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Référence documentographique
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Professionnel(s) vous avez dit professionnel(s) ?

Les professeurs documentalistes doivent être de vrais professionnels de l’information. Les représentants de l’institution qui les évaluent et les recrutent le leur rappellent régulièrement et c’est tout à fait légitime. Cette exigence se manifeste dès le concours externe de recrutement du CAPES de Documentation dont les épreuves permettent de déceler déjà chez les candidats une base de connaissances, de savoir faire techniques ou de réflexes de futurs professionnels. S’il est vrai qu’un sujet de concours peut être saisi comme le miroir de la profession que l’on construit, quelle image ressort-il de la session 2008 ?

        L’épreuve de dossier documentaire à l’écrit a été maintenue dans sa forme initiale  même si  sa thématique a évolué, justement parce qu’elle permet de déceler quelques compétences de cet ordre. Certes, la production de la liste signalétique normalisée des documents du dossier a été supprimée en 2000, mais tout formateur consciencieux enseigne aux étudiants l’importance et les modalités de rédaction des références bibliographiques  de documents à partir de sources et supports divers. Ce sont d’ailleurs les professeurs documentalistes qui veillent le plus souvent  à donner aux élèves ces réflexes de repérage, évaluation et citation correcte  des références des documents  lors de leurs  recherches, notamment sur internet.

        Aussi, le « feuilletage » du sujet de 2008 (reproduit sur le site du CRDP de Nice) laisse pour le moins songeur, sinon consterné. Le thème du sujet « Commémorer, célébrer, conserver » a  été choisi initialement en rapport avec une actualité controversée, puisque y figurent en document 8,  l’Allocution  du Président de la République lors de la cérémonie d’ hommage aux martyrs du Bois de Boulogne, prononcé le 16 mai 2007 (et imprimé à partir du site le 26 juin), décidant de  la lecture de la lettre de Guy Môquet dans les classes, et en document 9 la reproduction de la dite lettre d’ailleurs dans un libellé et une mise en forme non conformes à l’original. Et pour cause ! ce document, tiré en ligne dès le 21 juin, est extrait d’un blog (au contenu par ailleurs pour le moins contestable quand on vérifie après coup, mais les candidats  n’en avaient   pas  la possibilité). Manifestement, la requête initiale a été effectuée via  Google. Encore aujourd’hui, une recherche à  partir de  « lettre de Guy Môquet » génère  une première page de résultats dont les quatre premiers liens renvoient à « des pages similaires » non exploitables, le cinquième à l’article de Wikipedia dans lequel ne figure pas la lettre. Donc, on peut supposer que l’auteur de la requête,  s’est arrêté au sixième lien et a imprimé sans exploration du site support, le texte de la lettre sans même s’interroger non plus sur sa concordance avec  le document original. C’est fâcheux au plan épistémologique. Par ailleurs le choix de la source est pour le moins mal « adapté » pour un document qui peut être exploité avec des élèves.

        Il aurait suffi avant le dépôt du sujet à l’impression, effectué en général en début d’année universitaire, de vérifier et d’actualiser les liens pour s’en apercevoir. Et comme entre temps  était parue la circulaire de mise en oeuvre au BOEN N° 30 du 30 août 2007 on aurait pu utiliser  le document reproduit en annexe du texte officiel avec la référence d’ailleurs de l’ouvrage dont la lettre était extraite. Evidemment cela faisait cinq textes de Bulletin officiel sur un dossier de 14 documents ! (docs 3,10,12,14). Mais un petit effort aurait permis de l’éviter en recourant à la monographie elle même sur La vie à en mourir : Lettres de fusillés publiée chez Tallandier en 2003, sans doute présente dans certains CDI ou autres centres documentaires.

 

        Au delà de ce premier point concernant ce document « déclencheur »,  l’examen plus approfondi du dossier proposé appelle quelques remarques sur la présentation des documents,  sinon de leur choix, que je ne commenterai pas ici, plus avant. Constatons que le seul extrait de monographie présent,  La crise de la culture de Hanna Arendt, ne comporte ni l’indication de son édition, ni celles de l’éditeur et de la date de publication (doc1). Le document 2 est un regroupement de deux unités documentaires différentes non référencées et différenciées. Les documents 4 et 6 ont pour indication « célébrations nationales » sans reproduction de l’adresse électronique du site dont ils sont extraits.

        Encore faut il savoir qu’il s’agit d’une rubrique du site http:// www.culture.gouv.fr ! Même problème pour le document 7 (Note du ministre de la Culture aux directeurs des DRAC et préfets de région) daté par tampon du 13 mars 2007 mais dont la pagination indique plutôt un tirage imprimante initial. Le document 5, Liste des journées mondiales de commémoration indique un nom de site «  journée mondiale » et une localisation de fichier « file:// C etc » ce qui laisse planer une ambiguïté. Le site est référencé sous l’adresse www.journée_mondiale.com (signalons que le CRDP d’Aix marseille publie une liste plus complète et avec des liens actualisés).

