Référence documentographique

Duplessis Pascal. "Construire l'interdisciplinarité en Information-documentation : Sept stratégies d'enseignement pour les professeur.es documentalistes". Les Trois couronnes, mai 2019. URL :

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/didactique-information/construire-l-interdisciplinarite-en-information-documentation

Construire l'interdisciplinarité en Information-documentation : Sept stratégies d'enseignement pour les professeur.es documentalistes

Former les élèves à l'Information-Documentation implique pour les professeur.es documentalistes de les avoir en cours ! En dehors des classes dont cette matière est inscrite à l'emploi du temps, il faut donc nouer des collaborations avec des collègues de disciplines, au gré des opportunités et des programmes. Ces collaborations permettent aux élèves de découvrir les cultures de l'information en lien avec la discipline et de mesurer concrètement son intérêt. Mais à la difficulté liée à l'accès aux classes via les disciplines s'ajoute bien souvent celle du dépassement souhaitable de la simple commande d'accompagnement à la recherche d'information. Les professeur.es documentalistes se demandent alors quels apprentissages info-documentaires intégrer à une demande disciplinaire et comment s'y prendre pour équilibrer au mieux les relations entre l'Information-Documentation et les disciplines, dans une réelle perspective interdisciplinaire.

Cet article s'appuie en premier lieu sur l'analyse de situations courantes pour repérer ensuite trois types de relations interdisciplinaires observées entre professeur.es de discipline et professeur.es documentalistes. Sept stratégies d'enseignement sont alors proposées pour sortir des fréquentes situations de prédominance disciplinaire et viser une relation de collaboration symétrique et intégrée.

Sommaire

Introduction

1- Intervenir en appui d'une demande disciplinaire

  • 1.1- Analyse d'une situation courante
  • 1.2- Le modèle de la médiation documentaire

2- Un schéma d'action pour l'interdisciplinarité

  • 2.1- Quatre notions organisatrices du domaine info-documentaire
  • 22- Croisement des étapes de la médiation documentaire et des notions organisatrices

3- Les différentes facettes de l'interdisciplinarité en Information-documentation

  • 3.1- Quatre types de relations interdisciplinaires
  • 3.2- Les types de relations en Information-documentation

4- Sept stratégies d'enseignement pour l'Information-documentation

  • 4.1- Étape n°1 : la délimitation des contenus d'apprentissage
  • 4.2- Étape n°2 : la recherche d'information
  • 4.3- Étape n°3 : la production documentaire

Conclusion


Introduction

S'il est courant de s'en tenir à la demande exprimée par les collègues de discipline, compte-tenu notamment des délais courts et du temps compté pour intervenir, il peut aussi être tentant de faire une proposition plus ambitieuse. L'occasion sera alors saisie pour faire travailler les élèves sur des contenus info-documentaires spécifiques et les faire entrer plus avant dans les cultures de l'information. Il faudra souvent se contenter de viser un objectif unique, raisonnablement, du moins la première fois, en s'assurant qu'il entre bien dans le champ de l'Information-documentation. L'enjeu est double : didactique bien évidemment, mais également professionnel, puisqu'il donne à voir, vis-à-vis des collègues de discipline, une posture didactique plus complète. Par ces collaborations, il s'agit de les amener à dépasser leur vision restreinte des professeur.es documentalistes comme expert.es en ressources documentaires et en recherche d'information et et leur montrer qu'il existe une didactique de l'Information-documentation.

Comment s'y prendre, donc, pour ancrer, dans une situation courante de simple accompagnement méthodologique et d'accès aux ressources, des contenus info-documentaires spécifiques ?


1- Intervenir en appui d'une demande disciplinaire

1.1- Analyse d'une situation courante

Partons de l'existant. La situation la plus courante, rapportée par les professeur.es documentalistes, est celle de collègues de discipline proposant d'intervenir sur une classe à partir d'un point de leur programme. Voici cinq cas récemment rapportés par des collègues.

- Cas n°1 : Au collège, la professeure de Lettres d'une classe de 5ème souhaite ma collaboration pour un projet sur les super-héros qui se conclurait par un exposé oral ayant pour support un diaporama. Je devrai les guider dans leurs recherches.

- Cas n°2 : Un collègue en H-G souhaite une co-animation pour faire travailler les élèves de 3° sur un pays. A partir d'une recherche d'information, les élèves devront réaliser une affiche pour vendre un séjour touristique.

- Cas n°3 : Au LP, une collègue de lettres/histoire souhaite faire travailler ses élèves de 1ere sur les femmes résistantes (programme d'histoire" les femmes dans la société française de la belle époque à nos jours "). Elle souhaite que je les guide dans leur recherche et dans la réalisation de leur production (panneaux d'exposition au CDI et dans le lycée).

- Cas n°4 : En lettres 2nde pro, travail de recherche sur les canons de l'Antiquité. En littérature et société lettres/ Anglais, recherches en anglais pour productions d'une émission de radio : « Violence in the USA today », « Poverty and social outcasts in the USA today » et « Photography of the USA today / Who is Donald trump ? »

- Cas n°5 : En lycée, une collègue de 1ère ES en Lettres me propose de l'accompagner sur une séance sur le Classicisme, mouvement littéraire. La recherche d'information au CDI se conclurait par la production d'une fiche de synthèse sur un sujet donné.

A bien y regarder, tous ces cas ont une structure identique, constituée des trois étapes suivantes :

  • la présentation d'un thème ou sujet d'étude, en tant que contenu d'apprentissage disciplinaire, qui constitue une accroche au programme et qui justifie le rapport d'autorité entre les deux enseignant.es ;
  • l'expression d'un double besoin, celui de l'accès à des ressources et celui d'accompagnement méthodologique pour la recherche et le traitement documentaire, lequel fonde la demande de collaboration ;
  • le souhait de parvenir à une production documentaire, qui peut également motiver la collaboration et servir de support à l'évaluation de l'apprentissage.

Cette structure permet d'analyser les cinq cas recensés de la manière suivante :

Interdisciplinarité-Cas-d-etude fig. 1. Analyse de cinq cas d'étude au regard de la la structure ternaire de la médiation documentaire.

