La politique documentaire transforme-t-elle les CDI en bibliothèques scolaires ?

« You have to move ». Cliché : Laclauz

Une idée fait tranquillement son chemin selon laquelle bibliothèque et CDI sont des lieux aux missions équivalentes. Il y a quelques mois, un colloque (Mediadix, 13-11-2007) n'a-t-il pas exploité cette évidence supposée des similitudes existant entre le bibliothécaire et le "documentaliste en milieu scolaire" afin de travailler à leur nécessaire rapprochement ? De son coté, notre inspection générale ne manque pas une occasion pour appeler à cette fusion, confortant une représentation réduisant le CDI à une simple bibliothèque scolaire, fût-elle une "bibliothèque scolaire 2.0". Nous savons bien quel serait le prix à payer pour cette assimilation, aussi bien du point de vue éducatif (maintien des formations techniques aléatoires destinées aux usagers) que professionnel (fin du processus de professionnalisation enseignante). Dernièrement, sur la liste E-doc, Un collègue de bonne foi en appelait à la politique documentaire pour exemple de ce rapprochement et de ses bienfaits, soulignant qu’elle a au moins le mérite de signaler notre mission à tout l’établissement. Occasion pour reparler du cheval de Troie…

Cet argument est présent dans le Rapport de 2004 sur les politiques documentaires : pour pallier le déficit de reconnaissance dont souffre la profession des « documentalistes », il n'est qu'à délester ces derniers de la charge pédagogique qu'il faudrait alors répartir sur l'ensemble des professeurs de disciplines. Les « documentalistes » pourront ainsi davantage se centrer sur une expertise strictement documentaire, ce qui ne manquerait pas de clarifier leur image « vie scolaire » et de les valoriser aux yeux de la communauté. Cette stratégie s’accompagne en un premier temps d’une modification des missions (cf le Protocole d’inspection, 2007) et en un second temps, pourquoi pas ? d’un changement de statut. Cette tactique est embarquée dans le concept de politique documentaire qui, tout en valorisant une expertise managériale par voie de transposition des impératifs particuliers du monde de la bibliothèque dans le milieu scolaire, élude in fine l'expertise enseignante du responsable du CDI.

Nous n'avons pas fini d'interroger et d'observer cette greffe pour savoir si elle prend ou pas... Toujours est-il qu’il est important d’interroger cet outil qu’on nous demande de nous approprier dorénavant, ne serait-ce que pour savoir s’il ne nous conduit pas vers un autre achèvement que celui que notre profession avait dessiné.

N'oublions pas que, d'après ses concepteurs, la politique documentaire vise principalement à obtenir la meilleure adéquation possible entre le fonds de ressources, les services proposés au public usager d'une part, et les besoins de celui-ci d'autre part. La politique documentaire, en tant que processus de régulation des bibliothèques, permet à ses personnels de formaliser un projet et de le présenter à sa tutelle. A charge pour celle-ci de le valider ou non et de décider du contrôle qu’elle veut y exercer au travers des subsides qu’elle octroie ou non au projet en fonction de l’utilité reconnue de la bibliothèque vis-à-vis des publics concernés.

Dans les établissements scolaires du second degré, avant la politique documentaire, il existait, et il existe encore, des "projets de CDI" (développement des fonds, des structures et des matériels) et des "projets pédagogiques de l'enseignant documentaliste" (organisation et contenus des apprentissages). Annualisés ou pas, ils sont souvent inscrits dans le projet d’établissement et font ainsi l'objet d'une validation au CA. Ces projets pédagogiques sont d'une manière générale centrés sur les élèves et l’acquisition des savoirs info-documentaires. L'axe est par conséquent spécifiquement pédagogique ; il oriente autour de lui toutes les autres décisions liées à la gestion, aux acquisitions, aux accès, à l’ouverture et à l'accueil. Le souci premier demeure l'apprentissage de nos élèves dans le cadre de l'obligation scolaire et des missions d'éducation de l'école.

La politique documentaire, comme en bibliothéconomie d'où elle est effectivement issue, est centrée quant à elle sur la satisfaction d'un public (dans le contexte scolaire : usagers élèves ET professeurs) dans le but notamment de justifier l'emploi des crédits auprès de la tutelle (lire les ouvrages de Calenge, 1999, de Giappiconi et Carbone, 1997, auteurs et promoteurs du concept). Introduit dans les bibliothèques publiques dans les années 90 (mais initiés dans les SCD des universités depuis 1985), on peut dire que le concept de politique documentaire a devancé la LOLF !

Il faut également considérer la visée évaluative de ces deux modalités bien distinctes. L'institution bibliothèque, si elle a vocation à former ses usagers volontaires (tant bien que mal d’ailleurs), n'a pas à leur fournir une attestation de compétences et de connaissances lorsqu'ils entrent ou réintègrent le monde professionnel. L'institution scolaire, quant à elle, se doit de remplir ces eux missions, d’enseignement ET d’évaluation. L’évaluation attestative ponctue et clôt la période des apprentissages par la certification des connaissances acquises. L'enjeu statutaire du professeur documentaliste se situe dès lors à ce point précis : participe-t-il à cette évaluation attestative (Brevet des collèges, Bac via les TPE...) pour faire valoir la nécessité d'acquis - réellement acquis - à l'école en matière d'information, ou n'y participe-t-il pas ? L'évaluation, n’en doutons pas, et ne l’éludons pas, reste bien la clé de notre avenir professionnel. Encore faut-il savoir quoi évaluer et comment l'évaluer, ce qui est l’un des objets d’étude de la didactique de l’information.

D'où l'intérêt qu’il faut porter à la suppression récente des compétences pédagogiques professionnelles (janvier 2008 rappelons-le. Voir billet du 13 mars) à partir de l'année de titularisation des enseignants documentalistes (PLC2). Si cette préconisation de l'IGEN entre effectivement en application (en préfiguration des mastérisations professionnelles annoncées), alors oui, nous ne sommes plus enseignants que de statut – et pour combien de temps ? - mais exerçons bien des fonctions de documentalistes bibliothécaires.

Echec et mat ?

Cliché : Laclauz. « You have to move »

http://www.flickr.com/photos/laclauz/2158773506/