Construire le concept « Source » en terminale STG. Une séquence didactique de Noël Uguen

Où l’on se rend compte qu’il est possible d’articuler démarche conceptuelle et approche manipulatoire dans un cadre pluri-disciplinaire. Un professeur documentaliste propose une expérimentation de didactisation dans une classe de Terminale STG. Description de la démarche et annotations buissonnières. Pascal Duplessis.

Dialogue

Les recherches en didactique de l’information fraient un chemin original et stimulant dans le paysage de la pédagogie documentaire. Mais des heuristiques du chercheur à la pratique de l’enseignant documentaliste, une continuité est-elle envisageable ? Le concept didactique peut-il être traduit en acte didactique ? Du point de vue de nombreux enseignants, il est urgent d’apporter des réponses à ces questions tant les jours leur semblent comptés du moment ou toute responsabilité pédagogique leur sera retirée. Pour autant, la didactique de l’information, à peine née, ne saurait déjà prétendre apporter de telles réponses. Mais une chose est certaine : elle n’avancera pas sans que le « terrain » ne lui emboîte le pas, sans qu’un dialogue constructif ne s’instaure entre ces deux modalités constitutives de la création d’un nouveau savoir scolaire.

C’est précisément ce dialogue que nous chercherons à instaurer en analysant les propositions de séquences pédagogiques qui sont faites par nos collègues Le titre du billet et qu'ils mutualisent sur le web. Nous commençons par le travail de Noël Uguen, et sa séquence intitulée « Approche des notions info-documentaires en terminale », laquelle constitue pour nous une proposition pleine d’espoirs. Cet enseignant de lycée nous livre ici une séquence didactique visant la construction des notions de source et de référence en série STG.

Description de la séquence

Après avoir rappelé les attendus, en termes de travail de recherche et d’exploitation d’informations, de l’épreuve pratique du baccalauréat, N. Uguen légitime son intervention à partir d’un constat effectué par les jurys d’examen.

Tout se passe, écrit-il, comme si certains élèves n’avaient pas saisi que la citation d’une référence documentaire doit être comprise comme le moyen de convoquer une preuve, un fait, un argument tirés d’un document dont la source doit être fiable et le contenu pertinent au regard des objectifs suivis ». La démarche méthodologique d’élaboration de la séquence qu’il nous propose est typique d’une approche didactique : une fois que les savoirs à construire sont identifiés, il s’agit de les analyser, de les traduire en objectifs de séquence et, enfin, de proposer à la classe une activité permettant leur appropriation.

L’analyse du concept à étudier se fait en deux temps. Une entrée par la définition tout d’abord, et qui débouche sur l’idée que le concept de « Source » ne peut être saisi que par distinction de celui de « Référence » (Source vs Sources) ; une entrée par la trame conceptuelle ensuite, utilisant avec profit l’idée qu’un concept ne se construit jamais seul mais qu’il s’appuie sur un environnement structuré et structurant, mobilisant ainsi d’autres concepts tels que « Discours », « Confrontation des sources » et « Auteur ». La carte conceptuelle constitue ici un outil didactique efficace pour le professeur documentaliste lorsqu’il réfléchit à la conception d’une séquence d’apprentissage.

Ceci fait, des objectifs peuvent être posés. Des objectifs généraux (« développer une posture critique qui amène à interroger de manière systématique les sources des documents ») viennent en amont d’objectifs opérationnels, appelant à préciser celui-ci. Ceux-ci portent notamment sur le repérage de l’identité, du type et de l’intention de la source.

L’exposé du déroulement conclut cette présentation. Trois tâches et une production sont proposées aux élèves, de même qu’un support leur est donné pour consigner leurs observations (une grille d’évaluation des sources sélectionnées). L’activité s’articule au programme de la discipline à partir du thème de la séquence : « mesure de la performance en entreprise ».

La « navette didactique »

Les annotations que nous inspire cette découverte visent à consolider le dialogue proposé par Noël Uguen. Notre but commun étant l’élaboration d’un savoir scolaire par adjonction successive de réflexions qui ne peuvent émerger que par ce va-et-vient nécessaire et ininterrompu entre le projet didactique et sa mise en acte dans la situation didactique. Telle une « navette didactique »…

Ces commentaires se déclinent en trois points : la démarche de construction du savoir, la catégorisation et l’évaluation des acquis.

