Introduction de la notion de curriculum en information-documentation

Fyi (Ädri, 2008). lien

L’idée d’élaborer un curriculum pour l’information-documentation s’est installée au début des années 2000 sous l’impulsion de Jean-Louis Charbonnier et a donné lieu à des travaux importants réunissant des chercheurs de plusieurs disciplines. En 2003, se furent tout d’abord les Assises nationales pour l’éducation à l’information, lesquelles avaient inscrit la dimension curriculaire dans leur problématique « Clés pour la réussite de la maternelle à l’université ». Trois années plus tard est constitué une ERTé sous la houlette d’Annette Béguin, intitulée « Culture informationnelle et curriculum documentaire ». Elle tient un colloque international à Lille en octobre 2008 et remet son rapport en fin 2009.

PRESENTATION

Où en est-on du curriculum ?

Pour l’instant, il ressort que si les recherches et publications relatives à ce nouveau domaine sont nombreuses et diverses, elles ne présentent pas encore de visage unifié et peinent à se structurer dans un effort commun de synthèse et de construction. Il apparaît par ailleurs que les professeurs-documentalistes du secondaire, premiers concernés par ces recherches, se montrent de plus en plus réceptifs à l’émergence d’un curriculum et s’essaient à ouvrir quelques pistes sur un mode empirique. Ils fondent en effet dans ce processus en cours de nombreux espoirs, attendant notamment de pouvoir stabiliser des formations documentaires au bénéfice de tous les élèves du primaire au lycée –et même au-delà-, qui seraient structurées par des progressions et légitimées par des évaluations nationales. La mise en place d’un curriculum par l’institution présente en outre l’ultime condition pour achever un processus de professionnalisation commencé il y a maintenant plus de 30 ans.

Objectifs de l'étude

C’est pour apporter quelques éléments d’information sur ce que représente un curriculum et sur ce qu’il peut apporter à l’école en matière d’ouverture et d’intégration à la culture de l’information que ce texte a été composé. Après un bref historique de l’idée de curriculum dans le champ disciplinaire de l’Information-documentation, il souhaite faire entrer dans la complexité de la définition de ce concept et montrer les différentes approches possibles pour son élaboration. Il ressort de cette présentation que le projet curriculaire ne saurait être confondu avec un référentiel de savoirs, un programme ou une simple progression pédagogique mais que, étant l’outil de réalisation d’une vision éducative de l’école, il doit être pensé en amont et en profondeur. C’est un moment précieux qui permettra, nous l’espérons, de trouver une synthèse entre différentes approches et conceptions de l’enseignement et des apprentissages info-documentaires. Il servira en cela de socle et de cadre à la didactique de l’information de demain.

Prendre le temps

Ce temps long de la recherche et de la réflexion peut contraster avec l’urgence ressentie par les professionnels pour mettre enfin en place une véritable formation des élèves, mais c’est un temps nécessaire à toute avancée sérieuse dans ce domaine. La voie est désormais ouverte…


SOMMAIRE

Introduction : Quelques obstacles à la réception de l’idée de curriculum dans le champ disciplinaire de l’Information-documentation

  1. Historique de l’intégration de l’idée de curriculum dans le champ disciplinaire de l’Information-documentation

    • La période pré-curriculaire
    • Où l’on commence à parler sérieusement de curriculum en Information-documentation
    • Les constantes retenues par les promoteurs d’un curriculum en Information-documentation
  2. Définition du curriculum

    • Le curriculum : un plan méthodique et institutionnalisé
      1. Approche définitionnelle
      2. Les composants d’un curriculum
      3. Distinction entre programme et curriculum
      4. Distinction entre référentiel de compétences et curriculum
      5. Bilan 
    • Niveaux curriculaires et transposition didactique
      1. Une lecture sociologique : les niveaux curriculaires 
      2. Une lecture didactique : les phases de la transposition didactique
      3. Bilan
  3. Construction du curriculum

    • La multiplicité des représentations
      1. Typologie des représentations
      2. Un exemple d’approche par les compétences : l’entrée par les situations
    • Le choix d’une stratégie d’élaboration
      1. L’approche technocratique : le curriculum comme un produit
      2. L’approche participative et intégrée
      3. L’approche expériencielle : premiers outils curriculaires du terrain

Conclusion 

  • Curriculum caché et conversion épistémologique des savoirs
  • Curriculum cloisonné ou curriculum intégré ?
  • Valeur, valorisation, évaluation des savoirs enseignables

Introduction 

Quelques obstacles à la réception de l’idée de curriculum dans le champ disciplinaire de l’Information-documentation

En marge de la réflexion nationale de l’équipe de recherche en technique éducative (ERTé) qui a débuté ses travaux en 2006 sur le thème « Culture informationnelle et curriculum documentaire », nous proposons de rassembler ici quelques éléments d’explicitation relatifs au projet curriculaire. Cette réflexion souhaite apporter un éclairage sur un concept, le curriculum, qui semble assez peu connu sur le terrain.

Ce n’est que depuis le début de cette décennie que le terme de curriculum est apparu dans le champ d’investigation de l’Information-documentation. S’il a mobilisé l’attention de certains chercheurs et intéressé quelques praticiens convaincus de la nécessité d’une rationalisation des apprentissages info-documentaires, les publications qui lui sont consacrées restent pour le moins partielles et confidentielles et ne s’adressent pas directement aux enseignants documentalistes. Ceci explique en grande partie pourquoi le débat que le projet curriculaire suscite est encore loin d’avoir pénétré les CDI et, quand il y parvient, est gêné par une connaissance insuffisante des réalités et des enjeux qu’il recouvre.

Force est en effet de constater, lors de réunions professionnelles ou à la lecture des messages sur les listes de diffusion, l’écart existant entre ces réalités et la représentation que se fait la profession du curriculum en général et du curriculum info-documentaire en particulier. Ces distorsions révèlent un certain nombre de confusions principalement entretenues par la méconnaissance d’une terminologie nouvelle qui n’a pas encore réussi à trouver sa juste place sémantique parmi des concepts plus anciens et déjà acquis, tels que « programme », « référentiel de compétences » ou « discipline ». Le référentiel de compétences, par exemple, est souvent confondu avec le curriculum, ce qui empêche par conséquent tout investissement de la réflexion puisqu’il n’est dès lors compris que comme un inutile doublon jargonnant. A cet endroit, il est légitime de penser qu’un simple cadrage définitionnel pourrait venir à bout de ces incompréhensions. Cependant, si ces termes passés dans l’usage bénéficient d’une stabilité sémantique aujourd’hui plutôt bien éprouvée, il n’en est pas de même avec le concept de curriculum. Celui-ci pâtit de deux handicaps. L’un est linguistique et culturel : le curriculum appartient à une autre aire linguistique –anglo-saxonne- que la nôtre et se montre très délicat à traduire. L’autre, qui lui est lié, est sémantique : la notion ne bénéficie pas de contours encore suffisamment nets pour établir un consensus à partir duquel s’adosser en confiance.

Qui plus est, le moindre rapprochement, même à visée discriminante, avec les concepts de « programme », « référentiel de compétences » ou « discipline » rend automatiquement suspect celui de curriculum pour une partie de la profession encore attachée à la lutte contre un certain modèle canonique de la pédagogie dite traditionnelle [Duplessis, 2008]. La confusion est ici d’ordre idéologique et identitaire, lorsque le professionnel maintient une représentation improductive vis-à-vis, par exemple, de l’idée de discipline qu’il charge des connotations négatives et sclérosantes qui prévalaient dans ces années 70 où est née sa profession. Ou bien encore, le curriculum, lorsqu’il est confondu au programme, s’encombre aussitôt des procès que traîne celui-ci, accusé de lourdeur, de verbiage, d’isolement disciplinaire et rendu responsable de l’ennui, voire de l’échec des élèves.

Cet écart de représentation est préjudiciable au processus de professionnalisation engagé par les professeurs documentalistes. Il peut être imputé à un manque important de formation, principalement continue, qui empêche la profession de rentrer en possession des clés conceptuelles et culturelles dont elle a pourtant besoin non seulement pour agir dans sa pratique auprès d’élèves entrant dans un monde dominé par l’information, mais également pour se penser en tant que membre du corps enseignant au sein du système éducatif. Pour s’en tenir au sujet du curriculum que nous traitons ici, cette formation devrait pouvoir fournir aux enseignants documentalistes des éléments relatifs :

  • à la culture de l’information : ses dimensions intégratives et prospectives, les enjeux de l’éducation à l’information aujourd’hui pour les études supérieures, la vie domestique, professionnelle et démocratique ;
  • aux savoirs informationnels : leurs aspects pratiques, théoriques et éthiques ;
  • à la transmission scolaire de cette culture et de ces savoirs : ses conditions curriculaires.

Si les deux premiers thèmes ressortissent aux Sciences de l’information, le troisième point relève quant à lui d’une didactique de l’information et doit pouvoir s’appuyer sur les Sciences de l’éducation, dont la vocation est intégratrice.

Dans l’attente d’une telle formation des enseignants responsables des CDI, et afin de susciter des demandes académiques en ce sens, il importe aujourd’hui que notre profession entame une réflexion à la fois théorique et pratique sur l’option curriculaire. Pour ce faire, une mise au point préliminaire sur le concept de curriculum est nécessaire. Cet article a pour but d’apporter quelques précisions élémentaires utiles au premier détourage de la notion. Il tentera ainsi d’apporter des réponses aux simples questions suivantes :

  • Quand et comment cette idée de construction d’un curriculum est-elle apparue dans notre champ disciplinaire ?
  • Qu’est-ce qu’un curriculum ?
  • Comment appréhender son élaboration ?

Cette approche ne prétend bien sûr dessiner aucun cadre ni avancer aucune préconisation quant à la construction du curriculum. Elle souhaite par contre inviter la profession et les chercheurs à se rencontrer et à partager une réflexion commune sur le rôle fonctionnel de la didactique de l’information, au travers de l’articulation à trouver entre le processus de didactisation des savoirs à enseigner, l’intention de clarification du mandat pédagogique de l’enseignant documentaliste et la nécessaire organisation d’un plan général d’enseignement tout au long du cursus scolaire de l’élève.

1. Historique de l’intégration de l’idée de curriculum dans le champ disciplinaire de l’Information-documentation

Un bref historique de la question curriculaire en Information-documentation devrait aider à saisir les conditions et les enjeux de son émergence.

1.1. La période pré-curriculaire

Si le terme de curriculum, dans le champ disciplinaire de l’Information-documentation, n’apparaît pas avant 2000, les bases structurelles émergent dès les années qui suivent le première session du Capes externe de Sciences et techniques documentaires en 1990. Cela ne doit pas nous étonner. Dès après cette avancée statutaire majeure, acquise dans la décennie précédente par la mobilisation soutenue des « négociateurs », ces pionniers militants porteurs des valeurs du groupe [Le Gouellec-Decrop, 1997], il était logique pour la profession naissante d’aspirer à une cohérence entre statut et mandat pédagogiques. Ce qui peut étonner en revanche, c’est de constater le peu d’avancement entre cette époque et la nôtre.

En 1993 se tient le 3ème congrès de la FADBEN. Françoise Chapron et Daniel Warzager rendent publiques à cette occasion les premières propositions relatives à une didactique de l’Information-documentation. Des contenus théoriques sont esquissés, comprenant des concepts empruntés à la didactique des sciences, tels que le triangle didactique ou la trame conceptuelle [FADBEN, 1994]. Il est intéressant de noter au passage que les travaux menés aujourd’hui prolongent les pistes esquissées alors. Toutefois, même si les perspectives didactiques sont bien dessinées qui devraient naturellement conduire à un cadre curriculaire, remarquons qu’il n’est pas encore directement question de curriculum.

Parallèlement au chantier constitué par ce congrès, les notions de culture de l’information et de maîtrise de l’information envahissent progressivement les esprits dans ces années 90. C’est notamment l’époque où se forge une nouvelle utopie  : la « Société de l’information » au travers de laquelle la question de l’infrastructure amène, ou devrait amener à poser en urgence celle des contenus. Conséquemment, le monde des professionnels de l’information et de la documentation s’émeut et réclame une « formation des Français » à la culture de l’information [Interassociation ABCD, 1996].

En 1992, le Rapport Sérieyx témoigne de ce contexte d’émergence de la notion de « Société de l’information », empreint du leitmotiv de l’angoisse consécutive au retard économique de la France dans une compétition mondiale lancée dans la course à l’accès à l’information. Ce rapport, intitulé « Formation à l’usage de l’information », émane du groupe de travail interministériel présidé par Hervé Sérieyx [Serieyx, 1993]. Ses travaux, qui ont débuté en 1990, appellent ainsi à « former le jeune ‘acteur économique de demain’ ». L’intention est de faire prendre conscience aux décideurs des enjeux économiques d’une politique d’éducation à l’information-documentation. Des mesures pragmatiques dans le domaine de la formation sont préconisées, tout en mettant en garde contre une « dérive disciplinaire ». Si le rapport ne va pas dans le sens d’un cadre curriculaire organisé pour structurer une discipline, mais plutôt dans le sens d’une formation modulaire, il n’en constitue pas moins une base importante de réflexion, laquelle servira notamment pour édifier les dispositifs innovants qui suivront dès 1994. Ce discours, davantage centré sur l’économie que sur de véritables perspectives éducatives, sera repris dans les programmes ministériels aménageant l’entrée du pays dans la Société de l’information. Ainsi, le Programme d'Action Gouvernemental pour la Société de l'Inform@tion (PAGSI), [Jospin, 1997] annoncera le « plan RE/SO 2007 » (Pour une REpublique numérique dans la SOciété de l’information) de 2002 [MEN, 2002]. Du premier naîtra l’installation d’une certification des compétences informatiques (B2i), laquelle en viendra à intégrer, dans sa dernière version, quelques compétences liées à la maîtrise de l’information [M.E.N., 2006]. Ainsi c’est bien cette voie « économique », qu’il ne faudrait pas confondre avec la voie « éducative » inhérente au curriculum, qui tend aujourd’hui à prévaloir sur la seconde en voulant faire croire, non seulement à son intégration possible, mais surtout, ce qui est plus grave, à la totale convergence des finalités.

