Publications liées

Cinq textes de l’auteur pour une analyse critique du document PACIFI :

1- Le Pacifi, un océan de questions. Introduction à une analyse critique du document Pacifi. Les Trois couronnes, 01-2011

2- Le Pacifi et le tropisme procédural de l'institution. Les Trois couronnes, 01-2001

3- Le Pacifi : Une référence ambiguë au Socle commun. Les Trois couronnes, 01-2001

4- Le Pacifi : Un hiatus entre les fiches « Repères » et le cadrage institutionnel. Les Trois couronnes, 02-2011

5- Vers une validation du Pacifi par les disciplines ? Les Trois couronnes, 10-2011

Référence documentographique

Duplessis Pascal. Le Pacifi : Une référence ambiguë au Socle commun. Analyse critique du document Pacifi (3). Les Trois couronnes, 01-2001.

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/le-pacifi-une-reference-ambigue-au-socle-commun-analyse-critique-du-document-pacifi-3

Le Pacifi : Une référence ambiguë au Socle commun. Analyse critique du document Pacifi (3)

Gosier beach. Louis Gély, 2008. Sous Creative commons. lien Modif. P. Duplessis

La sujétion au Socle commun a pour effet de réduire et de simplifier inconsidérément la richesse des apprentissages info-documentaires, sans pour autant apporter la cohérence structurelle promise. Qui plus est, force est de constater qu’au passage, une opération d’occultation des connaissances théoriques de l’information-documentation a été menée dans le document Pacifi. Pourtant, cette catégorie de connaissances a sa place dans le Socle commun en tant que composante essentielle des sept grandes compétences qui le constituent. Alors, comment expliquer la contradiction qui consiste à imposer le modèle des compétences et la référence au Socle commun d’un côté et, de l’autre, à (se) jouer de son unique fondement théorique ? Et si, tout en se pliant au même impératif d’allégeance au Socle, on en profitait pour réinjecter les savoirs info-documentaires à la place qui leur revient ?

Une réduction épistémologique au nom du Socle commun

Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer à quel point le document Pacifi s’employait à verrouiller la dimension théorique, ou déclarative de la compétence, laissant penser que les compétences info-documentaires ne sauraient être que procédurales. Le tableau « Capacités et attitudes » (p. 13), comme son titre l’indique, ne puise dans le Socle commun, qui sert de cadre unique au Parcours, que des savoir faire et des savoir être. La nature épistémologique des objets d’apprentissage est donc exclusivement procédurale.

A ce titre, le document Pacifi ne propose aucune évolution épistémique notable par rapport à ce qui s’est fait ces deux dernières décennies. Le seul élément nouveau est le fait de contraindre les limites des formations info-documentaires dans le seul champ du Socle commun. Si l’idée en soi peut paraître intéressante dans la mesure où il en va ainsi pour toutes les autres disciplines, sa traduction en 10 capacités et en 10 attitudes montre bien les limites de l’exercice dès que l’on passe au concret. Ainsi le petit « Tableau de correspondance des fiches et des compétences » (p. 13) montre la simplification extrême à laquelle ce procédé aboutit : 9 fiches sur 10 n’expriment qu’une seule capacité, et 5 fiches sur 10 une seule attitude.

Mais où sont passés les savoirs ?

Est-ce à dire pour autant que les connaissances déclaratives (principes, théories, concepts) de l’information-documentation peuvent être aussi facilement gommées, à l’heure où, les enjeux informationnels et communicationnels étant devenus primordiaux dans toutes les sphères de la société, il est plus que jamais utile de posséder des clés conceptuelles pour les appréhender ? Le document Pacifi peut-il y échapper sans que l’on s’aperçoive qu’un coup de gomme a été passé et sans qu’il y perde un peu de sa crédibilité au passage ? Ce sera l’objet du premier point que je souhaite aborder.

Par ailleurs, le document Pacifi n’embarquerait-il pas, malgré lui, un certain nombre de ces connaissances déclaratives, puisque traiter l’information et les médias oblige à observer, à identifier, à décoder, à prendre conscience, à interroger, à réfléchir, à analyser, à comprendre, bref, à s’y connaître sur les phénomènes informationnels qui constituent aujourd’hui notre environnement cognitif, social et technique ? Ce second point sera développé dans la prochaine livraison.

Quand les compétences remplacent les savoirs…

La référence au Socle commun semble avoir conditionné la réflexion du groupe de travail. Il est difficile d’affirmer avec certitude quelle a été la commande précise, fut-elle explicite ou non : s’agissait-il d’une volonté d’harmonisation avec le décret de 2006 (et pourquoi ?) ou bien s’agissait-il d’édifier une sorte de pare-feu visant à contenir le domaine en extension continue de l’info-documentation ? Toujours est-il que cette contrainte est imposée comme une évidence dans le Pacifi, avec l’autorité d’un discours institutionnel, sans qu’il soit même pris la peine d’en expliquer la raison. En tout cas, au vu du résultat obtenu avec les 10 capacités et les 10 attitudes, cette contrainte n’a certainement pas joué un rôle heuristique.

