La démarche de réfutation

"Craqûre dans la brique / brick crack". Olibac, 2007. lien (Licence CC)

La démarche de réfutation peut s’avérer utile dans un domaine, comme celui de l’info-documentation, où les résistances des élèves s’avèrent importantes lorsqu’il s’agit des connaissances qu’ils prétendent souvent maîtriser relativement à leurs pratiques documentaires domestiques. Aux « natifs numériques » (digital natives) et à leurs certitudes ancrées par des pratiques informelles construites au quotidien, la démarche de réfutation contribue à faire prendre conscience de la fragilité des représentations.

Définition

C’est une démarche didactique basée sur la levée des représentations des élèves et de leur remise en question dialoguée à partir d’éléments contradictoires qui les invalident ou les affaiblissent.

La réfutation a pour but d’introduire le doute chez l’apprenant et d’affaiblir son système de représentations, lequel est susceptible de faire obstacle à l’appropriation de nouvelles connaissances. Elle introduit chez l’apprenant un conflit cognitif propice à une remise en question des certitudes et des connaissances empiriques constitutives d’un « déjà-là » cognitif.

La réfutation peut être apportée par le groupe des apprenants lors d’un travail par équipes (conflit socio-cognitif) ou bien par l’enseignant lui-même, par le biais d’un dialogue ou d’une démonstration concrète entraînant des interactions verbales.

Elle n’a pas besoin d’aller jusqu’à l’affirmation d’une thèse inverse. Il suffit qu’elle introduise un coin dans l’édifice des certitudes des apprenants.

Origine

Le verbe réfuter est emprunté au latin refutare qui signifie au propre « faire tomber en repoussant, refouler ». A la fin du XVème siècle, il s’est spécialisé au sens de « montrer la fausseté des opinions de (quelqu’un) ». Le substantif réfutation commence, à la même époque, à désigner une suite de raisons, de preuves démontrant la fausseté d’une thèse ou d’une allégation .

L’origine philosophique de cette notion est à chercher dans la dialectique éristique grecque (de eris « querelle ») qui désignait l’art de réduire l’adversaire au silence par l’usage de la controverse. On peut retrouver l’expression de cette culture du dialogue dans la disputatio scolastique au Moyen âge et, de nos jours, dans la soutenance de la thèse ou encore, bien que sous forme rédigée, dans l’exercice de la dissertation.

Modélisation de la démarche

  1. Phase d’expression et de prise de conscience des représentations des élèves

  2. Action contradictoire dialoguée du maître ou du groupe

  3. Proposition de corrections successives

  4. Formalisation conceptuelle (institutionnalisation du savoir)

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Exemple en info-documentation

On trouvera un exemple dans la séquence pédagogique présentée par Frédéric Rabat en 2008 :

  • RABAT Frédéric. Une année avec Google (suite) [en ligne]. Documentation Rouen, site des professeurs documentalistes de l’académie de Rouen [réf. du 03-03-2009]. URL : http://documentaliste.ac-rouen.fr/spip/spip.php?article192

La démarche de réfutation est particulièrement mise en valeur dans la première séance de la séquence proposée.

L’enseignant fait exprimer les représentations de ses élèves de 2nde à partir de leur pratique des moteurs de recherches, puis les remet en question lors d’un cours dialogué afin de proposer un nouveau modèle explicatif de ces objets que les élèves croyaient pourtant bien connaître.

Intérêt

  • Pour que le conflit puisse advenir, il est nécessaire que la démarche s’appuie sur une expérience, un vécu de l’élève qui confère du sens et de la légitimité à l’activité d’apprentissage.

  • Les représentations étant confondues, les obstacles amoindris, des savoirs raisonnés peuvent être alors présentés ou construits plus facilement. Ils viennent en place des anciennes représentations, par évolution de celles-ci vers des modèles plus opératoires, ou encore par réagencement des connaissances formant le socle de ces représentations.

  • La motivation est soutenue par le déroulement progressif d’une énigme fondée sur un désir de compréhension : l’ancien modèle, devenu caduque peut générer un besoin de savoir formulé par une question-énigme ou une question-problème.

  • Le déroulement de la séquence est structuré par la recherche de connaissances visant à satisfaire ce besoin de compréhension.

  • Le recours à la verbalisation facilite à la fois la remontée et la prise de conscience des représentations d’une part, et l’agrégation et la structuration des nouvelles connaissances d’autre part.

Avertissement

1- Il peut paraître illusoire de penser que fournir les bonnes réponses pourrait suffire à éliminer les erreurs. Si la brèche du doute est ouverte, l’apport du maître suffit-il, dans son expression magistrale, à construire durablement une connaissance ? Une solution didactique peut être alors proposée via la démarche de la situation-problème, où les élèves vont au bout de leur logique et sont amenés à échafauder par eux-mêmes des modèles explicatifs davantage opérationnels. La démarche de la réfutation ne peut donc être tenue pour exclusive mais participante d’autres démarches, et particulièrement celle de la situation-problème.

2- Pour trouver sa meilleure efficacité, il faudrait que l’énigme soit découverte et construite par l’apprenant et non pas uniquement présentée et déroulée par le professeur. Là encore, la démarche de la situation-problème complète utilement cette approche.

3- Réfuter les arguments relatifs aux représentations des élèves oblige l’enseignant à prévoir les scénarios possibles susceptibles d’être suivis lors du cours : il doit connaître, d’une part, les représentations les plus communes des élèves à un âge donné et, d’autre part, maîtriser suffisamment le domaine, exemples à l’appui, pour disposer d’assez de matière argumentative.

Le risque, bien connu des didacticiens pour qui l’apprentissage reste une affaire de déplacement ou de réagencement des conceptions de l’apprenant, serait que la plus-value cognitive générée par la démarche de réfutation ne soit opérationnelle qu’en surface, tandis que le noyau dur des représentations serait maintenu.


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