En 1996, s’appuyant sur les mêmes constats et exprimant des attentes semblables, l’Interassociation des Archivistes Bibliothécaires Conservateurs Documentalistes (ABCD) publie un Manifeste pour la culture de l’information [ABCD, 1996] qu’il adresse aux institutions nationales et internationales. Il préconise des mesures en faveur de la formation des citoyens dans ce domaine. Les deux niveaux de l’enseignement secondaire et supérieur sont sollicités. S’agissant du secondaire, il est prévu un programme de formation obligatoire et systématique, avec inscription explicite de cette action pédagogique dans les programmes, dans les emplois du temps, ainsi qu’une évaluation, par l'équipe d'enseignants documentalistes et de disciplines, des compétences acquises par les élèves. Pour ce qui est de l'enseignement supérieur, il est proposé de mettre en place des modules gradués de sensibilisation et de formation aux méthodologies et aux outils de l'information spécialisée, assortis soit d’une évaluation obligatoire (unité de valeur), soit d’un contrôle des connaissances.

Du côté de l’Education nationale apparaît progressivement l’idée que ces formations doivent intégrer, en complément de la méthodologie documentaire, des savoirs sur les objets, sur les outils et sur les processus info-documentaires. Auquel cas, ces formations ne devraient-elles pas être programmées dans le temps et être placées sous la responsabilité pédagogique du professeur documentaliste ?

Ces idées sont notamment appuyées par les interventions et travaux de Françoise Chapron (1999) et de Jean-Louis Charbonnier (1997) [Duplessis, 2006-a]. Deux publications témoignent de cette prise de conscience. 1997 est l’année de la publication du référentiel de compétences de la FADBEN, lequel intègre la dimension déclarative à l’idée de compétence, par l’ajout d’une colonne « Savoirs ». Cette nouveauté, qui ne sera hélas ! pas reprise par les nombreux référentiels qui suivront, introduit pourtant l’idée d’un programme de contenus. Par ailleurs, cette même année est publié le livre Un passeport documentaire de l’école à l’université : de la BCD au CDI et à la BU. Ses rédacteurs, une équipe d’enseignants documentalistes et de disciplines, se défendent de proposer un « programme de documentation », bien que l’on puisse lire parmi les objectifs cités celui, par exemple, de la maîtrise des vocabulaires [Brunel-Bacot, 1997]. Cependant, et comme le titre de l’ouvrage le suggère, il est question de « lister des apprentissages susceptibles de donner lieu à des progressions par niveaux », ce qui renvoie expressément à l’une des conditions curriculaires.

Toujours en 1997, paraît le Rapport ministériel Gérard, “Réseaux et multimédias dans l’éducation” [France. MEN, 1997]. Un paragraphe est consacré à des préconisations visant à « former l’élève à la maîtrise de l’information » au collège principalement. Pour la plupart, les points énumérés ci-dessous relèvent, avant l’heure, des spécifications relatives au curriculum :

  • des référentiels de compétences précisant des savoirs spécifiques et des méthodologies ;
  • une formation mise en œuvre de manière progressive dans le cadre d’un enseignement modulaire ;
  • une progression allant de la classe de 6ème jusqu’en classe de 2nde ;
  • un volume de 7 à 8 heures sur l’année ;
  • en fin de 3ème, l’évaluation d’une production documentaire sur un thème emprunté à une discipline ou au domaine de la culture de l’information ;
  • une formation confiée aux équipes d’enseignants documentalistes et de disciplines ;
  • un cursus nécessitant un allégement des charges actuelles des enseignants documentalistes.

1.2. Où l’on commence à parler sérieusement de curriculum en Information-documentation

Ce n’est qu’en 2000 que la notion de « curriculum » est introduite dans le domaine de l’Information-documentation par Jean-Louis Charbonnier [2000]. S’appuyant sur les travaux des sociologues Philippe Perrenoud et Jean-Claude Forquin, il montre que si les compétences et les savoirs info-documentaires sont bien requis à l’école, ils ne sont pas pour autant enseignés. Ce ne sont que des « allants de soi », des savoirs implicites référant à des pratiques culturelles non didactisées et qui, sans formation raisonnée, sont réservés aux seuls « héritiers ». Dès lors, l’Information-documentation disposerait bien, selon J.-L. Charbonnier, d’un curriculum, mais d’un « curriculum caché » [Perrenoud, 2002].

2003 pourrait être nommée « année curriculaire ». Jean-Louis Charbonnier installe définitivement la question curriculaire en Information-documentation à partir de deux textes aux titres évocateurs : « Peut-on parler d’une formation à l’information documentaire de la maternelle à l’université ? » et « Place du curriculum en information-documentation dans la formation des élèves, des étudiants et des enseignants » [Charbonnier, 2003-a, 2003-b]. Il est à présent question de dépasser le régime d’allants de soi (curriculum caché) pour organiser un régime prescriptif (curriculum formel, prescrit) attendu de la part de l’institution.

Cette même année, les « Assises nationales pour l’éducation à l’information » inscrivent la dimension curriculaire dans leur problématique : « clés pour la réussite de la maternelle à l’université » [Assises, 2003]. Il s’agit de montrer à quelles conditions il est envisageable de concevoir une éducation obligatoire qui s’inscrit et se déroule dans une progression couvrant tout le cursus de l’élève. Dans la synthèse de ces journées, Gérard Losfeld, professeur émérite à Lille 3, officialise en quelque sorte l’entrée de cette notion en l’instituant en tant que projet pour la recherche et pour la profession. La définition qu’il donne du « curriculum » trace un cadre précis au chantier qui s’annonce :

  • « Au premier plan est apparue la  nécessité de prendre en compte tous les cycles de formation, de la maternelle (des expériences passionnantes s'y déroulent) à l'université. Et pour ce faire, dans la cohérence de la progression, il conviendrait sans doute de penser en termes de curriculum, pour reprendre le concept anglais popularisé en France par J.C. Forquin : établir des programmes d'étude et de formation dans le temps, suivant une progression raisonnée et constamment évaluée, et incluant non seulement des contenus mais aussi des situations d'apprentissage. [...] L'objectif est évidemment de donner aux élèves, du point de vue d'une société déterminée, des compétences attendues avec des savoirs identifiés comme capables d'y mener, d'articuler cette construction de savoirs sur des  objets ou des situations  concrètes /…/ »

Il faudra attendre 2005, et le 7ème Congrès de la FADBEN qui s’est tenu à Nice pour voir apparaître les premiers effets de ces Assises. Une table ronde y est organisée qui rappelle à tous la promesse faite alors d’œuvrer « Pour un curriculum en éducation à l’information ». Il ressort des échanges qu’il est grand temps d’émettre des propositions concrètes s’agissant des contenus à enseigner, afin d’offrir une matière à travailler pour la réflexion curriculaire [FADBEN, 2006].

Mais c’est surtout à partir de l’annonce faite, en 2006, de la constitution d’une ERTé « Culture informationnelle et curriculum documentaire » que le coup d’envoi officiel est donné. Cette équipe de recherche, dirigée par Annette Béguin, s’inscrit dans le droit fil des Assises de 2003 qui appelaient à « fédérer des énergies ». L’équipe, pluri-disciplinaire et pluri-catégorielle (enseignants chercheurs, doctorants, formateurs, associations et organismes), s’est donné pour but de fournir d’ici 2010 un ensemble de préconisations pour servir à l’établissement d’un curriculum info-documentaire. Le colloque de 2008 permet de dresser le bilan des premières avancées.

1.3. Les constantes retenues par les promoteurs d’un curriculum en Information-documentation

La visée du curriculum doit être distinguée des processus utilisés pour son élaboration. Aussi, à ce point de la présentation, ne peut-on encore que préciser ce qui ressortit au but souhaité, telle que l’évolution rapportée ici le laisse augurer. La première conclusion à tirer concerne l’inscription des apprentissages documentaires dans un curriculum de type prescrit : afin que tous les élèves de la République bénéficient en toute égalité d’une éducation à la maîtrise de l’information, l’objectif institutionnel à atteindre est bien évidemment la prescription de formations.

S’agissant à présent des contenus et de la structure générale du curriculum à mettre en place, il apparaît que ces formations doivent être raisonnées, i.e. scientifiquement élaborées, et qu’elles doivent inclure des savoirs légitimés, lesquels devront être présentés et organisés dans le cadre de programmes reconnus et articulés en progressions. Enfin, ces apprentissages nécessiteront d’être placés sous le régime de l’obligation scolaire, et, pour ce qui est de leur organisation, de leur conduite, de leur articulation avec les programmes des autres disciplines et de leur évaluation, confiés à la responsabilité principale de l’enseignant documentaliste, recruté par un CAPES ad hoc.

Les traits principaux qui émergent de ces premiers travaux d’approche pour définir le curriculum en Information-documentation sont ainsi posés : la légitimation, la rationalisation et la formalisation des objets de savoirs, la systématisation des enseignements, la planification séquentielle des apprentissages.

Il reste cependant à préciser que si les différents acteurs s’accordent sur l’intérêt d’une réflexion curriculaire, notamment à propos de la question des enjeux éducatifs, les voies divergent quant à l’élaboration du curriculum et à son articulation avec les curriculums des autres disciplines.

Qu’en est-il de manière plus générale ? A quel concept générique se réfère exactement cette posture régionale visant à introduire dans le paysage éducatif français un curriculum original ?

2. Définition du curriculum

Qu’est-ce qu’un curriculum ? Une terminologie importée qui a du mal à creuser son sillon sémantique en France ? Un doublet exotique du mot « programme » ? Ou bien un concept qui permettrait de sortir des carcans qu’une vision disciplinaire a imposés en France et qui, pourtant si décriée, contribue toujours à structurer et à cloisonner solidement le paysage éducatif ?

Peut-on, au travers d’une rapide exploration définitionnelle de ce concept, entrevoir les espaces qu’il ouvre à la réflexion actuelle sur la didactique et la matière info-documentaires ? Cette partie commencera par évoquer les principes les plus généralement admis du curriculum et par donner une idée de ses composants. Elle tentera ensuite d’apporter quelques réponses terminologiques aux questions que se pose la profession à la recherche de la bonne distance à trouver entre les concepts de curriculum, de programme et de référentiel de compétences. Elle établira enfin un lien entre deux visions distinctes relatives au curriculum : l’une est sociologique, s’intéressant de manière critique aux étapes du processus de réalisation curriculaire sur le terrain scolaire avec l’idée de niveaux curriculaires, l’autre est didactique, analysant le processus d’élaboration des savoirs scolaires à partir de la notion de transposition didactique.

2.1. Le curriculum : un plan d’enseignement méthodique et institutionnalisé

2.1.1. Approche définitionnelle

Le terme « curriculum » a été utilisé pour la première fois par John Dewey, philosophe américain considéré comme l’un des pionniers du vaste mouvement de l’Education nouvelle, en 1902 pour rendre compte de l’opposition entre un curriculum centré sur l’enfant et un curriculum centré sur les savoirs. D’emblée, une dualité apparaît entre le parti-pris de l’élève, l’entrée par son expérience éducative, et le parti-pris de la matière, l’entrée par les contenus de la discipline. Si le premier curriculum s’attache à la fluidité de l’expérience, aux centres d’intérêts et à la dimension psychologique, le second s’intéresse en particulier à l’organisation des savoirs, à la progressivité des acquisitions et à la dimension logique. [Muller, 2006]. Cette distinction radicale, pour être comprise, doit être saisie dans le contexte réformateur de l’époque, où le mouvement de l’Education nouvelle, prônant les méthodes actives, fustigeait la pédagogie traditionnelle de l’école « assise ».

. Le produit d’une politique éducative

Ce débat, qui constitue notre entrée en matière, suggère en premier lieu que le curriculum est avant tout l’instrument d’une politique éducative, à la croisée d’intentions pédagogiques, pour ce qui est de la vision de l’homme qui s’y exprime, et d’intentions didactiques, s’agissant de la rationalisation d’un projet global d’enseignement. Le curriculum est par conséquent assujetti à des choix éducatifs premiers qui touchent aux valeurs et aux finalités du système éducatif d’une société, à la vision qu’elle nourrit d’elle-même et de l’homme en devenir, doublement redevable d’en assurer à la fois sa perpétuation et son évolution.