Cette structure montre combien les rapports entre les disciplines « cœur » et la Documentation, discipline « service », ont peu changé depuis près de quarante ans, malgré l'émergence, dans les années 2000, d'une didactique de l'Information-documentation et de nombreuses études sur les cultures de l'information. Les professeur.es documentalistes, tributaires de leurs collègues de disciplines et de leurs programmes, se présentent alors bien souvent comme des prestataires de service documentaire (accès aux ressources) et technique (méthodologie documentaire).

L'exemple est donné dans les cinq cas répertoriés où il s'avère que la demande vient systématiquement de la discipline qui « souhaite une collaboration », « souhaite une guidance », « souhaite être accompagnée » ou donne simplement des consignes. La relation ainsi instaurée paraît dès lors d'emblée dissymétrique. L'expertise qui fonde la collaboration est en effet de nature technique (formation) alors que leurs collègues de discipline se réservent les savoirs (enseignement). D'ailleurs, lorsqu'il y a évaluation partagée, cette dichotomie se retrouve le plus souvent, entre contenus disciplinaires et technique documentaire.

1.2- Le modèle de la médiation documentaire

Cette situation, de fait, participe des deux premières matrices disciplinaires de l'Information-documentation1, l'une étroitement méthodologique, l'autre ouverte aux heuristiques de la recherche et à la médiation documentaire. Car si les disciplines font appel aux techniques documentaires, c'est bien pour réaliser cette alchimie cognitive qui ferait que les informations trouvées et traitées dans les documents se transmuteraient en l'or de la connaissance2. Enseignant.es de discipline et enseignant.es documentalistes partagent ce postulat pédagogique et fondent souvent leur collaboration sur un tel contrat. Il se révèle souvent implicite car rarement remis en question. La structure ternaire qui vient d'être mise en évidence convient parfaitement à cette logique de la médiation documentaire : pour construire les connaissances visées par le thème du programme disciplinaire (étape 1), il suffirait de mener une recherche d'information encadrée (étape 2) et d'organiser l'information récoltée sous forme d'une production documentaire (étape 3).


2- Un schéma d'action pour l'interdisciplinarité

Partant d'une analyse des situations les plus courantes, nous avons mis en évidence une structure ternaire de base composée de trois étapes : le contenu d'apprentissage (disciplinaire), la recherche d'information et la production documentaire. L'enjeu consiste dès lors à ouvrir chacune de ces trois étapes, y compris la première, à un examen et à des propositions intéressant le domaine de l'Information-documentation. Ce domaine, non encore constitué en discipline scolaire instituée, à de quoi dérouter tant il apparaît faiblement structuré mais vaste. Rappelons que sa référence aux Sciences de l'information et de la communication ainsi qu'à de nombreuses pratiques socio-techniques3 prédispose l'Information-documentation scolaire à apporter un regard particulier et riche sur de nombreux objets ainsi qu'à mobiliser de nombreuses notions.

2.1- Quatre notions organisatrices du domaine info-documentaire

Afin d'être en mesure, lors de l'analyse des situations pédagogiques qui sont proposées par les disciplines, de pouvoir faire appel à tous les apports potentiels du domaine, nous proposons de structurer celui-ci à partir de quatre notions essentielles4 : Information, Documentation, Communication, Média. On peut avoir une idée de la composition de ces grandes notions organisatrices du domaine à enseigner à partir du tableau de répartition suivant qui liste un certain nombres de notions à enseigner propres à l'Information-documentation. Afin donner un simple aperçu de l'ensemble, nous ne proposons qu'un extrait de la liste organisée alphabétiquement (jusqu'à la lettre « C »)5 :

Notions-organisatrices-Info-doc fig. 2. Quatre notions organisatrices de l'Information-documentation scolaire et leurs contenus enseignables.

Cette ébauche d'inventaire, très partielle, montre l'étendue et la diversité des approches conceptuelles possibles permettant aux professeur.es documentalistes de s'inscrire dans des situations interdisciplinaires.

22- Croisement des étapes de la médiation documentaire et des notions organisatrices de l'Information-documentation

Pour penser les demandes qui viennent des disciplines, nous proposons donc d'analyser chaque étape à partir des objets d'enseignement de l'Information-documentation, en les croisant de la manière suivante :

Mediation-documentaire fig. 3. Articulation de la structure ternaire de la médiation documentaire avec les notions organisatrices.

A chaque étape de la demande venant de la discipline, il serait ainsi possible de mobiliser un certain nombre de notions info-documentaires. Toutes les entrées n'ont pas besoin d'être renseignées, bien entendu. Selon le temps de préparation disponible en amont de la séance et le temps de co-enseignement réalisable pendant le cours, une ou quelques entrées devraient pouvoir suffire. On peut imaginer que, dans le cas d'une demande de stricte collaboration procédurale, occasionnelle et de courte durée (relation de prédominance6), une seule entrée pourra être tentée en un premier temps, en veillant à ne pas surcharger la tâche des élèves et à ne pas prendre trop sur le temps du cours.

L'essentiel est de pouvoir profiter de chaque opportunité pour faire construire aux élèves des éléments propres aux cultures de l'information et se présenter aux autres professeur.es comme un.e collègue enseignant.e, dans une relation d'équivalence.


3- Les différentes facettes de l'interdisciplinarité en Information-documentation

3.1- Quatre types de relations interdisciplinaires

De l'aveu de tous, chercheurs et praticiens, l'interdisciplinarité reste un concept difficile à définir. Il est néanmoins possible de la considérer en tant que modalité pédagogique observable et de s'attacher à ce qui se passe concrètement sur le terrain. Françoise Cros7, ainsi qu'Yves Lenoir8 avant elle, observent ainsi quatre types de relations interdisciplinaires :

  • une relation de dépendance, lorsqu'une discipline est première, précédant l'intervention des autres qui ont besoin des savoirs et savoir faire qu'elle apporte ;
  • une relation de prédominance où une seule discipline fonctionne en réalité, les autres disciplines profitant de l'occasion pour proposer une activité ou un apprentissage spécifiques.
  • une relation d'équivalence, où chaque discipline apporte en complémentarité des savoirs et savoir faire spécifiques pour aborder un thème commun ;
  • une collaboration autour d'un objectif commun, non spécifique à chaque discipline, obtenue par la discussion et construite sur une problématique négociée ;

3.2- Les types de relations en Information-documentation

Si cette typologie peut s'avérer pertinente pour les disciplines instituées interagissant entre elles, est-elle pertinente pour rendre compte des relations entre disciplines et Information-documentation ?