La démarche de construction du savoir

La démarche manipulatoire (travailler à partir de 3 sites sélectionnés par les élèves) et inductive (de l’objet observé à l’objet conceptualisé) est à remarquer. Elle permet à l’élève de dégager des principes communs aux référents empiriques qu’il manie au travers de leur comparaison et de leur confrontation. C’est en effet l’approche présentée (entre autres !) par Britt-Mari Barth lorsqu’elle détaille les étapes de la construction du concept opératoire. Cette orientation a inspiré les travaux sur le référentiel FADBEN des « Savoirs scolaires en information-documentation », ainsi que le rappelle Ivana Ballarini. Pour aller plus loin dans cette direction, il pourrait être demandé aux élèves de fournir non seulement des sites (qui leur paraissent) fiables, mais également des sites non fiables. Ce jeu entre « exemple » et contre-exemple » permettrait alors de mieux définir « en extension » le concept concerné. Un tel corpus pourrait par la suite servir de base à l’élaboration de sa définition « en compréhension » : par confrontation des objets, demander aux élèves de lister les caractères intangibles d’une source « fiable ». Ainsi la grille de critères se construirait plutôt qu’elle ne se renseignerait. Dans cette approche définitionnelle (dite « en logique des termes »), il apparaît effectivement que le concept renvoie en premier lieu à une liste critériée d’items (gr. kritêrion, « ce qui sert à juger ») et ce, dans une logique de discrimination de caractères. Un concept ne vaut que par ce qu’il est capable de s’opposer distinctement à un autre.

La catégorisation

Cette démarche ainsi poussée plus avant aurait sans doute pour conséquence de faire préciser une configuration davantage centrée sur l’identification des concepts mobilisés : l’accréditation (notoriété, caution scientifique) ; l’identification (auteur, institution, URL, adresse) ; la responsabilité (possibilité offerte d’un contact) ; le discours (cible, intentions explicites, intentions implicites) ; la vérification interne de l’information (citations, hyperliens, documentographie) ; la vérification externe de l’information (confrontation avec d’autres ressources à partir d’autres sources). Cette catégorisation recouvre à peu près le domaine exploré par la grille d’évaluation annexée à la séquence, mais le découpe autrement. Cependant, il faut garder à l’esprit que c’est justement l’élaboration de cette catégorisation mentale du concept cible qui constitue l’objectif méthodologique de la séquence. Toute la difficulté relative à l’atteinte de ce dernier semble se nouer dans l’articulation, du point de vue de l’élève, entre l’objet empirique à étudier par la manipulation, l’observation et la confrontation, le savoir à construire par mise en relation de critères discriminants, et la méthodologie intellectuelle à mobiliser ou « passage à l’abstraction ». Il reste que c’est à la tâche donnée à l’élève que revient le pouvoir de relier entre elles ces trois composantes. Sous cet angle, la conception par l’enseignant de la tâche de l’élève constitue l’aboutissement de l’intention didactique.

L’évaluation des acquis

L’approche par les concepts, de même qu’elle se distingue, par ses objectifs et la manière dont elle instrumentalise ses objets, de l’approche procédurale (laquelle « masque les concepts qui soutendent » les savoir faire, ainsi que le rappelle N. Uguen) va devoir inventer ses propres formes d’évaluation. Dans la continuité des propositions qui viennent d’être formulées, nous pensons à une évaluation réalisée à partir des énoncés langagiers que pourraient produire les élèves au terme de la séquence, ou à l’intérieur même du processus même de construction. L’auteur propose de même de donner pour cadre à ces énoncés une présentation orale devant la classe. La production elle-même est saisie comme une verbalisation ayant pour objet la justification des critères de sélection des sources retenues.

Le choix de vérifier les acquisition des élèves par le truchement du verbe (approche conceptuelle et savoirs déclaratifs), et non par celui du comportement (approche procédurale et savoir faire) est significatif en effet d’une véritable démarche didactique. Le concept didactique de référence, en l’occurrence, est appelé « niveau de formulation » : l’énoncé langagier produit par l’élève peut constituer l’indice de son niveau d’appropriation du concept étudié.

Nous voudrions juste profiter de cette précision pour rappeler combien il est important qu’un processus d’évaluation prenne en compte deux mesures, l’une initiale et l’autre finale. Le bilan diagnostic, en amont de la séquence, peut s’avérer très productif. Outre le fait, observable, qu’il apporte à l’enseignant une donnée objective lui permettant de mesurer un progrès chez l’élève, en comparant celle-ci à la donnée recueillie en fin de séquence, le bilan diagnostic met en lumière les représentations qui habitent l’élève aux portes de l’étude. L’analyse de ces représentations, qui peuvent faire obstacle à toute avancée dans la connaissance, pourrait apporter un complément utile aux constats effectués par l’enseignant et à partir desquels il a motivé son action. Le projet didactique, rappelons-le ici, ne vise aucunement l’élaboration des savoirs scolaires pour eux-mêmes, mais pour leur pouvoir de structuration de la pensée de l’apprenant. En d’autres termes, ils doivent être conçus et présentés autant par ce que nous percevrons des structures existantes des élèves que par leur propre épistémologie. Sur ce point, le chantier didactique n’est que trop peu avancé. Il faudrait pouvoir dresser l’inventaire des représentations des élèves relatives aux objets, aux phénomènes et aux concepts informationnels.

Passerelles

Nous avons bien compris le projet de Noël Uguen : établir des passerelles entre la recherche théorique et l’action didactique, de manière à permettre à nos collègues professeurs documentalistes de se saisir, déjà !, des premières avancées de la didactique de l’information. Et nous saluons ce projet, espérant d’autres expérimentations de sa part et de bien d’autres.