. Une prescription institutionnelle

De cela découle une deuxième idée, qui est que le curriculum est construit par l’institution éducative qui s’en sert comme un outil pour imposer ses décisions et en contrôler ses applications sur le terrain scolaire. La réalisation du curriculum engage toujours une responsabilité de la tutelle de l’état. La Loi d’orientation de 1989 avait instauré le Conseil national des programmes, celle de 2005 l’a remplacé par le Haut conseil de l’éducation. C’est à de telles instances qu’il reviendrait de proposer le curriculum de l’information. Jean-Claude Forquin [2002], professeur de sciences de l'éducation à qui l’on doit l’introduction en France du débat anglo-saxon de la sociologie du curriculum, rappelle qu’un « programme d’études ou de formation [est] organisé dans le cadre d’une institution d’enseignement ». Le contrôle –ou l’influence- qu’exerce l’institution sur les processus éducatifs s’opère via les évaluations du système éducatif et les examens. Il peut être vécu comme l’expression contraignante de l’esprit jacobin et centralisateur d’un état héritier de la tradition française, et poser à ce titre des difficultés quant à sa réception par les maîtres. L’application d’un curriculum demande alors une véritable politique d’information et de formation des personnels. Mais cette injonction a cependant pour effet positif de rappeler le caractère d’obligation des prescriptions [Vogler, 2002]. Le principe du service public consiste en effet à offrir à chaque citoyen une même chance de réussite en instituant sur le territoire des conditions égales de formation.

. La formalisation d’un projet éducatif

Une troisième idée, corrélée à la précédente, propose que le curriculum fait l’objet d’une formalisation. Il se concrétise sous la forme de textes réglementaires (lois, arrêtés, circulaires et notes) à forte valeur contraignante, mais qui servent de référence aux enseignants et de repères aux parents. Le discours pédagogique qui caractérise ces textes est de type officiel, selon la typologie de Olivier Reboul [1984] : optimiste, réformateur, à la stratégie oecuménique, il est, comme tout discours pédagogique, idéologique. La forme du curriculum renvoie à la structure du contenu qu’il organise, distinguant ses différents composants et étapes. Appelé alors curriculum formel, il donne, par ses décrets, la forme nécessaire au système éducatif pour lui permettre de suivre au mieux les orientations souhaitées. In fine, le curriculum peut être saisi comme une formalisation a priori d’une expérience éducative, celles des élèves tout au long de leur cursus.

. Un processus de rationalisation

Une quatrième idée pointe l’entreprise de rationalisation des phénomènes relatifs aux situations d’enseignement et d’apprentissage. Inspiré par la pédagogie par objectifs, souhaitant remettre de l’ordre dans le jaillissement pédagogique du mouvement de l’Education nouvelle et tirer un meilleur parti de ses intuitions et de ses expérimentations, le projet curriculaire, du moins à ses origines, entendait mettre à raison scientifiquement un matériau prometteur. L’identification des objectifs et leur organisation en taxonomies, leur mise en relation hiérarchique avec les buts et les finalités éducatives, l’analyse des difficultés des élèves ou encore l’analyse des contraintes de réalisation restent les marques bien visibles de cette systématisation.

. Une visée d’exhaustivité

Une cinquième idée concerne l’ambition d’exhaustivité du curriculum lorsqu’il prétend embrasser dans une vision globale la totalité du phénomène éducatif [Forquin, 1989], à savoir les intentions, les contenus, l’organisation, les méthodes, les environnements humains et matériels (manuels scolaires, etc.), les situations d’apprentissage, de même que l’évaluation et les dispositifs de formation des enseignants [Crahay et al., 2006]. Les contenus en question ne sont pas seulement cognitifs , mais également culturels, sociaux ou professionnels. Quoi qu’il en soit, rappelle Forquin [1989], la question de la sélection des contenus est une composante importante du concept de curriculum, lequel participe à la gestion sociale des savoirs à transmettre. En fait, il se donne pour but d’apporter des réponses concrètes et formalisées aux questions suivantes :

  • à quelles fins ? Selon quelles valeurs ? (l’axiologie) - quels contenus cognitifs ?  Quelle progressivité ? (la didactisation) 
  • quels objectifs ? (l’opérationnalité)
    • comment ? Quelles méthodes ? (la méthodologie) 
    • quand ? Dans quel ordre ? Avec quelles progressions ? (la temporalité des apprentissages) 
    • qui ? (la responsabilité)

Ces questions ressortissent à une vision du curriculum qui est restreinte à ce qui est expressément communicable et exigible des actions d’enseignement-apprentissage. Mais il est encore une vision élargie du curriculum qui englobe non seulement ce qui est ainsi pris en compte du point de vue de l’institution, mais encore tout ce qui est repérable du point de vue de l’élève. Il s’agit alors de la part implicite des effets de l’éducation sur celui-ci, et qui relève d’attitudes, de modes de pensée, de comportements et de valeurs non explicitement évoqués ni même recherchés par les maîtres et l’école [Forquin, 2002].

L’importance de l’entreprise l’oblige par conséquent à une nécessaire organisation dans la présentation méthodique de ses contenus et de ses préconisations.

. La planification du cursus de l’élève

Enfin, il convient de relever cette idée caractéristique du curriculum, et d’où il tire d’ailleurs son nom (latin curriculum, « course »), selon laquelle il se présente d’emblée comme le parcours éducatif de l’élève. Le curriculum est un plan de formation qui organise des situations d’enseignement-apprentissage se développant progressivement et durablement dans le temps long de ce parcours scolaire, à savoir de la maternelle à l’université. Sous-jacente à cette idée de mise en ordre séquentielle, apparaît celle de la progressivité des apprentissages, témoignant d’une prise en compte de leur dimension psychologique.

S’inspirant de la définition du philosophe britannique Paul Hirst, Forquin [2002] propose de voir dans le curriculum une « programmation délibérée et [une] organisation méthodique à partir d’objectifs explicitement définis et pouvant donner lieu à des évaluations rigoureuses ».

La question de l’évaluation, saisie comme nécessaire rétro-action des actions formatrices, est toujours présente à l’esprit des concepteurs de curriculums. Elle est indissociable de celle de l’enseignement-apprentissage. Ainsi D’Hainaut [1977] les relie dans la définition synthétique qu’il donne du concept : un curriculum « s’exprime habituellement en termes d’intentions, de contenus, de progressions et de méthodes ou de moyens à mettre en œuvre pour enseigner et pour évaluer ».

2.1.2. Composants d’un curriculum

Une représentation classique conforme à l’image vers laquelle tendent les discours que nous avons rappelés, notamment dans la première partie, semble correspondre à celle que Louis D’Hainaut, psychopédagogue belge, a développé dans son essai Des fins aux objectifs de l’éducation, en 1977. A la lecture de cet ouvrage et d’autres contributions de cette période « classique », il est possible de se faire une représentation idéale de ce qui pourrait composer un curriculum :

  • l’énoncé des intentions de formation
  • la définition du public cible
  • la présentation des contenus :
    • les objectifs de contenus
    • les compétences spécifiques et les effets attendus en termes d’attitudes et de comportements
  • l’organisation des apprentissages :
    • les progressions
    • la planification des activités
    • les horaires
  • les méthodes :
    • les relations d’aide et les ressources humaines
    • les activités d’enseignement-apprentissage
    • le matériel didactique (les manuels, les supports, etc)
  • l’évaluation :
    • la description du système d’évaluation
    • les critères de réussites

Dans une perspective plus actualisée de la question curriculaire, J.J.H. van den Akker [2003] résume ces différents chapitres en une liste de dix composants dont le premier, la raison ( rationale ) sert d’axe aux neuf autres.

Curriculum_1 Les 10 éléments composant un curriculum [van den Akker, 2003]

Il donne par ailleurs une représentation de ces constituants en réseau, sous la forme d’une toile d’araignée, afin de bien montrer le caractère interdépendant de chacun des composants, et de souligner la vulnérabilité de l’édifice, dans la mesure où toute chaîne n’a jamais que la force de son maillon le plus faible.

Curriculum_2 La toile d’araignée du curriculum [van den Akker, 2003]

2.1.3. Distinction entre programme et curriculum

D’Hainaut [1977] commence par définir les termes de programme et de curriculum pour mieux les opposer.

  • « Un programme, explique D’Hainaut, est, en principe, une liste de matières à enseigner accompagnée d’ « instructions méthodologiques » qui la justifient éventuellement et donnent des indications sur la méthode ou l’approche que ses auteurs jugent la meilleure ou la plus pertinente pour enseigner ces matières ». Or l’approche par la matière oriente presque forcément vers les disciplines pour s’y maintenir en vase clos. Un curriculum, en revanche, est un « plan d’action pédagogique beaucoup plus large qu’un programme d’enseignement tel que nous venons de le définir : il comprend en général, non seulement des programmes dans différentes matières mais aussi une définition des finalités de l’éducation envisagée, une spécification des activités d’enseignement et d’apprentissage qu’implique le programme de contenus et enfin des indications précises sur la manière dont l’enseignement ou l’élève sera évalué ».

Cette opposition, valide dans le contexte spatio-temporel où évolue l’auteur, mérite d’être aujourd’hui nuancée, du moins s’agissant de la scène éducative française. En effet, si le programme désignait traditionnellement des contenus d’enseignement sous forme de listes de savoirs disciplinaires, la Loi d’orientation de 1989 a imposé le passage d’une logique d’enseignement (centrée sur le maître et la discipline) à une logique d’apprentissage (centrée sur l’élève et son développement psychologique) [Vogler, 1998]. En 1992, le Conseil national des programmes, installé par la Loi d’orientation, a établi une Charte des programmes pour définir un ensemble de règles d’élaboration des programmes. Ce document de cadrage montre la volonté de l’institution de sortir d’une approche cloisonnante, disciplinaire et strictement injonctive. Il aide les enseignants en instaurant la publication de documents d’accompagnement contenant des suggestions pédagogiques relatives à l’évaluation, aux ouvertures interdisciplinaires et à la mise en oeuvre des programmes. La Loi d’orientation de 1989 organise la scolarité en cycles permettant aux élèves de construire leurs acquisitions sur des périodes plus longues que l’année. Des progressions annuelles sont proposées dans les nouveaux programmes, des critères d’évaluation sont définis, de même que sont précisées les connaissances et les méthodes devant être assimilées au cours du cycle.

En 2005, la nouvelle Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’Ecole remplace le CNP par un Haut conseil de l’éducation qui, aussitôt, planche sur l’élaboration d’un Socle commun de connaissances et de compétences (2006). Si elle prolonge la voie prise en 1989, l’approche présentée en 2006 marque une nouvelle évolution déterminante de la conception des programmes scolaires, lesquels sont d’ailleurs par la suite redéfinis de fond en comble sur cette base. Plutôt que de conforter l’idée de disciplines, le Socle officialise l’approche par champs disciplinaires (mathématiques, culture scientifique et technologique par exemple), se donnant ainsi la possibilité de jeter des ponts interdisciplinaires et d’économiser les moyens cognitifs des élèves. De même, cette sortie d’une logique de découpage propre à l’approche « programme » [Muller, 2006] est confortée par l’élargissement de l’entrée traditionnelle -par les savoirs- aux compétences., où la compétence est saisie dans une conception intégrative (connaissances, capacités, attitudes). Plus encore, la dimension d’enseignement s’ouvre explicitement à la dimension éducative puisque deux des sept piliers sont consacrés, l’un aux compétences sociales et civiques, l’autre à l’autonomie et à l’initiative des élèves. Enfin, la temporalité de la formation n’est plus confinée dans un cadre annuel ou organisé en cycles, mais débouche sur l’appréhension plus large du cursus de l’élève, de la maternelle à la fin de la scolarité obligatoire, avec, de plus, une perspective de formation tout au long de la vie. Même si, sur le plan des finalités, ces dernières évolutions du système éducatif traduisent une tournure fonctionnaliste et utilitaire de l’école, il n’en reste pas moins que, sur la forme, elles élargissent le cadre de l’organisation des formations en le faisant passer de l’échelle des programmes à celle d’un plan d’études en de nombreux points proche du modèle curriculaire.

Ceci étant rappelé, le plan d’études que constitue le Socle commun reste de portée générale et se borne à tracer les grandes lignes sur lesquelles seront alignés les différents programmes disciplinaires. Il laisse ainsi deviner les tensions qui ne manqueront pas d’apparaître entre ces deux systèmes de logiques contraires : tensions entre compétences et savoirs, entre fonctionnalisme et académisme, entre territoires et champs disciplinaires.

Si l’écart entre les notions de curriculum et de programme tend à se réduire aujourd’hui, au moins dans le système éducatif français qui nous concerne, une distinction demeure toutefois. Le curriculum développe une approche beaucoup plus intégrative que le programme, ce qui peut être saisi à partir des trois points suivants :

  1. une très large prise en compte de la réalité des processus de formation : le curriculum, dans son acception étendue du moins, embrasse non seulement la dimension formelle des prescriptions (ce qui doit être enseigné, à quelles fins, quand et comment) mais encore la dimension réelle de l’enseignement-apprentissage tel qu’il se déroule effectivement dans la classe, incluant les expériences de l’enseignant comme celles de l’enseigné. La prise en compte de la réalité des situations didactiques intervient d’ailleurs -ou devrait intervenir- dans l’élaboration curriculaire ;
  2. l’intégration de la dimension psychologique de l’apprenant : la planification propre à l’expertise curriculaire s’adosse à l’analyse des représentations des élèves sur le domaine considéré, des obstacles qui en résultent, des ressources cognitives et des paliers psychogénétiques qu’il faut considérer, des usages observés et du sens qui y est attaché ;
  3. l’approche par les situations d’enseignement-apprentissage : elle s’oppose à l’approche disciplinaire et à sa logique interne de découpage du savoir qui produit les unités d’enseignement. Cette logique de découpage par la substance se déploie dans l’organisation des séquences, du temps et des espaces scolaires [Muller, 2006], jusqu’à ignorer la réalité psychologique des élèves, leur temporalité et leurs besoins culturels et sociaux. L’approche par les situations permettrait au contraire de briser les barrières disciplinaires en favorisant l’interdisciplinarité et la construction du sens. Elle se centre sur le développement de l’expérience de l’élève et vise l’articulation entre acculturation et construction des problématiques propres à la matière. Elle génère des activités organisées de manière progressive qui permettent à l’élève d’œuvrer et de générer des savoirs.