        Une satisfaction : la référence du célèbre discours d’André Malraux pour le Transfert des cendres de Jean Moulin  au Panthéon le 19 décembre 1964 est correctement donnée et datée du 21/6/2007.Quant à la reproduction de la photo de l’inauguration du monument aux morts de Chalindrey, issue du site Genea Wiki (sans plus de précision), elle aura fait découvrir à beaucoup de candidats un site de généalogie,  à visiter après une requête par moteur de recherche, faute de mieux au niveau de la précision de l’adresse (en fait wwww.geneawiki.com).

        Qu’il s’agisse d’un dossier à usage des enseignants ou du chef d’établissement, scénario le plus probable ici, l’image de compétence professionnelle du professeur documentaliste concepteur virtuel  de l’ensemble documentaire a des risques d’ être largement « écornée » auprès de ses collègues.

 

        « Cerise sur le gâteau », pour la première fois depuis 1990, on a simplement omis de faire figurer dans les consignes du sujet, la tolérance de plus ou moins 10% pour les résumés documentaires, ce qui a perturbé nombre de candidats ne sachant ce qui  serait admis ou pas à la correction (même si cette précision est inscrite dans la norme Z concernée).

 

        Certes, chaque session suscite son lot de  critiques,  formulées  à bon ou mauvais escient , sur le fonds, le libellé ou le choix des documents. C’est la règle du genre et comme formatrice conceptrice de sujets, je sais les limites et difficultés de l’exercice. De ce fait, sans remettre en cause le thème ni la problématisation possible ou l’exploitation du corpus choisi, je  me suis bornée à ne pointer que deux documents qui pouvaient légitimement déstabiliser de jeunes candidats  qui souhaitent  entrer dans la Fonction publique, dont on leur dit qu’elle requiert un devoir de neutralité. Leur caractère politique et polémique  lié à une actualité agitée, encore récemment, autour de l’instrumentalisation de l’histoire au nom de la mémoire, sur laquelle, de nombreuses voix autorisées de chercheurs, de personnalités ou d’enseignants se sont exprimées aurait pu inciter à la prudence dans le choix  des deux documents. Il ne manque pas de documents pertinents et réflexifs sur un tel thème.

        Mais, c’est surtout la première fois qu’une accumulation d’erreurs formelles est aussi importante, et elles ne sont pas anecdotiques. Elles touchent à la compétence professionnelle et à la rigueur exigible des auteurs de sujets de concours, qui plus est du CAPES de Documentation.

        Au mieux, ce n’est pas ni sérieux ni « pro », au pire cela peut être considéré comme inadmissible de la part de responsables d’un jury qui ne respectent pas eux mêmes les exigences  énoncées envers les candidats et travaillées en formation. J’espère que l’auteur du sujet  n’est pas un professeur documentaliste et je souhaite bien du courage aux membres du jury, (qui ont, pour leur grande majorité, découvert le sujet en même temps que les candidats), pour trouver les éléments d’évaluation propres, malgré tout, à assurer leur égalité de traitement dans l’évaluation de prestations qui n’ont pas pu ne pas être affectées par ce manque de rigueur regrettable dans le traitement des sources ou les consignes du sujet. Ironie du sort dans l’autre épreuve, on leur demandait de disserter sur le thème « Veille et risque informationnel » dont on sait que l’identification des sources et leur validation est un des éléments de la  problématique. D’ailleurs, les candidats avaient à « exposer un projet pédagogique visant à sensibiliser aux processus de veille et de vigilance informationnelle ». Un des auteurs des textes proposés en annexe 2, Aude Inaudi, chercheuse au GERSIC de l’université Marseille 3, reprenant la définition du Larousse de 2002  sur la confiance face aux risques de l’internet, note qu’ « elle se caractérise  par le sentiment de sécurité de celui qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose ». A méditer !

        Du professionnalisme oui, on peut l’exiger des enseignants, mais on sait que le professionnalisme repose sur une compétence validée et reconnue par les pairs, l’institution et le corps social. Il serait dommage que l’on puisse penser que certains de ceux qui sont censés évaluer et recruter des candidats dans un concours exigeant et difficile, ne sont  pas aussi  des « pros » notamment dans le domaine des compétences de gestionnaires de l’information documentation, mission privilégiée actuellement pour les professeurs documentalistes, si l’on en juge par les déclarations réitérées (et encore récemment) en ce qui les concerne de la part de l’Inspection générale qui pilote nos  concours externe et interne.

 

        Rouen, le 18 mars 2008