Lettre ouverte à notre inspection générale sur le projet de circulaire de missions

Une circulaire qui ne répond en rien aux attentes de la profession et qui au contraire piétine le travail de la communauté depuis dix ans.

Il serait peut-être utile de partir des attentes des professeurs documentalistes. Pour qui tend un peu l’oreille, ils attendent que la formation info-documentaire des élèves cesse de dépendre du bon vouloir d’un chef d’établissement ou d’une équipe pédagogique et surtout de leur propre capacité à négocier encore et toujours le moindre mouvement de leur petit doigt.

Depuis une vingtaine d’années, la profession dans son ensemble a fait preuve d’une grande inventivité, pourquoi ne pas confirmer l’initiative qui avait été donnée dans la circulaire de 1986 et proposer quelques pistes de travail complémentaires ?

Le projet 2010 ne fait plus des professeurs documentalistes que des contributeurs à la formation des élèves, mais il sera quand même de leur responsabilité aux yeux de l’inspection qu’il se passe quelque chose ou rien. Ceux d'entre eux qui auront la résolution, la fermeté ou la témérité nécessaires continueront d’être propositionnels et assureront eux-mêmes des formations qu’ils auront conçues. Mais tout le monde ne peut pas être militant, comme l’a d’ailleurs rappelé un de nos inspecteurs à une collègue, il y a quelques mois.

Beaucoup de professeurs documentalistes sont las de toujours devoir se mettre en valeur, proposer, trouver des comparses, pour travailler ; avec cette configuration où il contribue, il lui faudra soit en passer par les propositions des non experts que sont nos collègues de disciplines, soit argumenter encore et encore pour que les élèves bénéficient d’une formation plus complète ; être un chevalier de la documentation toujours en avance d’un projet use et démobilise un grand nombre.

Il est temps que les professeurs documentalistes soient clairement en charge de la formation des élèves et qu’ils disposent d’un guide pour organiser leur action : non pas des exemples de situations extraites des programmes dont ils ont déjà fait le tour (c’est bien la raison pour laquelle le PACIFI s’adresse à d’autres acteurs), mais le balisage des contenus à transmettre et des modalités de transmission dans des scénarios qui ne se résument pas à l’aide individuelle ou collective autour d’une commande disciplinaire, comme ils en ont l’intuition depuis longtemps. Les professeurs documentalistes ressentent vivement le besoin d’aider les élèves à domestiquer tant soit peu la surabondance d’informations et sont convaincus qu’il faut leur apporter les connaissances nécessaires pour comprendre les enjeux et les systèmes dont ils sont les usagers. Ils ont déjà expérimenté beaucoup de façons de faire. Pourquoi ne pas prendre appui sur cette expérience au lieu de leur retirer l’initiative ?

Ce n’est même pas dans l’intérêt des élèves : que gagneront-ils à être enseignés par des professeurs non experts ? Quant à former les collègues, là aussi, on croit au miracle…. Peut-on vraiment glisser autre chose que des trucs et astuces à un professeur qui vient au CDI pour mener une recherche et demander notre aide ? Où prendront-ils le temps d’approfondir ? Que les moyens de cette formation continue soient clairement réservés (heures banalisées, décharge pour la préparation, réflexion didactique) et on en reparlera.

L’emploi proposé par le ministère : éminence grise, conseiller du chef d’établissement et des collègues, metteur en forme de la politique de l’établissement, s’il est ambitieux et valorisant sur le papier, ne semble pas jouable par de vraies personnes dans un véritable établissement scolaire.

Ce genre de rôle n’a aucune consistance réelle, ni légitimité auprès des équipes éducatives. Notre ministère aime accumuler les missions ronflantes sur des fonctions déjà existantes, mais il faut continuer à assumer un quotidien difficile (parlons ici de l’accueil des élèves de collège en flots continus sur les heures d’études sans aucune aide pour la surveillance la plus élémentaire, de la raréfaction des aides documentalistes, de l’absence de technicien informatique, et j’en passe), ce qui rend les dites fonctions ineffectives.

Dans la réalité, non seulement ce rôle est mal accepté par les professeurs documentalistes qui ont par ailleurs développé depuis dix ans de vraies capacités à faire, mais il ne correspond à aucune attente des professeurs de disciplines qui ne voient pas ce qu’il y a de si compliqué à savoir quand il s’agit de cliquer. Ils n’attendent des documentalistes que des recettes rapides et surtout pas la mise en perspective des systèmes utilisés qui semble indispensables aux experts de l’information pour un usage critique. Tout ce discours sur le rôle de concepteur et expert des professeurs documentalistes encourage plutôt les « vols » de séances documentaires au mépris du plus simple droit sur la mise en forme de ses idées, ce qui choque chaque année les jeunes stagiaires ! Comme si un scénario même bien rédigé suffisait pour acquérir le talent de l’interprète.

