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Référence documentographique

Mousset Christophe. "Une circulaire en trompe l’œil". Les Trois couronnes, oct. 2017. URL :

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/une-circulaire-en-trompe-l-oeil

Une circulaire en trompe l’œil

Extrait (lien)

Christophe Mousset est professeur documentaliste depuis 2011. Il exerce actuellement dans un collège en Charente-Maritime. Il a participé à la création du collectif Où est le prof-doc ? pour soutenir le mandat pédagogique des professeurs documentalistes. A la première rentrée scolaire de la nouvelle circulaire, il a accepté de répondre à nos questions.

LTC : En tant qu'enseignant et animateur du collectif Où est le prof doc, ayant œuvré en faveur du mandat pédagogique des professeurs documentalistes, quels sentiments vous ont animé à la réception de la nouvelle circulaire ?

Mon sentiment est très partagé. Dans l’élaboration des différentes versions de la circulaire, j’ai été gêné par la place incontestée prise par la politique documentaire. L’acharnement de certains syndicats, dont le SNES, à vouloir maintenir celle-ci m’a laissé perplexe. Et ça n’a pas été faute d’en discuter avec certains membres ou représentants syndicaux. Intellectuellement, nous constatons toutes et tous la dérive que peut représenter l’intégration du mandat pédagogique (nommé « formation ») à la politique documentaire, validée par le CA. Ce qui laisse donc entrevoir deux options : soit l’incapacité de ces syndicats à mesurer les conséquences d’un tel maintien ; soit l’existence d’enjeux idéologiques ou stratégiques dépassant la défense de l’intérêt commun.

A la publication de la circulaire, je me suis d’abord réjouis de la mise en avant du mandat pédagogique et de l’alignement de la structure de la circulaire sur le référentiel de compétences de 2013. Mais, après relecture, les limites imposées sont vite apparues : les heures d’enseignement limitées par le « bon fonctionnement du CDI », la survalorisation du numérique dénaturant notre enseignement et la perte possible de liberté pédagogique face à un conseil d'administration intrusif.

LTC : Ce texte vous semble-t-il adapté au regard des différentes missions qui incombent au professeur documentaliste, et notamment celles concernant la pédagogie ?

On ne peut que constater la multiplicité des tâches. Et je regrette que ces tâches soient seulement listées, sans réelle hiérarchie, définition ou liens entre elles. Seul l’ordre d’apparition pourrait implicitement les classer par ordre de priorité. Je m’interroge sur la valeur de cette énumération : est-ce injonctif ou prescriptif ? Autrement dit, peut-on nous imposer certaines d’entre elles ? Dans la circulaire, seules cinq occurrences ont un caractère non injonctif, dont trois concernent l’enseignement. Je m’étonne, dans ces formulations, que le caractère non obligatoire touche principalement la mission d’enseignement, mission que notre CAPES ne semble pas, en principe, rendre facultative. D’ailleurs, le verbe « enseigner » n’apparaît pas dans la circulaire. On se souvient qu’une organisation syndicale, le SGEN1, avait argumenté en faveur du verbe « contribuer » au détriment du verbe « enseigner ».

A l’inverse, les verbes actifs : « participe », « met » en œuvre, « entretient », « élabore », « développe », laissent penser que ces tâches ne relèvent pas seulement d’une possibilité mais bien d’un impératif. C’est beaucoup pour un seul prof ! Et pour les élèves, c’est synonyme de saupoudrage.

Enfin, la confusion dans la définition implicite du terme « mission » pose problème car celle-ci est réduite à une liste de tâches. Si la circulaire de missions n’est pas censée entrer sur le terrain de la didactique, elle pourrait laisser croire que notre mission pédagogique consiste en des cases à cocher correspondant aux tâches effectuées. D’ailleurs, il manque toujours la définition institutionnelle des contenus spécifiquement dévolus aux profs docs – rattachés à « l’information-documentation » dans la circulaire – et le cadrage didactique qui les accompagne. Ce listing pose question et risque de ne pas aller dans le sens de la valorisation de notre mission d’enseignement, noyée parmi une multitude d’injonctions impossibles à tenir ensemble.