  • La relation de dépendance voit une discipline se constituer comme un préalable aux autres, telle les mathématiques au regard des sciences physiques, par exemple. Bien que le terme de dépendance semble à première vue convenir pour l'Information-documentation tributaire d'une discipline commanditaire, l'idée exprimée ici n'est pas pertinente dans ce contexte particulier puisque ni les savoirs ni les savoir faire de la discipline ne sont réutilisables pour l'Information-documentation. On observe ainsi des cours d'Information-documentation se dérouler en complète indépendance vis-à-vis des autres disciplines, lorsque des heures à l'emploi du temps des classes ont été dégagées. Inversement, certains cours disciplinaires se basent sur des recherches d'information sans nécessairement collaborer avec les professeur.es documentalistes ni même recourir aux ressources du CDI. Ce type de relation ne sera donc par repris dans la suite de cette étude.

  • La relation de prédominance semble mieux convenir aux situations qui nous intéressent ici. La discipline hôte pourrait très bien se passer du recours aux ressources du CDI ou de la contribution pédagogique du.de la professeur.e documentaliste et fonctionner en totale autarcie pour mener cette partie du programme. Par conséquent, les autres disciplines, dont l'Information-documentation, ne peuvent que tenter de profiter de l'occasion qui leur est donnée pour « s'accrocher » au projet et proposer une activité d'apprentissage qui leur soit spécifique. Les Arts plastiques sont par exemple souvent sollicités pour « illustrer », le Français pour rédiger, etc., ce qui n'est pas toujours bien perçu par les enseignant.es qui se considèrent alors instrumentalisé.es au même titre que leur discipline.

L'opposition discipline « cœur » et discipline « service » prend ici tout son sens. Dans le cas de l'Information-documentation, l'activité attendue consistera principalement en un appui méthodologique à une recherche d'information ou à une production documentaire à l'issue de celle-ci, en réponse à une commande occasionnelle de la discipline « cœur » . Ce type de relation produit une interdisciplinarité de nature auxiliaire, asymétrique et passive dans la mesure où la commande tombe dans le sens d'une représentation établie du rôle des professeur.es documentalistes. Par ailleurs, ces savoir faire de nature procédurale, comme rechercher de l'information et la communiquer, étant souvent considérés comme des capacités transversales, se voient aussi bien pris en charge à l'intérieur des disciplines, avec pour conséquence l'absence de sollicitation des collègues professeur.es documentalistes.

  • La relation d'équivalence, faute de temps et de vision à long terme, se vérifie moins fréquemment. Dans cette relation, chaque discipline, dont l'Information-documentation, s'entend pour travailler autour ou à partir d'un objet d'étude commun, sans pour autant établir une concertation soutenue avec les autres. Chacune contribue en apportant les savoirs et savoir faire propres à sa didactique et à son épistémologie. On évoque alors une « interdisciplinarité thématique », construite sur la base d'une équivalence de valeur entre les disciplines liées, lesquelles œuvrent de manière autonome mais complémentaire.

Dans le cas d'une interaction faible entre les disciplines, l'expression de pluri- ou multi-disciplinarité est préférée. Quoi qu'il en soit, l'objet d'étude partagé donne lieu à différents traitements de la part des disciplines, selon leur point de vue spécifique. Chaque discipline va poser un regard particulier, suffisamment distinct, sur l'objet commun pour l'éclairer d'un jour nouveau et contribuer à en donner une perception plus globale. Ainsi la même rue d'une ville peut-elle être saisie de manière distincte et complémentaire par l'histoire, la géographie, la sociologie, l'architecture, les lettres, les arts plastiques ou la sémiologie. Les professeur.es documentalistes doivent eux aussi définir leur propre angle d'approche au sein d'un ensemble de problématiques et d'outils conceptuels appartenant aux Sciences de l'information et de la communication.

Ce type de relation construit une interdisciplinarité de nature complémentaire, symétrique et active dans le cas de l'Information-documentation, car s'évertuant à dépasser les attentes méthodologiques et à mettre en avant l'expertise didactique de ces enseignant.es. Par contre, l'Information-documentation n'ayant pas toujours d'heures dédiées, il faut alors que la discipline « support » accepte de libérer du temps pour des apprentissages qu'elle estime hors de son programme strict mais qu'elle peut juger nécessaires à plus ou moins long terme ou complémentaires à son propre point de vue. Les apprentissages info-documentaires pourront également prendre place dans ce que Jean-Pierre Astolfi appelait des « moments décrochés », où les apports ne sont pas directement liés au projet de la discipline mais à la saisie de l'objet d'étude commun. En conséquence, les apports des professeur.es documentalistes sont souvent restreints en temps et peu ambitieux en contenus, ce qui les amènent à s'en tenir plutôt à une relation de prédominance.

  • La relation de collaboration, enfin, serait dès lors un horizon à atteindre qui verrait professeur.es documentalistes et de disciplines construire ensemble, dans une interaction forte, un projet à partir d'une problématique commune incluant les dimensions culturelles de l'information. Ce type de disciplinarité pourrait être qualifié d'intégratif puisque chaque discipline se fondrait dans un projet dépassant leurs limites territoriales strictes et nécessitant les apports de chacune pour se réaliser. Ce type de relation réclame un temps préalable important de discussion et de préparation, mais nécessite également d'établir un statu quo dans la reconnaissance de contenus d'enseignement info-documentaires par les disciplines, bien au-delà des seuls apports méthodologiques.

