle soit annualisée ou modulaire. Par ailleurs, la didactique, en tant que science, a besoin de temps pour se construire, et peut difficilement obéir aux calendriers politique et économique qui président aux réformes actuelles.

Qui plus est, un regard sur la dernière décennie montre que l’institution a pris une orientation bien différente de celle du projet didactique. Ignorant celui-ci, force est de constater qu'elle dénie à la matière info-documentaire sa dimension conceptuelle et, conséquemment, sa capacité à pouvoir doter les élèves d’outils intellectuels nécessaires à la saisie des phénomènes informationnels et médiatiques contemporains. Revenant en arrière par rapport à la circulaire de mission des professeurs documentalistes, l’institution manifeste tout au contraire un recentrage sur l’accès aux ressources là où, auparavant, et comme en témoignait la création du CAPES, elle misait sur l’apprentissage des élèves.

Nous restons persuadé que la didactique, pourtant, continue à construire un modèle capable d’apporter une réponse solide aux besoins d’acculturation informationnelle des élèves et des étudiants : un enseignement original et innovant porté par un curriculum, structuré par une matrice et des objets de contenus-matière, caractérisé enfin par des scénarios didactiques ancrés sur les phénomènes, les processus, les usages et les savoirs constitutifs de la culture de l’information.

Notes :


  1. M.E.N. « Discours de M. Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale, prononcé au congrès de la FADBEN le 19 mai 1989 ». BOEN n°26 du 19 juin 1989 

  2. Serres, Alexandre (coord. par). Culture informationnelle et didactique de l’information. Synthèse des travaux du groupe de recherche. 2007-2010. GRCDI, 2010 

  3. Develay Michel. De l’apprentissage à l’enseignement : pour une épistémologie scolaire. ESF, 1992 

  4. Meirieu Philippe. Petit dictionnaire pédagogique. Site de Philippe Meirieu [2005] 

  5. Pages Alain. « Perspectives actuelles en didactique du français lange maternelle ». L’Ecole des Lettres, n° spécial 9, mars 1993 

  6. Duplessis Pascal. L’objet d’étude des didactiques et leurs trois heuristiques : épistémologique, psychologique et praxéologique. Séminaire du GRCDI, 14 septembre 2007 

  7. Cornu Florence, Vergnioux Alain. La didactique en questions. CNDP, Hachette éducation, 1992 

  8. Chevallard Yves. « Les processus de transposition didactique et leur théorisation ». In Arsac et al. La transposition didactique à l’épreuve. La Pensée sauvage, 1994 

  9. Astolfi Jean-Pierre. « Les concepts de la didactique des sciences, des outils pour lire et construire les situations d’apprentissage ». Recherche et formation n°7, 1990 

  10. Houssaye Jean. Le triangle pédagogique. Peter Lang, 1988 

  11. Il est encore trop tôt pour faire un bilan au niveau national, mais de tels modules sont déjà repérables dans les universités de Paris, Poitiers, Nantes, Rennes, Besançon, Limoges et Bordeaux. 

  12. Le document Pacifi en constitue un tout dernier exemple. 

  13. Chevallard Yves [1985]. La Transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné. La Pensée sauvage, 1991 

  14. Béguin Annette. Culture informationnelle et curriculum documentaire. Contrat d’établissement 2006-2010. Université Charles-de-Gaulle, Lille III, 2006 

  15. Duplessis P., Ballarini-Santonocito I. Dictionnaire des concepts info-documentaires : Approche didactique à l’usage des enseignants documentalistes. SavoirsCDI, janvier 2007 

  16. Duplessis Pascal (dir.) et al. Inventaire des concepts info-documentaires mobilisés dans les activités de recherche d’informations en ligne. Les Trois couronnes, janvier 2006 

  17. FADBEN. Les savoirs scolaires en information documentation : 7 notions organisatrices. Mediadoc, mars 2007 ; FADBEN. Wiki info-doc  

  18. Duplessis Pascal. Petit lexique de 50 concepts info-documentaires. Les Trois couronnes, 2008 

  19. Barth Britt-Mari. L’apprentissage de l’abstraction. Retz, 1987 ; Le savoir en construction. Retz, 1993 

  20. Di Lorenzo, Gabrielle. Questions de savoir : introduction à une méthode de construction autonome des savoirs. ESF, 1991 

  21. Voir, en plus des travaux déjà cités : Frisch Muriel. Evolutions de la documentation : naissance d’une discipline scolaire (L’Harmattan, 2003) ; Montaigne Agnès, Clouet Nicole. L’information et le document en trois concepts intégrateurs (Formdoc, 2006) ; ENSSIB. Groupe de travail FORMIST. Maîtrise de l’information des étudiants avancés (master et doctorat) : Éléments pour une formation (Formist, 2006). 

  22. Duplessis, P., Ballarini-Santonocito I, et al. Cartographie conceptuelle et didactique de l'information : dix cartes de concepts info-documentaires et étude préliminaire. Académie de Nantes, 2007 

  23. Giordan André. « Les conceptions de l’apprenant : Un tremplin pour l’apprentissage ». Sciences humaines Hors série n°12, fév.-mars 1996 

  24. Duplessis Pascal. Les conceptions des élèves au centre de la didactique de l'information ?. Séminaire du GRCDI, 12 septembre 2008 

  25. Duplessis Pascal et al. Les conceptions de la notion d'information au collège. Enquête auprès de collégiens de l’académie de Nantes (2008-2009). Les Trois couronnes, 2010. Ces premiers travaux ont reçu un écho dans l’académie de Rouen : Montaigne Agnès. Comment les élèves se représentent les notions de Source, d’Auteur et de Périodique : Analyse d’énoncés langagiers par des PLC2 de l’IUFM de Rouen. Les Trois couronnes, 2009 

  26. On trouvera quelques repères utiles sur le portail du GRAF : SPID : Situations problèmes en Information Documentation

  27. Thiault, Florence. « Les professeurs documentalistes et la formation à la maîtrise de l'information ». Séminaire CERSIC, 20 avril 2007 

  28. Serres Alexandre. Éducations aux médias, à l’information et aux TIC : ce qui nous unit est ce qui nous sépare. Colloque international de l’ERTé Culture informationnelle et curriculum documentaire. Lille, 16-17-18 octobre 2008 

  29. Charbonnier Jean-Louis. Place du curriculum en info-documentation dans la formation des élèves, des étudiants et des enseignants. In Assises nationales Education à l’information et à la documentation, 11-12 mars 2003 

  30. Losfeld Gérard. Conclusions générales des Assises nationales pour l'éducation à l'information

  31. GRCDI. Douze propositions pour l’élaboration d’un un curriculum info-documentaire. GRCDI, 2010 


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