Frédéric Rabat, ou l’entrée dans la culture de l’information par ses objets

Plus d’un an maintenant que Frédéric Rabat, enseignant documentaliste dans l’académie de Rouen, a publié deux articles passionnants à propos d’une possible didactisation d’un objet emblématique de la culture de l’information : le moteur de recherche. L’intérêt de cette réflexion sur la pratique n’ayant pas faibli - bien au contraire - il est encore temps de signaler et de valoriser cette ressource qui, par son approche ambitieuse et nouvelle, marque un virage important pour la mise en œuvre de la didactique de l’information. « Une année avec Google » se décline en deux questions auxquelles l’auteur apporte des pistes qu’il est fécond de suivre et de poursuivre : « Doit-on enseigner Google ? » et « Peut-on enseigner Google ? » . En quoi ce travail, avec ses avancées mais aussi ses limites, pourrait-il bien être porteur du développement de la didactisation des savoirs info-documentaires ?

SOMMAIRE

  1. Présentation du projet .
  2. Une réflexion annonciatrice des transpositions didactiques à venir
    1. Trois raisons de s’y intéresser
    2. Un exemple de transposition didactique interne
  3. Discussion critique à propos des séances
    1. Séance 1 : La démarche de réfutation
    2. Séance 2 : La démarche de la situation-problème
    3. Bilan
  4. Prolongement : mutualiser les données didactiques
    1. Les démarches pédagogiques
    2. Les contenus

Présentation du projet

Ce travail en deux parties, la première centrée sur les enjeux (Doit-on… ?), la seconde sur les applications pédagogiques (Peut-on… ?), est l’expression d’un projet fondé sur un constat. Le constat est simple et partagé par nombre d’enseignants du secondaire et du supérieur : comment expliquer la clémence, voire l’aveuglement, de nos élèves pour un objet - il s’agit ici de Google - faisant preuve d’une volonté hégémonique sans précédent et phagocytant ouvertement nos usages informationnels ? A partir de cette question-problème, le projet se déploie en ouvrant des pistes de réponses, lesquelles explorent le passé, la stratégie de communication, les principes techniques et le modèle économique de Google.

L’enjeu éducatif est ainsi présenté dans le premier volet (Doit-on… ?). Il est culturel : enrichir la culture de l’information des élèves en attirant l’attention de ceux-ci sur l’un de ses objets qu’ils pratiquent le plus, mais de manière informelle ; il est didactique : faire levier sur ces pratiques informelles pour construire des connaissances sur le traitement numérique et du référencement.

Dans le second volet (Peut-on… ?), Frédéric Rabat opère une transposition didactique de ces éléments réflexifs et techniques pour une classe de 2nde. La séquence qu’il nous propose est constituée de deux séances :

  • 1- savoir comment le moteur traite la requête qui lui est soumise (indexation)

  • 2- savoir comment le moteur positionne les résultats d’une requête (référencement)

Un autre intérêt de cette démarche est de nous entraîner pas à pas dans la réflexion de l’auteur, à partir de son propre questionnement et de nous faire partager les ressources qui l’ont lui-même aidé. Sont ainsi mis à disposition des collègues souhaitant réinvestir ou prolonger ce travail une bibliographie, un diaporama support du cours et des fiches consignes.

Une réflexion annonciatrice des transpositions didactiques à venir

Pourquoi donner crédit à l’initiative de Frédéric Rabat ? Reçue favorablement par la profession qui trouve là un exemple probant et des éléments concrets pour enseigner – tout en considérant avec un peu d’effroi l’étendue de la tâche à entreprendre ! – boudée par un représentant des SIC, en l’occurrence Y.-F Le Coadic qui, entre démarche scientifique et démarche de « vulgarisation scientifique » n’a sans doute pas su reconnaître là une intention strictement didactique visant particulièrement les collègues de terrain1 , cette initiative se révèle, à ma réflexion du moins, originale et prometteuse pour au moins trois raisons fondamentales.

Trois raisons de s'y intéresser

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1- Les trois composantes du chantier didactique sont présentes et articulées entre elles

Le projet didactique présenté est fortement structuré par les trois heuristiques du chantier didactique2 :

  1. l’élaboration didactique (axe épistémologique) soutient tout le projet : l’enseignant documentaliste commence par dessiner l’espace conceptuel de la séquence. A partir d’une recherche documentaire sur le domaine considéré, ici la galaxie Google, une liste de notions est établie afin de constituer « le noyau de notre projet d’apprentissage » : page web, serveur de données, indice de popularité, etc.