Typologie-relations-interdisciplinaires fig. 4. Les trois types de relations interdisciplinaires observables en Information-documentation.

Dans le cadre restreint d'une disciplinarité occasionnelle souvent présentée comme auxiliaire, comment dès lors rééquilibrer un tant soit peu une relation qui, de fait, s'avère plutôt dissymétrique ? Comment passer d'une relation de forte prédominance, marquée par la sujétion à la discipline instituée et commanditaire, à une relation davantage symétrique, d'équivalence, voire de collaboration ?


4- Sept stratégies d'enseignement pour l'Information-documentation

Pour chacune des trois étapes de la médiation documentaire, nous allons à présent examiner comment exercer le regard de l'Information-documentation afin de proposer une réponse appropriée. Le pari de notre propos est, rappelons-le, d'aider les professeur.es documentalistes à passer d'une relation de prédominance des disciplines à une relation au moins d'équivalence, et au mieux de collaboration. Nous proposerons ainsi sept stratégies d'enseignement distinctes que nous retrouverons à un moment ou à un autre autre des trois étapes.

4.1- Étape n°1 : la délimitation des contenus d'apprentissage

La situation la plus courante est celle où la discipline impose le thème de l'étude et les objets d'apprentissages inscrits dans son programme. L'enseignant.e documentaliste est alors sollicité.e pour guider la recherche documentaire des élèves sur le thème prescrit. La relation instaurée entre les deux professeur.es est dite de prédominance. Mais si l'enseignant.e documentaliste souhaite sortir de cette situation et installer plutôt une relation de collaboration, plus symétrique, il lui faudra intervenir au niveau de la définition du thème, ou contenu d'apprentissage, et proposer d'y intégrer un questionnement info-documentaire.

La collaboration implique dès lors une réflexion commune sur le projet à mettre en œuvre. Au cours de ce projet, les élèves travailleront donc à la fois la partie du programme disciplinaire et une question info-documentaire. La problématique à construire doit ainsi conjuguer autant que faire se peut le questionnement disciplinaire et le questionnement info-documentaire, de manière à fonder une réelle interdisciplinarité. Il restera à convaincre le.la collègue de discipline de l'intérêt de travailler le thème prévu sous l'angle informationnel, documentaire, communicationnel ou médiatique.

Contenus-d-apprentissage fig. 5. Comment passer d'une relation de prédominance à une relation de collaboration au cours de l'étape 1 « Contenus d'apprentissage ».

Deux stratégies d'enseignement s'offrent alors aux enseignant.es documentalistes : soit, plus modestement, se référer au programme en question pour y retrouver des ancrages notionnels qui y seraient déjà précisés, soit, de manière plus ambitieuse, analyser la demande initiale de contenus d'apprentissage disciplinaire pour proposer d'y intégrer un questionnement info-documentaire. La première permet d'établir une relation d'équivalence, la seconde une relation de collaboration.

1- Des ancrages notionnels dans les programmes disciplinaires

Une étude consacrée à l'emprise des notions info-documentaires dans les programmes existe qui permet de faire l'économie de la lecture intégrale des programmes. Elle concerne les programmes du cycle 39, du cycle 410 et ceux de l'enseignement général du lycée professionnel11 (2010). Les tableaux présentés mettent en relation certaines parties des programmes comprenant des contenus propres à l'Information-documentation et les notions info-documentaires correspondantes12. Il est alors plus aisé pour l'enseignant.e documentaliste de s'appuyer sur les références de ces demandes en justifiant de son expertise.

Prenant pour exemple les deux premiers cas cités de demande disciplinaire, nous trouvons dans les programmes du cycle 4 (2015)13, aux deux disciplines concernées, les ancrages info-documentaires suivants, que nous avons rapportés aux quatre notions organisatrices du domaine :

Ancrages-info-doc fig. 6. Repérage des ancrages info-documentaires dans les programmes disciplinaires à partir de quatre notions organisatrices de l'Information-documentation.

Il sera stratégique ici de présenter ces notions à la fois comme composantes de la discipline et sous l'angle de l'Information-documentation. On pourra trouver d'autres accroches dans le programme ou, ce qui sera plus pertinent encore, et plus efficace, dans la présentation même du projet qu'en fera le.la collègue de discipline. Le principal sera de positionner l'Information-documentation comme matière disciplinaire spécifique, susceptible d'apporter des connaissances complémentaires propres à développer chez l'élève un regard analytique sur les phénomènes médiatiques, communicationnels et info-documentaires.

2- Un questionnement info-documentaire du thème disciplinaire

Pour aller plus loin et dépasser le seul pointage des notions à travailler, il peut être proposé à la discipline un questionnement info-documentaire plus abouti, toujours en lien avec le thème disciplinaire et construit à partir de l'analyse de celui-ci. L'exemple donné ci-dessous part des cinq notions a priori mobilisables dans le cas n°1 (les super-héros). Il peut en exister beaucoup d'autres.

  • Image :
    • De l'âge d'or des comics à aujourd'hui, quelles évolutions graphiques majeures ?
    • Quelles différences observe-t-on dans le traitement graphique des (super-)héros entre comics, mangas et BD franco-belge ?
    • Quels sont les codes graphiques utilisés pour représenter les super-héros dans les comics ?
    • La représentation de divinités mythologiques dans l'univers des comics (Hercule, Thor, Loki, etc.)
  • Type d'information
    • Peut-on discriminer les différents types d'information dans un comics : information fictionnelle (univers diégétique), information documentaire (personnages, événements et lieux existants), information (pseudo) scientifique et information journalistique (exploitation de l'actualité) ?
  • Type de document
    • Comment classer le comics dans une typologie du document ?
    • Quelle évolution des adaptations médiatiques des comics ?
  • Contexte d'énonciation
    • Quel a été le contexte social, politique, technologique à l'origine de certains super-héros ?
  • Média
    • Quelle représentation du journalisme donne-t-on à travers le comics Spiderman (Peter Parker, photographe pour The Daily Bugle) ?
    • Comment communiquent les super-héros ?
    • La puissance économique des principaux médias que sont Marvel et DC.
    • L'impact des technologies numériques dans l'évolution et dans le développement des comics.
    • Les pratiques de consommation des élèves des différentes déclinaisons médiatiques des comics (éditions imprimées, séries TV, films, jeux vidéos, dessins animés, produits dérivés).
    • L'image de la femme, ou la représentation du genre dans les comics.
    • Le statut de l'adolescent dans l'imaginaire des comics (Robin, Bucky Barnes, X-Men, Spiderman...)