Il n’empêche que ce Socle commun, pour revenir un instant au cadre, jette une ombre imposante sur tout le système éducatif et commence d’ores et déjà à modifier la posture des enseignants du primaire et du secondaire. Que représente-t-il au juste ? Il révolutionne tout simplement notre rapport traditionnel au savoir en détrônant celui-ci de sa position hégémonique. Ce renversement s’opère au bénéfice de la compétence, érigée, on le voit bien, en « pilier » de l’Ecole.

La notion de compétence, issue du monde du travail, a émergé dans le sillage de la société de l’information et de la mondialisation, dans la logique néolibérale de l’entreprise. Elle est passée dans le monde de l’éducation par la volonté politique de nombreux états et a été en partie scientifiquement soutenue par la psychologie cognitive qui voit là une concrétisation de ses recherches sur les activités mentales liées aux apprentissages. Toujours est-il que le savoir, déchu, se retrouve à présent à rang égal avec d’autres types de connaissances qui avaient été jusque là très largement minorés, les savoir faire et les savoir être.

  • « Chaque grande compétence du socle est conçue comme une combinaison de connaissances fondamentales pour notre temps, de capacités à les mettre en œuvre dans des situations variées, mais aussi d’attitudes indispensables tout au long de la vie, comme l’ouverture aux autres, le goût pour la recherche de la vérité, le respect de soi et d’autrui, la curiosité et la créativité. »

Socle commun de connaissances et de compétences1

Décret n° 2006-830 du 11-7-2006

J.O. du 12-7-2006

Le décentrement opéré par le Socle commun déplace l’attention portée auparavant sur des objets extérieurs à l’individu, les savoirs constitués, vers l’élève, saisi comme sujet cognitif ayant pour tâche la mobilisation de différentes ressources cognitives internes (connaissances acquises, capacités, attitudes) et externes (situations, informations, etc.) Si le savoir est un construit social objectivé, la compétence est avant tout une activité mentale opératoire et subjective.

Le Socle commun consacre donc, dans le système éducatif français, l’entrée par les compétences. Le débat philosophique et sociologique qui a précédé son instauration, sur la nécessité ou pas de disposer d’un palier minimal de compétences que les élèves doivent acquérir à la fin de la scolarité obligatoire, en a souvent occulté un autre qui touche aux enjeux même de l’approche par compétences, enjeux qui sont certes éducatifs, mais également politiques et économiques. Pour certains chercheurs, cette approche, héritée du monde de l’entreprise, prédisposerait les personnes à entrer dans une logique de validation des performances, de culture de l’évaluation, d’adaptabilité au marché du travail et de valorisation des compétences sociales.

Pas de compétences sans savoirs

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle acception de la compétence rompt avec la précédente, qui était en vogue dans les années 90, du moins dans le paysage éducatif français. Davantage axée sur l’idée de transversalité, cette dernière avait contribué à freiner le processus de professionnalisation des enseignants documentalistes en barrant la route à la revendication d’une spécificité de leur domaine. Aujourd’hui, puisqu’elle articule au moins les trois principaux types de connaissances, la compétence du Socle commun peut être qualifiée d’intégrative.

Elle ne s’oppose pas au savoir en tant que tel, mais seulement à sa position hiérarchiquement supérieure. Elle l’intègre au contraire en tant que composante, et sait en tirer parti pour permettre au sujet de résoudre des problèmes particuliers dans des contextes donnés. Il ne peut donc y avoir de compétences sans savoirs. Un récent diaporama de la DGESCO2, daté d’août 2010, présente d’ailleurs les capacités comme des « aptitudes à mettre en œuvre les connaissances dans des situations variées », ce qui les rapproche d’ailleurs étrangement de la définition même de compétence, puisque « maîtriser une compétence, c’est pouvoir mobiliser et réinvestir des connaissances, des capacités et des attitudes afin d’atteindre un objectif précis dans une situation donnée ». Laissons conclure Gérard Vergnaud, didacticien : « 80% des compétences sont des connaissances ! »3

Ce modèle de la compétence intégrative semble destiné à irriguer la réforme du système éducatif afin de la rapprocher des attentes sociales et des nouveaux modèles économiques. Le B2i et le C2i, les programmes scolaires, le cahier des charges pour la formation des professeurs 4 fonctionnent déjà en mettant en œuvre cette triade.

Mais dans le document Pacifi, l’absence de trace explicite d’un savoir info-documentaire, pourtant premier composant de la compétence, laisse le champ libre aux deux autres composants que sont les capacités et les attitudes. Ne doit-on pas voir comme une contradiction le fait que le document Pacifi, qui se réclame avec autorité du Socle commun, déroge à cette règle, et qui plus est, sans la moindre explication ?

Qu’en disent les scientifiques ?