Le premier point bénéficie des apports de la sociologie des curriculums, le second de ceux de la psychologie cognitive, et le troisième des didactiques des disciplines.

2.1.4. Distinction entre référentiel de compétence et curriculum

Si la confusion entre le curriculum et le programme est somme toute compréhensible, elle n’a pas lieu d’être s’agissant du curriculum et du référentiel de compétences. Elle semble pourtant exister sur le terrain de l’Information-documentation où de nombreux collègues pensent le premier comme un doublet jargonnant du second. Afin de compléter cette courte présentation du curriculum, il peut donc être utile de lever cette ambiguïté en distinguant l’un et l’autre [Duplessis, 2006-b].

Un référentiel de compétences est une liste des comportements attendus pour mener à bien une tâche. Ces comportements sont saisis comme les indices de certaines capacités ou compétences visées par la formation. Le référentiel sert ainsi à encadrer, réguler et évaluer une action en la référant à un ensemble qui en assure la cohérence. Pour produire un référentiel de compétences, il faut procéder à l’analyse fine d’une tâche et la découper en ses unités constitutives. Le postulat exprimé est que la formation et son évaluation sont facilitées par une décomposition d’ordre procédural en une succession de savoir faire qui peuvent être réellement observés. Chaque micro-activité repérée est alors décrite et fait l’objet d’un objectif de formation.

En information-documentation, le premier document de ce type est apparu en France en 1982, suite aux travaux d’un groupe de travail lNRP [Chevalier, 1983]. Il découpe l’activité de traitement des ressources documentaires en sept étapes distinctes et successives qui permettent de dégager les objectifs de la pédagogie documentaire. Ce travail, réduit au strict énoncé des étapes, sera par la suite institutionnalisé par la circulaire de missions de 1986 et servira de cadre au mandat pédagogique des enseignants documentalistes pour les deux décennies suivantes.

Ainsi, aujourd’hui encore, induit-on les acquis (méthodologiques) des élèves au travers de leurs productions documentaires, en postulant que les traces observées sur celles-ci constituent la preuve d’un comportement causal qui serait lui-même l’indice de la maîtrise d’une compétence, ou du moins d’un savoir faire.

Les bénéfices rendus par le référentiel de compétences documentaires sont bien connus des enseignants documentalistes qui trouvent là un guide ordonné pour piloter la formation méthodologique des élèves, un outil offrant des critères pour une évaluation objective, un instrument de parité pédagogique avec les collègues de disciplines en l’absence de programme et, conséquemment, un support de l’identité professionnelle.

Du point de vue d’une approche éducative intégrée de l’élève à la culture de l’information, cette entrée méthodologique paraît trop restrictive. Elle privilégie en effet les aspects normatifs et linéaires de la méthodologie et centre sur une approche uniquement procédurale. Elle focalise en effet sur les observations comportementales et élude la transmission et l’élaboration des savoirs théoriques. Ce faisant, elle favorise une vision strictement transversale des savoirs informationnels en niant l’existence de problématiques spécifiquement info-documentaires. De plus, l’atomisation des compétences procédurales que permet le référentiel favorise leur dissémination dans les programmes disciplinaires et leur dévaluation à des fins exclusivement pragmatiques. L’élève se voit dès lors privé des moyens de construire les concepts nécessaires à la résolution des problèmes info-documentaires et à la compréhension des enjeux qu’ils expriment. Les opérations d’analyse et de synthèse nécessaires à ces élaborations conceptuelles ne trouvent pas dans ces activités éparses et aléatoires les conditions requises à une structuration efficace. Le professeur documentaliste, quant à lui, se voit dépossédé de sa responsabilité didactique.

Si un référentiel de compétences info-documentaires a toute sa place à l’intérieur d’un curriculum, notamment pour éclairer la formation des acquis procéduraux relatifs au traitement des ressources, il ne saurait en aucun cas soutenir une comparaison avec un curriculum qui est, par définition, d’une toute autre nature. Projet d’enseignement raisonné et complet, ce dernier propose un plan d’organisation des études sur le cursus entier de l’élève. Alors que le référentiel de compétences est essentiellement pragmatique et vise le ponctuel, le curriculum, quant à lui, vise le long terme. Le premier fournit en effet aux usagers un cadre fonctionnel pour accompagner des activités ponctuelles et ce, dans le but de satisfaire un besoin d’information. Il peut donc évoluer non seulement dans le cadre d’une institution scolaire, mais aussi bien à la bibliothèque que dans un centre de documentation professionnel. Le second vise par contre la satisfaction d’un besoin d’éducation (à la culture de l’information) et est saisi comme un droit pour chaque élève, au titre de l’obligation scolaire. Il est donc spécifiquement attaché à l’institution éducative, de la maternelle à l’université.

Ce tableau rappelle les principaux points de divergence entre l’outil référentiel et le curriculum : Curriculum_3

2.1.5. Bilan 

Les traits caractéristiques déjà rencontrés dans l’approche régionale que constitue le projet de l’Information-documentation trouvent ainsi leur toile de fond dans une définition générique « classique » telle qu’elle a été exprimée dans les années 70. La description de D’Hainaut fait toutefois apparaître plus particulièrement l’idée d’exhaustivité, lorsque la rationalisation a priori des expériences éducatives prend en charge tous les aspects du dispositif : axiologique, didactique, méthodologique, organisationnel et évaluatif. Cette exhaustivité dans la formalisation trahit une forte volonté de contrôle, par l’institution, de la gestion de l’enseignement. Le curriculum est ici un cadre prescriptif qui prévoit toutes les conditions de l’acte d’enseignement-apprentissage, et cherche à influencer l’enseignant dans sa pratique en classe.

C’est certainement l’une des composantes fonctionnelles du curriculum qui peut intéresser les professionnels de l’Information-documentation préoccupés par une éducation systématisée des élèves à l’information et soucieux d’un encadrement des professeurs documentalistes par voie de formation. Ainsi la demande d’un cadre curriculaire est-elle saisie comme une garantie -peut-être la seule- à l’établissement d’un enseignement info-documentaire obligatoire et de qualité, imposé et contrôlé par l’institution, permettant à chaque élève d’atteindre un réel niveau de savoirs et de culture.

Cela dit, n’existe-t-il pas un risque d’assèchement des pratiques pédagogiques effectives à trop vouloir imposer pour contrôler ? Le prescriptif organisé en amont ne s’oppose-t-il pas à la souplesse requise en aval dans la classe pour, justement, tenir compte des intérêts, des pré-requis, des vécus et des référents contextuels des élèves ? Comment équilibrer au mieux l’injonction curriculaire et la nécessaire autonomie pédagogique de l’enseignant ? Et d’ailleurs, peut-on encore croire raisonnablement à l’influence déterminante de la première sur la seconde ? Ces questions appellent à reconsidérer sous un autre angle ce qui se passe réellement dans la séquence d’enseignement-apprentissage et à mieux en tenir compte dans le projet d’élaboration du curriculum.

2.2. Niveaux curriculaires et transposition didactique

2.2.1. Une lecture sociologique : les niveaux curriculaires 

La structure curriculaire de D’Hainaut, présentée ci-dessus (cf. § 2.1.2.), réalise un modèle institutionnel idéal, mais qui ne prend pas en compte la structure de tout système éducatif et les différentes strates de son organisation. Du coup, le modèle peut apparaître bien général, ou tout du moins devoir s’en tenir à un statut de générique. Une lecture sociologique des curriculums offre alors l’avantage de positionner ce modèle avec davantage de lucidité, en le découpant en plusieurs niveaux curriculaires tenant compte de la pluralité des acteurs impliqués [van den Akker, 2003] :

  • niveau macro : système/société/nation/état
  • niveau moyen : école/institution
  • niveau micro : classe
  • niveau nano : individu/personne

Cette vision globale en différentes strates interconnectées permet une saisie plus nuancée de la manière dont les curriculums naissent, se développent et s’actualisent sur le terrain. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre conscience que ce qui est proposé par l’institution n’est pas forcément ce qui est enseigné par le maître, et encore moins ce qui est réellement acquis par l’élève. Les écarts, facilement constatables, remettent ainsi en question la vision fonctionnelle monolithique, voire simpliste de la notion de curriculum.

A. A. Glatthorn (1987), cité par Crahay, Audigier et Dolz [2006], exprime ces différents écarts en distinguant six niveaux curriculaires :

  1. les recommandations curriculaires ;
  2. le curriculum officiel ;
  3. le curriculum matérialisé (dans les manuels et les matériels didactiques) ;
  4. le curriculum enseigné ;
  5. le curriculum évalué ;
  6. le curriculum appris ;

Jan van den Akker [2003], quant à lui, préfère évoquer trois types de représentations du curriculum, prévu ( intended ), réalisé ( implemented ) et atteint ( attained ), qu’il décline de la manière suivante :

Curriculum_4 Typologie des représentations du curriculum [van den Akker, 2003]

Il faut encore ajouter à cela qu’une acception élargie du curriculum conduit à devoir prendre en compte toutes les expériences éducatives scolaires de l’élève, y compris celles qui ne sont pas explicitement prescrites et qui, par conséquent, non seulement débordent du cadre des instructions officielles, telles les expériences psychologiques, morales et sociales, mais peuvent encore les contredire. Ces expériences sont réunies sous les termes de curriculum caché, ou implicite. De fait, ce curriculum caché ne fait l’objet d’aucune évaluation directe. Pour Philippe Perrenoud [1996], il renvoie à « tout ce que la formation déclenche à l’insu du formateur », c'est-à-dire à ce que l’élève apprend à l’école sans qu’on ne le lui ait jamais ouvertement enseigné. Il s’agit alors d’un ensemble assez large de comportements, d’attitudes et de valeurs qui vont forger l’identité scolaire de l’élève. Perrenoud donne de nombreux exemples, tels qu’apprendre à vivre avec d’autres dans une foule, à l’intérieur d’un petit espace ; apprendre à passer le temps ; apprendre à obéir ; apprendre la hiérarchie ; apprendre à respecter les autres et les différences ; apprendre à être docile, à faire sans en avoir envie ; apprendre à se connaître soi-même, à se situer ; apprendre à penser qu’il faut être bon, qu’il faut être le meilleur…

Pour ce sociologue de l’éducation, les niveaux curriculaires peuvent se réduire principalement au nombre de quatre :

  1. le curriculum formel (ou prescrit), celui qui est rêvé ;
  2. le curriculum réel, ou réalisé, celui que vit effectivement l’élève et qui le transforme ;
  3. le curriculum [appris], celui des apprentissages explicites qui en résultent ;
  4. le curriculum caché, celui des apprentissages implicites.

Des recommandations curriculaires au curriculum appris, sans même aller jusqu’au curriculum caché, un certain nombre de transformations ont lieu qui amènent à reconsidérer la portée effective de la prescription institutionnelle. A partir de ce constat, deux attitudes distinctes se font jour. La première consiste à considérer que le curriculum officiel peut toujours servir de cadre général, de guide aux enseignants qui, de toute manière, s’en inspirent. Plus encore, il continue à assurer un contrôle au travers des évaluations, notamment lorsque celles-ci sont nationales, et par là, confirme sa fonction de garant d’un enseignement systématique. La seconde attitude consiste au contraire à ne s’intéresser en premier lieu qu’au curriculum enseigné ou réel et, au travers de son analyse, à déterminer à rebours ce que pourrait être le curriculum à prescrire. Nous aurons à y revenir.

2.2.2. Une lecture didactique : les phases de la transposition didactique

Les approches sociologique et didactique ne sauraient être exclusives l’une de l’autre. Bien au contraire, elles peuvent montrer leur complémentarité comme ici lorsqu’il s’agit d’analyser la genèse des savoirs scolaires et la réception de ces derniers dans la situation didactique. Ainsi les écarts que pointent les sociologues entre les différents niveaux curriculaires ne sont-ils pas, pour les didacticiens, que les paliers repérés de la transposition didactique ?