Ce croisement des thèmes disciplinaires et des thèmes spécifiques de l'Information-documentation permet aux élèves d'acquérir pour le moins des connaissances doubles14 et, au mieux de rendre opératoires les notions info-documentaires en montrant en quoi elles permettent d'interroger avec pertinence toutes les dimensions de la société actuelle.

4.2- Étape n°2 : la recherche d'information

L'attendu disciplinaire est double. D'une part, il s'appuie sur le postulat cognitif de la médiation documentaire (1- acquérir des connaissances par le traitement de l'information) et d'autre part sur l'expertise méthodologique des professeur.es documentalistes (2- former les élèves à la maîtrise de l'information). Dans l'un et l'autre cas, ce présupposé conduit à des relations de prédominance.

Dépasser ce type de relation nécessite de proposer des apprentissages non seulement procéduraux mais également déclaratifs. Il va s'agir d'intégrer à la commande disciplinaire des objectifs d'acquisition de savoirs info-documentaires. Pour y parvenir, deux stratégies d'enseignement possibles sont offertes, l'une par insertion de contraintes dans les consignes de la recherche d'information (3), l'autre par intégration de contenus à des moments appropriés (4).

Recherche-d-information fig. 7. Comment passer d'une relation de prédominance à une relation d'équivalence au cours de l'étape 2 « Recherche d'information ».

. Insertion de contraintes dans les consignes (3) :

L'insertion de contraintes dans les consignes pourrait être présentée comme une approche « en creux ». Il s'agit tout simplement d'introduire, dans l'énoncé des consignes relatives à la recherche d'information, des contraintes particulières mettant en scène une ou plusieurs notions info-documentaires. Sans avoir à dégager un temps particulier pour travailler ces notions pour elles-mêmes, cette approche à moindre coût contraint l'élève à maîtriser celles-ci pour franchir l'obstacle instauré par la consigne.

Ainsi, par exemple, demandera-t-on à l'élève, au terme de sa recherche, de présenter un nombre donné de documents comprenant telle ou telle caractéristique particulière. Ce peut être, selon les besoins d'apprentissage et les objectifs fixés, des types d'information, des supports, des publics destinataires ou des genres journalistiques distincts. Bien sûr, ces critères peuvent être croisés entre eux : tel type d'information sur tel support et provenant de telle source par exemple.

La contrainte apportée par de tels filtres documentaires a pour objet de construire les notions en favorisant leur discrimination et leur manipulation via des matériaux concrets (moteurs, documents, médias, etc.).

La verbalisation se produit lors de l'explicitation de la consigne, lors de l'accompagnement du travail et lors de la mise en commun quand il est demandé de rendre compte de sa recherche. L'évaluation de l'apprentissage s'opère pendant (évaluation formative) et à l'issue de celui-ci, notamment s'il est demandé à chaque élève d'expliciter ce qu'il a retenu et compris (évaluation sommative structurante).

. Intégration de contenus info-documentaires (4)

Par rapport à la stratégie précédente, l'intégration de contenus info-documentaires dans le cours pourrait être présentée comme étant « en plein ». Il s'agira ici de révéler l'arrière plan conceptuel de toute situation de recherche d'information en pointant telle ou telle notion particulière jugée appropriée dans le contexte de l'apprentissage en cours.

Ainsi, toute situation de recherche d'information nécessite de clarifier et de construire les notions de requête, de catalogue et/ou de moteur de recherche, d'évaluation de l'information, de source, de référencement bibliographique, de discours et de type de média, pour n'en citer que quelques unes (voir le tableau récapitulatif ci-dessous).

Cette approche ne pré-juge en rien de la méthode pédagogique utilisée, qui peut être, selon les besoins, la notion et le temps disponible, expositive, interrogative ou active15.

Il revient à chaque professeur.e documentaliste d'analyser la situation d'apprentissage et d'apprécier sa marge de manœuvre pour décider de la (ou des) notion(s) à mettre en lumière, de leur nombre, de leur approfondissement, du temps à lui consacrer et du moment le plus approprié pour le faire. Ainsi en va-t-il du choix des modalités de son évaluation. Tel ou tel autre moment, décroché ou non, pourra faire l'affaire.

Le tableau ci-dessous récapitule les deux stratégies d’enseignement à partir d'exemples qui restent à adapter selon les niveaux, les disponibilités et les projets. Ces exemples sont distribués selon les quatre notions organisatrices de l'Information-documentation.

Stratégie-enseignement-recherche-d-information-A Stratégie-enseignement-recherche-d-information-A fig. 8. Deux stratégies d'enseignement pour l'étape n°2 "Recherche d'information"

Quelle que soit la stratégie utilisée – les deux pouvant d'ailleurs se compléter - il demeure essentiel de rendre visible cet enseignement, en l'inscrivant formellement parmi les objectifs d'apprentissage, en le présentant tel que aux élèves lors de l'introduction de la séance, en en rappelant l'importance et, enfin, en l'intégrant dans l'évaluation d'une manière ou d'une autre. Cet apport doit être présenté, aux collègues de discipline et aux élèves, comme l'apport spécifique de l'Information-documentation, prenant tout son sens et toute son acuité dans un environnement social, économique, écologique et politique où la compréhension des phénomènes informationnels, documentaires, communicationnels et médiatiques, notamment en régime numérique, garantit l'émancipation et la citoyenneté.

