La didactique entre au CDI : construire le concept de Document en 6ème

Comment faire construire par les élèves le concept premier de Document ? Jean-Pierre Guéguen publie une séquence pédagogique à visée d’apprentissage conceptuel, inspirée de la démarche de Britt-Mari Barth et des récents travaux de la didactique de l’information. Présentation du document et annotations buissonnières.

Notice :

    La séquence « Le concept de document en 6ème », accompagnée d’un commentaire et d’une carte conceptuelle, est publiée sur le site de l’ARDEP Bretagne (janvier 2008). Cette séquence de 2 heures maximum a pour objectif de faire construire par des élèves de 6ème le concept de Document à partir d’exemples.

    La démarche pédagogique est inductive : elle part d’exemples concrets (un numéro de périodique, une page web, etc.) que les élèves doivent comparer pour faire ressortir les caractéristiques principales du concept visé (« document ») et ainsi construire celui-ci par manipulation et par discrimination des critères. Un concept est acquis lorsque ses caractéristiques essentielles peuvent être décrites, correctement formulées (définition par compréhension), et lorsqu’à celles-ci sont attachées des exemples (définition par extension) et des contre-exemples pertinents.

    L’approche utilisée semble très abordable pour ces élèves de 6ème puisque les exemples proposés à la classe sont choisis en tant qu’« exemples OUI » ou « exemples NON », selon qu’ils présentent ou non les caractéristiques attendues.

    L’intérêt de ce travail est de faire ressortir d’une part qu’il est non seulement possible mais nécessaire de partir d’objets très concrets pour atteindre l’abstraction (J.-P. Guéguen va jusqu’à montrer comment rendre matérielle une conversation téléphonique !), et, d’autre part, à quel point il est important que les élèves verbalisent, au départ avec leurs propres mots, ce qu’ils comprennent afin de construire l’idée (l’abstraction) à partir de l’objet (le référent empirique).

    Le nom, ou étiquette, du concept n’est donné qu’à la fin. Pour s’approprier ce concept, les élèves sont souvent sollicités pour fournir de nombreux exemples. Une trace écrite est prévue en fin de séquence.

    Le descriptif de la séquence est accompagné d’une carte conceptuelle des notions associées.

 

Annotations :

    Si les travaux théoriques de la didactique de l’information avancent à grands pas, ainsi qu’en témoignent le rythme des publications et des communications dans divers colloques, il est difficile en revanche d’apprécier leur traduction praxéologique sur le terrain des CDI. Comme d’habitude, ce ne sont pas tant les initiatives qui font défaut que la publication de ces expérimentations. Aussi faut-il saluer l’effort continu de J.-P. Guéguen qui accompagne son action pédagogique d’une mise en ligne sur le site de l’ARDEP Bretagne.

    J’en profite pour lancer un appel à tous les enseignants documentalistes qui intègrent une visée conceptuelle dans leur enseignement, à se faire connaître sur ce blog ou à entrer en contact avec moi. Le site des Trois couronnes peut en effet publier et rassembler ce type de séquences. Ces comptes-rendus d’actions pédagogiques permettent en retour, et c’est bien la moindre des choses, un questionnement et un repositionnement des avancées théoriques.

    Je voudrais marquer mon intérêt pour le travail de Jean-Pierre Guéguen par quatre remarques, qui sont autant de pistes possibles à la réflexion didactique, et relatives au choix des caractéristiques dans la définition d’un concept, à l’inscription des objectifs conceptuels dans les séquences d’apprentissage, à l’évaluation de ceux-ci et, enfin, à l’exploitation possible des cartes conceptuelles.

 

Le choix des caractéristiques dans la définition d’un concept

 

    Comment choisir les caractéristiques d’un concept selon le niveau des élèves ? Dans le cas présent, l’auteur de la fiche s’est inspiré du référentiel des savoirs scolaires publié dans le Médiadoc de mars 2007. Ont été retenues les trois caractéristiques du niveau débutant (support, information, auteur) de même que la caractéristique « intention de communication » du niveau avancé. Posé ainsi, et sans autres explications, le choix du professeur relève d’un arbitraire, bien qu’il soit opéré à l’intérieur d’un cadre référentiel.