Rappelons que, pour Yves Chevallard [1991], la transposition didactique est « le travail qui d’un objet de savoir à enseigner fait un objet d’enseignement ». Mais le processus qui conduit à l’élaboration de l’objet d’enseignement est-lui même scandé de moments qui transforment le savoir de référence, qu’il soit savoir savant ou savoir expert, en un savoir à enseigner tout d’abord, puis en un savoir réellement enseigné ensuite. Bronckart et Chiss [2003], à l’article « Didactique » de l’ Encyclopaedia Universalis distinguent ainsi trois étapes de la transposition didactique. Le passage d’une étape à l’autre est marqué par une rupture d’ordre épistémologique, lorsque des choix sont opérés selon des visées contextuelles. La première étape a pour but de sélectionner parmi les référents théoriques ceux qui correspondent le mieux aux objectifs des programmes scolaires. Elle correspond au niveau des recommandations curriculaires chez Glatthorn [1987] et conduit à la formalisation du curriculum prescrit (Perrenoud). Il s’agit là de la transposition didactique externe 1, celle qui s’opère loin en amont de la situation didactique. La deuxième étape marque l’apprêt spécifique donné à ces « savoirs empruntés » lorsqu’ils sont insérés dans les textes officiels (programmes) et didactiques (manuels). Ils subissent à ce stade des opérations de découpage, de reformulation et de réorganisation. Nous reconnaîtrons dans cette transposition didactique externe 2 le niveau du curriculum officiel (Glatthorn), ou formel (van den Akker), ou prescrit (Perrenoud) d’une part, et celui du curriculum matérialisé, toujours chez Glatthorn. Enfin, la troisième étape décrite par Bronckart et Chiss désigne les transformations que subissent ces savoirs quand ils sont réappropriés par le maître pour les faire circuler dans la classe. Sélectionnés, réinterprétés selon la culture et la sensibilité du maître, adaptés au niveau et à l’intérêt des élèves, scénarisés selon les besoin du cours et de la progression, ces savoirs enseignés constituent le curriculum réel (Perrenoud), ou réalisé (van den Akker) ou enseigné (Glatthorn). Il s’agit ici de la transposition didactique interne à la situation didactique. S’agissant enfin du curriculum appris, ce niveau correspond à la phase d’appropriation didactique au cours de laquelle l’élève intègre le savoir à son capital cognitif.

Curriculum5 Relation entre niveaux curriculaires (Glatthorn, 1987) et transposition didactique

2.2.3. Bilan

La notion de niveau curriculaire, si elle apparaît mieux correspondre à la réalité de la transmission scolaire, semble cependant prendre quelques libertés avec le concept générique initial. Ainsi, si le curriculum se veut recouvrir l’idée d’un plan général d’enseignement intégrant non seulement des contenus cognitifs mais encore une organisation, une temporalité et une ingénierie évaluative, une transposition de cette définition ne semble pas envisageable pour chacun des niveaux curriculaires. Ainsi, le curriculum évalué et le curriculum appris, pour leur part, n’apparaissent ici que comme des particularités du curriculum. Comment ce dernier, par exemple, pourrait-il comprendre les dispositifs d’évaluation, le matériel didactique ou la formation des professeurs ? En fait, il s’avère que le plus petit dénominateur commun entre ces différents niveaux reste le seul contenu des apprentissages, ce qui réduit considérablement la portée de la définition du curriculum. Une appréciation relative doit donc être toujours mobilisée dès lors que l’on manipule ces concepts, si bien que la valeur générique du curriculum, et quelle que soit sa part de modèle idéal, doit être conservée en tant que toile de fond structurante.

L’idée de niveaux curriculaires, quant à elle, doit de manière complémentaire nous permettre de reconsidérer l’élaboration du curriculum, puisqu’elle nous oblige à tenir compte de la circulation hétérogène des savoirs dans le système didactique et des différentes ruptures qui apparaissent dans ce que l’on aurait tort d’imaginer comme un continuum tranquille.

La construction du curriculum info-documentaire, aujourd’hui, doit composer avec ces différentes approches. Elle prend pour appui les trois pôles du système didactique en faisant correspondre ce qui ressortit aux injonctions institutionnelles - le troisième actant du triangle didactique n’est-il pas l’institution ? [Cornu & Vergnioux, 1992] -, qui appartiennent à l’ordre des finalités et des valeurs socio-culturelles (le curriculum prévu), à ce qui ressortit aux stratégies et aux pratiques pédagogiques effectivement réalisées en classe (le curriculum réalisé), et, enfin, à ce qui ressortit aux possibilités et aux stratégies d’assimilation des élèves et qui peut être évalué (le curriculum atteint). La transposition didactique, ou processus permettant l’élaboration originale de savoirs scolaires, peut alors suivre des parcours multiples, descendants ou ascendants, internes ou externes, mais toujours à l’articulation du rêvé et du possible.

legende Niveaux curriculaires(van den Akker, 2003) et triangle didactique

3. Construction du curriculum

Cette troisième partie aborde la délicate question de l’élaboration d’un curriculum. Les anglo-saxons utilisent l’expression complexe de curriculum development, que Forquin [1984] définit comme l’ensemble des « processus méthodiques d’élaboration et d’implantation des programmes et des cursus d’enseignement ». La réflexion sur le curriculum development s’est notamment développée sous l’angle de la sociologie des curriculums et de sa critique. Celle-ci est principalement fondée sur le constat de relativité, ou de non-universalité des curriculums au motif qu’ils sont les instruments idéologiques des problématiques sociales qui les produisent. Une conception « fataliste » les montre en tant qu’effets et reflets des sociétés, tandis qu’une conception « volontariste » préfère voir en eux des facteurs de changement social [Forquin, 1984]. Ce regard acerbe porté sur le rôle et les enjeux du curriculum oppose la raison sociologique à la raison pédagogique propre aux concepteurs. La raison sociologique, d’un côté, fait œuvre de déligitimation de par ce regard distancié, fondé sur une vision relativiste des contextes, des enjeux et des déterminants (politiques, sociaux, culturels) responsables des choix à opérer. La raison pédagogique, de son côté, fait œuvre de légitimation des programmes, en assumant une vision universelle, normative, prescriptive et épistémologique des savoirs [Forquin, 1989].

Si l’on accepte l’aventure pédagogique toutefois, tout en s’exerçant à une vigilance aiguisée par la sociologie des curriculums, l’œuvre en question reste à accomplir s’agissant de la matière scolaire de l’information. Existe-t-il un mode d’emploi pour nous y aider, un modèle type comme celui de Louis D’Hainaut, par exemple, qui propose un modèle général ? Ou bien doit-on au contraire, ainsi que le suggère la réflexion didactique, admettre de suivre différentes pistes possibles et rechercher ensuite leur confluence ?

Bien qu’elles soient, pour des raisons évidentes, liées entre elles, nous différencierons ici les représentations sous-jacentes au curriculum d’avec les stratégies qui président à son élaboration. Les représentations sont une manière générale d’appréhender ce à quoi se réfère et ce à quoi doit aboutir le projet curriculaire, qui vont déterminer la place que l’on attribue aux savoirs, à la société et à l’élève. Ces représentations instrumentalisent en quelque sorte le curriculum, dans le sens où elles construisent un discours empreint d’une idéologie qui le sous-tend et le façonne et, ce faisant, en font le moyen de parvenir à leurs fins. Ces représentations pèsent ainsi sur le choix des stratégies d’élaboration du curriculum, déterminées quant à elles par des approches technocratiques ou participatives, sinon simplement concrètes et basées sur l’expérience lorsque le terrain se saisit de la question en construisant les outils de pilotage dont il a besoin pour assumer et affirmer sa responsabilité pédagogique.

3.1. Multiplicité des représentations

3.1.1. Typologie des représentations

. Typologie de Eisner et Vallance (1974)

John Dewey avait ouvert la voie sur l’exploration des intentions à l’origine des constructions curriculaires lorsqu’il opposait une approche orientée « enfant » à une approche orientée « savoir ». Dans leur ouvrage Conflicting Conceptions of Curriculum (1974), Elliot W. Eisner et Elizabeth Vallance ont dressé quant à eux une typologie constituée de cinq entrées distinctes et opposables à partir desquelles orienter un curriculum [D’Hainaut, 1977] :

  • les processus cognitifs (cognitive process) : cette démarche repère les opérations intellectuelles indépendamment des contenus ;
  • la technologie pédagogique (technology) : elle met l’accent sur le processus d’enseignement ;
  • la réalisation personnelle (self-actualization) : une entrée focalisée sur l’autonomie de l’élève, son développement, son intégration sociale ;
  • la reconstruction sociale (social reconstruction-relevance) : elle recentre l’éducation sur des apprentissages sociaux ;
  • le rationalisme académique (academic rationalism) : la priorité est exclusivement accordée aux disciplines.

Les auteurs identifient par ailleurs les trois erreurs à ne pas commettre lors de l’élaboration d’un curriculum : le formalisme qui consiste à ne considérer que la démarche, la centration sur les contenus, et la croyance aveugle au statut d’universalité de la matière que l’on traite.

Ce qui peut étonner dans cette typologie, c’est de considérer le caractère exclusif accordé à chacun des cinq types, interdisant du même coup toute possibilité de synthèse en radicalisant les différences. Cela est cependant révélateur du constat réalisé par D’Hainaut que, jusque là, aucune approche mixte n’avait encore été tentée. Il est par contre intéressant de relever à quel point cette typologie reflète une vision authentiquement pédagogique, valable jusque dans ses couples d’opposition, savoirs / démarches intellectuelles d’une part, développement de l’individu / construction de l’être social d’autre part. En conséquence, l’accent que l’on mettra sur telle priorité, en déterminant l’orientation générale du curriculum, ne manquera pas de générer des conflits idéologiques et des luttes de pouvoir propres à la scène éducative.

. Typologie de Muller (2006)

Pour Alain Muller [2006], les principales orientations curriculaires peuvent être distribuées selon trois types principaux déterminés par l’objet de leur centration : l’entrée par le programme, l’entrée par les résultats et l’entrée par les compétences.

  • L’entrée par le programme : L’entrée par le programme amène à réfléchir à l’organisation des enseignements à partir des contenus scolaires qui ont été construits et sélectionnés dans cette intention. C’est par conséquent une visée a priori qui détermine au préalable une liste de notions à enseigner et l’accompagne d’instructions méthodologiques. Ces notions étant celles de la discipline, on parlera dans ce cas d’une recherche de rationalité par la substance. A partir de là, les contenus sont traités suivant une logique de découpage qui a pour but la production de subdivisions propres à assurer une progressivité et, par conséquent, à faciliter l’appropriation des élèves. Dans cette visée en amont, le curriculum est davantage qu’un simple programme : c’est un programme qui dit quoi, quand et comment enseigner. Cette entrée est dominante à l’école, et les reproches faits aux programmes disciplinaires peuvent lui être transposés de manière générale : au lieu d’adapter les contenus aux réalités psychologiques des élèves, on continue de forcer ces derniers à intégrer ces constructions disciplinaires dans des cadres programmatiques contraignants. Cela dit, le procès en question ne vaut que si l’on s’imagine que les prescriptions curriculaires telles qu’elles sont ainsi produites par une technocratie disciplinaire et institutionnelle sont effectivement suivies par les maîtres au sein de leurs classes. Les études sur l’influence des curricula prescrits sur la réalité scolaire montrent au contraire une très large distorsion et appellent à une remise en cause des curricula recommandés par l’institution [Crahay, Audigier et Dolz, 2006].
  • L’entrée par les résultats (outputs) : L’entrée par les résultats se situe par rapport à la précédente de manière diamétralement opposée sur l’axe classique objectifs – formation – évaluation. Ici, on tire le processus à partir de la définition des résultats qui sont attendus, a posteriori, à la sortie (outupt). Si l’entrée par le programme pouvait être saisie comme une visée en amont, celle-ci propose une visée située en aval et donc diamétralement opposée. Peu importe la manière dont l’élève apprend puisque ce qui importe est qu’il réussisse. Peu importent les moyens utilisés pour produire ces résultats puisque seuls ces derniers comptent pour l’évaluation du système. Cette entrée est marquée par une logique entreprenariale d’obligation de résultats, exprimable en chiffres. Posée de cette manière, cette conception du curriculum attire de nombreuses critiques, au motif premier qu’elle fait tout simplement l’impasse de la formation ! En effet, les caractéristiques principales de cette entrée par les outputs sont l’absence totale de rationalité dans l’élaboration et la présentation des contenus d’apprentissage (c’est le règne du pragmatisme), l’absence de moyens horaires dévolus et la déresponsabilisation des acteurs (personne n’est désigné explicitement, mais tous sont sollicités). L’exemple le plus immédiat dans notre école est le B2i, imité par quelques portfolios documentaires : l’emphase est portée sur la validation de compétences, et non sur l’évaluation d’acquis au cours et au terme d’un apprentissage, sans qu’aucun programme de formation ne soit prévu en terme de finalités, contenus, de progressions ou de moyens horaires. L’intégration de certaines compétences info-documentaires dans le référentiel de validation B2i montre assez à quel point l’institution n’entend pas mettre en place de formation raisonnée, i.e. scientifiquement établie, structurée et organisée, pour l’Information-documentation. Le Socle commun (mars 2006), déclinaison française des Recommandations du parlement européen et du conseil sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (novembre 2005), marque de tout son poids politique cette tendance lourde des systèmes éducatifs européens qui consiste à vouloir pallier les déficiences curriculaires par cette obligation faites aux établissements et à leurs professeurs de présenter des résultats en accord avec les axes économiques définis. Mais la compétition entre établissements au travers de leur image de performance et la tendance au pragmatisme économique, dans une logique managériale, constituent-elles bien les réponses souhaitées ? La sociologie des curriculums étudie justement ces rapports de pouvoirs qui se jouent entre les forces politico-économiques et la réflexion didactique et pédagogique à l’intérieur d’une arène où interfèrent également les parents, les associations professionnelles et les syndicats [Deer, 2006].
  • L’entrée par les compétences : La notion de compétence est ici à prendre dans son sens syncrétique, i.e. d’articulation de connaissances de divers types (déclaratif, procédural, métacognitif, stratégique) en vue de résoudre un problème dans un contexte donné. L’entrée par les compétences propose non pas de partir d’une liste de notions déterminées a priori ni des seuls résultats attendus, mais de situations d’enseignement-apprentissage au travers desquelles les compétences visées sont convoquées, mises en scène pour être contextualisées et construites. Cette approche doit être ainsi saisie comme thématisant le rapport entre le sujet qui apprend et une situation qui favorise cet apprentissage. Elle demande à ce que soient alors produits des référentiels de situations où pourrait être mobilisée la compétence. La centration se fait ici sur la formation elle-même, comme lieu des interactions entre l’élève, les autres, le professeur et un savoir de type opératoire.
    La principale dérive qui menace cette entrée tient au fait que, bien souvent, la compétence n’est pensée que comme un processus, et de ce fait réduite à un comportement. C’est le piège dans lequel l’Information-documentation est déjà tombée lorsqu’elle a rétréci son domaine didactique à une simple formation méthodologique et ses contenus à une liste de procédures dont nombre de référentiels ont rendu compte. Alors qu’une véritable entrée par la compétence, saisie comme combinaison des différents types de connaissances mobilisées pour résoudre un problème donné, offrirait la possibilité d’appréhender de manière plus complète et plus efficace la complexité des phénomènes informationnels. In fine, il ne s’agirait pas tant de faire agir que de faire penser1.