4.3- Étape n°3 : la production documentaire

Cette étape est souvent appréhendée comme l'aboutissement logique d'une recherche d'information et, à ce titre, est comprise dans les référentiels de compétences propres à la maîtrise de l'information où elle occupe la dernière place, en bout de chaîne. C'est une tâche intéressante mais limitée en ce qu'elle n'aborde, une fois de plus, que la dimension procédurale du processus d'apprentissage : il s'agit de « produire, réaliser, faire » un dossier, une affiche, un exposé... Il est alors attendu des professeur.es documentalistes qu'ils.elles forment les élèves à une procédure.

Pour dépasser cette démarche uniquement fonctionnaliste, il est donc intéressant d'ouvrir plus largement aux cultures de l'information en s'intéressant aux notions info-documentaires que mobilise toute production de document. Commençons par interroger ces productions documentaires.

. L'enjeu cognitif de toute production documentaire scolaire

Rappelons en tout premier lieu que toute production documentaire aboutit à la réalisation d'un document. C'est donc bien sur cette notion de Document que l'analyse devrait porter. L'étymologie va nous être d'un grand secours pour estimer l'enjeu pédagogique qu'il y a à faire produire un document par les élèves. En effet, le latin documentum d'où est issu notre document désigne « ce qui sert à instruire »16. D'ailleurs, le document, de par sa fonction de preuve et de transmission de l'information, a toujours été le vecteur privilégié de l'enseignement et de l'apprentissage. Les termes didactique, discipline et autodidaxie partagent d'ailleurs cette même origine.

Notons que la plupart du temps, c'est bien l'élève qui « reçoit » le document à des fins pédagogiques, sous la forme du manuel, du dictionnaire, du livre de référence, de la carte géographique, du schéma ou de la capsule vidéo. L'inverse est plus rare, lorsqu'il est demandé à l'élève de produire lui-même un document. Dans ce cas, on attend moins du résultat - une somme d'informations validées organisée en document à portée didactique - que du processus mis en œuvre lors de cette élaboration. Le processus cognitif qui est alors engagé est celui de la médiation documentaire : à partir du traitement et de la réorganisation d'informations sélectionnées dans d'autres documents, on s'attend à ce que l'élève intègre et structure des connaissances qui sont visées par la situation didactique. De ce point de vue, cette étape se présente comme l'aboutissement de l'étape précédente de recherche d'information.

Ainsi, lorsqu'on demande à l'élève de produire un document, ce dernier ne sert plus seulement à instruire quelqu'un de quelque chose en rapport avec un savoir, mais à lui permettre de construire ses propres connaissances. Certes, le produit documentaire réalisé peut à son tour devenir un document didactique (panneau d'exposition, affiche, capsule vidéo ou dossier mis en ligne, périodique publié, etc.) utile à d'autres, qui fait que l'élève, d'habitude récepteur, se retrouve à son tour auteur. Mais l'objectif didactique premier reste bien la construction de connaissances à partir d'un traitement d'informations.

. Typologie des productions documentaires scolaires

L'observation des pratiques scolaires permet d'aboutir à un premier ensemble de productions documentaires, non exhaustif bien entendu :

Productions-documentaires-scolaires fig. 9. Inventaire non exhaustif des productions documentaires scolaires

Est-il possible de classer ces productions ? Différentes typologies pour classer les documents existent déjà :

  • par la nature : document primaire, secondaire, tertiaire17 ;
  • par la forme : document écrit, sonore, visuel (iconique, graphique) ou audiovisuel, multimédia lorsqu'il combine plusieurs formes, tactile, codé ;
  • par la fonction : document de référence, de conservation, de preuve, de communication, de réflexion, de distraction, d'apprentissage, de promotion, etc.
  • par le support : physique (papier, bois, plastique, tissu, film, etc.), numérique ;
  • par la technique d'enregistrement de l'information : impression, chimique photosensible, magnétique, analogique, optique, électronique, etc.

Pour autant, ces typologies ne semblent pas pertinentes pour notre propos. En premier lieu parce qu'elles ne sont pas efficaces pour caractériser complètement les productions ici recensées. Par exemple, une affiche peut renvoyer à différentes typologies (support, fonction, forme). En second lieu parce qu'elles n'apportent pas de sens au travail que l'on demande aux élèves. Nous proposons plutôt un classement par les pratiques socio-techniques de référence d'où sont originaires ces produits documentaires. Par exemple, Une, Revue de presse, Notes relèvent du journalisme, tandis que Affiche, Flyer et Panneau d'exposition renvoient au secteur de l'affichage, et que Page de manuel, Rapport de stage sont plutôt auto-référentiels (Éducation).

Productions-documentaires-scolaires-et-pratiques-sociales-de-référence fig. 10. Les productions documentaires scolaires classées selon les pratiques socio-techniques de référence.

Indiquer aux élèves à quel métier ou secteur d'activité se réfère la tâche documentaire qui leur est proposée peut contribuer à donner du sens au travail scolaire et à légitimer celui-ci. Pour beaucoup d'élèves, cette référence peut aider à contextualiser son travail, en lui proposant de « faire comme » un.e journaliste, un.e documentaliste, un.e chercheur.e ou un.e dir-com. L'entrée dans l'activité peut ainsi se faire par l'analogie ou même, dans certains cas, par projection dans le métier visé.

. Aller vers une relation d'équivalence

Comment exploiter l'offre de préparation à une production documentaire à l'issue d'une recherche d'information, en un apprentissage explicite de l'Information-documentation ? Comment passer d'une relation de prédominance passive à une relation d'équivalence active ?

De même que pour l'étape précédente, le présupposé disciplinaire est double. Les professeur.es documentalistes sont attendu.es à la fois sur les fruits de la médiation documentaire (1- structurer des connaissances par le traitement de l'information et sa réorganisation en vue de la communiquer) et sur l'accompagnement méthodologique (2- former les élèves à la maîtrise de l'information). Dans l'un et l'autre cas, ce présupposé conduit à des relations de prédominance entre professeur.e de discipline et professeur.e documentaliste. Toutefois, à propos de cet apprentissage méthodologique, nous voyons là l'occasion de faire acquérir à l'élève un vocabulaire spécifique à chaque type de production, ce qui nous amène déjà aux prémices d'une relation d'équivalence.