LTC : Pensez-vous que ce texte soit de nature à changer le quotidien du professeur documentaliste ?

Le quotidien du professeur documentaliste dépend encore du contexte d’exercice local car cette nouvelle circulaire n’a pas permis de donner les garanties attendues. Le fait de rappeler à deux reprises l’autorité du chef d’établissement renforce l’influence de celui-ci et, de façon sous-jacente, l’autonomie des établissements. La circulaire joue le jeu de la décision locale ce qui ne permet pas aux collègues en difficultés dans leur établissement d’invoquer la circulaire nationale.

Les limites de cette circulaire, largement débattues, peuvent impacter notre quotidien. Je pense à la limitation du décompte des heures d’enseignement. Je maintiens, comme nous le précisions dans le Guide de survie2 publié par le collectif Où est le profdoc ?, qu’il est encore d’actualité de décompter toutes nos heures d’enseignement. Le « bon fonctionnement du CDI », censé borner nos heures d’enseignement, doit concerner uniquement la bonne articulation des tâches référencées dans notre circulaire de missions. Nos heures d’enseignement doivent s’articuler harmonieusement avec l’ensemble des tâches non pédagogiques. Cela exclut du « bon fonctionnement » la prise en charge des élèves hors du temps de classe. Cette problématique apparaît dans la circulaire de missions3 des CPE qui ont en responsabilité la gestion du flux des élèves. Si un déficit de personnel se fait sentir, nous pouvons soutenir le pôle « vie scolaire », par exemple en tant que membre élu au CA, dans son projet de recrutement de nouveaux assistants d’éducation. Dans notre circulaire, il n’est jamais question de l’accueil des élèves hors du temps de cours, et la seule mention liée à la vie scolaire pense « l'articulation du CDI (et son utilisation) avec les différents lieux de vie et de travail des élèves (salles de cours, salles d'étude, internat) en lien avec les autres professeurs et les personnels de vie scolaire. » Il n’est donc pas de notre ressort d’être vigilants à l’ouverture du CDI aux élèves sans activités pédagogiques. Le CDI n’est pas une salle de permanence mais un lieu d’enseignement, de documentation et d’information. En tant que « responsable » du lieu, il nous appartient de fixer nous-même ce qui constitue le « bon fonctionnement du CDI », c’est à dire la bonne articulation des différentes missions figurant dans notre circulaire.

LTC : Sur le plan pédagogique (axe 1), comment pensez-vous tirer parti du texte ? Quelle sera votre stratégie ?

La mise en avant de la mission pédagogique donne l’illusion que celle-ci est valorisée. Ce tour de prestidigitation est habilement joué car, derrière les apparences, le concept clé c’est la politique documentaire ayant pour ambition d’englober la mission d’enseignement. Partant de ce constat, la stratégie sera la valorisation de l’axe 1 : l’appui sur notre discipline l’information-documentation et notre champ disciplinaire (les Sciences de l’info-com), l’enseignement seul auprès des élèves, et le décompte de toutes nos heures d’enseignement.

Mais je crains que cette stratégie ne reste vaine car sans l’appui du chef d’établissement et du CA, c’est une autre réalité qui peut l’emporter : la gestion de l’ensemble de la chaîne de traitement des manuels scolaires, l’impossibilité d’être membre du binôme d’examen des oraux du DNB, l’impossibilité de décompter toutes les heures d’enseignement, l’impossibilité d’enseigner seul l’info-doc, l’attribution d’office du rôle de RUPN (Référent pour les Usages Pédagogiques Numériques) ou de certaines de ses missions.

Mousset_Bosch_Prestidigitateur Le prestidigitateur habile exhibe le mandat pédagogique pendant que le profdoc se fait détrousser de son enseignement par la poldoc ! Hieronymus Bosch – le prestidigitateur, 1502

LTC : Quel sera votre positionnement concernant la politique documentaire ?

