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Gosselin Géraldine. Retour sur la politique documentaire « en milieu scolaire » (1). Entretien pour Les Trois couronnes. Avril 2011. http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/retour-sur-la-politique-documentaire-en-milieu-scolaire-1

Référence documentographique

Bailbe Audrey. Retour sur la politique documentaire en milieu scolaire (2). Entretien pour Les Trois couronnes, mai 2012.

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/retour-sur-la-politique-documentaire-en-milieu-scolaire-2

Retour sur la politique documentaire en milieu scolaire (2)

Douze ans après le lancement des politiques documentaires, et au moment où celles-ci trouvent leur aboutissement dans le concept de Learning centre, francisé en "Centre de connaissances et de culture", nous poursuivons notre série d’entretiens pour mieux connaître la réception de ce concept par les professeurs documentalistes et son impact sur leur identité professionnelle. Audrey Bailbe, professeur documentaliste dans un lycée polyvalent, a mis en œuvre une politique documentaire dès son arrivée il y a six ans. Elle nous dépeint le contexte de cette mise en place, les raisons de son choix et les leçons qu’elle en tire.

Les Trois couronnes : Quelle a été votre formation initiale ? Vous a-t-elle préparé à vous intéresser à la politique documentaire ?

Audrey Bailbe : J’ai un baccalauréat littéraire option anglais renforcé. Je suis titulaire d’une licence de lettres modernes, mention FLE (après avoir fait hypokhâgne/khâgne). J’ai ensuite passé le CAPES de documentation. Je n’ai découvert le concept de politique documentaire qu’au moment de la préparation au CAPES mais je ne considère absolument pas que ma formation initiale m’ait préparée à m’intéresser à ce concept.

Quelles ont été vos attentes lors de l’entrée dans le métier ? Aviez-vous des projets précis ?

J’étais attirée par les métiers du livre en général, de par ma formation littéraire. Mais sans idée précise de métier non plus, ayant suivi une formation très générale. Je pensais passer les concours de bibliothécaires, à l’origine, lorsque j’ai découvert l’existence du CAPES de documentation. Ce dernier me semblait réunir plusieurs aspects qui m’intéressaient : présence des livres et de la lecture, présence de l’écrit, mais aussi gestion et formation d’un public scolaire. J’ai dû me former aux TICE mais je ne pensais pas qu’elles prendraient autant de place dans les CDI et le métier. J’avais, je pense, une idée du lieu plus axée « bibliothèque », lorsque j’ai commencé. La tendance « learning center » me semble très éloignée de ce point de départ et je suis très curieuse de voir les évolutions des futurs CDI.

Qu'est-ce qui vous a poussé à mettre en place une politique documentaire dans votre établissement ?

Lorsque je suis arrivée sur mon poste actuel (la section d’enseignement général d’un lycée polyvalent où je suis depuis 6 ans maintenant), j’ai rejoint une collègue qui était au CDI depuis des années (environ 20 ans). Elle avait donc déjà mis en place un fonctionnement dans et hors du CDI, qui était largement adopté et institué par les équipes pédagogique, administrative et notamment par l’intendance. Ce fonctionnement reposait sur une place centrale dévolue au CDI : centralité des crédits (CDI et disciplinaires), des commandes, de la réception des commandes, de l’enregistrement des ressources et de leur diffusion. Tout passait par le CDI et les documentalistes, les ressources documentaires bien sûr, mais aussi les achats d’équipement pour le lycée (magnétophones, magnétoscopes, appareils photographiques, etc.), ainsi que leur gestion (signalement de matériel défectueux, et mise en réparation de ce dernier, par exemple) et celle des salles. L’ensemble constituait une gestion très lourde de beaucoup de ressources pour les documentalistes, gestion à laquelle les usagers étaient habitués, et qui rendait le rôle (et surtout la présence) du documentaliste presque « vital ». L’absence du documentaliste, ou la fermeture du CDI, constituaient alors un problème majeur pour le fonctionnement quotidien d’un certain nombre de personnes (élèves, professeurs, notamment).

Néanmoins, ce fonctionnement, cette centralisation, présentaient l’avantage d’une gestion extrêmement rigoureuse des ressources pédagogiques du CDI et de l’établissement. Un tableau des salles était fait et mis à jour chaque année, avec le matériel mis à disposition dedans. La liste d’un certain nombre de ressources (DVD, cassettes vidéo, séries de livres….) était mise à disposition dans un Bulletin de rentrée produit chaque rentrée par les documentalistes. Voici donc le contexte.