Production-documentaire fig. 11. Comment passer d'une relation de prédominance à une relation d'équivalence au cours de l'étape 3 « Production documentaire ».

Afin de parvenir à établir une relation d'équivalence, il est nécessaire de hisser au premier plan des apprentissages des notions appartenant au domaine de l'Information-documentation. Deux possibilités s'offrent ici, encore une fois tout à fait complémentaires. L'une s'attache à intégrer des contenus déclaratifs à la commande méthodologique (3), ainsi que nous l'avons vu pour la précédente étape de recherche d'information, tandis que l'autre cherche à tirer avantage de la situation de communication ainsi mise en œuvre (4).

. Intégration de contenus info-documentaires (3)

. Vocabulaire et notions 

Les contenus déclaratifs apparaissent déjà dès lors que l'on utilise et fait utiliser aux élèves un vocabulaire spécifique au document en général (auteur, support, information, structure du document) et à la production documentaire visée en particulier. Chaque type de production documentaire mobilise en effet, en référence notamment au domaine socio-technique dont il est issu, un lexique original.

. Pensons à la réalisation de documents journalistiques par exemple, comme l'article de presse, l'éditorial, l'interview, la Une ou la revue de presse. Il y sera pour le moins introduit, appliqué et manipulé des notions telles que l'écriture journalistique, la pyramide inversée, l'information journalistique, les types de presse, les genres journalistiques, la construction de l'information, la tonalité, le fait et l'événement, le scoop, la ligne éditoriale ou l'agence de presse.

. De la même manière, s'agissant de la production d'une publicité, on mobilisera les notions de discours, message publicitaire, cible, marque, marketing, économie de l'information, argumentation, communication d'influence, effet, support publicitaire ou annonceur.

Production-documentaire-et-notions-organisatrices-info-doc fig. 12. Repérage des notions info-documentaires mobilisables dans certains types de production documentaires scolaires, classées selon quatre notions organisatrices.

. Pratiques professionnelles de référence : Inscrire toute production documentaire demandée à l'élève dans le monde réel est une des conditions de réussite de la construction des notions mobilisées. Il est ainsi démontré qu'elles sont opératoires. Ainsi peut-il être intéressant de les rattacher au domaine professionnel dont elles sont issues et où elles sont appliquées18. Occasion de les rattacher à des métiers et à des fonctions sociales, de construire une typologie fonctionnelle des documents (informer, divertir, enseigner, convaincre, …).

. Médias de masse : Certains types de production pourraient également donner lieu à une ouverture sur les médias de masse comme le sont l'édition, l'affichage, la presse, la radio, le cinéma et la télévision.

. Histoire des techniques : Il est également tout à fait intéressant de s'attacher à inscrire tout produit documentaire dans une histoire, que ce soit celle du document ou des techniques, et notamment celle des supports19. Ce peut être le cas du diaporama, par exemple, si fréquemment demandé aux élèves en support d'un exposé oral. Le besoin de projeter des documents à un auditoire s'est fait sentir depuis les années 1940, tour à tour dans l'enseignement et dans l'entreprise. Pour ce faire, on a tout d'abord utilisé des rétro-projecteurs utilisant des films de plus en plus résistants, mais dont la réalisation demandait encore de s'y prendre longtemps en avance et dépendait de services techniques. L'idée de pouvoir générer ses propres diapositives lors d'une conférence revient à Whitfield Diffie. Elle sera reprise et développée en 1982 par Bob Daskins qui fonda l'entreprise PowerPoint20. L'occasion est donnée ici de différencier les logiciels propriétaires des libres et de sensibiliser à l'économie de l'information.

Toute production documentaire constitue ainsi une entrée privilégiée dans les cultures de l'information, dès lors que l'on conduit les élèves à découvrir et à construire les notions qui s'y rattachent et à retrouver ce qui les relient à l'espace social et à l'histoire du document.

. Inscription dans une situation de communication (4)

Toute production documentaire, au-delà du processus cognitif qui l'instrumente, s'inscrit dans une situation de communication. On peut affirmer a minima qu'elle est produite par un.e auteur.trice (un.e élève, un groupe d'élèves, une classe), contient de l'information organisée porteuse d'un message, utilise un support et un canal et est organisée dans le but de produire un effet sur un public cible. Cette situation peut être modélisée comme suit :

Schéma_situation_de_communication_enseignable_en_Information-documentation fig. 13. Schéma de la situation de communication enseignable en Information-documentation.

Toute production documentaire inscrite en tant que tâche offre donc l'opportunité aux professeur.es documentalistes d'enseigner la communication à partir de la notion de situation de communication. Cette notion, comme le révèle ce schéma adapté au contexte scolaire, permet à la fois de traiter de nombreuses notions spécifiques, telles le code, le message, le public ou la réception, et d'intégrer dans une visée plus large les notions de document, d'auteur, de source, d'information et de forme d'information.

Prenons par exemple le cas n°2, où « un collègue en H-G souhaite une co-animation pour faire travailler les élèves de 3° sur un pays. A partir d'une recherche d'information, les élèves devront réaliser un affiche pour vendre un séjour touristique. » La réalisation d'une affiche est en effet très fréquemment demandée aux élèves au terme d'une recherche d'information. En l'occurrence, la situation peut être ainsi analysée :

Analyse_situation_de_communication

A partir d'une situation de production documentaire, il devient alors possible de fournir aux élèves les clés d'une analyse communicationnelle qui pourra être transférée à toute pratique sociale de référence, comme la publicité et le marketing, les campagnes électorales, tout discours officiel, les journées portes-ouvertes ou encore tout événement promotionnel, comme les salons. On y inclue bien évidemment les pratiques domestiques des élèves relatives aux réseaux sociaux, à la publication ou à l'usage des smartphones.