Cette typologie présentée par Alain Muller a le mérite de nous prévenir des éventuels dangers de la route, en éclairant les ornières de l’une ou de l’autre voie. Si la visée a priori nous convient parce qu’elle réhabilite la formation et focalise sur l’élaboration rationnelle des savoirs à transmettre, il reste cependant à contextualiser, pour l’élève, ces derniers dans des situations qui, en faisant problème, peuvent l’inciter à se les approprier en tant que savoirs opératoires. La rupture entre programme et curriculum s’opère précisément ici, lorsque le premier, centré sur la matière disciplinaire, se satisferait plutôt d’une pédagogie frontale, alors que le second, centré sur l’élève et l’opérationalisation des buts éducatifs au travers des activités qui lui sont proposées, s’accompagnerait nécessairement d’une réflexion globale sur l’enseignement saisi comme expérience éducative. Cela dit, il faut également prendre garde de sortir d’une opposition trop rigide entre d’une part les objets d’enseignement (axe épistémologique) et, d’autre part, les conditions psychologiques de leur appropriation (axe psychologique). Ainsi le processus d’élaboration curriculaire doit-il intégrer ces deux dimensions comme constitutives et complémentaires, en les articulant par ailleurs aux conditions techniques et pédagogiques de la transmission des savoirs (axe pédagogique).

3.1.2. Un exemple d’approche par les compétences : l’entrée par les situations

A l’opposé de l’approche « conflictuelle » de la liste dressée par Eisner et Vallance, D’Hainaut fait valoir le modèle qu’il propose comme « une tentative d’intégration et d’organisation d’un grand nombre de courants, d’approches et de points de vue qui se sont développés depuis le début du siècle ». Selon lui, les différentes tentatives curriculaires proposées jusque là ont échoué parce qu’elles défendaient une postulat d’exclusivité. Il défend alors une approche pluridimensionnelle, dont l’axe central est la situation, ou occasion d’apprentissage. à partir des trois points de départ suivants :

  • la démarche intellectuelle : à caractère fortement interdisciplinaire, elle est axée sur le développement des individus. Sont inventoriées et analysées 20 principales démarches intellectuelles (« Prendre et traiter l’information ; communiquer ; mettre en œuvre des modèles ; résoudre des problèmes ; juger ou évaluer ; démontrer ; organiser ; etc.) susceptibles de constituer les buts de l’éducation dans ses aspects cognitifs. Elles n’ont d’intérêt que rapportées à des situations ;
  • le cadre où s’inscrit la situation : la catégorie de circonstances d’où est extraite la situation (« la vie culturelle, la vie professionnelle, la vie scolaire, la vie pratique et familiale, la vie politique ou publique, les loisirs). L’entrée par le cadre permet d’aborder le curriculum en se demandant d’abord quels rôles l’élève devrait jouer dans l’un de ces cadres, puis quelles activités il serait alors amené à exercer, quelles attitudes et valeurs seraient alors impliquées, dans quelle(s) matière(s) ces rôles trouveraient à s’exercer et, enfin, quelles opérations cognitives devraient y être mobilisées ;
  • le sens de la situation : la justification, ou la signification, que trouve ou produit l’élève dans l’accomplissement de cette situation. Ce sens est déterminé par les rapports qu’entretient le sujet, dans telle situation, avec lui-même, avec les autres, avec son environnement, et avec son passé ou son avenir. L’entrée par le sens permettraient dès lors de privilégier les situations les plus adaptées aux finalités de l’éducation retenues ;

Ces trois points d’entrée composent encore avec une autre dimension, qui est la matière que met en jeu la situation. Mais si cette dimension, qui se réfère à la discipline, est à prendre en compte dans la détermination de la situation, elle ne constitue pas une entrée pour le curriculum du point de vue de D’Hainaut. Elle ne doit pas être confondue avec l’approche disciplinaire qu’il condamne.

L’originalité de l’approche présentée ici est double. Elle se situe, d’une part, dans l’interrelation entre des composantes que l’on opposait jusque là (le contenu, la démarche intellectuelle, le sens et le cadre de la situation) et, d’autre part, dans la liberté laissée au concepteur de privilégier l’une ou l’autre de ces entrées, pourvu qu’elle respecte le jeu des interactions avec les trois autres. On notera surtout l’importance accordée à la notion de situation, pierre angulaire d’un enseignement-apprentissage centré sur l’élève saisi comme l’acteur de la construction de la compétence. La démarche par les situations est constitutive d’une entrée par les compétences dans le curriculum.

3.2. Le choix d’une stratégie d’élaboration

3.2.1. L’approche technocratique : le curriculum comme un produit

Deux exemples d’une modélisation de l’élaboration d’un curriculum, typique d’une méthodologie technocratique, vont nous permettre de repérer un écueil probable et de dégager une approche alternative.

. La technicité des approches curriculaires

Les premières tentatives de construction des curriculums ont pris pour modèle les travaux fondateurs de Ralph W. Tyler [1949], qui fut lui-même inspiré des thèses béhavioristes de F. W. Taylor pour qui les meilleurs rendements (industriels) pouvaient être obtenus à la suite d’une analyse minutieuse des comportements nécessaires à la réalisation d’une tâche donnée. Tyler tempère cette vision purement techniciste en la recentrant sur l’élève et le but de l’éducation. Sa théorie repose sur ces quatre questions fondamentales :

  • Quels sont les buts éducatifs que poursuit l’école ?
  • Quelles expériences éducatives susceptibles de réaliser ces buts faut-il procurer aux élèves ?
  • Comment ce vécu éducatif doit-il être organisé ?
  • Comment peut-on déterminer si les buts visés sont atteints ? [Tyler, 1949]

Critiquant les propositions qui ont suivi les travaux fondateurs de Tyler (H. Taba, 1962 ; Gagné et Briggs, 1974), tout en les prolongeant, D’Hainaut en arrive à proposer un plan d’élaboration des curriculums réparti en 14 thèmes qu’il regroupe à l’intérieur de trois phases successives2 :

  • A- L’analyse des fins et des objectifs
    1. Détermination ou analyse de la politique éducative
    2. Mise au point et sélection des buts par l’analyse des rôles, tâches et fonctions
    3. Etude de la population visée
    4. Détermination des contenus
    5. Mise au point et sélection d’objectifs opérationnels
  • B- La recherche des méthodes et des moyens
    1. Inventaire des ressources et contraintes
    2. Stratégie des méthodes et moyens
    3. Etude des conditions d’insertion
    4. Détermination des situations d’apprentissage
    5. Spécification précise des moyens
    6. Réalisation et mise au point éventuelle des moyens d’apprentissage et d’enseignement
  • C- La mise au point de l’évaluation
    1. Mise au point d’un plan d’évaluation
    2. Sélection ou réalisation des instruments
    3. Mise au point des méthodes et des instruments

En définitive, l’approche de D’Hainaut, thématique et exhaustive, cherche à couvrir l’ensemble des questions que pose le curriculum et à en organiser les différentes facettes axiologiques (fins et valeurs), sociologiques (public visé, conditions d’insertion), didactiques (contenus et situations), psychologiques (difficultés des élèves) et politiques (politique éducative). Elle se présente comme une classification de problèmes à résoudre et propose des solutions inspirées du courant de la pédagogie par les objectifs. L’axe que dessine cette approche est typiquement linéaire, vertical et descendant. Linéaire, il se déroule en trois phases successives correspondant à des temporalités fortes : l’analyse des méthodes et des moyens est clairement assujettie à la définition des fins et des objectifs. Vertical et descendant, il se présente sur un mode prescriptif puisque le sommet de la pyramide est occupé par des décisions émanant des pouvoirs politiques responsables de la définition de la politique éducative.

. L’approche technocratique

Marcel Crahay et Alexia Forget [2006] évoquent l’ouvrage de Arieh Lewy, Handbook of curriculum evaluation (1977) pour en fustiger l’approche technocratique. Lewy y développe une démarche rationnelle et linéaire en six étapes, à l’usage des décideurs des systèmes éducatifs [Crahay, Audigier et Dolz, 2006] :

  • décisions à propos des buts généraux à viser ;
  • développement du matériel pédagogique (définition opérationnelle des objectifs, sélection des objets d’apprentissage, conception des situations d’apprentissage, rédaction des manuels, etc.) ;
  • premiers essais sur le terrain ;
  • expérimentation sur le terrain
  • dissémination, comprenant la formation des enseignants et des superviseurs
  • contrôle de qualité

Ce modèle, sur le plan formel, rejoint celui de D’Hainaut. Tous deux traduisent une planification en deux phases hiérarchisées : dans un premier temps la définition des fins et des buts éducatifs relevant des instances politiques en concertation avec la noosphère, et dans un second temps la transposition sur la scène scolaire de ces orientations axiologiques par les techniciens du curriculum en termes d’objectifs opérationnels, d’accompagnement, de formation et d’organisation. Dans ce meilleur des mondes possibles, tout semble devoir se passer sans interaction avec les autres acteurs de l’école, sans rapports de force ni intervention participative des maîtres. Cette vision technocratique, propre aux pays centralisés, renvoie à la seule dimension du curriculum prescrit, confondant celui-ci avec le concept générique.

. Le curriculum comme un produit : l’approche « top down »

La période « classique » de la construction des curriculums a pour assise une idéologie fonctionnaliste empreinte du management purement technique issue du taylorisme (découpage des tâches) et de l’approche comportementale béhavioriste (découpage des objectifs). Le curriculum est alors saisi comme un produit, résultant d’une phase d’analyse technique et scientifique, et prenant la forme d’un plan organisant des activités devant être ensuite exécutées. Il est élaboré par des experts prenant en compte l’état actuel des savoirs disciplinaires, pédagogiques et didactiques. La procédure suivie pour son application sur le terrain correspond à ce que les anglo-saxons appellent une approche top-down [Braslavsky, 2003] :

  1. curriculum offert aux enseignants ;
  2. curriculum assumé par les enseignants ;
  3. curriculum expérimenté par les apprenants ;
  4. curriculum évalué.

L’intérêt manifesté pour cette approche, largement diffusée et toujours majoritaire, vient de ce qu’elle est systématique et qu’elle fait preuve, en toute logique, d’un considérable pouvoir d’organisation. Bien que visant le contrôle, ce modèle séduit par son apparente simplicité et par son caractère rationnel qui dégage une impression d’efficacité.

Une des principales critiques qui lui est faite, pourtant, est que le curriculum ainsi produit a peu d’impact sur le terrain. La transposition sur le terrain éducatif d’un modèle importé des sphères techno-industrielles semble difficile. Mark K. Smith [1996, 2000] recense les autres critiques. On reproche au modèle l’accent mis sur la planification. Une planification réalisée avant et en dehors de la classe et de ses réalités. La déresponsabilisation de l’enseignant en est une conséquence : il est considéré comme un simple technicien exécutant des prescriptions. L’efficacité de l’évaluation, enfin, est également contestée. D’une part, elle ne tient pas compte des effets à long terme du geste éducatif. D’autre part, l’atomisation des objectifs comportementaux, l’intérêt porté sur la partie plutôt que sur le tout, comportent le risque de faire perdre le but recherché.

3.2.2. L’approche participative et intégrée

. Le curriculum comme processus continué  : l’approche « bottom up »

Des alternatives au curriculum orienté « produit » sont esquissées par de nombreux auteurs à la recherche d’un modèle tournant résolument le dos à des propositions exclusives et technocratiques. C’est notamment le cas d’Hilda Taba, pourtant inscrite dans la lignée centralisatrice de Tyler et auteur de Curriculum development : theory and practice (1962). Lorsqu’en 1951, elle accepte la proposition de réorganiser et de développer les programmes d’études sociales en Californie, elle inaugure un modèle souple fondé sur la collaboration d’enseignants actifs et d’administrateurs de programmes scolaires. Les contenus eux-mêmes sont le fruit de méthodes inductives et progressives, à partir de la notion de programme « spirale ». Edgar Krull [2003], qui a cherché à synthétiser les apports de cette philosophe de l’éducation venue d’Estonie, rassemble ainsi les quatre principes qui régissent sa vision du curriculum development :

  1. Les processus sociaux, y compris la socialisation des êtres humains, ne sont pas linéaires et ne peuvent se modéliser de façon linéaire : les objectifs d’apprentissage ne peuvent pas être déduits et appliqués unidirectionnellement à partir d’un idéal d’éducation proclamé par une autorité quelconque.
  2. Il est plus facile de réorganiser les institutions sociales, dont les programmes scolaires, si, au lieu de la méthode habituelle de réorganisation administrative – du haut vers le bas-, on recourt à un système solide et coordonné fonctionnant du bas vers le haut.
  3. L’élaboration de nouveaux programmes sera plus efficace si elle se fonde sur les principes d’un encadrement démocratique et d’une répartition équitable du travail. L’accent doit porter sur un partenariat fondé sur la compétence, non sur l’administration.
  4. La rénovation des programmes est un long processus, qui dure des années.