  2. l’appropriation didactique (axe psychologique) : toute l’économie de la séquence est basée sur la levée des représentations des élèves. Elle vise l’intérêt, par la référence à des pratiques domestiques, l’implication et la motivation, par le jeu des énigmes savamment dosé. La prise de conscience des représentations fournit le levier essentiel de l’apprentissage ;

  3. l’intervention didactique (axe praxéologique) : la réflexion théorique sur l’objet est aimantée par la finalisation didactique. Il est avant tout question de proposer un scénario d’enseignement apprentissage articulant les savoirs identifiés (axe 1) aux conceptions que se font les élèves de ces connaissances. La séquence est présentée au travers du déroulement séquencé des deux séances, qu’encadrent le travail en amont du professeur et, en aval, les commentaires et prolongements possibles.

2- La centration se fait sur la compréhension des principes et non sur les procédures

L’intention qui est dessinée se démarque radicalement des formations méthodologiques très largement rencontrées dans les pratiques professionnelles. Ces dernières visent principalement à faire acquérir aux élèves des comportements propices à la réussite de leur recherche d’information.

Rappelons ici brièvement les trois principaux objectifs, ou compétences à acquérir pour l’éducation à l’information3 :

  • C1- l’efficacité procédurale : une meilleure maîtrise des outils et des méthodes de recherche et de traitement de l’information

  • C2- l’intelligibilité des principes, fondée sur la connaissance des concepts, des théories, des processus, des enjeux, de la dimension culturelle et juridique des phénomènes de la culture de l’information

  • C3- la responsabilité qu’entraîne toute action informationnelle, sur les plans juridiques et éthiques

A l'analyse, il s'avère que la séquence de F. Rabat est essentiellement orientée vers la construction de l’intelligibilité (C2), celle des principes et des enjeux liés aux moteurs de recherche en général, et à Google en particulier. Cette centration se situe tout à fait dans l’ouverture que propose la didactique de l’information, lorsqu’elle cherche à sortir de l’emprise techniciste de la méthodologie documentaire, dans une certaine mesure transversale aux disciplines, pour explorer la dimension conceptuelle d’un champ disciplinaire fondé sur les Sciences de l’information, de la documentation et de la communication.

L’intérêt se porte vers les objets de la culture de l’information

Dans le même ordre d’idée apparaît de plus en plus nettement un changement de paradigme avec la prise en compte, par la profession, de ce nouvel objet d’étude qu’est la culture de l’information. L’objet d’étude, en effet, n’est plus ici telle ou telle partie d’un programme disciplinaire institué qu’il s’agirait d’atteindre via la médiation documentaire, mais un objet spécifiquement info-documentaire, tiré du réel à observer par une discipline en émergence, laquelle façonne à cette occasion sa propre manière d’observer, de rendre compte et d’expliquer le monde. SIC et didactique de l’information partagent le même objet, les premières pour le rendre intelligible, la seconde pour permettre aux élèves d’entrer dans la culture de l’information. C’est le propos que tient et met concrètement en œuvre Frédéric Rabat dans ces deux textes.

Un exemple de transposition didactique interne

Entreprise de didactisation d’un objet documentaire – le moteur de recherche – au travers d’un exemple emblématique référant aux pratiques standardisées des élèves, ce travail peut être saisi comme un exercice de transposition didactique interne. Interne parce que, par opposition à la transposition didactique externe qui a pour but d’élaborer les savoirs scolaires qui seront confiés au professeur, il s’agit ici d’une construction, ou d’une reconstruction, menée par celui-ci à l’intention de sa propre classe.

Si le scénario mis en place par cet enseignant vise la construction de concepts, ceux-ci ne sont pas abordés directement par les élèves. C’est en avançant d’énigme en énigme, par une démarche d’élucidation progressive à la manière d’une enquête menée sur un bien mystérieux objet que les élèves rencontrent des concepts qu’il serait sans cela bien délicat de présenter. L’objet à analyser, en l’espèce d’un exemple bien connu, sert de support à une réflexion qui, pour avancer et se bâtir au fur et à mesure de sa progression, se fournit en savoirs complexes et spécifiques.

