Référence documentographique

Gosselin Géraldine. Retour sur la politique documentaire « en milieu scolaire » (1). Entretien pour les Trois couronnes. Avril 2011.

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/retour-sur-la-politique-documentaire-en-milieu-scolaire-1

Retour sur la politique documentaire « en milieu scolaire » (1)

Onze ans après le lancement du concept de politique documentaire par le séminaire national de mai 2000, les Trois couronnes publient une série d’entretiens dans le but de jeter un éclairage sur sa réception par les professeurs documentalistes et son impact sur l’identité professionnelle.

Les Trois couronnes : Quelle a été votre formation initiale ? Vous a-t-elle préparé à vous intéresser à la politique documentaire ?

J'ai fait une licence d'histoire mention documentation puis une maîtrise de documentation. J'ai assez mal vécu les cours de management et la notion d'entreprise privée m'était totalement étrangère. Je me suis très vite orientée vers le service public et les bibliothèques. C'est mon stage de maîtrise qui m'a ouvert les yeux sur ce que je cherchais : le contact avec un public, l'animation autour de la lecture. J'ai fait un mémoire sur la politique d'acquisition en média-thèque. Je me suis ensuite orientée vers le CAPES de documentation pour lequel j'ai été suffisamment bien formée puisque je n'ai eu le concours qu'à la troisième tentative. Mais je ne regrette pas mes années d'IUFM qui m'ont beaucoup appris. Lors de ma formation à l'IUFM, nous débattions beaucoup de notre positionnement entre étudiants : documentaliste ou enseignant. De par ma formation, je me situais plutôt du côté de la gestion, je trouvais ça très confortable. On commençait à peine à parler de politique documentaire, le rapport Durpaire n'étant pas encore sorti. Par contre, on nous invitait à réaliser un projet CDI, document que je réalise toujours.

Quelles ont été vos attentes lors de l’entrée dans le métier ? Aviez-vous des projets précis ?

Pour mon année de stage, j'ai été affectée en lycée professionnel. J'ai fait mon mémoire sur le goût de lire dans un souci d'évitement de la pédagogie et de la gestion et pour continuer à explorer une thématique de lecture publique. Ma tutrice était axée sur la gestion du CDI qu'elle avait construit de toute pièce. Les occasions de collaborations pédagogiques, par contre, ne se créaient qu'autour de projets avec quelques enseignants motivés. J'ai beaucoup appris à son contact et j'ai été confortée dans mon devoir de bon gestionnaire d'un système d'information.

Qu'est-ce qui vous a poussé à mettre en place une politique documentaire dans votre établissement ?

Jeune promue dans l'académie de Montpellier, j'atterris dans un lycée professionnel du bâtiment dans les Hauts-Cantons de l'Hérault. Le CDI était un immense espace déserté par les élèves et les profs depuis bien longtemps, terrorisés par une « psychopathe » (selon mes collègues) pendant dix ans. Tout était à reconstruire, le lieu, le fonds documentaire, les relations avec les profs et les élèves. Au même moment l'inspection passait à l'offensive : politique documentaire à tous les étages. La FADBEN s'est positionnée en sortant le Médiadoc sur la politique documentaire. Ça paraissait incontournable et ce dont je me souviens du discours des profs docs à ce moment-là, c'était plutôt " si on ne participe pas à la politique documentaire de l'établissement on va se faire évincer ". Il m'a semblé que la reconnaissance pouvait passer par là. Et en même temps qui d'autre pouvait être mieux placé que nous pour mettre en place la politique documentaire de l'établissement ? Dont acte.

Comment vous y êtes-vous prise ? Quelles ont été les réactions de vos partenaires ?

Pour me permettre de reconstruire le CDI j'ai réalisé un projet CDI que j'ai largement diffusé. Il me fallait faire un état des lieux et me donner des objectifs avec des échéances. Mon action devait être visible et comprise de tous. J'ai eu une réponse très positive de mes collègues et de mon chef d'établissement. Mais je me sentais isolée : le CDI n'était que l'affaire du professeur-documentaliste. J'ai donc proposé au proviseur d'aborder le chantier " politique documentaire " lors d'un conseil pédagogique dans l'espoir de fédérer mes collègues autour de mon action. J'ai rédigé une synthèse que j'ai présentée à mes collègues : une partie théorique et une partie " pistes de réflexion ". Mon intervention se situait à la fin du conseil pédagogique. Mes collègues ont commencé par m'écouter dans un silence poli. Au bout de deux minutes, une collègue a commencé un aparté avec un autre pour régler une histoire de sortie scolaire. Deux minutes plus tard, les apartés concernaient la moitié de l'assemblée. A la fin de ma présentation, le proviseur m'a remercié et a déclaré que mon projet de politique documentaire ferait l'objet d'un amendement au projet d'établissement. Signal donné, tous se sont levés d'un seul homme pour aller prendre l'apéro. J'avoue avoir vécu un grand moment de solitude ce jour-là. J'avais imaginé une suite à cette intervention : réunion des personnes motivées pour collaborer à la construction de la politique documentaire de l'établissement. Il n'en a rien été. Plus personne ne m'a reparlé de politique documentaire après le conseil. Le sujet était clos et bien enterré.

