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http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/tic-un-marche-convoite-par-les-fournisseurs-de-services-informatiques

TIC : un marché convoité par les fournisseurs de services informatiques

En informatisant les établissements scolaires, en faisant cadeau d’ordinateurs portables aux élèves, en finançant des opérations du type « cartable numérique », le rêve du savoir pour tous va bon train. Les fournisseurs de matériels et de logiciels seraient ils devenus des mécènes ? A dire vrai, le marché de l’éducation nationale est immense. Comment pénétrer ce marché, comment créer la demande, comment satisfaire la demande ainsi créée ? Nous montrons ici que les différents incidents qui jalonnent la sphère d’activité des professeurs documentalistes depuis quatre ans s’inscrivent dans une stratégie d’entrisme du monde de l’entreprise dans l’école, avec l’appui explicite des décideurs du système éducatif.

Introduction

Au cours des deux dernières années, de nombreuses péripéties ont marqué la vie des professeurs documentalistes

1) Le rapport sur la politique documentaire doc (bien qu’il date d’un peu plus de 2 ans)

2) La parution d’un protocole d’inspection dont les termes ont choqué toute une partie des professeurs documentalistes

3) Une modification instrumentale de l’épreuve de technique documentaire (dublin core, lom etc.) survenue entre les épreuves écrites et les épreuves orales au capes externe

4) L’évolution notable de la composition du jury du capes externe.

5) L’affaire des « non concernés » dans le référentiel du cahier de charges de la formation

6) La mise en place d’une commission e-doc .

7) La surprenante composition (4 enseignants seulement) de cette commission

8) Une réduction drastique du nombre de postes ouvert au concours (division par deux en cinq ans).

9) La désinvolture avec laquelle a été rédigé le sujet de dossier documentaire du capes externe en 2008 .

  • à commercialiser.

Si nous rapprochons ces phrases de la mise en place du livret de compétences, si nous regardons du coté de l’université de Madison, nous constatons que derrière ces propos, se profile tout doucement le modèle d’un chef d’établissement destiné à gérer son lycée ou son collège … comme un chef d’entreprise recrute, gère (et licencie !) son personnel. Même si la notion de bénéfice semble difficilement évaluable, même si les critères d’évaluation ne font pas l’unanimité, l’idée tenace que le secteur éducatif est un secteur économique comme les autres reste obstinément présente dans l’imaginaire de nos décideurs.

En considérant ces différents postulats, il est tentant de penser que notre ministre a missionné notre inspection afin qu’elle instrumente cette mutation progressive.

Et nous allons montrer que les dernières péripéties citées en introduction viennent s’emboîter parfaitement dans la stratégie destinée à introduire le courant de pensée entrepreneurial dans la gestion du système éducatif.

Une stratégie opportuniste : les profs docs par défaut !

Cependant, la volonté de gérer à la mode de l’entreprise se heurte à une réalité têtue : les TICE sont « faiblement utilisés » !

Depuis le défunt plan IPT (Informatique pour tous, 1984), les plans de formation, les plans de relance, les plans d’urgence et autre Charte ont mis l’accent sur l’importance des TIC dans le système éducatif.

Malgré des dotations importantes en matériel, accompagnées, il est vrai, d’une disparition progressive des personnels de maintenance rien n’y fait : le passage des TIC aux TICE ne se fait pas, les machines, insensibles à la pression des inspecteurs et des chefs d’établissement tombent obstinément en panne, avec des systèmes d’exploitations coûteux au détriment des solutions libres, et … les logiciels RIP se couvrent de poussière dans les armoires des CDI (6).

Malgré les discours incantatoires (et souvent pathétiques) de nos inspecteurs, toutes disciplines confondues, « le terrain » résiste. Les salles informatiques (pardon multimédia !) sont sous-exploitées, et les professeurs restent désespérément attachés à leur mode traditionnel d’enseignement. Même si certains, technophiles convaincus, continuent à passer de nombreuses heures, avec leur matériel personnel, sur leur temps familial à mettre en ligne des productions d’élèves, l’usage de l’ordinateur pour vaincre le conflit cognitif et pour surmonter les obstacles épistémologiques restent du domaine du t’chat pour adolescent utilisé à des fins de type peer to peer, plutot que pour une hypothétique synergie.

Il faut bien se rendre à l’évidence : « la mutualisation », « l’élève au cœur de ses apprentissages par l’usage de logiciels qui lui permettraient de travailler (et de progresser) à son rythme »… reste encore du domaine du désir (du délire ?) utopique.

Les sphères disciplinaires traditionnelles résistent, adossées à leur disciplines de références, à la didactique qui structure le travail, et qui, pour l’instant a bien du mal à intégrer l’outil informatique comme médium d’enseignement.

OR

Il existe précisément un secteur fragile car fragilement identitaire.

Il existe précisément un secteur ou la construction didactique est en cours d’élaboration.

Il existe un secteur où la confusion entre TIC et TICE va bon train.

Il existe un secteur d’enseignement (le seul) où l’usage raisonné des TICE fait partie du protocole de recrutement (j’excepte ici les enseignements techniques ou technologiques dans lesquels les TICE sont objet d’enseignement).