Discussion critique à propos des séances

Je voudrais à présent discuter des modalités pédagogiques qui ont permis la réalisation de ce scénario, autant que la restitution écrite peut les laisser deviner. Il est donc bien possible que mon interprétation soit biaisée et j’espère que l’auteur ne m’en voudra pas si je commets de telles erreurs. Quoi qu’il en soit, les réflexions qui vont suivre n’ont rien à voir avec un quelconque jugement de ce qui a été courageusement et généreusement donné. En revanche, elles ont cherché à s’appuyer sur ce travail innovant pour tenter de répondre à une (autre ?) question qui est celle de savoir quelles pourraient être les nouvelles démarches pédagogiques à suivre pour concrétiser, en situation d’enseignement-apprentissage, les desseins de la didactique de l’information.

Séance 1 : La démarche de réfutation 4

« Je suis de plus en plus convaincu, écrit Frédéric Rabat dans le volet « Peut-on… ? », qu’il peut être bénéfique de montrer aux élèves que leurs pratiques (que nos pratiques ?) sont souvent parcellaires et stéréotypées ». Montrer aux élèves que leurs représentations ne sont pas exactes est en effet le parti pris pédagogique engagé dans la première séance. Les élèves sont en effet pris à contre-pied de leur adhésion à l’opinion générale consistant, par exemple, à défendre que Google est le moteur le plus facile à utiliser. Méthodiquement, l’enseignant commence par faire émerger ces conceptions en les faisant verbaliser, puis les met en doute avant de les réfuter par une démonstration porteuse d’un nouveau savoir.

Cette démarche, qu’il nous arrive souvent d’utiliser quand l’occasion se présente, est ici le moteur principal de la séance qui est ainsi construite à partir d’une confrontation dialoguée dont le but consiste à déplacer les représentations qui font obstacle à une meilleure connaissance. Et même si celle-ci n’est pas encore stabilisée, il suffit que la réfutation engagée par l’enseignant ait introduit un coin, sous l’espèce du doute, dans les certitudes des élèves. Cette démarche, qui s’inscrit dans la lignée de l’éristique grecque (de eris «querelle») et de la disputatio scolastique, cherche avant tout à déstabiliser l’interlocuteur et lui donner l’occasion de questionner ce qu’il croyait acquis.

Mais la démarche, pour didactique qu’elle soit, ne saurait se satisfaire d’une déstructuration, même ébauchée, du système des connaissances des apprenants. Aussi la séance 1 évolue-t-elle au rythme des apports successifs de l’enseignant, apports légitimés par le besoin de trouver de nouvelles positions en place des opinions abandonnées. Un modèle d’explicitation fournit par le maître, ici du fonctionnement général des moteurs de recherche sur le Web, est ainsi progressivement construit. La séance se conclut encore par un exercice de consolidation des acquis via un schéma que les élèves doivent compléter avec les notions et les termes abordés.

Intérêts de la démarche

Sans revenir longuement sur les points déjà abordés, récapitulons plutôt les principaux avantages de cette démarche dite « de réfutation ».

  • 1- Une déconstruction raisonnée et guidée des représentations des élèves ;

  • 2- Une motivation soutenue par le déroulement progressif d’une énigme fondée sur un désir de compréhension ;

  • 3- Le déroulement de la séance est structuré par la progression de connaissances qui sont présentées comme des réponses à l’énigme proposée.

Inconvénients possibles

Toute médaille ayant son revers, et toute réflexion ne pouvant évoluer qu’en cherchant de nouvelles solutions aux difficultés identifiées, il peut être intéressant de pointer les limites de la démarche :

1- Le cours dialogué, dans des conditions présentes d’enseignement-apprentissage aux contraintes temporelles fortes – la séance dure une heure – s’appuie davantage sur quelques représentations exprimées dans la classe que sur les représentations non exprimées de chaque élève. Dans un autre contexte, plus généreux en temps, la réfutation, génératrice du conflit cognitif, pourrait être partagée avec le groupe (conflit socio-cognitif) à l’occasion de travaux par ateliers ;

2- Il peut paraître illusoire de penser que fournir les bonnes réponses pourrait suffire à éliminer les erreurs. Si la brèche du doute est ouverte, l’apport du maître suffit-il, dans son expression magistrale, à construire durablement une connaissance ? Une solution didactique peut être proposée ici par la démarche de la situation-problème, où les élèves vont au bout de leur logique et sont amenés à échafauder par eux-mêmes des modèles explicatifs davantage opérationnels. C’est ce que montre justement la séance 2.

3- On peut enfin mettre en question le fait que l’énigme soit présentée et déroulée par le professeur et non pas découverte et construite par l’apprenant. Là encore, la démarche de la situation-problème complète utilement cette approche.

