Les coulisses d’une séquence pédagogique : "Un dahu au bahut". Interview de Brigitte Pierrat

Dans le cadre de notre année de PLC1 Documentation à l’IUFM d’Angers, nous avons été amenés à travailler sur la séquence pédagogique « Un dahu au bahut : regard critique sur l’information » de Brigitte Pierrat. Nous avons d’abord visionné la vidéo de la séquence disponible sur internet puis nous avons étudié l’article publié dans le Médialog n°60 de décembre 2006. A partir de là, nous avons décidé d’aller plus loin en prenant contact avec Brigitte Pierrat afin de lui poser quelques questions sur la mise en place de cette séquence et son déroulement.

Elle nous donne ici son ressenti sur cette séquence et ses réflexions sur le métier de professeur-documentaliste.

PLC1 : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter succinctement ? (études, parcours professionnel …)

Brigitte Pierrat : Le choix de mon métier remonte à mes 14 ans, je pense qu’on peut parler de vocation… A l’époque, il fallait juste être titulaire d’une licence d’enseignement pour être documentaliste dans un établissement scolaire. Après un an de classe prépa, j’ai donc bifurqué à la Sorbonne pour obtenir une licence d’anglais. Et comme il me paraissait important de me préparer à l’exercice de ce métier, j’ai suivi l’année suivante une formation au CAFB tout en préparant la maîtrise. Et j’ai eu la joie d’être reçue au CAPES la première année de sa création. L’essentiel de ma carrière s’est déroulé dans un collège de Seine Saint-Denis. Actuellement j’occupe un poste à profil au Foyer des Lycéennes à Paris, lycée d’Etat accueillant des élèves scolarisées en CPGE.

PLC1 : Comment s’est passé le travail préliminaire de cette séance pédagogique avec le professeur de technologie ?

B.P. : Ne le répétez à personne ;-) mais le professeur de technologie n’est ici qu’un « prétexte ». Juste le moyen de pouvoir faire cette séance avec des élèves et de valider des items pouvant être pris en charge par le CDI. En fonction du sujet, on pourrait faire cette séance avec n’importe quel professeur. Celui-ci est spectateur et encadre les élèves pendant les 10 mn de la phase de recherche, afin de ne pas perdre de temps. Nous en profitons conjointement pour vérifier que les élèves tapent bien les urls au bon endroit. On pourrait penser que c’est dommage de ne pas impliquer davantage le collègue professeur dans la préparation et la conduite de la séance. Ce n’est en effet pas mon habitude car je suis une grande convaincue du travail en équipe. Mais il y a quelques années, personne ou presque ne se souciait de la validité des sources. C’était un objectif de professionnel de l’information et ça le reste toujours un peu ! Dans ce cas précis, l’importance de l’enjeu l’a emporté sur mes pratiques.

PLC1 : Pourquoi avoir choisi de ne pas exposer aux élèves les objectifs de la séance, les items du B2i qu’ils devront valider au terme de cette séance ?

B.P. : Les objectifs sont clairement annoncés (valider des items du B2i)

mais les élèves doivent deviner eux-mêmes quels items. Un petit plus pour développer leur esprit critique et surtout laisser de la marge au suspense de la séance ! Si je leur dis qu’il s’agit de la validité / fiabilité des sources, ils vont se méfier (quoique :-)).

PLC1 : Concernant, votre séance pédagogique « Un dahu au bahut » est-ce vous qui avez lancé la situation-problème (nécessité d’évaluer les sources) ou les élèves en ont-ils pris conscience eux-mêmes grâce à leurs recherches et à la mise en commun ?

B.P. : C’est la conclusion élaborée en commun. L’idée c’est que les élèves en prennent conscience eux-mêmes. Je considère la séance réussie si les élèves, quand la cloche sonne, ne savent toujours pas si le dahu existe ou pas ! Consigne finale, consulter une encyclopédie ou un dictionnaire pour connaître le fin mot de l’affaire !!!

PLC1 : Au cours de cette séance, qu’avez-vous remarqué concernant l’utilisation des images par les élèves lors d’une recherche d’information (place accordée à l’image) ? L’image tient-elle une place aussi (voire plus) importante que le texte ?

B.P. : L’image est plus parlante que du texte en effet mais la phase de recherche est beaucoup trop courte pour qu’on puisse évaluer ça. La consigne est de noter l’info brute en la repérant dans le texte de la page ou dans la légende de l’image. Ces images sont montrées à tous les élèves pour étayer la discussion et renforcer le doute (voir incrustation du dahu dans le tableau).

PLC1 : Quels ont été les retours des élèves sur cette séquence ? Sont-ils allés voir sur une encyclopédie si le dahu existait ?