    Au travers de ce choix, c’est la question du sens qui est soulevée ici : quelle signification peut constituer pour les élèves cet apprentissage du document ? Qu’est-il nécessaire, de leur point de vue, de savoir sur le document ? Il n’est pas question de remettre en question ici les enjeux de l’enseignement info-documentaire, mais d’articuler au mieux l’étude des objets du savoir à la référence qu’en ont les élèves au travers de leurs usages et de leurs besoins proches. Ainsi toute situation d’enseignement-apprentissage devrait-elle se fonder sur une réflexion cherchant à concilier à la fois les intérêts à court terme (la référence empirique) et les intérêts à plus long terme (les besoins d’éducation à la culture de l’information) de l’élève. C’est une autre manière de conduire le passage vers l’abstraction.

    Pour ne retenir que la question du sens accessible par l’élève, et explorer par avance son champ possible de compréhension, ne pourrait-on pas commencer par se demander à quoi peut bien servir, pour celui-ci, un document. Faisons alors l’hypothèse que les réponses obtenues à partir de ce questionnement simple permettraient de mieux choisir parmi les caractéristiques disponibles. Plus encore, poser directement aux sujets concernés cette question aurait le double avantage de  mieux s’approcher des références réelles des apprenants et de mieux cerner les représentations dont ils disposent au seuil de la séquence.

    Même des élèves des premiers niveaux du secondaire devraient convenir qu’un document est utile au motif qu’il contient des informations, que grâce à sa matérialité il peut être retrouvé, conservé, recopié et transmis et, qu’enfin, dans le cas où il ne pourrait pas être transmis directement à quelqu’un, il pourrait être décrit afin d’être indiqué.

    La première réponse, relative au contenu informationnel, attache à cette caractéristique une nécessaire réflexion sur les différentes « formes » prises par l’information, ou codes permettant de la traduire et de la lire. Ces codes sont iconiques, textuels ou sonores. Ils se présentent de manière simple ou combinée. A ce propos, je relève que, dans la fiche pédagogique, les exemples « dessin » et « bande dessinée », ont été rangés dans la colonne des exemples NON, alors qu’ils donnent également à lire des informations, même si elles relèvent de code iconique pour le premier et iconotextuel pour le second. Ils me semblent dès lors bien appartenir à la catégorie des exemples OUI. Mais pour en revenir à l’intérêt principal, du point de vue de l’élève, il reste qu’un document sert à stocker (fonction de mémoire externe) et à donner accès à de l’information.

    La deuxième réponse, relative à la matérialité du document, amène à considérer la caractéristique « repose sur un support ». Il est ici possible de faire réfléchir sur le degré de stabilité qu’elle implique, notamment entre l’imprimé (voir le cas de certaines rééditions) et l’électronique, très instable. Pour l’élève, un document est utile parce qu’il permet à l’information d’être retrouvée à l’identique (ou presque) pour se la remémorer, la lire, la voir ou l’écouter à nouveau, mais également pour la copier et la faire partager.

    La troisième réponse, concernant la description possible du document en l’absence physique de celui-ci, pointe la caractéristique « est référençable ». Tout document, à l’opposé des supports vierges, peut être spécifiquement identifié au regard de l’information qu’il contient ou de son (ou ses) chemin(s) d’accès dans le cas des documents électroniques. Il a besoin d’être référencé pour être désigné à d’autres. La réflexion à mener avec les élèves devrait pouvoir les conduire à l’idée de responsabilité des contenus de l’information et, de là, aux concepts d’auteur et de source.

    Ainsi, en dehors même de tout contexte servant de motif à l’apprentissage du concept de document, un dialogue peut être aménagé qui permettrait aux élèves de découvrir les caractéristiques à vérifier par la suite au travers de nombreux exemples. Les conditions de cette démarche dialoguée restent cependant à élucider, notamment pour sa partie référentielle : comment engager une telle discussion ?