Le risque, bien connu des didacticiens pour qui l’apprentissage reste une affaire de déplacement ou de réagencement des conceptions de l’apprenant, serait que la plus-value cognitive générée par la démarche de réfutation ne soit décelable qu’en surface, tandis que le noyau dur des représentations serait maintenu.

Séance 2 : La démarche de la situation-problème

La séance 2 est consacrée à l’appropriation de la notion de référencement des moteurs de recherche, toujours à partir de l’examen du cas particulier de Google. Elle s’ouvre par un constat présenté par le professeur et qui va embrayer sur un questionnement organisateur de l’activité. Est ainsi mis en évidence, par la technique de l’analyse du suivi des yeux sur une page de résultats (eye-tracking), le fait que 100% des utilisateurs, selon une étude de 2005, se concentrent sur le triangle dessiné par les trois premiers résultats5.

Des éléments typiques d’une situation-problème

Au travers du compte-rendu de la séance, il m’apparaît possible de voir là un exemple de situation-problème, ou s’y approchant, dans la mesure où :

  • 1- la situation d’apprentissage prend appui sur une pratique domestique (comment nous lisons une page de résultats)…

  • 2- …et dégage une question-problème qui fait suffisamment sens pour les élèves (« Comment expliquer l’injustice qui consiste à figurer en quatrième position ? (premier rang à perdre des lecteurs »)…

  • 3- … et leur permet d’exprimer leurs représentations, puis d’échafauder des hypothèses pour valider ou invalider celles-ci (« calcul du nombre de visites »)…

  • 4- … lesquelles hypothèses, pour être vérifiées, conduisent les élèves à manipuler (observation, classement, confrontation) des matériaux (résultats et pages web correspondantes)…

  • 5- … dans le but de les obliger à s’approprier le ou les concepts visés (indice de popularité, positionnement automatique, positionnement payant, etc.).

Des éléments qui font défaut à une situation-problème

Par contre, il est également possible de relever deux éléments qui, a contrario, ne font pas de ce dispositif une situation-problème stricto-sensu. Du point de vue de l’enseignant, et à lire ce compte-rendu, on voit bien que, si le projet part effectivement d’un constat éclairé sur les pratiques des élèves et leurs représentations sous-jacentes, le couple obstacle/objectif-obstacle fondateur de la situation-problème n’est pas clairement formulé. L’accompagnement pas à pas via la démarche de réfutation reste bien le souci premier de l’enseignant, même dans la deuxième séance. Du point de vue de l’élève cette fois-ci, l’idée de tâche , comme dynamique résultant de la combinaison consigne/matériaux/savoir, n’est pas véritablement identifiée comme telle ni positionnée dans la séquence de manière à la structurer. Là encore, on peut vérifier que le ressort de la situation est moins l’activité de l’élève que l’action contradictoire et guidée du maître.

Distinction entre la démarche de réfutation et la situation-problème

Quoi qu’il en soit, et bien que partant également des représentations des élèves, cette démarche se distingue de la précédente, la démarche de réfutation, par le fait que :

1- la question initiale, sous forme d’un défi posé aux élèves, ouvre ici la voie à une véritable enquête en profondeur sur un sujet complexe mais pourtant masqué par une illusion de facilité et de simplicité que traduisent assez bien les représentations ;

2- les élèves sont conviés à produire des hypothèses et à les vérifier expérimentalement ;

3- le problème, apporté par le professeur, est ainsi un peu dévolu aux élèves qui, par tâtonnements et essais, vont tâcher d’approcher d’une solution satisfaisante, bien que la réponse soit inatteignable en raison du secret technologique qui entoure Google.

Bilan

Même si le temps imparti à la séance limite forcément l’initiative des élèves et leurs activités d’expérimentation et de réflexion, la démarche proposée ici constitue un exemple fort pertinent de ce qu’il est possible de réaliser, avec une classe, dans le domaine de l’info-documentation.

Au total, cette séquence a le mérite, non seulement, de montrer à ceux qui en douteraient encore, la possibilité et l’intérêt d’un enseignement visant la construction de concepts spécifiques à l’info-documentation (indexation, référencement), mais elle apporte des éléments expérimentés permettant d’augurer des scénarios didactiques à mettre en place et des démarches pédagogiques disponibles. La démarche de réfutation et la situation-problème sont ainsi deux alternatives crédibles à une approche de type transmissif qui, contrairement aux premières, ne s’appuie pas sur les représentations des élèves.

