Décodage du projet de circulaire du 18 janvier 2011 (3)

Darkwood67. “The watcher”, 2009. CC

A propos des contenus de formation

Des deux axes de la mission pédagogique existant en 1986, un seul demeure dans le projet de 2011. Lequel ? Et qu’en reste-t-il ? S’il demeure un point commun relatif au mandat pédagogique entre 1986 et 2001, c’est bien la présentation d’un programme de formation. On pourrait à première vue s’en tenir là et s’en réjouir. Mais après réflexion, le bilan est alarmant. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas l’idée ni la prescription d’une formation qui ont été évacuées par l’institution, mais bien l’acte de formation et sa dévolution à l’enseignant documentaliste.

1.2.2. Assurer, contribuer : des verbes qui parlent…

Nous avons précédemment observé l’inversion du rapport de forces entre les blocs « Pédagogie » (deux en 1986, puis un seul en 2001) et les blocs « Gestion » (un seul en 1986 mais deux en 2011). L’un des deux axes consacrés à la pédagogie en 1986 aurait donc disparu. Lequel ?

Pour le savoir, faisons parler les verbes d’action employés dans les textes, sachant la précision avec lesquels ils sont choisis.

Le tableau n°1 ne laisse aucun doute sur le sort qui a été réservé à l’axe 1 de 1986. En effet, la comparaison des verbes utilisés dans le descriptif des axes montre très clairement que l’axe 1 de 2011 est l’équivalent actualisé de l’axe 2 de 1986. Ces descriptifs mettent en évidence une posture commune de l’enseignant documentaliste au travers de l’emploi de trois verbes communs : « prendre en compte », « participer à », « favoriser ». Autant de verbes qu’on ne retrouve pas dans l’axe 1 de 1986. Ils pointent la prudence et l’écart dont cet enseignant doit faire preuve, ainsi que le fait qu’il ne doit pas agir en responsabilité mais avec d’autres acteurs.

Ainsi trouve-t-on, en 2011, une fois le verbe « participer à » et pas moins de quatre fois le verbe « contribuer à » (dont une fois dans le titre) ! En 1986, de tels verbes se trouvaient dans l’axe 2 : deux fois « participer à », une fois « être lié à » (le titre) et une fois « être associé à ». Dans l’axe 1 de 1986, en revanche, qui ne comprenait d’ailleurs que trois verbes, ceux-ci dénotaient bien une action pédagogique directe : trois fois « organiser », une fois « assurer » (le titre) et une fois « amener à ».

On peut en déduire que le seul axe « Pédagogie » restant dans le texte de 2011 est le pendant de l’axe 2 du texte de 1986, tandis que l’axe 1 ce dernier, fermement marqué par le choix du verbe « assurer », a tout simplement été évacué… Il a été remplacé en 2011 par un nouvel axe consacré à la politique documentaire (axe 2).

Le bilan est simple : la politique documentaire est la mission qui est venue se substituer à celle de la responsabilité pédagogique.

Circulaire_2011-3 Tableau n°3 : La sortie de la mission relative à la responsabilité pédagogique et la poussée de la mission gestionnaire de mise en œuvre de la politique documentaire.

1.2.3. Des contenus de formation dans les deux textes. Oui, mais…

Cela établi, force est de constater qu’il existe un point commun entre les deux premiers axes de ces deux textes, même si celui de 1986 a disparu. Ce point commun est l’existence d’un contenu de formation. Celui-ci aurait donc passé les années pour se retrouver, somme toute, à sa place. Et l’on pourrait au premier abord s’en réjouir.

Et pourtant, quelque chose a bien changé…

Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas l’idée ni la prescription d’une formation qui ont été évacuées par l’institution, mais bien l’acte de formation et sa dévolution à l’enseignant documentaliste. La formation, même si elle a (peu) évolué, reste une demande expresse de l’institution, cependant qu’on ne demande plus à ce qu’elle soit placée sous la responsabilité de l’enseignant documentaliste. Deux points peuvent nous retenir à ce propos un instant : la responsabilité de la formation et la référence de cette formation.

La responsabilité de la formation

Le responsable de la formation, tout d’abord. Est-il nommé ? Comment est-il nommé ? Pas d’équivoque possible en 1986 puisque l’on peut lire qu’il « assure, dans le centre dont il a la responsabilité, une initiation et une formation à la recherche documentaire ». A cette fin, « il organise » un cycle d’initiation, il « prend toutes initiatives opportunes pour amener progressivement les élèves » à se former.