Une première réponse à cette énigme se trouve peut-être, du moins en partie, dans le cadrage scientifique du document Pacifi qui ne laisse aucune place à des savoirs info-documentaires. Le texte co-signé par Nicole Boubée et Brigitte Simonot s’intéresse en effet à la compétence. Il mentionne même deux types de « compétences » : des compétences cognitives, « comprenant des aptitudes à analyser, à évaluer et synthétiser, ainsi que des compétences sociales et communicationnelles » (p. 5). Sans qu’aucun pont ne soit établi - c’est regrettable pour la lisibilité de ce document - entre cette terminologie scientifique et celle de l’institution, on peut voir dans les premières l’équivalent des capacités, et dans les secondes des attitudes. Il ne faut donc pas chercher ici de rapprochement avec la compétence intégrative du Socle commun. Dans ce même texte, la compétence procédurale est, quant à elle, nommée « activité informationnelle ».

Mais nulle part la raison de la disparition des savoirs n’est explicitée … Si ce texte sert de caution scientifique à l’entreprise du Pacifi, il n’éclaire en rien la nécessité de se référer au Socle commun ni celle de s’affranchir du même coup de son principe fondateur.

Existe-t-il des savoirs info-documentaires dans le Socle commun ?

Une deuxième réponse pourrait, tout simplement, venir du constat que, dans les sept piliers du Socle commun, aucun savoir touchant à l’information-documentation dans les sept parties dédiées aux « Connaissances » n’a pu être trouvé. Or l’examen infirme tout simplement cette hypothèse. A la parution du décret, nous avions été quelques uns à repérer ces connaissances et à les mettre en ligne. L’entreprise est certes un peu décevante, mais ce constat vaut tout autant pour les capacités et les attitudes relatives au champ de l’information-documentation, ainsi que le montre d’ailleurs le relevé effectué par le document Pacifi. Mais au prix d’une égale complaisance, il est tout à fait possible d’arriver à un résultat de même nature s’agissant des savoirs. Voici donc ce que pourrait donner, à l’exemple du document Pacifi, une liste de 10 savoirs :

  • Les élèves devront connaître : un vocabulaire juste et précis pour désigner des objets réels, […] des abstractions (S1)

  • Etre familiarisé avec les techniques courantes, le traitement électronique et numérique de l’information et les processus automatisés, à la base du fonctionnement d’objets de la vie courante (S2)

  • Les élèves doivent maîtriser les bases des techniques de l’information et de la communication (S3)

  • Savoir que les équipements informatiques (matériels, logiciels et services) traitent une information codée pour produire des résultats et peuvent communiquer entre eux (S4)

  • Savoir que l’usage de ces outils est régi par des règles qui permettent de protéger la propriété intellectuelle, les droits et libertés des citoyens et de se protéger soi-même (S5)

  • La culture humaniste participe à la construction du sentiment d’appartenance à la communauté des citoyens, aide à la formation d’opinions raisonnées, prépare chacun à la construction de sa propre culture et conditionne son ouverture au monde (S6)

  • Comprendre l’unité et la complexité du monde par une première approche des droits de l’homme (S7)

  • Connaître les règles de la vie collective et comprendre que toute organisation humaine se fonde sur des codes de conduite et des usages dont le respect s’impose (S8)

  • Connaître la distinction entre sphères professionnelle, publique et privée (S9)

  • Quelques notions juridiques de base et notamment l’identité de la personne […], le principe de responsabilité (S10)

Sinon, le domaine 4 du B2i Collège 5 offre également l’entrée suivante en tant que « connaissance principale »:

. « Les outils de recherche utilisent des critères de classement et de sélection de l'information. »

Ces 10 savoirs gagneraient donc à être ajoutés au tableau de la page 13 du document Pacifi. Il restera de toutes façons cette impression générale d’incohérence et de réduction du domaine. Mais au moins, évoquer des compétences deviendrait tout d’un coup crédible.

Les savoirs retrouvés

L’argument épistémique habituel selon lequel il n’existerait pas de savoir en information-documentation est une fois de plus à rejeter. Faut-il alors discréditer les concepteurs du document Pacifi et s’étonner qu’ils n’aient jamais pris conscience de l’existence de ces savoirs au cours de toute une année de travail ? Cela paraît peu plausible, notamment dans le contexte actuel de didactisation de la matière. L’examen des 10 fiches produites suffit d’ailleurs pour se rendre compte que ces savoirs ont été trouvés, sans pour autant être assumés.

(A suivre…)


  1. http://www.education.gouv.fr/bo/2006/29/MENE0601554D.htm 

  2. http://media.eduscol.education.fr/file/socle_commun/69/9/LPC-presentation-enseignants_152699.pdf 

  3. Grosstephan Vincent. La construction des compétences : tentative d’analyse critique. Médiadoc n°5, 12-2010. p.17-22 

  4. Définition des compétences à acquérir par les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d'éducation pour l'exercice de leur métier. Bulletin officiel n° 29 du 22 juillet 2010. http://www.education.gouv.fr/cid52614/menh1012598a.html 

  5. http://www.education.gouv.fr/bo/2006/29/MENE0601490A.htm 


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