B.P. : Cette une séance qui fonctionne bien, même et surtout avec des classes difficiles. Les langues vont bon train en sortant de la salle informatique. En ce qui concerne la consultation d’une encyclopédie papier, je ne sais pas, c’est une séance qui se déroulait plutôt en fin d’année et en 3ème. Difficile donc d’avoir un retour sur cette expérience. En tout cas, c’est une séance qui marque les esprits, c’est incontestable, espérons qu’il en reste quelque chose ;-).

PLC1 : Ont-ils réinvesti les compétences acquises lors de cette séquence lors d’un autre travail au CDI ?

B.P. : Je n’ai pas eu l’occasion de m’en rendre compte avec les 3èmes pour les raisons énoncées ci-dessus. Mais pour avoir mené (différemment dans la forme) cette séance avec des élèves de 5ème, en arrivant aux conclusions voulues (croiser les sources, vérifier les informations), et reconduit la semaine suivante la même expérience avec les mêmes élèves (site du Petit Singly entre autres) il semblerait que les préjugés aient la vie dure : c’est vrai parce ce que c’est écrit ou que c’est le professeur qui le dit…

PLC1 : Avez-vous pu remarquer une plus grande sensibilisation de la part des élèves, à la suite de cette séquence, quant à leur façon d’utiliser les ressources consultées (plagiat ?), qu’elles soient numériques ou sur papier, que ce soit du texte ou de l’image ?

B.P. : Non… toujours pour les mêmes raisons. Une fois ça ne suffit pas, la notion de propriété intellectuelle est loin d’être acquise, c’est toute une éducation à faire. Les élèves consomment l’information et la recyclent sans se poser de questions. Il en va de même pour bon nombre d’adultes.

PLC1 : Avez-vous réutilisé cette séquence pédagogique ?

B.P. : Oui, avec des 5ème, de façon beaucoup plus souple, la phase de recherche des informations se faisant en commun avec toute la classe, à l’aide du vidéo projecteur. Comble de l’hypocrisie, c’est moi qui attirais l’attention des élèves sur les « vrais faux » éléments de validation. J’insistais par exemple sur la précision apportée par le photographe du dahu de Camargue sur ses conditions de prises de vues.

PLC1 : En avez-vous modifié certains éléments et pourquoi ?

B.P. : C’est juste la forme qui changeait, ce n’était pas le même contexte officiel de validation, juste une sensibilisation, pour voir si ça fonctionnait avec des élèves plus jeunes et dans l’idée de construire une séance avec des thèmes plus sérieux en 3ème, voire un « plan de formation » sur 3 ans.

PLC1 : Que changeriez-vous aujourd'hui ?

B.P. : J’intègrerais un choix de vidéos, je ferais cette séance en 5ème et créerais un faux site monté de toutes pièces, en histoire géo par exemple en 3ème , ou dans une autre matière mais en tout cas avec la complicité d’un professeur convaincu de la nécessité de ce type de séance… Ce serait aussi l’occasion d’apprendre aux élèves à utiliser les fonctionnalités adéquates des moteurs de recherche, de la roue magique de Google aux suggestions de mots clés d’Exalead.

PLC1 : Cette séquence pédagogique permet aux élèves d’acquérir des compétences du B2i. Que pensez-vous de ce dispositif (en ce qui concerne sa mise en place au sein de l’établissement, sa validation, son importance ou son utilité pour la profession…)?

B.P. : J’ai déjà répondu à cette question dans d’autres interviews… quand j’étais plus jeune (au lancement du B2i !!!) je pensais un peu naïvement que le B2i était transitoire, que quand la « fracture numérique » serait réduite on pourrait le supprimer. Il n’en est rien. Mes élèves de prépa sont toujours quasi exclusivement sur wikipédia et l’abondance des infos et les nouveaux modes de diffusion et de communication (flux, push, réseaux sociaux) rendent les gens consommateurs d’infos, vraies ou fausses, on ne se pose plus trop la question à moins d’avoir rigoureusement sélectionné les sources y compris dans les outils d’agrégation qui agrègent d’autres flux !

PLC1 : Comment aborder la notion de « droit d’auteur » en 3ème ? Quel ancrage sur leur vécu, leurs pratiques ?

B.P. : Par le blog ou les réseaux sociaux, incontestablement, pour l’instant. Mais on l’aborde, on informe, on ne convainc personne, même pas soi-même… On se dit après la séance que nos élèves savent désormais ce qu’ils encourent, ce qu’ils peuvent faire et ne pas faire, mais si on sait pertinemment qu’ils ne se sentent pas concernés et qu’ils ne l’appliqueront pas. Il faudrait une méthode extrême, comme les faire travailler pendant un an sur un recueil de nouvelles par exemple, puis les publier en cachette sous un pseudo et leur faire croire en leur montrant le produit fini que l’auteur a récupéré leur travail… Un peu sadique tout ça !