 

L’inscription des objectifs conceptuels dans les séquences d’apprentissage

 

    Une deuxième solution consisterait à faire dépendre le choix des caractéristiques du contexte de l’apprentissage. La proposition de Jean-Pierre Guéguen fixe ici les contours d’une séquence exclusivement délimitée par la construction de l’abstraction, restant au plus près de la perspective conceptuelle. Présentée ainsi, elle détache avec précision la dimension déclarative de la compétence. L’objection pédagogique est déjà connue : il s’agit d’un cours de d’information-documentation qui est déconnecté d’un environnement concret qui lui donne sens. Ce serait oublier que l’auteur publie en même temps une séquence sur  l’"Egypte ancienne" en 6ème à l’intérieur de laquelle, ou vis à vis de laquelle cet apprentissage conceptuel peut trouver sa raison d’être. Ainsi des cours travaillant des bases théoriques et d’autres les mettant en œuvre pour construire de véritables compétences trouvent à se compléter.

    La question posée n’est pas tant de savoir ce qui importe davantage de l’une ou de l’autre approche que de chercher l’articulation la plus favorable pour que l’une et l’autre deviennent opératoires. Quel intérêt pourrait-on trouver en effet d’une part à une pseudo-maîtrise de concepts jamais appliqués et, d’autre part, à une énième recherche d'information où les procédures expérimentées ne rencontreraient jamais la raison des principes qui la rendent possible ? La stricte approche déclarative, soutenue par l’étude qui a le mérite d’ouvrir à la compréhension sur le long terme, court cependant le risque de ne pas embrayer sur le réel tout en ennuyant l’élève. L’approche procédurale, de son côté, renfermée sur le pragmatisme inhérent à tout projet concret ne visant que sa propre finalité, et même si elle réussit à motiver l’élève en le faisant agir, risque de lui faire sacrifier l’apprentissage au profit de la réussite. C’est sans doute l’élaboration des situations-problèmes en Information-documentation qui rendra possible et efficace cette nécessaire articulation entre les deux voies. Pour se concrétiser, les situations-problèmes doivent pouvoir se fonder sur une reconnaissance des obstacles entravant la compréhension des élèves quand il s’agit pour eux de rencontrer des problématiques informationnelles. Si les disciplines instituées s’appuient sur de tels inventaires, celui de l’Information-documentation reste à constituer…

    En attendant, des expérimentations articulant projets et approche conceptuelle doivent se poursuivre ( relire la séquence de Noël Uguen relative au concept de Source en terminale STG). Elles travaillent sans cesse l’attache référentielle qui fixe le sort de l’appropriation conceptuelle, ce rapport entre le (prétendu) savoir faire de l’élève et l’abstraction nécessaire pour le rendre compréhensible, qui renvoie à d’autres rapports entre le sensible et l’intelligible, entre la connaissance et le savoir.

 

L’évaluation des apprentissages conceptuels

 

    En fin de séquence, Jean-Pierre Guéguen propose de prévoir une trace écrite. Celle-ci devra associer à l’étiquette (le nom du concept), la liste des caractéristiques retenues, la définition construite à partir de ces dernières et quelques exemples significatifs. Cette phase de formulation, aboutissant à la formalisation d’une « fiche-concept », me paraît en effet indispensable. J’insisterais en particulier sur la proposition de rédaction, par l’élève, d’une définition du concept. La verbalisation a en effet l’immense intérêt, non seulement de convoquer et de maîtriser un lexique précis (processus allant de la notion au concept), mais encore et surtout d’établir et de consolider des articulations logiques entre les idées. Car lister simplement des caractéristiques, de manière juxtaposée, n’a pas le même pouvoir que de chercher à les lier solidement entre elles pour en faire des propositions sémantiques. C’est uniquement dans le second cas que l’intelligibilité peut être construite. L’effort de verbalisation qui en résulte donne à l’élève l’occasion d’agréger de nouvelles compréhensions aux anciennes et de faire ainsi évoluer sa pénétration du domaine. La verbalisation demandée à l’élève favorise encore la promotion du déclaratif, « ce que je peux clarifier pour comprendre », au regard du procédural, « ce que je dois observer pour réussir ».