Comme la plupart de mes collègues, je n’ai jamais réclamé la mise en place de la politique documentaire. Sauf demande expresse du chef de mon établissement, je continuerai à présenter un bilan annuel des activités gestionnaires/bibliothéconomiques du CDI. J’exclus volontairement de ce bilan ce qui relève du pédagogique. Je ne vois pas ce qui motiverait son intégration puisque nos collègues des autres disciplines n’y sont pas soumis. Je trouve qu’à trop vouloir la reconnaissance institutionnelle et de nos pairs, sous prétexte de légitimité, nous nous discréditons nous-même avec l’intégration de notre enseignement au bilan d’activité.

Si, par hasard, le chef d’établissement réclamait ma participation à l’élaboration d’une politique documentaire, je ferais en sorte de limiter la description des activités pédagogiques à ce qui relève du lien avec le fonds documentaire (formation des nouveaux élèves à l’utilisation de l’OPAC, etc.). L’info-doc n’a pas à être reliée à la gestion des ressources d’un établissement.

LTC : Quelles répercussions ce texte devrait-il avoir sur la formation initiale et continue des professeurs documentalistes ?

Lorsque je reçois un message du coordinateur territorial de la politique documentaire indiquant qu’il met en place dans mon académie une formation sur l’Éducation aux Médias et à l’Information, je me dis que le réseau CANOPE est l’artisan de la confusion, dans la circulaire, entre politique documentaire et contenus d’enseignement. Le fait qu’un coordinateur de la politique documentaire propose une formation liée à notre mandat pédagogique est scandaleux car c’est une façon d’acter l’assujettissement de notre enseignement à l’axe 2 de la circulaire. Je ne participerai pas à cette formation pour ne pas me laisser détrousser de mon mandat pédagogique par un réseau qui tente d’imposer par la force, dans les textes et sur le terrain, une vision du métier que je ne partage pas. Dans certaines académies, il y a nécessité de rétablir une formation continue portée par les professeurs documentalistes eux-mêmes, distinguant nettement les contenus d’enseignement des missions liées à la gestion du service.

LTC : Quelles devraient être à présent les nouvelles avancées à obtenir, et selon quelles priorités ?

Pour moi, la priorité c’est la création d’une inspection spécifique, la clé qui permettrait de lever tout malentendu quant à notre statut d’enseignants certifiés. Sur le terrain, nous faisons régulièrement l’expérience d’un corps d’inspection incapable de soutenir notre mandat pédagogique, partagé entre la méconnaissance du métier et les contradictions des trois pôles dont il a la charge. Tant que nous n’aurons pas d’appui institutionnel, aucun texte ne pourra faire valoir à lui seul notre certification. Nous en avons la preuve avec le décret sur les ORS4, ayant force de loi, dont la lecture à la baisse par notre Inspection générale, constitue un exemple notoire : « L’EMI n'est pas une discipline mais bien un élément fondamental, un enseignement porté par la loi, mais qui n’est pas inscrit dans les grilles horaires. »5 Ne pas reconnaître l’inscription dans les grilles horaires, c’est empêcher toute possibilité de décompter nos heures. Personnellement, tant qu’une inspection spécifique n’existe pas, je réponds à ce déni de notre certification par le refus d’être inspecté et marque ainsi ma non filiation, coûteuse, mais symbolique.

Si nous obtenons la création d’une inspection spécifique, il me semble que cette circulaire, avec les avancées qu’elle contient, pourrait rester en l’état. La prise en compte institutionnelle de notre mission d’enseignement aurait sans doute pour effet de séparer définitivement le contenu de l’axe 1 (le mandat pédagogique) de l’axe 2 (la politique documentaire). Il faudrait alors adjoindre à ce texte un cadre précis pour nos cours d’information-documentation : une définition des contenus d'enseignement spécifiques aux profs docs, appuyée sur la longue élaboration de ceux-ci, construite par des enseignants et des chercheurs en SIC, au sein de dispositifs pédagogiques inclus dans l’emploi du temps des élèves.