Enquêtes scientifiques et tests-diagnostics : mieux connaître les compétences info-documentaires des élèves du secondaire et du supérieur

Enquête sur l'aleph, de Post it (n°1). lien

Comment peut-on penser construire les savoirs enseignables en Information-documentation sans tenir compte des difficultés des élèves et des étudiants en matière de compétences documentaires ? Il n’est pas de projet didactique viable qui ne travaille sans relâche à l’articulation de ces deux composantes essentielles de toute situation d’enseignement-apprentissage que sont l’élaboration et l’appropriation des savoirs. Cette dialectique entre l’objet référent et le sujet apprenant s’avère en outre indispensable si l’on ne veut pas s’enfermer dans un débat interne inopportun opposant les approches top-down et bottom-up1.

Mais comment, hormis à partir de la seule expérience professionnelle acquise au contact des élèves, identifier de manière plus rationnelle les lacunes de ces derniers ? Deux outils, encore trop rarement exploités, sont à notre disposition : les tests-diagnostics élaborés par la profession d’un côté, les enquêtes scientifiques de l’autre. Après avoir évoqué les enjeux de ces recherches et avoir mesuré les avantages et les limites des uns et des autres, il sera évoqué un nouveau chantier d’investigation didactique.


  1. Il existe plusieurs manières de penser l’élaboration des savoirs scolaires. On oppose bien souvent l’approche qui privilégie les savoirs savants (top-down) à celle qui prend de préférence appui sur l’observation des apprenants (bottom-up). 

Les enjeux

Or, s’agissant du secondaire tout au moins, si le chantier de l’élaboration des savoirs à enseigner progresse sensiblement depuis quelques années, celui concernant l’identification des compétences maîtrisées par les élèves est encore balbutiant. Les données générales qui permettraient de mieux connaître celles-ci restent encore à produire. En plus de fournir aux didacticiens les éléments qui leur manquent, elles permettraient à la profession, engagée dans un urgent processus de professionnalisation, de rationaliser l’impact de son action pédagogique, de concevoir des formations mieux adaptées aux besoins des élèves, de rendre visible et de légitimer son mandat aux yeux de l’institution et des autres disciplines.

L’état des lieux

Qui peut affirmer, aujourd’hui, et au-delà des appréciations personnelles redevables à l’expérience, à l’intuition et à « l’évidence », quelles sont les principales lacunes de nos élèves en matière de conceptualisation des sujets, de stratégie de recherche ou encore d’évaluation de l’information ? Qui peut préciser quel ordre de grandeur donner à ces difficultés et dire à quel niveau du cursus de l’élève elles se manifestent particulièrement ? Sur quelles études fonder ces réponses ? Précisons ici, à toutes fins utiles, qu’il est fait une distinction entre compétences info-documentaires et compétences numériques, du moins lorsque cela est possible, et que seules les premières nous intéressent ici.

Pour répondre à ces premières questions, deux types de données sont à notre disposition : celles qui sont produites par la profession, sous forme de « tests-diagnostics », et celles que produisent les études scientifiques, sous forme d’enquêtes appuyées sur une méthodologie éprouvée.

Les tests-diagnostics

A distinguer des évaluations diagnostiques que les enseignants-documentalistes proposent à leurs élèves à partir des seules compétences ciblées par la séquence d’apprentissage, les tests-diagnostics servent, quant à eux, à rendre compte de l’état général de maîtrise des savoirs info-documentaires pour une population d’élèves à un niveau particulier du cursus et à une échelle donnée, qui peut être celle de l’établissement, du bassin, de l’académie voire du pays.

Intérêts et limites des tests-diagnostics

L’intérêt du test-diagnostic est de produire à un instant T des données relatives aux compétences ou aux représentations d’une classe d’âge propres à impulser ou à réguler des formations documentaires. Le fait que ces tests soient générés par la profession apporte certainement une plus grande pertinence au choix des items et à l’interprétation des résultats. Par contre, il s’avère que les initiatives locales qui sont à leur origine ne s’appuient pas assez sur une logistique expérimentée. Par manque de mutualisation des efforts et de concertation à un échelon supérieur à celui de l’établissement, les résultats apparaissent souvent décevants. Les items proposés ne sont pas sélectionnés et formulés avec suffisamment de rigueur, les dépouillements qui s’ensuivent sont difficiles à mener à terme et les bilans restent peu développés. De plus, sans cohérence entre les initiatives locales, les résultats obtenus ne peuvent être rapprochés ou confrontés et s’épuisent dès leur publication, lorsque celle-ci a lieu. Une étude fait apparaître, enfin, qu’en dehors d’un travail collectif, suivi et expérimenté, les initiatives individuelles et ponctuelles renseignent moins sur les compétences des élèves que sur les représentations des enseignants-documentalistes sur les attendus de la formation.

Exemples de tests-diagnostics

Peu d’exemples de tests-diagnostics sont disponibles en ligne. On pourra néanmoins trouver quelques travaux intéressants sur ce site :

Les enquêtes scientifiques

Si la communauté scientifique s’intéresse de plus en plus aux compétences numériques des « natifs numériques » (enquête Mediappro « Appropriation des nouveaux médias par les jeunes [2006] ; enquête « Les jeunes et Internet » de Piette, Pons et Giroux, …), les enquêtes relatives aux compétences numériques des adolescents dans leur cursus secondaire sont bien rares, voire inexistantes.