    Mais la prescription du verbe faite à l’élève a encore pour intérêt de mesurer la progression de son apprentissage, i.e. d’évaluer celui-ci. Si l’observation des comportements et des produits du comportement permet à l’enseignant d’évaluer des savoir faire, l’analyse des énoncés langagiers, notamment écrits, lui permet d’évaluer, au travers de savoir dire, le niveau d’appropriation par l’élève des concepts visés. Je regrette que Jean-Pierre Guéguen ne témoigne pas ici de la manière dont il a pu rendre compte du degré d’acquisition de ses élèves. Sans doute l’a-t-il enregistré à partir de la « fiche concept » demandée en fin de séquence. A mon sens, l’énoncé rédigé par chaque élève pour définir le concept devrait permettre cette évaluation. Trois critères me semblent nécessaires pour apprécier ces énoncés : la présence effective des caractéristiques attendues pour témoigner de la mémorisation des contenus abordés ; la précision du lexique employé pour attester du passage de la notion (vocabulaire commun) au concept (vocabulaire expert) ; la justesse des liens logiques articulant les caractéristiques pour assurer de l’intelligence de cet ensemble.

    Pour mener cette évaluation, il peut être utile à l’enseignant de produire par lui-même un énoncé définitoire adapté au niveau supposé des élèves (un « niveau de formulation ») et qui servira de repère pour estimer les productions à analyser (voir le numéro de Médiadoc cité).

    Afin de constituer cet inventaire des obstacles cognitifs relatifs aux savoirs info-documentaires, il conviendrait de garder trace de tous ces énoncés d’élèves produits lors des évaluations, qu’elles soient réalisées en début (diagnostique) ou en fin de séquence (sommative). Accompagnées des conditions et des contextes de leur production (classe, positionnement dans la séquence et dans l’année, consignes données, objectifs du cours, etc.), ces énoncés pourraient être regroupés et mis à disposition. C’est en tout cas l’un des projets que notre groupe de travail académique mène cette année, et nous invitons tous nos collègues intéressés à se mettre en relation avec nous et à nous adresser ces corpus.

 

L’exploitation des cartes conceptuelles

 

    Dans plusieurs de ses travaux publiés, dont « Défi info, 5ème. Cartes conceptuelles des concepts enseignés », Jean-Pierre Guéguen joint une carte conceptuelle de la notion cible de l’apprentissage.  Dans la séquence présente, c’est donc le concept de Document qui fait l’objet d’une représentation graphique. On y observe trois concepts correspondants aux quatre caractéristiques retenues (Auteur ; Donnée informationnelle ; Support indispensable pour la diffusion), lesquels sont reliés directement ou non au concept cible de Document  par trois arcs étiquetés.

    Puisque aucune référence n’est faite par l’auteur à une exploitation directe par la classe, on peut se demander dans quelle mesure elle est un outil au service de l’enseignant  dans la conception de la séquence. Quel intérêt a pu en retirer celui-ci ? La carte sert-elle seulement la conception en amont de la séquence, et de quelle manière, ou bien accompagne-t-elle celle-ci ?

    Pour faire suite au point précédent concernant l’évaluation des apprentissages, je suggère que les cartes de ce type, lorsqu’elles encadrent une séquence, soient le plus étroitement possible corrélées à la rédaction de l’énoncé définissant le concept. Les propositions sémantiques, facilement repérables sur la carte à l’aide des liens étiquetés reliant les concepts entre eux, sont autant d’unités de sens renvoyant à une définition en compréhension du concept.

    S’agissant des élèves et de l’évaluation de leur apprentissage, il pourrait également leur être proposé, en complément de la rédaction d’une définition encadrée par des exemples et des contre-exemples, de dessiner une carte du concept reliant les caractéristiques entre elles dans un réseau graphique. La simplicité de la carte présentée ici (correction à faire peut-être des termes employés) laisse à penser la faisabilité de l’entreprise. L’élaboration de la carte par chaque élève présenterait le double avantage de favoriser d’une part chez celui-ci la structuration du concept, agrégeant et articulant les caractéristiques et les exemples, et de permettre à l’enseignant, d’autre part, d’évaluer les acquis. Un travail semblable a été mené par Ivana Ballarini-Santonocito dans sa classe (lire le paragraphe Un exemple de mise en oeuvre : construire la notion de Document en classe de 6ème. p. 16-19).

 

    A nouveau merci à notre collègue Jean-Pierre Guéguen pour la publication de cette expérimentation dont le premier mérite est de montrer qu’une telle approche à visée didactique est possible. Puisse cette voie se prolonger encore et nous aider à mieux appréhender les conditions propres à l’élaboration du curriculum de l’Information-documentation.