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http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/mission-pedagogique-versus-mission-marchande

Mission pédagogique versus mission marchande ?

Nul ne peut aujourd'hui nier les enjeux éducatifs liés au développement de la culture de l'information à l'école. Face à cet état de fait, que les professeurs documentalistes ont largement contribué à asseoir, les attaques sont durement ressenties par la profession qui voit, derrière la déconstruction programmée de son identité enseignante, des intérêts qui amplifient sa mission gestionnaire pour mieux la détourner vers des finalités non plus éducatives mais tout simplement marchandes ! Il devient dés lors urgent de décrypter cette mécanique afin de pouvoir l'enrayer. Il en va non seulement de la survie d'un corps enseignant mais avant tout de l'intérêt des élèves...

        Je voudrais tout d'abord remercier tout ceux qui se sont déjà exprimés sur ce blog et ailleurs pour dénoncer les initiatives qui tentent de mettre à mal notre identité enseignante.

        Et puis, un merci particulier à tout ceux qui ont contribué à la conception de la circulaire de missions de 1986, seul texte officiel à ce jour permettant de délimiter nos missions. Merci aussi à Isabelle Fructus pour la relecture commentée et lumineuse qu'elle en fait.

        Désormais le doute n'est plus permis : nous sommes bien concernés par TOUTES les compétences indispensables à tout enseignant, y compris les plus fondatrices, à savoir : concevoir et mettre en oeuvre son enseignement ; organiser le travail de la classe ; évaluer les élèves.

        Dès 1986 une mission pédagogique nous est confiée, elle sera confirmée en 1989 par la création d'un CAPES spécifique assurant le recrutement d'un personnel qualifié et spécialisé en « Sciences de l'information et de la documentation ».

        Cette mission pédagogique, portant dans un premier temps sur la « recherche documentaire », s'est, en lien avec l'évolution de notre société, inévitablement élargie à la maîtrise et à la culture de l'information.

        Mission pédagogique que la profession a toujours honorée et portée à bout de bras alors même, qu'en dehors des sept compétences brièvement listées dans la circulaire, aucun support de formation, aucun outil pédagogique, et encore moins didactique, ne lui a été fourni.

        Ce sont les professeurs documentalistes eux-mêmes qui se sont dotés (et ils continuent à le faire !) de ces outils indispensables à la mise en oeuvre des apprentissages, les adaptant et les faisant évoluer au fil du temps et de la réflexion professionnelle en cours, faisant émerger les connaissances et les savoirs à maîtriser pour rendre ces compétences opérationnelles, imaginant des progressions et des scénario pédagogiques possibles.

        De cette intense et fructueuse réflexion est née ce qu'il est désormais convenu d'appeler la pédagogie documentaire. Une pédagogie originale et spécifique, dans la mouvance de l'école nouvelle, un temps considérée comme pionnière et pilier fondateur de la rénovation pédagogique de l'école !

        Une pédagogie active basée sur une approche par les compétences et le travail en interdisciplinarité. Une pédagogie d'avant garde basée sur une conception innovante de la posture d'enseignement, de la relation à l'élève et aux savoirs (info-documentaires aussi bien qu'issus des autres disciplines), ainsi que de la conception même de ce que peut être un domaine disciplinaire à la fois spécifique et en perpétuelle synergie avec les autres disciplines.

 

        Alors que la didactique de l'information, prenant appui sur les travaux de l'ERTé « Culture informationnelle et curriculum documentaire », commence à acquérir des bases scientifiques solides permettant à terme la mise en place d'un enseignement raisonné visant à développer la culture de l'information à l'école, voilà que l'on voudrait en déposséder les professeurs documentalistes qui par leurs travaux et leurs initiatives, tant associatifs (FADBEN, ANDEP) que professionnels et personnels, en ont posé les fondements !

        Alors que le Socle commun de connaissances et de compétences intègre la culture de l'information aux objectifs d'apprentissages fondamentaux, on voudrait en écarter les seuls professeurs dont c'est le domaine de connaissances et de compétences privilégié ! Les plus habitués de même à pratiquer au quotidien cette approche pédagogique impulsée par l'esprit du socle et qui nécessite le recours à la pédagogie active (par projet ou situation problème), ainsi qu'à l'interdisciplinarité.