Ce processus suit une approche « bottom up », du bas vers le haut, opposée aux approches « top down » examinées précédemment. Quatre phases de cette nouvelle approche sont décrites par Cecilia Braslavsky, ancienne directrice du bureau international de l’éducation à l’UNESCO [2003] :

  1. la demande de la société ou des parents d’élèves ;
  2. les réponses produites par les enseignants dans les écoles ;
  3. le rassemblement de ces réponses et l’effort pour identifier certains aspects partagés ;
  4. l’élaboration de standards et leur évaluation.

Pour Braslavsky, la voie consiste aujourd’hui à tisser les curriculums en réseau, à partir de différentes interactions mêlant les approches top down et bottom up. Il s’agit de recenser non seulement les demandes éducatives mais également les besoins, dans le but de reconstruire la façon de conceptualiser la réalité ainsi que le système éducatif. Il faut pouvoir placer l’institution non plus « en haut » de la pyramide décisionnelle mais, dans une perspective plus dynamique, « au centre » des échanges entre les acteurs de la société civile, afin qu’elle devienne un animateur plutôt qu’un prescripteur.

. Un équilibre à trouver

Des approches mixtes, intégrant des points de vue variés, permettent de sortir de la démarche unique et linéaire, à condition que soit trouvé un équilibre dans le fonctionnement et l’organisation du projet. Van den Akker [2003] pose quatre conditions clés pour réussir cet équilibre. Le pragmatisme tout d’abord, afin que soit reconnu que les dilemmes ne peuvent être résolus par les seules hautes autorités mais qu’ils doivent tenir compte d’un contexte concret et de ses usagers. La démarche par essai-erreurs, ensuite, garantie une avancée graduelle en faisant progresser du domaine du rêve vers celui de la réalité. Une bonne communication est également requise si l’on veut pouvoir trouver des compromis entre les positions des différentes parties. La formation des personnels impliqués, enfin, est la clé d’une intégration réussie.

Mais l’équilibre doit encore être cherché du côté des principales sources d’orientation du curriculum, empreintes de ces représentations de la connaissance, de la société et des apprenants. Contre la multitude des savoirs qui saturent les programmes, il est important, insiste Van den Akker, de réfléchir à la cohérence des contenus en identifiant les concepts noyaux et les compétences clés. Afin de résister aux trop nombreuses sollicitations de l’extérieur vis à vis de l’école, l’attitude à développer consiste à ne pas rendre l’école responsable de tous les maux de la société et à mieux sélectionner les points où elle peut se montrer vraiment pertinente. S’agissant enfin de l’apprenant, un recentrage sur ses besoins semble nécessaire, à partir de situations plus motivantes, axées sur le sens, l’activité et l’acquisition de l’autonomie.

. Un cadre interdisciplinaire

Au delà encore des catégories d’acteurs et des idéologies structurant les discours, il est important de convoquer les regards distincts des nombreuses disciplines impliquées et de s’enrichir de la spécificité de leurs problématiques, de leurs savoirs et de leurs méthodologies. Pour comprendre les différents types d’obstacles dans l’apprentissage, pour analyser la complexité des composantes sociales, psychologiques, philosophiques, épistémologiques et pédagogiques propres à l’édification d’un curriculum, l’intervention croisée de différentes champs disciplinaires ne peut qu’être féconde [Béguin, 2006, 2008].

Les Sciences de l’information, multiréférentielles également, apportent les savoirs savants de référence, autant d’un point de vue scientifique que technique. La psychologie cognitive s’intéresse aux opérations mentales à l’œuvre dans les apprentissages. La sociologie du curriculum étudie les niveaux curriculaires, les rapports de force qui s’établissent entre les différents acteurs du processus et s’attache à montrer le contexte social et culturel qui travaille le curriculum qui en devient l’expression. La philosophie de l’éducation jette un regard réflexif sur les relations entre la société et l’école, au travers notamment de la question des valeurs et des fins. La didactique de l’information apporte quant à elle sa réflexion épistémologique sur la matière concernée, œuvre à l’élaboration des savoirs scolaires, et analyse les conditions de leur transmission et de leur appropriation dans la situation didactique. Les Sciences de l’éducation, enfin, vouées à l’étude du processus d’enseignement-apprentissage, offrent le cadre nécessaire à la synthèse de ces nombreux apports.

. L’ERTé « Culture informationnelle et curriculum documentaire » : une approche intégrée

A la rénovation continuée des programmes scolaires, se sont ajoutés ces dernières années en France plusieurs chantiers curriculaires, qu’ils aient ou non aboutis. C’est le cas des STAPS à l’université, de la technologie au collège, des SES au lycée et du projet de l’enseignement de l’informatique. Depuis 2006, l’idée d’un curriculum de la documentation a pris également corps puisqu’il fait l’objet d’une ERTé « Culture informationnelle et curriculum documentaire » dirigée par Annette Béguin. L’action de recherche est fédérée en six équipes rassemblent 30 acteurs, dont les deux tiers sont des enseignants chercheurs et des doctorants, la plupart issus des SIC. Les Sciences de l’éducation sont représentées par trois enseignants chercheurs et la sociologie par un seul. A cela s’ajoutent, pour certaines équipes, des groupes de travail mobilisant au total une vingtaine de personnes dont de nombreux formateurs ainsi que des enseignants documentalistes. Les travaux sont appuyés par deux laboratoires universitaires (Lille et Rouen) à l’origine du projet. Des institutions partenaires (FADBEN, CNDP, URFIST, INRP, etc.) sont associées de manière contractuelle [Béguin, 2008].

L’objectif de l’ERTé est de parvenir à une rationalisation des apprentissages documentaires tout au long du cursus, de l’école à l’université, dans le but de fournir, à terme, « un ensemble de préconisations utiles à l’élaboration d’un programme continu ». Le constat effectué lors des Assises de 2003, dont l’ERTé constitue le prolongement, pointait l’insuffisance de la reconnaissance des formations documentaires et l’imprécision des savoirs à transmettre. Si les espaces documentaires (CDI, BCD, BU) se sont beaucoup développés ces dernières décennies, à l’instar des personnels et des outils, la visibilité des contenus de formation ne s’est pas pour autant améliorée, constate Annette Béguin dans son introduction au rapport. Sur un plan didactique, elle ajoute que les apprentissages info-documentaires se font principalement à partir de l’expertise documentaire et pédagogique des enseignants documentalistes, sans prise en compte suffisante des aptitudes des élèves, de l’utilité sociale de ce qui est transmis ni des spécificités scientifiques, professionnelles ou sociales des contextes disciplinaires.

A l’évidence, le manque de détermination épistémologique de la « matière » info-documentaire l’empêche d’être suffisamment perçue de l’extérieur (l’institution, la société) comme de l’intérieur (la profession). C’est pourquoi les premiers travaux de l’ERTé s’attachent à dresser un état des lieux de l’existant sur les plans de la recherche, des pratiques et des besoins. Loin de toute tentation prescriptive, l’attention est ainsi portée sur les dimensions « réelle » et « cachée » du curriculum, à partir des trois points suivants :

  • l’identification des savoirs « informels » de l’Information-documentation, des perceptions des acteurs et des usages « bricolés » qu’ils développent ;
  • l’enseignement « réel » des techniques documentaires ;
  • le repérage des attentes des disciplines en matière de savoirs implicites.

Cette première phase de travail devrait permettre de se faire une meilleure idée de la culture documentaire en milieu scolaire et de dégager, sans a priori, les conditions et principes du curriculum.

Six équipes sont donc engagées dans cette action de recherche :

  • Equipe de Rouen-Lyon : « Enjeux institutionnels, politiques et sociaux des cultures informationnelles et de l’éducation à l’information » ;
  • Equipe de Rennes-Angers : « La didactique et la culture de l’information » ;
  • Equipe de Bordeaux-Aquitaine : « Amorce d’une culture professionnelle de l’information chez les étudiants préparant le CAPES-CAFEP de documentation » ;
  • Equipe de Lorraine : « Didactique de l’Information-documentation : savoir, pratique et culture de l’Information-documentation en éducation et formation : aide à la construction d’une professionnalité enseignante » ;
  • Equipe de Lille : « Culture de l’information et pratiques documentaires » ;
  • Equipe de Paris : « Les contenus en Information-documentation et leur mise en scène dans la pratique quotidienne : la culture de l’information en questions ».

L’ERTé « Culture informationnelle et curriculum documentaire » présente une approche de type intégré, dans la mesure où elle prépare en ce moment même les conditions d’une rencontre de différentes entrées, par l’épistémologie des savoirs, par la sociologie des organisations et la sociologie des professions, par l’analyse fine des savoirs d’action, par l’observation des réalités du terrain ainsi que par l’identification des savoirs implicites, des représentations et des attentes contextuelles nourries par les autres disciplines. La mixité des acteurs du projet, quant à elle, est assurée par l’équilibre des « forces » entre chercheurs et praticiens, qu’ils soient formateurs ou en exercice dans les CDI. Leur intégration à l’intérieur de chaque équipe ne peut que favoriser la communication nécessaire à une approche participative, où théorie et pratique sont requises dans un cadre dialogué et amorcent une véritable praxéologie.

3.3.3. L’approche expériencielle : premiers outils curriculaires du terrain

Dans les faits, aujourd’hui, un autre type d’approche doit être pris en considération. A partir de la fin des années 90, les enseignants documentalistes ont ressenti le besoin de disposer de référentiels de compétences pour encadrer les formations de méthodologie documentaire et les évaluer. Devant la fin de non recevoir de l’institution, ils se sont mis en devoir d’élaborer par eux-même ces outils nécessaires pour exercer.

Aujourd’hui que la question d’une rationalisation des apprentissages se fait de plus en plus pressante, tant sur le plan des contenus conceptuels que sur celui de la distribution séquentielle, la profession fait évoluer ses outils en les adaptant à ses nouveaux besoins didactiques. Dans certains cas, les référentiels de compétences se voient élargis de corrélats notionnels [Casaert et Stalder, 2008 ; Friboulet, Ermel, 2008], dans d’autres ils sont résolument remplacés par des documents présentant des progressions d’apprentissages intégrant compétences et notions, mais aussi proposant des activités, des liens avec les disciplines et des grilles d’évaluation. De tels documents ne sont pas à proprement parler des curriculums, mais au moins peut-on d’ores et déjà les considérer comme des outils curriculaires puisqu’ils en affichent des caractères essentiels. En voici trois exemples récents :

  1. « Base de travail pour l’élaboration d’une progression sur les notions info-documentaires » [Guéguen, 2006] : un simple tableau à double entrée organise un ensemble d’activités d’apprentissages en lien avec l’actualité de l’établissement à partir d’un croisement entre les notions info-documentaires et les niveaux de classes de ce collège. Les notions choisies pour être progressivement construites sont regroupées en trois concepts intégrateurs. L’auteur, en introduction, avertit de ce que ce travail est le fruit d’une « pratique pédagogique d’une équipe particulière » et que sa forte contextualisation limite sa transposition telle quelle.
  2. « Mise en œuvre de l’apprentissage des pratiques documentaires (APD) de la 6ème à la 1ère » [ARDEP Pays de la Loire, 2007] : un tableau assez complexe organise des contenus d’apprentissage du début du collège à la presque fin du lycée, précisant les notions à construire, les objectifs (généraux et spécifiques) et la durée qui leur est impartie. Un lexique de notions est joint à ce document. Le projet de cette association professionnelle était de soumettre à sa hiérarchie un cadre prescripteur de formation pour aider, d’une part, à harmoniser les actions pédagogiques dans les établissements de l’académie et, d’autre part, à inciter à leur réalisation effective.
  3. « Information documentation : Formation des élèves par le professeur documentaliste de la sixième à la troisième » [Académie de Rouen, 2007] : cet ouvrage présente des séquences d’apprentissages documentaires pour le niveau du collège à partir d’une progression raisonnée et structurée en objectifs autour de notions documentaires. Les séances pédagogiques présentées développent les objectifs, les notions mobilisées, les modalités de la séance, les outils et les supports pédagogiques à utiliser, ainsi que la forme et les modalités de l’évaluation. Des tableaux de progression des objectifs, des lexiques des notions adaptées aux niveaux scolaires et une grille d’évaluation diagnostic intitulée « passeport documentaire pour la seconde » complètent cette publication réalisée par un groupe d’enseignants documentalistes réunis sous l’égide d’une Inspection académique.

