Le niveau de formulation d'une notion

Si le professeur documentaliste sait bien, depuis quelques décennies déjà, comment formuler une capacité à atteindre et évaluer celle-ci à partir d'un référentiel de compétences, en revanche, il s'interroge souvent sur la manière dont il pourrait définir et rédiger un objectif de maîtrise de notion. Sur les fiches de préparation disponibles en ligne, on voit ainsi se cotoyer objectifs de type procédural (savoir faire, compétence) et liste de notions égrenées sans précision. Le concept de “niveau de formulation” est une réponse pertinente à cette question puisqu'il part justement de la nécessité de décrire les connaissances déclaratives. Ajoutons aussitôt qu'il permet non seulement de détailler avec une grande précision les constituants – ou caractéristiques – de la notion mais qu'il tient également compte des capacités d'intégration de l'élève. Le niveau de formualtion d'une notion à enseigner se matérialise ainsi sous la forme d'un énoncé, produit par l'élève mais anticipé par l'enseignant, énoncé qui correspond au seuil d’abstraction visé pour un niveau de scolarité donné, voire telle classe à tel moment de l'année et, in fine, pour chaque élève.

Concept didactique apparu à la fin des années 1980, son appellation est tout d'abord variable, oscillant entre “niveau de complexité” (B.-M. Barth), “registre de conceptualisation” (M. Develay), ou encore “registre de formulation” (J.-P. Astolfi et M. Develay). Il se généralise progressivement sous la forme “niveau de formulation” (G. de Vecchi, 1990) que nous retenons ici. Il émerge en Information-Documentation en 2006 (Duplessis) et trouve aussitôt sa place dans les travaux précurseurs de l'APDEN (2007) portant sur l'identification et l'analyse des “savoirs scolaires en Information-Documentation”. A partir de cette parution dans la revue de l'association Mediadoc, le chantier se poursuit en ligne et donne naissance, notamment sous l'impulsion de Florian Reynaud, au Wikinotions (2010, 2013), site collaboratif où la quasi totalité des notions info-documentaires sont analysées sur ce modèle.

A l'articulation des dimensions épistémologique (savoirs à enseigner), pédagogique (savoirs enseignés) et psychologique (savoirs appropriés), le concept de “niveau de formulation” se situe au coeur de l'approche orientée notion de l'enseignement-apprentissage de l'Information-Documentation. Pour cette raison, il gagnerait à être mieux perçu et mieux compris des enseignants documentalistes qui pourront en faire un objet de recherches, d'expérimentations et de mutualisations. Dans ce but, nous présentons ici, de manière synthétique, une définition en sept points de ce concept avant de proposer quelques principes pour l'élaboration des énoncés ainsi qu'une grille d'évaluation pour apprécier les productions des élèves.


But 

  • Parvenir à une formulation de la notion visée qui soit adaptée au niveau d’abstraction des élèves et aisément verbalisable par ceux-ci au terme de la séance.

Définition en sept points

1- Un niveau de formulation rend compte du degré d'appropriation d' un savoir enseigné par un élève, à partir de ses propres capacités et outils intellectuels, lexicaux et syntaxiques et ce, à un moment donné de son cursus scolaire.

2- Il se présente sous la forme d'un énoncé langagier, d'une verbalisation orale ou écrite correspondant à un palier provisoire de compréhension d'une notion, ou d'un aspect de la notion.

3- Il se fonde sur l'idée que la construction des connaissances, comme le langage, procède par étapes vers plus d'abstraction. L'acquisition d'un vocabulaire spécifique, adapté à l'élève, est donc nécessaire. Pour autant, il ne s'agit pas de faire évoluer les formulations pour elles-mêmes, mais bien la structure cognitive qui sous-tend ces formulations.

4- Il témoigne de l'état actuel des représentations de l'élève au regard du savoir enseigné et de leur évolution. L'énoncé produit par l'élève ne doit être considéré que comme l'indice du seuil d'abstraction auquel il est parvenu. Il peut ainsi servir de repère pour l'évaluation de l'apprentissage.

5- Il n'est pas “donné” à l'élève telle une définition, mais est “attendu” de celui-ci au terme de l'apprentissage. Il consiste en une anticipation par l'enseignant de la production langagière de l'élève. Il s'agit donc d'une visée et, par conséquent, il permet de définir un objectif de connaissance déclarative.

6- Il peut exister différentes formulations d'un même savoir, qui vont dépendre non seulement du niveau cognitif de l'élève, mais aussi de la nature du problème étudié dans la séance et du domaine de la connaissance dans lequel est abordée la notion.