PLC1 : Selon vous, quels sont les éléments indispensables pour monter une séquence pédagogique ?

B.P. : Faire preuve d’une grande rigueur, ne pas avoir trop d’objectifs pour une même séance mais savoir précisément où l’on va, susciter l’intérêt des élèves avec un sujet qui les interpelle ou un site attrayant, solliciter la collaboration du professeur de discipline pour le choix des questions, faire preuve constamment soi-même d’esprit critique, adapter perpétuellement la séquence aux évolutions techniques si on fait intervenir celles-ci.

PLC1 : Utilisez-vous un référentiel de compétences ? si oui, lequel ?

B.P. : Non, dans mon ancien collège, à part une collaboration pérenne, évolutive et fructueuse avec le professeur d’éducation musicale pendant 19 ans, j’avais le plus grand mal à trouver des collègues pour monter des séances pédagogiques. Impossible dans ces conditions d’établir un suivi des élèves.

PLC1 : Quels sont les atouts de la profession pour établir des collaborations avec les enseignants de discipline ? Et quels sont les principaux obstacles ?

B.P. : Nous somme censés être des professionnels de l’information, et c’est sur ça qu’il faut s’appuyer et convaincre. C’est notre grande force. Démontrer que la masse d’informations ne la rend pas plus accessible, et qu’au contraire, plus il y en a, plus il faut apprendre à chercher. C’est cette même masse d’informations qui constitue l’obstacle. Même en tapant une phrase en langage naturel dans un moteur de recherche, on trouve plus ou moins la réponse. Mais est-ce la meilleure ? Comment par un choix raisonné de mots clés ou par la pertinence de l’outil choisi trouver 10 sites valables dans les 10 premières réponses. Un défi d’autant plus grand que d’autres paramètres que nos compétences en matière de recherche entrent en jeu ! Autre atout auquel je tiens, notre connaissance de la littérature de jeunesse, hors des sentiers battus des classiques. Quelques autres obstacles : les horaires « planchers » et la grande angoisse des collègues de ne pas avoir fini le programme à la fin de l’année, l’individualisme récurrent et l’absence de notion de travail d’équipe. Mais ne généralisons pas ;-)

PLC1 : Que pensez-vous de l’avenir de la profession ?

B.P. : Terrain glissant ! Au risque de me faire lyncher par une partie de la profession, je le vois résolument (mais pas exclusivement) numérique. Sans doute parce que je suis très influencée par mon poste actuel, extrêmement consciente de l’importance de notre rôle dans la mise à disposition de l’information et sensibilisée à former les jeunes adultes à la maîtrise de l’information. Cette orientation nécessite une bonne maîtrise des outils de communication : CMS, blogs, agrégateurs de flux, réseaux sociaux. Rassembler les utilisateurs du CDI autour d’un portail de ressources interactif, les guider et communiquer avec eux en utilisant les outils du web 2, les fidéliser, comme le font les Geemiks de la médiathèque de l’ESC Lille. Comme elles, j’ai installé sur le blog du CDI du lycée un petit module permettant de savoir si la documentaliste est en ligne, et si oui, il est possible de lui poser des questions.

PLC1 : Pourriez-vous donner 3 verbes qui décrivent le mieux le métier d’enseignant documentaliste ?

B.P. : Veiller, informer, partager

(Propos recueillis en novembre 2009)

A propos de la séquence « Le dahu au bahut » :

**. L’article de Médialog :**

Pierrat Brigitte. Chasser le dahu au bahut. Médialog n°60, 12-2006

**. La séquence filmée :**

Pierrat Brigitte. Un dahu au bahut : regard critique sur l’information : Identifier, évaluer, confronter ses sources. CLG Langevin-Wallon, Rosny-sous-Bois. Documentation-Technologie. Canal Educnet, 2007. Durée : 5’11’’

**. Le scénario pédagogique :**

Pierrat Brigitte. Un Dahu au bahut sans tohu-bohu. Académie de Créteil, 2006

. Le diaporama de la séquence

**. La fiche d’Edubase**

Un dahu au bahut : regard critique sur l’information. Edu’Base Documentation. Fiche n°132. Educnet, 2006.

(Liens vérifiés le 25-12-2009)

Les PLC1 Documentation de l'IUFM des Pays de la Loire :

Anne-Gaël Abarnou, Hélène Baudens, Sophie Bezançon, Clara Boudé, Marion Croiseau, Aurélie Fichet, Livia Gauchet, Nicolas Guillemin, Anaïs Hanse, Emilie Moreau, Maxime Murzeau et Patrick Viratelle.