Ces trois exemples de formalisation de pratiques du terrain illustrent différentes configurations d’acteurs (professeur isolé, association professionnelle, groupe de travail académique) et différentes fonctions du curriculum déjà rencontrées : un outil organisateur et mobilisateur, chargé d’assurer une certaine visibilité dans l’établissement (cas n°1), un outil à visée prescriptive et contractuelle (cas n°2), un outil de modélisation, à visée didactique et praxéologique (cas n°3).

Cette démarche pratique, fondée sur l’expérience de terrain3 et orientée vers l’action ( prattein « agir »), est une approche de type « bottom up », adressée à l’autorité éducative. Elle traduit une certaine volonté de dépassement de l’injonction institutionnelle dans le sens de l’action pédagogique. Aucun curriculum prescrit n’étant disponible, des professionnels tentent des élaborations locales à partir de ce qu’ils perçoivent du curriculum réel. Il s’agit ici « d’arrêter soi-même » ( enactment perspective ) [van den Akker, 2003] des contenus, des procédures et des mises en séquence que l’on estime valables pour la formation des élèves. Cette prise en charge spontanée de la responsabilité éducative et pédagogique montre assez le rôle clé que les enseignants documentalistes peuvent -et doivent- jouer dans l’élaboration et l’implantation du curriculum. Si ces énergies ne peuvent être pour le moment canalisées, il importe toutefois que les travaux issus de ces initiatives soient analysés et pris en compte.

Il faut souligner par ailleurs la fonction hautement auto-formative de ces initiatives, qui favorise l’échange des pratiques, permet la prise de distance par rapport à un contexte qui peut être enfermant, contribue à l’enrichissement de l’expertise pédagogique et construit le « praticien réflexif ».

Conclusion

Pour conclure tout en ouvrant, je voudrais encore esquisser quelques pistes pour prolonger la réflexion à propos de la relation entre le curriculum et les contenus à enseigner et, plus particulièrement, à propos du statut et de la valeur de ces derniers.

. Curriculum caché et conversion épistémologique des savoirs

La discussion actuelle sur le curriculum de l’information fait état des savoirs info-documentaires comme appartenant à un curriculum caché qu’il faudrait rendre manifeste, selon l’expression de Perrenoud [1996]. Mais cette catégorisation est-elle bien adaptée s’agissant de ces savoirs ? Le concept de curriculum caché renvoie bien à la part non programmée des apprentissages par l’institution scolaire, mais surtout aux effets involontaires, voire pervers, des actions d’éducation de cette institution. Les exemples donnés par les auteurs réfèrent plutôt à des savoir être qu’à des savoirs procéduraux ou déclaratifs. Ainsi Michel Develay rappelle-t-il les sept habitus, ou modes de pensée intériorisée, définis par le sociologue de l’éducation Eggleston : apprendre à vivre dans une foule, à tuer le temps, à se prêter à l’évaluation d’autrui, à espérer l’estime, à vivre dans une société hiérarchisée et stratifiée, à influencer le rythme du travail par différentes stratégies, et à partager les valeurs et les codes de communication d’un groupe restreint [Develay, 2001]. « Ces sept habitus, reprend Develay, renvoient à la gestion du temps, de l’espace et des codes de conduite : l’ordre social et moral, l’existence des inégalités et des hiérarchies, la nécessité du travail et de l’effort, le respect de l’autorité et des institutions. Le curriculum se situe dans le domaine du non-dit. » Le curriculum caché découvre ainsi la face cachée d’une éducation morale qui ne se dit pas : « le curriculum caché fait partie des concepts qui prétendent dévoiler l’envers du décor : l’école enseigne autre chose ou davantage que ce qu’elle annonce. On se trouve dès lors sur un terrain brûlant : que cache le caché ? » [Perrenoud, 1996]. A moins de penser que les contenus d’apprentissages info-documentaires seraient cachés à cause des effets « pervers » qu’ils produiraient sur l’éducation des élèves, comme l’instillation du doute sur les vérités enseignées à l’école par le développement de l’esprit critique ou par l’accès donné à des sources plurielles, on ne peut raisonnablement verser les allants de soi documentaires du côté du curriculum caché. Au mieux peut-on les renvoyer à ce qu’on pourrait appeler un curriculum non-prescrit. Mais là encore, il faut bien prendre en compte le fait que nombre de savoirs méthodologiques documentaires sont bien inscrits de-ci de-là dans des programmes disciplinaires. Aussi faut-il préciser : un curriculum non rationnellement prescrit.

Une autre catégorisation pour ces savoirs serait alors à envisager. Celle des catégories épistémologiques de Chevallard [1991] offre en particulier cet avantage de s’en tenir aux savoirs enseignables. Chevallard distingue trois catégories de savoirs à partir du rapport entre leur perception par les acteurs et la réalité effective de leur enseignement.

Curriculum_6 Les trois catégories épistémologiques de savoirs enseignables [Chevallard, 1991]

De notre côté, il reste à distinguer, d’une part, s’il s’agit de savoirs méthodologiques ou procéduraux. Les premiers, prescris dans la circulaire de 1986 et quasi systématiquement enseignés dans les CDI, sont ainsi plutôt des savoirs tendant à appartenir à la catégorie A. Les seconds ne sont que peu perçus et très rarement enseignés, ce qui en fait plutôt des proto-savoirs. D’autre part, il faut aussi différencier les acteurs. Cette catégorisation est-elle la même selon qu’il s’agisse des perceptions des élèves, des professeurs documentalistes ou de discipline ? Ces derniers pensent généralement que les savoirs procéduraux ont été « enseignés » aux premiers par les seconds. Les savoirs déclaratifs, quant à eux, demeurent des proto-savoirs dans la plupart des cas, sauf pour une frange de la population des professeurs documentalistes qui, les ayant découverts, en font des para-savoirs.

L’enjeu ainsi éclairé renvoie à une épistémologie des savoirs info-documentaires auxquels il importe de faire gravir les échelons de cette catégorisation vers le statut de savoir devant être à la fois perçus et enseignés. L’entreprise didactique se donne ainsi pour but la conversion épistémologique des savoirs info-documentaires

. Curriculum cloisonné et curriculum intégré

La question de l’autonomie des savoirs info-documentaires, constitutive d’une velléité de constitution en discipline scolaire, ne peut être épargnée lors de la composition d’un curriculum. Si, aux premiers temps de l’élaboration didactique de la matière, il est nécessaire de les détourer des autres savoirs disciplinaires afin de pouvoir mieux les élucider et les structurer en concepts capables de résoudre des problèmes spécifiques, une nouvelle étape consiste, dans un mouvement inverse, à considérer leurs relations avec les savoirs des autres champs disciplinaires. Basil Bernstein [1997], promoteur de la nouvelle sociologie de l’éducation britannique dans les années 60, établit à partir de ces relations deux types de curriculums.

Les curriculums de type cloisonné (collection type), majoritaires, sont ceux dont les contenus sont fortement isolés entre eux, dispensés sur des périodes de temps fixées, participant de la sélection des élèves. Basés sur une certaine conception de l’ordre fondée sur des relations d’autorité, ils entretiennent au plan social des conflits, des hiérarchies et des enjeux de pouvoir entre les disciplines. A l’opposé, les curriculums dont les contenus tissent entre eux des relations plus ouvertes sont de type intégrés (integrated type). Les limites temporelles sont plus souples puisqu’ils visent en commun le développement de processus cognitifs plutôt que d’états de connaissance. Les contenus sont subordonnés à une idée sous-jacente qui favorise les articulations. Sur le plan des rapports sociaux, ils privilégient l’auto-régulation et les relations horizontales et coopératives.

Placer le curseur entre ces deux pôles radicalement opposés n’est pas chose aisée. Toujours est-il que si, d’un côté, les savoirs à enseigner en Information-documentation ne sauraient être maintenus dans un total isolement du reste du monde des connaissances, l’intégration des compétences méthodologiques et des processus mentaux aux autres disciplines, d’un autre côté, rappelle une stratégie dont les apprentissages info-documentaires ont fait les frais ces dernières décennies. Là encore, la recherche didactique peut aider à discerner des savoirs qui, tout en étant spécifiques d’un domaine épistémologique, se font opératoires lorsqu’ils sont employés dans des contextes disciplinaires régionaux.

. Curriculum, valeur, valorisation, évaluation

Le curriculum formel, avons-nous vu, appréhende les contenus, les situations, l’organisation matérielle et temporelle des enseignements-apprentissages, mais encore les contenus et les dispositifs de leur évaluation. Ces dispositifs comprennent les examens et les concours qui sanctionnent des périodes d’apprentissage. Ils certifient à la société, au nom de l’école qui s’en porte garante, des connaissances et des compétences acquises par l’élève, lequel a besoin de cette attestation pour pouvoir s’insérer professionnellement dans la société [Duplessis, 2008]. C’est dire l’importance que revêt l’évaluation, pierre angulaire de l’intégration sociale de l’individu, pour l’élève, l’école et la société. Or que constatons-nous ? Que certaines matières valent (bien) plus que d’autres dans certains examens. Qu’il y a des « matières à examen » et d’autres qui ne le sont pas. Cet état de fait installe une hiérarchie des savoirs qui imprime les représentations et induit les comportements de toute la communauté éducative en terme de sélection et de choix d’orientation. Aussi Vogler (1998) insiste-t-il sur le fait que tout curriculum [réforme de programmes] « qui ne s’accompagne pas d’une réforme des examens correspondants est voué à l’échec ».

Ainsi convient-il d’oser inverser certaine tendance qui consisterait à croire que l’on pourrait revaloriser l’Information-documentation en continuant à se passer de l’évaluation de ses apprentissages. Alors qu’il faut au contraire penser l’évaluation certificative au motif qu’elle pose un acte fondateur de valeur aux sens social et psychologique du terme.

. Pour une approche participative et intégrée

Si un curriculum formalisant les situations d’enseignement et les expériences d’apprentissages des élèves s’avère une opération longue et délicate, ses conditions d’élaboration réclament également toute notre attention. Le travail participatif en est une, appuyé par une bonne communication entre les acteurs. Parmi ceux-ci, rappelons qu’un des enseignements à tirer de l’étude des curriculums réels est que rien ne peut se faire sans la profession. Si les décideurs maîtrisent le curriculum prescrit, ce sont les enseignants du terrain qui règnent « en maître » sur le curriculum effectivement réalisé ! Sur le plan de l’élaboration curriculaire, il importe alors de se pencher sur les réalisations déjà construites, de favoriser par la formation et l’information de nouveaux essais, de veiller à leur mutualisation par voie de publication et à ce que l’analyse de ces travaux soit conduite et diffusée. Une collaboration étroite entre praticiens et chercheurs devrait pouvoir être soutenue, afin que l’on puisse passer de l’expérienciel à l’expérimentation. Plus largement, il faut garder constamment à l’esprit l’idée d’enrichissement réciproque que favorisent les interactions entre, d’une part, les différentes entrées disciplinaires et, d’autre part, les diverses catégories de partenaires que sont la communauté de recherche, la profession et l’institution.

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  1. Pour reprendre à notre compte l’expression de C. Charrier in Pédagogie vécue, 1918, cité par Sarremejane [2001], p. 38. 

  2. Le plan qui tient dans ces quelques lignes a le mérite d’être suffisamment explicite pour ne pas avoir à le compléter des indications fournies par l’auteur. Cependant, nous relèverons tout particulièrement le point 4, concernant la détermination des contenus, pour ce qu’il intéresse la question difficile de l’élaboration d’un savoir scolaire et ouvre à la dimension didactique du curriculum. C’est avec trois décennies d’avance que D’Hainaut pose cette question essentielle à toute entreprise de didactisation : « Quelle que soit l’approche, il faudra se demander : ‘quelles connaissances sont indispensables à l’élève pour qu’il puisse atteindre les buts visés ?’ » D’Hainaut refuse de répondre à cette question par le programme, ce qui conduirait à oublier l’élève et « à se dévouer aveuglément à l’enseignement de la discipline pour elle-même ». Au contraire, il préfère s’inscrire dans une démarche résolument didactique lorsqu’il propose les chantiers suivants : 1. les faits et les notions indispensables 2. les relations et les structures qui les lient 3. les situations où l’élève sera placé 4. les catégories de problèmes qu’il devra pouvoir résoudre
    L’élucidation des savoirs à enseigner, le repérage des concepts-clés -par la recherche des concepts intégrateurs-, la hiérarchisation et l’organisation –par le tracé des trames conceptuelles- de ces savoirs, la construction de situations didactiques dans une démarche constructiviste, l’identification de situations-problèmes articulée à la notion de concept opératoire, ne sont-ils pas ces objets de la recherche de la didactique de l’information qui transparaissent ici ? L’axe psychologique du triangle didactique n’est d’ailleurs pas ignoré. Ainsi est-il question, dans le point 5, l’élaboration d’objectifs opérationnels, de spécifier quels actes intellectuels doit exercer l’élève. Dans le point 9 encore, s’agissant de la détermination des situations d’apprentissage, l’auteur propose de tenir compte de ces questions : 1.quelles activités vont permettre à l’élève de maîtriser la compétence visée ? 2. quelles progressions organiser pour tenir compte des possibilités des élèves ? 3. quelles aides fournir à l’élève ? 

  3. On ne peut pas parler ici d’approche experte dans la mesure ou les professionnels impliqués, s’ils ont une expertise pédagogique et documentaire, n’ont pas d’expertise relative à l’élaboration curriculaire. Ils montent leur outil à partir de leur propre expérience de terrain, ou de mutualisation d’expériences diverses. 


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