En 2011, l’exercice stylistique est plus équivoque. La voie active étant compromettante, on lui préfère la voie passive, celle qui évite de nommer le sujet de l’action : « Cette formation… s’inscrit dans… ». Mais de quelle formation s’agit-il ? Et le regard de se diriger promptement vers les lignes qui précèdent. Il y est question de quelques compétences transversales du Socle commun dont l’acquisition devrait être « favorisée en concertation avec les autres professeurs et les conseillers principaux d’éducation ». Comme le B2i mentionné quelques lignes plus haut, et comme le Pacifi prescrit aussitôt après, le Socle commun propose une validation a posteriori, exécutée de manière aléatoire par des enseignants, non exclusivement spécialistes des contenus à valider, et des CPE. La nouvelle approche par les compétences et son système de validation par les résultats au moyen d’indicateurs assortis de cases à cocher, impulse dans le système éducatif français une autre conception de l’enseignement et de la formation dont l’enseignant documentaliste fait à nouveau les frais. La logique de la transversalité est encore une fois mobilisée pour distraire l’enseignant documentaliste du mandat pédagogique obtenu en 1986 et pourtant garanti par un CAPES en 1990. La responsabilité de la formation se voit ainsi diluée dans l’équipe pédagogique et éducative, puisque la présence du CPE est requise, comme c’est d’ailleurs le cas pour le Pacifi

La référence épistémologique de la formation

La référence épistémologique de la formation est également importante à préciser. En 1986, rappelons-nous, un référentiel sommaire rappelant les sept étapes de la recherche documentaire constitue le contenu méthodologique sur lequel doit s’appuyer le documentaliste-bibliothécaire pour assurer ses formations. De type béhavioriste, c'est-à-dire centrée sur le suivi de procédures à observer, ce référentiel est une déclinaison des listes de compétences élaborées par le monde anglo-saxon des bibliothèques, à une époque où l’information literacy en est encore dans sa première phase procédurale, centrée sur la tâche à effectuer. Nous étions encore bien loin des premiers travaux en didactique de l’information ! Cela dit, lors des séances en collaboration avec les disciplines, la responsabilité de la formation documentaire incombait clairement au documentaliste-bibliothécaire, lequel se voyait attribuer un domaine propre où parfaire et exercer son expertise.

Le texte du projet de janvier 2011 introduit quant à lui un nouveau support de formation, un « parcours de formation à la culture de l’information » (PFCI), appelé autrement Pacifi et publié à peine quelques mois auparavant en octobre 2010. Les contenus qu’il propose aux équipes pédagogiques et aux CPE tiennent en 10 thématiques peu explicitées, bien qu’exprimées sous l’angle de leur rapport aux programmes disciplinaires, de suggestions d’activités et de quelques objectifs.

Mais la référence ultime à ces orientations tient en un simple tableau listant 10 capacités et 10 attitudes extraites, avec quelques difficultés semble-t-il, du Socle commun. Exit les référentiels de compétences ordinairement utilisés par la profession, tandis que les savoirs scolaires de l’information-documentation continuent d’être proprement ignorés. C’est donc l’approche par compétences qui est à nouveau convoquée, dont la référence n’appartient ni à un modèle pédagogique existant (instruction, béhaviorisme ou constructivisme), ni aux didactiques des disciplines, ni aux Sciences de l’éducation, même si elles en sont venues progressivement à s’y intéresser, mais à un modèle entrepreneurial développé au début des années 90, puis impulsé dans les pays de la CEE par la commission européenne et l’OCDE. Quoi qu’il en soit, puisque le débat est vif aujourd’hui dans le monde de l’éducation au sujet de la validité de cette approche par les compétences, les contenus de la formation nous apparaissent dans le texte de 2011 comme exclusivement tributaires du Socle commun et, de plus, arbitrairement réduits à la seule dimension procédurale des compétences. Qui plus est, cette présentation d’indicateurs est tellement tributaire des formulations maladroites tirées du Socle que l’on voit mal les enseignants documentalistes en tirer quelque profit. La formation est donc laissée aux équipes pédagogiques et éducatives non spécialistes du domaine, qui auront la charge, s’ils veulent bien l’accepter, de valider celle-ci à partir d’une liste d’indicateurs simplistes et imprécis.

Bilan

25 ans après la seconde circulaire, le bilan à tirer semble bien alarmant. D’une part, ceux qui ont construit une expertise pédagogique, voire didactique depuis quelques années, se trouvent dépossédés et évincés de leur prérogatives. D’autre part, les contenus de formation et, plus récemment, d’enseignement, sont mis à mal et rendus plus imprécis que jamais, appelés à une dilution totale dans les programmes des disciplines et les piliers du Socle commun. Plus encore, cette formation ne trouvera de contours et de légitimité qu’a posteriori, la logique de résultats construisant à rebours les domaines qu’elle juge utile…

A suivre…