Comment vous y êtes-vous pris ? Quelles ont été les réactions de vos partenaires ?

Lorsque je suis arrivée, j’ai évoqué le concept de politique documentaire avec ma collègue, qui m’a répondu que nous le faisions déjà, mais que cela n’était simplement pas formalisé. On faisait de la politique documentaire, mais sans le savoir, ni le dire. J’ai jugé que, au niveau du volet « gestion », cela était vrai. Nous sommes donc tombées d’accord toutes les deux pour formaliser ce que nous faisions par écrit (ma collègue ne rédigeait pas de projet ni de bilan CDI à l’époque) en nous appuyant sur les textes fondateurs d’une politique documentaire, et pour le présenter ensuite au chef d’établissement en lui expliquant la finalité d’une politique documentaire, notre fonctionnement…

Pensez-vous avoir réussi ? Quel bilan en tirez-vous ?

J’ai le sentiment, comme ma collègue de l’époque, qu’en ce qui concerne le volet « gestion » de la politique documentaire de notre établissement, nous n’avons en effet fait que formaliser par écrit des actions existantes. Notre chef d’établissement nous a bien reçues et a paru contente de connaître l’existence de ce concept, et surtout, je pense, de ne pas avoir à s’en occuper. Nous lui avons donné une copie de notre texte, que nous réactualisons chaque année. Mais nous ne l’avons jamais fait passer au CA, ni communiqué à d’autres personnes. Ayant voulu le faire dans un premier temps, j’ai rencontré les réticences de ma collègue, qui m’a dit qu’elle avait peur que le CA et ses membres ne se mêlent trop de notre travail et du fonctionnement du CDI. Elle trouvait suffisant d’avoir formalisé le texte, de l’avoir présenté au chef d’établissement, mais jugeait dangereux de « mêler » d’autres personnes à cela. Il s’agit donc d’une politique documentaire où le documentaliste occupe une place centrale et unique, tant dans la conception, l’organisation et l’évaluation. Cela correspond bien aussi à la vision qu’avait ma collègue de son métier. Ajoutons à cela qu’il n’y a pas de réel projet d’établissement (le dernier remonte à des années de cela et n’a jamais été réactualisé), et que notre chef d’établissement (toujours là) ne m’a jamais reparlé de la politique documentaire à aucun moment. L’essentiel étant pour elle que tout fonctionne.

Maintenant, ma collègue est partie en retraite depuis trois ans, et j’ai un nouveau collègue (contractuel, stagiaire) tous les ans. J’ai gardé un fonctionnement central pour tout ce qui concerne les ressources documentaires de l’établissement, mais en revanche, je me suis délestée énormément de tout ce qui est « matériel pédagogique » tel que stock de magnétophones audio, calculatrices de maths, dictionnaires d’anglais en série, signalisation du matériel défectueux dans les salles, relais du matériel en panne à l’intendance, commande de piles pour télécommandes…. Après trois ans, je pense m’être débarrassée de beaucoup de choses stockées au CDI, que j’ai remises dans des salles et dont je n’assure plus la gestion : j’ai impliqué les professeurs et averti l’intendance de ces changements, lesquels n’ont pas manqué de susciter étonnement, déception, colère (notamment de l’intendante l’année dernière), puis acceptation de nouvelles habitudes. La gestion est donc moins lourde, et surtout j’ai l’impression de ne plus faire de tâches qui ne correspondent pas à mes missions.

Je continue d’actualiser notre document politique documentaire chaque année, en même temps que le bilan du CDI, mais je ne le diffuse pas au CA, j’ai toujours l’avertissement de ma collègue dans ma tête, je ne sais pourquoi. Je me dis parfois : « Mais ces gens savent-ils qu’ils font de la politique documentaire, et s’ils le savaient, que diraient-ils ? ». C’est une plaisanterie, bien sûr ! En tout cas, ce fonctionnement me convient, même si j’ai bien conscience de l’absence de collégialité dans cette politique documentaire. Il m’assure une certaine tranquillité puisque j’ai une relative liberté et que « tout roule ».

Quelle représentation du professeur documentaliste la politique documentaire construit-elle ?