Il est possible d’objecter que cette séquence est déconnectée des enseignements disciplinaires. A cela deux réponses parmi d’autres. La première est que cette proposition peut être saisie comme un prototype de ces « moments décrochés » de séquences plus vastes dédiées à des projets interdisciplinaires qui lui donneraient sens. De tels moments s’avèrent en effet nécessaires pour permettre aux élèves de structurer des connaissances constitutives d’une éducation à l’information. La seconde est qu’il est très clairement établi au travers de cette démonstration qu’un enseignement disciplinaire de l’information – encore bien perfectible bien sûr, mais la question n’est pas là – est envisageable, à la condition de considérer les phénomènes et les objets de notre société de l’information comme des objets d’étude en soi.

Prolongement : mutualiser les données didactiques

Comment la profession, dans son projet didactique, peut-elle tirer parti de la proposition que fait Frédéric Rabat ?

Les démarches pédagogiques

Les deux démarches esquissées, réfutation et situation-problème, nous sont compréhensibles à partir des deux applications fournies. Elles revêtent un caractère innovant indéniable dans la mesure où elles conduisent des changements fonctionnels dans les stratégies pédagogiques traditionnelles de l’info-documentation et, d’autre part, où elles pourraient permettre d’installer des pratiques nouvelles de manière durable. S’agissant des situations-problèmes, par exemple, on ne peut que s’étonner que nous autres, enseignants documentalistes, nous ne nous en soyons pas davantage emparé et n’y ayons pas encore consacré une importante réflexion alors que les didactiques des autres disciplines s’y sont attelées depuis plus de 20 ans !

La question de la transposition de ces démarches dans d’autres situations et pour d’autres contenus doit être posée. Il faudra, pour y répondre, souscrire à deux conditions. La première relève de la nécessaire formalisation de ces démarches et ce, dans un contexte info-documentaire. Nous avons remarqué que la démarche de réfutation convenait plutôt bien lorsqu’il s’agit de faire baisser la garde aux natifs numériques (« digital natives »). Mais la modélisation proposée convient-elle à la majorité des situations qui nous attendent ? De même, les modèles de situation-problème6 présentés par les autres disciplines conviennent-ils à l’enseignement info-documentaire ou bien doivent-ils trouver une expression légèrement différente pour s’adapter à sa spécificité ?

C’est ici que la seconde condition s’avère indispensable : toute avancée didactique ne peut trouver sa pertinence et son fondement que dans l’expérimentation sur le terrain, par les professeurs documentalistes associés ou non à leurs collègues de discipline. Avant de statuer sur l’efficacité de ces démarches, il faut produire et rassembler d’autres essais comme celui de Frédéric Rabat, essais qui doivent être assortis de mutualisation et de publication afin de pouvoir disposer à la fois d’un réservoir d’expériences pour pratiquer et d’un corpus de documents pour réfléchir.

Les contenus

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Une expertise difficile à atteindre

Il en va de même pour les contenus amassés et présentés sur ces deux articles. Préparer une séquence pédagogique de cette qualité ne peut se penser qu’à partir d’une maîtrise suffisante du domaine ciblé. Ce qui serait une lapalissade pour les autres disciplines devient malheureusement un obstacle qui reste à franchir pour l’info-documentation. A la diversité des cursus disciplinaires des enseignants documentalistes, et à l’insuffisance des formations continues académiques, il faut encore ajouter la rapidité des évolutions technologiques, sociales et culturelles relative à notre champ d’étude.

Une nécessaire auto- et co-formation

Loin de baisser les bras, Frédéric Rabat a initié, en amont de son cours, ce qu’il appelle une période d’auto-formation : « Pour imaginer des angles d’apprentissage inédits pour moi, il a fallu que j’enrichisse mes connaissances relativement à l’outil ». Ainsi a-t-il réuni des données éparses qu’il a sélectionnées à des fins didactiques, ne retenant certainement que ce qui pourrait contribuer à l’appropriation par les élèves du concept de moteur de recherche.

Il convient dès lors de préciser une distinction fondamentale en partant de l’exemple fourni ici : il ne s’agit pas, comme le titre provocateur « Faut-il enseigner Google ? » le laisserait imaginer, de didactiser un exemple particulier de moteur, en l’occurrence Google, mais bien plutôt de didactiser un concept empirique, i.e. observable dans la réalité, à savoir celui de moteur de recherche, ainsi que ses corollaires directs : l’indexation automatique et le référencement. Ne pas confondre, donc, le concept et l’exemple qui l’illustre. Si l’approche par les objets n’est pas à systématiser parce qu’en aucun cas, elle ne saurait être la seule à utiliser, elle constitue cependant un point d’entrée pertinent, surtout lorsque l'objet est connu des élèves et qu'il rencontre leur l’intérêt.