Ce secteur c’est … la zone d’activité du professeur documentaliste.

DONC, LA CIBLE EST TROUVEE !

C’est dans le secteur de l’information documentation que l’institution va faire porter son effort afin de réussir son introduction des TIC dans le Système éducatif français (SEF).

QUELLE STRATEGIE ?

En s’appuyant sur le raisonnement précédent, le problème devient donc :

Comment exploiter la faiblesse structurelle du corps des professeurs documentalistes ? (discipline de référence peu stabilisée, professeur documentaliste isolé, longue tradition d’utilisation des CDI comme espace transitionnel de réadaptation pour prof en difficulté)

La réponse à cette question se décline en plusieurs actions qui donnent un éclairage sur les dernières péripéties du monde des profs docs :

  • S’avancer masqué en tenant un double discours, en participant aux assemblées des professeurs documentaliste. Le SEF étant « traditionnellement » résistant aux changements, il ne faut surtout pas modifier frontalement les us et coutumes des enseignants. L’exemple de la modification des modalités des épreuves de l’oral de TD par une publication anecdotique sur le site de l’ESEN en est un superbe exemple (7).

  • Charger la barque du prof doc avec la rédaction du texte de politique documentaire qui a un double effet : augmenter considérablement sa charge de travail à la table, et donc, diminuer ses libertés d’interventions directes auprès des élèves, mais aussi, donner une dimension politique au prof doc qui, s’il n’y prend pas garde, se rapproche structurellement de la sphère vie scolaire par la nature même de l’écriture du projet de pol doc. Bien sur, il est de bon ton de préciser : le projet de pol doc s’écrit dans une large concertation… certes, mais qui organise cette concertation ? C’est précisément le prof doc qui, de facto, accède à un statut extrêmement ambigu. Je crois que la résistance à la rédaction du projet de pol doc relève d’une bonne lecture (et d’un refus justifié) de ce rôle que l’institution voudrait faire jouer à nos collègues.

  • Modifier à bas bruits le profil de poste : rédiger un rapport qui pose les bonnes questions mais… qui y répond par « politique documentaire » et « conseiller TICE du chef d’établissement », ne pas toucher à la circulaire de mission, mais promouvoir un protocole d’inspection qui de fait vide de sa substance les fonctions d’enseignement du prof doc.

  • Modifier à bas bruits les modalités de recrutement (modification des modalités d’une épreuve orale deux mois avant la session de juin, désinvolture (voire laisser faire) dans la conception des sujets).

  • Créer une commission fortement marquée « entreprise » pour présider aux destinées de l’introduction des TIC dans le SEF. (Commission e-educ). Et présenter cette commission comme une arme providentielle en réponse à l’immobilisme séculaire du corps enseignant qui décidément (scron gneu gneu) a du mal à évoluer!

  • Mettre en place le livret de compétences qui permet de préparer le terrain au “protocole de recrutement semblable à l’université de Madison” (8).

ALORS … QUE FAIRE ?

  1. Résister au quotidien, ne pas hésiter à répondre didactique de l’enseignement de l’information et de la documentation quand l’inspecteur ou le chef d’établissement ne parle que de gestion du CDI et politique documentaire.

  2. Poursuivre le travail de construction d’une discipline de référence, qui sera d’autant plus utile que les inspecteurs seront de plus en plus dépassés par les travaux de didactisation de l’information documentation.

  3. Alerter les medias sur les tentatives de destabilisation de la profession (proposition d’Ariane d’alerter le Canard enchaîné et Charlie hebdo) !

  4. Soutenir l’action de la FADBEN et participer au congrès le WE prochain pour faire entendre la voix des professeurs documentalistes. Pour ce qui me concerne, la question du choix des personnalités invitées cette année me pose problème et m’invite à une certaine… réserve.

  5. Dans les rapports de visite des PLC2 : valider les compétences « non concernées » du cahier des charges.

Et…merci à ma collègue Geneviève pour la relecture attentive de ce texte

Jean Michel Bazin

jean-michel.bazin@univ-reims.fr

NDR : Alain Savary

Notes :

(1) Cap2000 et enseignants-documentalistes@cru.fr

(2) Tableau Blanc Interactif permettant notamment de projeter un écran d’ordinateur sur un écran, et d’agir depuis le tableau directement.

(3) Liste enseignants-documentalistes@cru.fr

(4) http://www2.educnet.education.fr/educnet/sections/cdi/anim/interlocuteurs/reunions/reunion-2008/intervention-jl

(5) voir note 4

(6) même si l’état a refinancé leur achat récemment.

(7) Rappelons pour mémoire que en avril 2004, les candidats, les formateurs, et… les membres du jury ont appris, par une annonce sur le « site officiel du capes externe de documentation » que : la LOM, la DUBLIN CORE, et les ENT rentraient dans le programme de préparation de l’épreuve de Technique Documentaire.

(8) Université ou les étudiants alimentent tout au long de leurs études un blog personnel, qui est ensuite consulté par les chefs d’établissements. Cet ensemble de blog constitue un vivier dans lequel le directeur d’un établissement vient puiser lorsqu’il recherche un prof d’histoire femme, pratiquant le tir à l’arc.