7- Au cours d'un cursus, le passage d'un niveau de formulation au suivant peut s'effectuer soit par ajouts successifs de caractéristiques à la notion (augmentation), provoquant une réorganisation partielle des connaissances, soit par changement de paradigme nécessitant une réorganisation complète de ces connaissances (rupture épistémologique).

Exemples d'énoncés de niveaux de formulation

Niveau de formulation Tableau 1 Nallathamby Marie. EMI : une progression à destination d'élèves de 6ème. Médiadoc n°13, 12-2013. p. 23 [Extrait]

Principes d'élaboration des énoncés exprimant les niveaux de formulation

1- L'élaboration d'un niveau de formulation devrait pouvoir s'appuyer sur une analyse et une anticipation des représentations des élèves afin d'aider ceux-ci à les dépasser.

2- Elle doit absolument tenir compte des connaissances acquises des élèves, de leurs capacités cognitives (outils intellectuels) et langagières (lexique, syntaxe).

3- Elle s'appuie sur des éléments sélectionnés du savoir à enseigner, lequel est déterminé au cours d'un processus de transposition didactique. Toute l'étendue de la notion de référence ne pouvant être traitée, construite et assimilée sur un seul niveau scolaire et sur le temps d'une seule séance, il faut s'en tenir à certains éléments discriminants constitutifs de la notion. Nous appelons ces contenus les “caractéristiques” de la notion, qu'il faut toujours considérer comme pouvant être comprises et verbalisées par les élèves. L'apprentissage ne concerne donc pas directement une notion dans son intégralité, mais plutôt une “facette” de la notion. Chaque nouvelle situation d'apprentissage permet d'éclairer une autre facette de la notion ou de l'éclairer différemment.

4- Les caractéristiques sélectionnées le sont au regard de la question ou du problème soulevés dans la séance. Précisons que ces caractéristiques se trouveront nécessairement travaillées pendant l'activité proposée aux élèves.

5- L'énoncé du niveau de formulation est formé à partir du regroupement de ces caractéristiques. Il requiert l'emploi d'un vocabulaire spécifique à la discipline et au niveau considéré, ainsi que l'utilisation d'une syntaxe qui doit mettre en relation les caractéristiques entre elles.

Exemple de construction d'un énoncé

Pour appréhender la notion de Document en 6ème, les caractéristiques suivantes ont été sélectionnées :

  • [un document] est fait d'un support
  • contient des informations
  • est créé par un ou plusieurs auteurs

L'énoncé correspondant au niveau de formulation de cette notion pour cette séance sera donc le suivant :

– « Un document est fait d'un support qui contient des informations. Il est créé par un ou plusieurs auteur(s). »

N.B. : A l'arrivée, il se peut que les énoncés produits par les élèves soient sensiblement différents de celui anticipé par l'enseignant. Peu importe. Ce qui compte est bien que les caractéristiques soient présentes et bien articulées entre elles.

Evaluation des énoncés langagiers

L'énoncé produit par l'élève en fin de séance fournit des repères pour évaluer son degré d'acquisition de la notion. Le recours aux termes spécifiques (lexique), la présence des caractéristiques, la pertinence des relations (syntaxe) et, le cas échéant, la pertinence des exemples ou des contre-exemples sont des critères à mobiliser pour cette évaluation.

Exemple d'énoncé d'élève de 6ème :

Énoncé langagier DOCUMENT

Grille d'évaluation :

Niveau de formulation Tableau 2


Bibliographie

  • Astolfi Jean-Pierre, Develay Michel. La didactique des sciences, P.U.F., 1989. coll. Que sais-je ?

  • Barth Britt-Mari. L’apprentissage de l’abstraction. Retz, 1987

  • De Vecchi Gérard. La construction du savoir scientifique passe par une suite de ruptures et de remodelages. Recherche et formation n°7, 1990. p. 35-46

  • De Vecchi Gérard, Carmona-Magnaldi Nicole. Faire construire des savoirs. Hachette Education, 1996

  • Develay Michel. De l’apprentissage à l’enseignement : pour une épistémologie scolaire. ESF, 1992

  • Duplessis Pascal. “Les niveaux de formulation conceptuelle”. In Apports épistémologiques à la didactique de l’Information-documentation : Des outils pour identifier, référer et structurer le domaine conceptuel. Les Trois couronnes, 2006. pp. 184-192

  • Giordan André, De Vecchi Gérard. Les origines du savoir : Des conceptions des apprenants aux concepts scientifiques. Delachaux et Niestlé, 1994

  • Reuter Yves et al. Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques. De Boeck, 2007


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