Ce qui est vrai, c’est qu’avec cette idée de politique documentaire dans certains établissements les professeurs documentalistes devront bientôt négocier avec leurs pairs jusqu'à leur crayon pour travailler. Parle-t-on d’une politique de la langue française, des mathématiques ou des langues dans un établissement ? Peut-être le faudrait-il, mais nul n’en risquera l’idée. Osera-t-on demander à un professeur de lettres ou d’histoire de rendre des comptes ?

Encore plus de négociation (pourparlers, tractations, marchandage seraient d’excellents synonymes comme le propose le Trésor de la Langue Française), y compris dans les domaines où ils ont développé individuellement et collectivement une véritable expertise, puisque l’autorité de tutelle même ne valorise même pas ce qui a déjà été fait. Cela ressemble à une humiliation, voilà où ce projet de circulaire conduit les professeurs documentalistes.

Transparait aussi dans cette circulaire le grand rêve du Ministère de faire des documentalistes, les porteurs et les hérauts de ses réformes ! Cela avait quelque sens quand les réformes allaient vers plus d’autonomie des élèves, de prise en charge de ses apprentissages, mais quand il s’agit de mettre en avant un pilotage par les résultats (ce que sont les compétences du socle et du B2i) et que l’importance de la période même d’apprentissage qui suppose du temps et une approche réfléchie est minorée voire ignorée, les professeurs documentalistes ne se reconnaissent plus.

Le projet de circulaire qui a été communiqué est construit sur les mêmes entrées que la circulaire de 86, habillage numérique à part. A cet égard il ne nous apporte que quelques évidences sur la société du numérique qui n'ont pas besoin de circulaire pour être actées et ne dresse aucun contour à la culture informationnelle abondamment citée dans le PACIFI, qu’il faut maintenant voir comme un texte d’accompagnement de la circulaire. Surtout, aucun des travaux, activités ou réflexion sur la notion de curriculum et l’inventaire des savoirs info documentaires publiés ces dernières années n'a été le moins du monde entendu. La référence en matière de formation documentaire, est toujours extrêmement réductrice : la compétence, du B2i ou du socle commun, sans que rien ne soit dit sur les étapes nécessaires pour acquérir ces compétences qui sont pourtant considérée, au moins dans le socle commun, comme la capacité à mobiliser des ressources d'ordre divers (connaissances déclaratives, savoirs faire, savoirs conditionnels). Quand et comment les élèves vont-ils acquérir ces ressources ? Il ne s’agit pas de mettre des élèves en situation d’apprentissage mais de les entrainer à des pratiques dont on ne cherche pas à s’assurer qu’ils en comprennent le sens.

Suffit-il de mener quelques recherches dans un cadre disciplinaire pour maitriser des connaissances propres au champ info-documentaire ? Ne risque-t-on pas que les élèves confondent la production à fournir et l’objectif d’apprentissage documentaire ? Les situations proposées dans les programmes peuvent offrir de magnifiques champs d’entrainement ou de terribles confusions quant au contrat didactique (ex : les attentes en terme d’apprentissage portent-elles sur le moteur de recherche ou sur le sujet à traiter ?) Les professeurs de toutes disciplines maitriseront-ils suffisamment ces connaissances pour les transmettre en même temps que les connaissances disciplinaires qui resteront prioritaires à leurs yeux, même après un débriefing du professeur-documentaliste ? Si oui, j’enseigne demain les maths sur la foi de ce que j’ai fait au lycée et avec l’aide d’Internet !

Des propositions ont pourtant été faites par des professeurs documentalistes en vue de la construction d’un curriculum (GRCDI). Mais notre inspection générale a décidé de faire preuve d'une totale surdité par rapport aux travaux réalisés par et autour de l'Erté Culture informationnelle, sauf à récupérer à son profit en le dévoyant le vocable « à la mode » qui donne l’air de….. On ne donne encore une fois pas du tout les moyens (matériels et surtout intellectuels) ni aux professeurs documentalistes [ni aux autres professeurs d’ailleurs] de véritablement former les élèves à l’ère du numérique. On nous gave de mots pour nous paralyser ! Au mépris de tout ce que la profession déjà apporté bâti !

En dernière analyse cette circulaire apparait comme une façon de consacrer le PACIFI qui lui aussi n'a tenu compte d'aucun travaux récents puisque visiblement les références aux contenus notionnels prévus ont été enlevées et que le rédacteur final a fait comme si les capacités décrites ne nécessitaient aucune connaissance (ce qu’il ne sera pas difficile de démonter) ..... Il m’avait semblé pourtant au départ, que le PACIFI pouvait au moins nous apporter des éléments propres à nous aider dans nos si nécessaires négociations et je pensais que nous ne devions pas tout à fait le rejeter malgré ses limites évidentes. Il n’avait pas après tout de véritable statut règlementaire et comme tel pouvait être considéré comme n’excluant pas certaines approches plus didactiques. Après la lecture du projet de circulaire, ses limites deviennent une véritable provocation. Tout cela ressemble à une manœuvre pour rappeler par la voie réglementaire la réalité de la subordination des professeurs documentalistes aux autres acteurs de l’établissement, alors que le CAPES fait d’eux des pairs, et alors que la profession dans son ensemble a su développer une belle autonomie et des propositions riches et construites.


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