Pour autant, s’agit-il pour chacun d’entre nous de refaire à chaque fois le même chemin ? Pourquoi ne pas profiter des contenus amassés et sélectionnés, didactisés, quitte à les réactualiser au besoin, pour aller plus vite et plus loin ? Pourquoi ne pas, de son côté, initier, seul ou en équipes, de semblables banques de données sur d’autres concepts empiriques à partir d’autres objets du Web ? La profession est bien placée pour connaître les avantages du travail collaboratif et de la mutualisation de ses productions en ligne !

Des données didactiques sur les objets de la culture de l’information

Que pouvons-nous déjà observer de ce travail qui pourrait être, dans un premier temps, profitable à un réemploi dans une séquence portant sur le même objet et, en un second temps, réinvestissable en terme de méthode, de regard et de structure ?

Je propose de sélectionner (voir la fiche didactique de données sur Google ) les données didactiques disponibles dans les deux articles de Frédéric Rabat, en les regroupant en deux catégories, l’une relevant de l’axe proprement didactique, l’autre de l’axe culturel et regroupant diverses dimensions telles l’histoire, l’économie, la technologie ou encore la sociologie. « Tout savoir doit être enseigné comme culture », nous rappelle Philippe Meirieu, et il ne saurait y avoir d’entrée possible dans la culture de l’information sans un tel regard socio-technique, pluridimensionnel accordé à ses objets et à ses phénomènes. A partir de ce relevé, nous retenons le cadre suivant :

1- Axe didactique

  • 11- Concept principal

  • 12- Concepts corrélés

  • 13- Problématiques

  • 14- Autres exemples

  • 15- Représentations des élèves

  • 16- Questions-problèmes

  • 17- Objectifs d’apprentissage

  • 18- Tâche(s) donnée(s) aux élèves

2- Axe culturel (ou socio-technique)

  • 21- Dimension historique

  • 22- Dimension mythologique

  • 23- Dimension étymologique

  • 24- Dimension technologique

  • 25- Dimension sociologique

  • 26- Dimension juridique

  • 27- Dimension économique

Ce cadre doit être amené à évoluer et à s’adapter tant aux besoins particuliers des enseignants qu’aux spécificités des objets étudiés. Quoi qu’il en soit, il propose une matrice d’investigation autant qu’une structure de mutualisation à l’intérieur de la profession. D’autres essais ont été réalisés ces derniers mois, d’autres outils (Google actualités, Netvibes, blogs) sondés par des collègues de collèges comme de lycées. Il n’est qu’à réunir ces travaux, tâcher de ne pas laisser s’éteindre ces étincelles porteuses d’espoir et d’énergie dans l’isolement des CDI et le découragement qui pourrait certains jours nous atteindre. Il n’est qu’à en ajouter d’autres, patiemment. Les objets du Web.2.0, qu’il faut impérativement associer à des concepts, à des besoins, à des usages et à des compétences informationnelles7, ne manquent pas ! (voir la fiche vierge en annexe)

Conclusion

A partir de ces données et de ces expérimentations, nous en viendrons progressivement à mieux cerner l’étendue et la profondeur de nos objets didactiques, mais également à mieux comprendre ce qui vaut d’être appris par nos élèves, ce pourquoi ils peinent à se les approprier et ce que pourraient être les meilleurs scénarios pour les y aider. Voici en quoi le travail de Frédéric Rabat m’a semblé porteur de l’avancée de la didactisation des savoirs info-documentaires.


  1. Lire son commentaire sous l’article de Frédéric Rabat

  2. Voir le triangle didactique 

  3. Lire "Les trois objectifs généraux de l’éducation à l’information" 

  4. Visionner la vidéo présentant intégralement la première séance. 

  5. Nous ne discuterons pas ici de l’actualisation de cette étude, la démarche seule nous intéressant. 

  6. Quelques modèles de situation-problème : Meirieu Philippe. Guide méthodologique pour l'élaboration d'une situation-problème ; Clerc J.-B., Roduit G. Schéma idéal d’une situation-problème ; Ruffenach Mathieu. Les situations-problèmes en Sciences-Physiques au Collège ; Partoune Christine. La pédagogie par situations-problèmes 

  7. Voir fiche récapitulative de « L’entrée dans la culture de l’information par les usages » 


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