Conclusion

A partir d'une analyse des situations les plus courantes voyant le couple professeur.e de discipline-professeur.e documentaliste se répartir les tâches d'enseignement dans une relation de prédominance disciplinaire, nous avons proposé des solutions pour faire advenir des formes plus symétriques d'interdisciplinarité. Pour ce faire, il fallait pouvoir dépasser les attentes des disciplines centrées sur la médiation documentaire et la formation méthodologique, lesquelles pouvaient renvoyer à une image des professeur.es documentalistes fondée sur des compétences de formation relativement techniques.

La relation d'équivalence pouvait ainsi constituer un premier pas vers une relation davantage basée sur l'égalité statutaire des enseignant.es, reconnaissant aux professeur.es documentalistes une expertise d'enseignement d'une matière disciplinaire spécifique et complémentaire. Les modalités d'intervention proposées sont alors plurielles : l'insertion de contraintes favorisant la construction de notions info-documentaires dans les consignes, l'intégration de contenus info-documentaires dans des moments décrochés, l'appréhension de la production documentaire en tant que situation de communication ou, enfin, le repérage des ancrages de notions info-documentaires dans les programmes disciplinaires.

Enfin, la relation de collaboration entre les deux enseignant.es, horizon d'attente d'une relation symétrique intégrée, suppose de reconsidérer la demande disciplinaire dans l'approche qu'elle tient de ses programmes pour y inclure la dimension culturelle de l'information. Le moyen pour y parvenir est de rechercher, en s'appuyant sur l'analyse de la demande disciplinaire, un questionnement commun favorisant la construction de savoirs à la fois disciplinaires et info-documentaires. Problématiser le thème permet également d'approfondir l'approche notionnelle classique en développant les dimensions explicatives, opératoires et émancipatrices des notions info-documentaires.

Pour progresser de la relation d'équivalence à celle de collaboration au travers des trois étapes repérables dans toute demande disciplinaire à l'égard des professeur.es documentalistes, nous avons ainsi proposé sept modalités d'intervention suivantes que nous récapitulons ici :

Récapitulatif_des_sept_stratégies_d-enseignement_Info-doc fig. 15. Récapitulatif des sept stratégies d'enseignement permettant aux professeur.es documentalistes de passer d'une relation de prédominance à une relation de collaboration.

Rappelons qu'il appartient aux professeur.es documentalistes, à partir de l'analyse qu'ils font de la situation de co-enseignement qui leur est proposée, de juger de l'opportunité de telle ou telle de ces stratégies d'intervention, lesquelles ne constituent que des outils disponibles, à ajuster à leur mesure et selon leurs besoins.

Notes


  1. Duplessis Pascal. "Les trois matrices disciplinaires de l'Information-Documentation." Les Trois couronnes, mars 2017. 

  2. Alava Séraphin . "Bricolage et braconnage cognitifs". Cahiers Pédagogiques, 1995, pp.44 - 48. 

  3. Parmi celles-ci, les secteurs socio-professionnels de la communication, de l'édition, de l'image, de l'information-documentation, des médias, du marketing, du numérique, de la presse, de la publicité, de la sémiologie ou encore de la typographie. 

  4. Duplessis Pascal. "Les notions essentielles de l’Information-Documentation". Les Trois couronnes, avril 2017. Mis à jour le 19 décembre 2017. 

  5. Pour disposer des tableaux complets, lire l'outil didactique "L'Information-documentation scolaire en cinq champs de connaissances et 1500 notions". Les Trois couronnes, avril 2019. 

  6. Voir infra les différents types de relations interdisciplinaire possibles. 

  7. Françoise Cros, professeure en Sciences de l'éducation. Lire « Interdisciplinarité ». In Champy P., Etévé C. (dir.). Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation. 3ème éd. Revue et mise à jour, Retz, 2005. 

  8. Yves Lenoir, professeur en Sciences de l'éducation. Lire Relations entre interdisciplinarité et intégration des apprentissages dans l’enseignement des programmes d’études du primaire au Québec. Thèse de doctorat. Université de Paris VII, 1991. 

  9. "Emprise de l'Information-Documentation dans les programmes du cycle 3". Les Trois couronnes, janvier 2019. 

  10. "Emprise de l'Information-Documentation dans les programmes du cycle 4". Les Trois couronnes, janvier 2019. 

  11. "Emprise de l'Information-Documentation dans les programmes d'enseignement général du lycée professionnel". Les Trois couronnes, 12-2018. 

  12. Une analyse similaire des nouveaux programmes du lycée général et technologique ainsi que ceux du lycée professionnel sera prochainement publiée. 

  13. Op. cit. 

  14. « Pistes d'accompagnement de la démarche de médiation documentaire de l'étudiant ». In Gardiès Cécile (coord.). L’éducation à l’information : Guide d’accompagnement pour les professeurs documentalistes. Educagri, 2008. p. 34-35 

  15. Duplessis Pascal. "Les méthodes pédagogiques en information-documentation". Les Trois couronnes, 2014. 

  16. Déclinaison du verbe docere « instruire, enseigner ». 

  17. En tant que compilation ou synthèse d'articles, de pages web ou de livres qui, eux, sont des documents primaires, il est toujours et d'abord un document tertiaire. Par contre, nous venons de voir qu'il peut être exceptionnellement obtenir le statut de document primaire (contenant une information à caractère original) lorsqu'il est « valorisé » sous forme d'une publication (affichage, diffusion en ligne, distribution) et destiné à différents publics. Enfin, il peut même prendre la forme d'un document secondaire, dès lors qu'il contient des données signalétiques relatives à un document primaire (référence bibliographique, résumé, mots clés). 

  18. Voir la typologie selon les pratiques socio-techniques de référence dans le tableau n°10 supra

  19. Se référer à l'inestimable travail de Sylvie Fayet-Scribe : "Tableau chronologique des supports, des dispositifs spatiaux et des outils de médiation de l'information [annexe 1]". Histoire de la documentation en France. Culture, science et technologie de l’information 1895-1937. CNRS Editions, 2001. p. 246-276. Une version en ligne de la même auteure, datée de 1997, est disponible. 

  20. Speechi. L’origine de PowerPoint / The origin of PowerPoint. Speechi, 2005. 


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