Il faudrait penser d’abord la question à l’envers : quelle représentation a chaque professeur documentaliste de la politique documentaire ? Car je crois qu’il existe autant de politiques documentaires que de professeurs documentalistes, même si des textes de références existent. Tout dépend également tellement du contexte de l'établissement.

En revanche, je pense qu’il faut faire attention que le professeur documentaliste qui met en œuvre une politique documentaire au début, ne soit pas vu comme quelqu’un qui fait tout ! Je repense à ma collègue d’avant, qui faisait preuve d’une extrême rigueur, mais qui s’est chargée d’une gestion de plus en plus lourde, ce à quoi se sont habituées les équipes. Les rôles et leur répartition doivent être bien clairs dès le début, et je pense que le chef d’établissement a un rôle clé à jouer aussi dans la façon dont il présentera les choses. Attention à la dérive « super doc », de mon point de vue.

Que pensez-vous de l’articulation entre la pédagogie et la politique documentaire ? L’idée de placer le pédagogique en « volet » secondaire, plutôt qu’en axe central de votre mission, vous satisfait-elle ? Je n’ai jamais réussi à penser l’articulation des deux. J’ai l’impression que les gens qui ne connaissent pas le concept de politique documentaire voient avant tout le volet « gestion ». Le volet « pédagogique » leur paraissant secondaire à mon avis, car ils connaissent mal le rôle pédagogique que nous tenons au quotidien. Le PACIFI règlerait-il cette question, puisque l’éducation et la formation à l’information relèverait de la responsabilité de tous les professeurs. Pas sûr. Quoiqu’il en soit, il s’agit encore pour moi d’une juxtaposition, plus que d’une réelle réflexion sur l’articulation des deux. Et le fait que le pédagogique soit en deuxième est révélateur, en effet. Pour ma part, je remets dans ce volet les actions pédagogiques effectuées dans l’année, ce qui est peu intéressant à mon avis.

Quels sont les avantages et les inconvénients de la politique documentaire ? Ou ce qui la rend possible et ce qui la rend impossible ?

  • Avantages : une gestion rigoureuse des ressources au sein de l’établissement, moins de « gaspillage » peut-être ?
  • Inconvénients : un contrôle accru de ce qui se passe dans les établissements à mon avis (surtout de l’argent) et un risque de dérive « tout-gestionnaire » pour le documentaliste, si le volet « pédagogie » n’est pas assez mis en avant ni pris au sérieux.

Aujourd’hui, où en êtes-vous par rapport à ce concept ?

Ce concept me paraît un peu lointain, aujourd’hui. Il y a cinq-six ans très à la mode (quand j’ai passé le CAPES), et apparaissant aussi comme un critère d’inspection possible (disons les choses comme elles sont), je m’y intéressais beaucoup. Je vois maintenant que les chefs d’établissements ne le connaissent pour ainsi dire pas, et que personne ne demande de comptes là-dessus. J’ai l’impression d’en avoir tiré les bonnes choses pour mon fonctionnement (et le travail de ma collègue précédente a été précieux à ce titre). Mais je constate que ce concept est en passe d’être englouti par celui des Learning centers.

Votre « profil professionnel » a-t-il évolué depuis vos débuts dans le métier ?

Paradoxalement, je me suis éloignée de tout ce qui est promotion de la lecture. Je me suis adaptée et formée aux TICE, et j’ai vraiment conscience de l’urgence de former les élèves à une utilisation critique d’outils comme l’internet, par exemple, qu’ils utilisent sans discernement. Enfin, je suis très attentive au concept de Learning centre, qui me paraît être à surveiller de près pour l'avenir des professeurs documentalistes.

Selon vous, d’où vient ce concept et à quelles fins a-t-il été introduit dans le système éducatif ?

Je l'ai déjà dit : un contrôle accru de la gestion des moyens dans les établissements scolaires, avant tout !

Pour conclure par une ouverture sur l’avenir, quel regard portez-vous sur le projet de conversion du CDI en Learning centre ?

Je pense qu’il faut faire très attention à ce que l’institution met derrière ces termes, et donc à ses objectifs. S’agit-il d’un réel souci pédagogique pour les élèves, ou simplement d’un moyen de gestion de flux d’élèves, assorti de réductions économiques ? Je penche pour cette deuxième raison. J’ai également peur que cela ne vide nos missions de l’aspect pédagogique et ne nous transforme en super-gestionnaire ou pire, encore, en CPE-bis.


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