        Qui plus est pour les cantonner dans un rôle de gestionnaire de système d'information et de fournisseurs de ressources numériques dont ils auraient pour mission d'accroître le « marché » dans une optique quelque peu marchande de l'information !

        Faudra-t-il qu'ils se contentent de faire des élèves de simples consommateurs de denrées numériques et informationnelles, laissant à d'autres le soin de former les esprits ?

        C'est là une dérive que nous ne saurions accepter !

        Quelle logique se cache derrière cette volonté ? Il y a bien sûr les sempiternelles considérations budgétaires qui poussent à dire que la mise en avant et la valorisation, par l'octroi de contenus d'enseignement spécifiques, de la mission pédagogique des enseignants documentalistes, nécessiterait une augmentation du nombre de postes ouverts en documentation, alors que, nous ne le savons que trop, la tendance actuelle est à la baisse drastique ! Argument lui-même contestable dans la mesure où une réflexion reste à mener concernant les conditions de mise en oeuvre de cet enseignement.

        L'autre piste, déjà évoquée plus haut, semble plus inquiétante. Elle se profile dans les propos tenus lors de la journée des IANTE,  je cite : « le Ministre vient de prendre une nouvelle initiative pour développement des technologies de l'information et de la communication pour l'Enseignement (TICE) en confiant une mission d’étude à monsieur Jean Mounet, président de Syntec informatique. »

        Il suffit de se renseigner sur M. Jean Mounet et sur les membres désignés pour faire partie de la commission E-éduc (2) dont il est ici question, pour comprendre la portée de ces propos et constater que nous sommes ici considérés comme des relais commerciaux, bien placés au cœur de chaque établissement, pour donner un nouvel essor au « marché » des ressources numériques !

        N'y a-t-il pas là confusion des genres ? Voire même dévoiement des finalités du système éducatif (Développer la personnalité, instruire, éduquer, favoriser l'intégration sociale et professionnelle) portées par la loi d'orientation de l'école et qui se retrouvent, en toute logique, dans les missions confiées à tous les professeurs par la circulaire de 1997 ?

        Mais il est vrai qu'une fois délestés de notre mission pédagogique, nous ne serons plus vraiment « concernés » par ces missions et par les valeurs qu'elles défendent encore !

        Au fil des réformes actuelles, et au-delà du cas des professeurs documentalistes, nous sommes en droit de nous inquiéter sur le devenir des finalités et des valeurs de l'école. Jusqu'à quel point sera-t-elle soumise aux lois du marché et de la rentabilité ?

        Revenons tout de même à nos missions, celles encore portées par notre bonne vieille circulaire de 1986. Elles sont certes marquées par un double mandat, pédagogique et gestionnaire, le premier intégrant, en plus de la formation documentaire, les dimensions de promotion de la lecture et d'ouverture culturelle. Ces deux mandats, ainsi que les diverses déclinaisons ici mentionnées du versant pédagogique, marquent souvent la ligne de partage entre différentes tendances, différents « styles » dans la profession, mais je ne crois pas mentir en disant que nous restons majoritairement attachés à notre rôle et à notre statut d'enseignant.

        Le référentiel métier (3) publié par la FADBEN tente de mettre en cohérence ces différents pôles en les plaçant sous l'éclairage de la finalité première qui ne peut être que le développement de la culture de l'information au sein de l'école. Toute autre perspective saurait-elle être avouable sans risque de perversion ? Pourquoi mettre en place un « système d'information » dans un établissement scolaire ? A des fins éducatives et pour une exploitation pédagogique, où à des fins marchandes ?

        Si on s'en tient aux derniers propos de notre inspection, la réponse n'est plus si évidente !

 

(1) Françoise Chapron, dans un article qui sera publié dans le prochain n° de la revue Médiadoc, retrace l'historique de cette circulaire activement impulsée et négociée par la FADBEN dans la perspective de la création du CAPES de documentation.

(2) Voir : Gatines Patrick. « La commission E-éduc : l'Education Nationale marginalisée par son Ministre ». Collectif pour un usage performant des TICE dans l'académie de Toulouse [en ligne]. http://www.tice-toulouse.org/spip.php?article21

(3) FADBEN. « Référentiel métier ». Médiadoc, mars 2006