L’aporie documentaire
Depuis longtemps déjà, notre fonction de professeur-documentaliste et le CDI, notre lieu de travail, sont victimes de visions approximatives, de flottements terminologiques et de flous conceptuels. Depuis quelque temps, alors même que les travaux de la FADBEN en termes de notions info-documentaires et de définition du métier lèvent ces ambiguïtés, des propos d’institutionnels de l’Education Nationale, de politiques ainsi que des programmes scolaires ou des rapports ministériels apportent la preuve que la route de la reconnaissance pédagogique est encore longue. A l’heure où chacun reconnaît l’impérieuse nécessité d’y voir clair dans l’océan informationnel, le repérage des compétences info-documentaires peine à voir le jour et l’identification des acteurs de cet enseignement par la communauté éducative et a fortiori à l’extérieur du système éducatif fait encore cruellement défaut.
Le CDI est devenu un lieu où divers statuts, différents enseignants aux disciplines variées, des collègues en attente de postes et d’autres en sous-service viennent prêter main forte aux professeurs-documentalistes, souvent sans que ces derniers en aient fait la demande, parfois même sans qu’on leur ait demandé leur avis. Ces affectations « sauvages » contribuent à véhiculer des représentations erronées et une méconnaissance de notre fonction. Il faudrait cesser de considérer le lieu à haute valeur pédagogique qu’est le CDI comme le lieu d’accueil de tous ceux qui, faute de structures adaptées, se retrouvent en difficulté dans l’exercice de leurs fonctions face aux élèves.
Ils sont nombreux à ignorer ou refuser de voir la réalité du travail des professeurs documentalistes, c’est bien ce que nous ressentons lorsqu’un collègue est affecté souvent contre son gré au CDI. Nous devons un temps de présence de 30 heures dans l’établissement auquel doivent s’ajouter 6 heures (mais nous explosons de très loin le quota) pour diverses démarches à l’extérieur (librairies, bibliothèques, lieux culturels), préparation et évaluation des séances car nous sommes professeurs, titulaire d’un Capes et experts en information-documentation.
Un endroit facile, le CDI lisait-on récemment dans un article de Libération (21 mai 2008) où pourraient « finir » des collègues en fin de carrière (1). C’est une vue de l’esprit : pour le profdoc en tout cas, le CDI est tout sauf facile. Il faut y être multitâche (accueil, prêt, gestion des commandes, équipement des livres, indexation des documents, séances pédagogiques, gestion de projets…), avoir le don d’ubiquité, une connaissance des équipes pédagogiques et des différents **acteurs de l’établissement, maîtriser les nouvelles technologies et leur évolution, exercer une veille sur les disciplines, les programmes, les événements culturels, la presse, et j’en passe…
Le lieu sera d’autant moins facile qu’à diplôme égal (Capes), on se retrouve parfois avec des disparités dans le nombre d’heures à effectuer : certains n’auront à effectuer que 18 heures là où le responsable et expert du centre aura un service de 30 heures.
Affecter au CDI des collègues en difficulté les condamne à une double peine. Celle que constitue l’humiliation de ne plus faire ce pour quoi ils ont été formés et celle de se sentir incompétent dans une nouvelle fonction dévolue à des spécialistes et qui ne peut en aucun cas s’improviser.
Quant à nous, professeurs-documentalistes, nous revendiquons haut et fort notre mission pédagogique et notre expertise info-documentaire. Il est temps de cesser de croire que n’importe qui peut faire fonction de professeur documentaliste et que le « centre de documentation et d’information » est selon les cas, l’antichambre du centre de soins, le réceptacle de l’enseignant en sous-service ou le déversoir du trop-plein de la permanence. C’est un lieu chargé de sens, d’organisation et d’ouverture (dans tous les sens du terme) irrigué par une Pédagogie nécessairement différenciée. Préservons pour le sauver ce patrimoine pluriel et sa plus-value pédagogique, sauvons notre mission pédagogique, celle qui prévaut toujours depuis plus de 20 ans et dont une circulaire obsolète demeure paradoxalement le garant (2).
Notes :
(1) Ma réponse immédiate en forme de « coup de gueule » envoyée à Libé mais jamais publiée a été déposée sur le blog de Savoirscdi. : « Mourir à Madrid » ou « Finir au CDI », that is the question… Elle n’est qu’un cri de rage et de désespoir de voir depuis si longtemps notre profession systématiquement dévalorisée. Elle ne vise surtout pas les collègues de discipline qui se débattent également contre une dégradation de leurs conditions de travail. Cette contribution en reprend quelques éléments.
(2) Contrairement au protocole d’inspection, le premier point de la circulaire de 1986 est : « Le documentaliste-bibliothécaire assure, dans le centre dont il a la responsabilité, une initiation et une formation des élèves à la recherche documentaire »