Visées des enquêtes

Alors que les tests-diagnostics produits par la profession s’intéressent le plus souvent à l’entrée des élèves au lycée, les enquêtes scientifiques concernent quant à elles presque exclusivement les primo-arrivants à l’université. A l’articulation du secondaire et du supérieur, ces études visent principalement à fonder et à mieux concevoir les enseignements info-documentaires délivrés aux étudiants. Elles intéressent par conséquent les professeurs-documentalistes dans la mesure où elles peuvent être perçues comme dressant un bilan, souvent sans concession, de sept années d’apprentissages documentaires dans le secondaire.

Intérêt des enquêtes scientifiques

Ces enquêtes marquent de réels avantages par rapport aux tests-diagnostics élaborés et conduits avec peu de moyens. Elles concernent généralement une population importante, de l’ordre de plusieurs centaines d’étudiants. Les questionnaires qui leur servent de support sont étudiés de manière à pouvoir lever les ambiguïtés et à couvrir efficacement, avec un minimum d’items, le domaine visé. Ils font l’objet d’un traitement méthodique et offrent souvent la possibilité de fournir des recoupements d’informations significatifs. Les résultats sont encore présentés sous forme de rapports permettant une meilleure compréhension et une présentation graphique. Enfin, ces enquêtes se soldent par la présentation d’un bilan argumenté, lequel sert souvent d’étayage à des recommandations en matière de formations.

Limites des enquêtes scientifiques

Il reste néanmoins que, pour autant qu’elles apparaissent fiables, elles demeurent encore difficilement comparables dans la mesure où les objets qu’elles cherchent à mesurer ne sont pas toujours identiques. Tantôt l’on cherchera à connaître l’impact des TPE sur les représentations des étudiants concernant le système d’information [Candalot dit Casaurang, 2005], tantôt l’on s’attachera à quantifier les pratiques relatives au plagiat [Six Degrés, 2008].

Un prototype à suivre...

Cette incertitude, qui gène l’exploitation que l’on est en droit d’attendre de ces travaux, peut cependant être réduite si l’on est attentif aux échos que certaines enquêtes entretiennent avec la désormais prototypique enquête réalisé par le CREPUQ au Québec en 2003 [CREPUQ, 2003]. Cette étude québécoise, menée à partir de 3003 réponses validées, proposait 20 items organisés autour de cinq thèmes correspondant aux étapes du référentiel de compétences de l’ACRL1. Ses résultats ont ainsi permis d’identifier un certain nombre de lacunes imputables aux difficultés suivantes :

  • le repérage de l’information pertinente,

  • la perte de temps lors de l’exploration de mauvais types de documents et dans l’utilisation de certains outils de recherche,

  • la potentialité du plagiat par ignorance des règles d’éthique documentaire.

Recommandation

Si ce « prototype » mérite d'être considéré avec attention, c’est parce qu’il tend, depuis sa diffusion, à servir de modèle ou de matrice à d’autres enquêtes, produites [Poissenot, 2004 ; Aubert, 2005 ; EduDOC, 2008] ou à venir (6 autres pays de la communauté européenne), autorisant ainsi des comparaisons et l’établissement d’une base commune de réflexion.

Il peut donc être jugé intéressant, pour les projets à venir sur notre territoire, de se rapprocher de l’enquête du CREPUQ dans la double intention de l’améliorer au besoin et d’établir un socle commun d’objets et de réflexion2.

10 enquêtes sur les compétences documentaires des élèves

Nous livrons en annexe un premier recensement de 10 enquêtes scientifiques visant à mieux connaître les compétences documentaires des élèves du primaire au supérieur. La répartition, totalement déséquilibrée (7 enquêtes sur les 10 recensées concernent le supérieur), ne fait que suivre l’état actuel de la littérature, ainsi que le montre l'encadré récapitulatif suivant3 :

  • Cursus entier : TICI (2001-2005)

  • Primaire : HCIL (2008)

  • Secondaire: Aubert (2008)

  • Supérieur : Poissenot (2004) ; Candalot dit Casaurang (2005) ; CIPE-UB (2009) ; Six Degrés (2008) ; SCD Bretagne – URFIST Rennes (2008) ; EduDOC (2008) ; CREPUQ (2003)

Chaque enquête fait l’objet d’une fiche présentant les objectifs, l’échantillon et la composition du questionnaire d’une part, un récapitulatif des résultats d’autre part. Ces fiches n’ont d’autre but que de rassembler ces études afin de faciliter un éventuel travail de synthèse sur les difficultés des élèves, si tant est que cela soit déjà possible.

Projet d’enquête nationale

Consciente des enjeux scientifiques et professionnels que représente le repérage des difficultés que rencontrent les élèves du secondaire en matière de compétences et de connaissances info-documentaires, l’association professionnelle des professeurs-documentalistes de l’Education nationale (FADBEN) réunit à partir de mai 2009 un groupe de réflexion qui se donne pour objectif de concevoir un questionnaire de ce type. Après expérimentation sur le terrain et déclinaison en deux ou trois versions relatives aux différents niveaux à observer, ce questionnaire devra à terme permettre de récolter des données précises à l’échelle nationale. Il requerra par conséquent la participation des professeurs-documentalistes des collèges et des lycées.

Les acteurs de ce groupe de réflexion ont ainsi tout intérêt à bénéficier des expériences accumulées tant par le terrain que par les chercheurs de l’université.


  1. Association of College and Reseach Libraries (ACRL) 

  2. Le questionnaire en français se trouve en pp. 81-88 de l'enquête du CREPUQ

  3. Les références bibliographiques de ces enquêtes sont données dans l'annexe 1. 


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