Pensez-vous avoir réussi ? Quel bilan en tirez-vous ?

Échec total. Je pense réellement que mes collègues m'ont fait comprendre qu'ils avaient autre chose à faire que de réfléchir à la politique documentaire de l'établissement. Mon chef a été très content de coller mes pistes de réflexion dans " son " projet d'établissement. Ça faisait bien sur le papier. J'avais bien bossé mais cela ne m'a jamais servi. Heureusement, j'ai trouvé d'autres sources de légitimité auprès de mes collègues, beaucoup plus valorisantes et porteuses notamment grâce aux projets pédagogiques.

Que pensez de l’articulation entre la pédagogie et la politique documentaire ? L’idée de placer le pédagogique en « volet » secondaire, plutôt qu’en axe central de votre mission, vous satisfait-elle ?

Je crois que nous n’avons rien à attendre de la politique documentaire. Contrairement à ce que je pensais, notre légitimé ne passe pas par ce type de document contractuel tentant d'impliquer l'équipe pédagogique. Ça ne fonctionne pas et le professeur-documentaliste ne peut attendre le bon vouloir de ses collègues pour pouvoir travailler. Notre enseignement ne peut être soumis au contexte local de l'établissement. Est-ce que les programmes des collègues de disciplines sont définis par le projet d'établissement ? Nous avons besoin d'un texte national qui définisse nos missions d'enseignement et non d'une négociation en interne, trop hasardeuse.

Quels sont les avantages et les inconvénients de la politique documentaire ? Ou ce qui la rend possible et ce qui la rend impossible ?

A mon sens, au niveau local, nous avons certainement besoin d'un document qui définit les grandes lignes de notre action pour nous donner de la visibilité et pour prendre en compte le contexte de l'établissement. " Nous ", professeurs-documentalistes. Quand je lis le projet de circulaire de missions de janvier 2011, j'en ai froid dans le dos : " Le professeur documentaliste met en œuvre la politique documentaire de l’établissement qu’il contribue à définir " Nous n'avons pas d'autorité administrative ou pédagogique pour contraindre nos collègues à élaborer une politique documentaire. Nous pouvons éventuellement entamer des discussions avec les plus ouverts sur les problématiques de l'information-documentation mais de là à élaborer la politique documentaire...Vu le contexte actuel, nos réunions et réflexions portent plus sur les postes à sauver dans notre établissement que sur l'utilisation des ressources documentaires. La politique documentaire passe par une collaboration avec nos collègues or nos collègues ne sont pas prêts à réfléchir à la politique documentaire. C'est donc pour moi une mission impossible. Quant à " la définition et la gestion des ressources physiques et numériques pour l’établissement " je ne crois pas que cela soit possible. Nous ne pouvons contrôler toutes les ressources documentaires de l'établissement et leur utilisation pédagogique. Nos collègues ont la liberté de choisir et d'utiliser les ressources qui leur semblent le mieux approprier pour assurer leurs cours.

Votre « profil professionnel » a-t-il évolué depuis vos débuts dans le métier ?

Aujourd'hui, après quelques années d'exercice, je me sens autant professeur que documentaliste. C'est vrai que notre pédagogie repose sur une bonne gestion des ressources du CDI et j'y veille particulièrement par souci de crédibilité. Mais je pense et construis le CDI en fonction de mon action pédagogique. Les ressources documentaires sont au service de la pédagogie et non l'inverse. Et j'ai beaucoup de satisfaction à travailler avec les élèves et en collaboration avec les enseignants de discipline.

Pour conclure par une ouverture sur l’avenir, quel regard portez-vous sur le projet de conversion du CDI en espace de culture, documentation et information (ECDI) ?

La question serait plutôt : quelle est la place du professeur-documentaliste dans l'ECDI ? Je crois que l'ECDI va sonner la mort des professeurs-documentalistes. C'est un enterrement de première classe. L'institution met plus que jamais en avant la fonction documentaire dans les établissements et écarte la mission pédagogique du professeur-documentaliste. Le documentaliste redevient prestataire de service, au service de la communauté éducative. Retour au triptyque : sélection de l'information, archivage et mise à disposition avec une priorité sur cette dernière fonction. Notre enseignement, comme le prédit le PACIFI, se réduira à une formation technique. L'ECDI, en parallèle avec l'ENT, marque la mise en avant des ressources numériques dans la construction des savoirs. Le triangle pédagogique va changer : l'interaction ne se fera plus entre l'enseignant et l'élève mais entre l'élève et la machine. Je pense que l'ECDI va pleinement participer à ce changement. Réflexion faite, les professeurs-documentalistes seront peut-être les derniers enseignants du second degré.