(Re)prendre en main notre devenir

A connaître et à suivre sur Formdoc, le site de l’IUFM de Rouen, la page "Apprentissages info-documentaires et didactique" dans la rubrique Formation des PLC2. Agnès Montaigne et Françoise Chapron y publient un article présentant « le chantier de la didactique info-documentaire dans le camp des professeurs documentalistes ». Entre bilan provisoire des avancées de la didactique de l’info-documentation et prospective annonçant des travaux à venir, cet article présente l’intérêt de renvoyer la profession à ses responsabilités. Celle-ci ne devra la confirmation de sa mission pédagogique que de sa capacité à didactiser des contenus d’enseignement. Notes et commentaires sur un article bien venu.

Notice de l'article :

 

    Si ces dernières années, la profession a pris conscience que la complexité des activités de recherche documentaire, notamment en ligne, ne pouvait être appréhendée par les élèves à partir de la simple approche procédurale, il importe a contrario de ne pas restreindre pour autant l’action didactique à la seule considération des contenus théoriques. La réflexion didactique, d’ailleurs, ne se limite pas, loin s’en faut, à l’élaboration de savoirs déclaratifs qu’il suffirait de transmettre tels quels aux élèves. En plus, et en parallèle de l’élucidation des contenus à enseigner, il reste à penser les stratégies à mettre en place et les obstacles à prendre en compte.

    En tant que discipline dont la vocation est d’offrir un regard original et particulier sur l’objet monde, l’Information-documentation peut être décrite à partir de sa « matrice » structurelle : en l’occurrence, les trois concepts intégrateurs du cycle de l’information qui sont la construction de l’information, le traitement de l’information et les usages de l’information. Les notions à identifier et à construire par les élèves se rencontrent à l’intersection de ces trois métaconcepts. Elles doivent être déclinées en progressions pour tenir compte de l’ensemble des temporalités curriculaires (enseignements primaire, secondaire et supérieur).

    Les stratégies à mettre en place s’appuient sur le postulat d’un apprentissage de l’abstraction, au cours duquel l’élève en vient progressivement à formaliser et à verbaliser des notions à partir d’expériences documentaires. Ces expériences doivent être soigneusement mises en scène par le professeur au travers d’activités conçues sur le mode des situations-problèmes. La démarche, balisée par les didactiques des sciences, doit ainsi permettre à l’élève de se confronter à un obstacle qui va l’obliger à ouvrir un questionnement, de proposer ensuite des hypothèses de résolution qu’il lui faudra valider, pour enfin structurer ses acquis au moyen d’un travail de verbalisation.

    Les obstacles à prendre en compte sont ceux qui privent l’élève de l’accès à une nouvelle connaissance. La référence à Bachelard permet de poser que la nature de ce type d’obstacle est épistémologique, i.e. liée à un certain rapport au savoir : il s’agit d’une représentation issue du sens commun et qu’il importe de « détruire » en préalable à la construction d’un nouveau savoir. La posture de l’enseignant consiste dès lors à tenter d’ébranler, par le doute, des certitudes qui entravent toute avancée cognitive.

    En conclusion est réaffirmé le rôle unique que peut jouer le professeur documentaliste dans cette nécessaire éducation des élèves, dans la mesure où il se trouve être le seul professionnel de l’information dans l’équipe pédagogique.

 

Annotations :

 

    Depuis plusieurs années, les équipes des IUFM de Rouen et de Caen avancent sur des bases et des convictions communes aux recherches que nous poursuivons dans l’académie de Nantes. Je suis donc heureux de constater qu’une fois de plus, nos objets de réflexion se trouvent si proches qu’un véritable dialogue est possible. Plutôt que de passer en revue tous les points d’accord, il me semble plus productif de prolonger ici la réflexion que suscite ce texte en partageant les quelques réactions suivantes.

 

Approche top-down

 

    Le développement de l’article en trois parties se réfère sans le nommer explicitement aux trois perspectives contenues dans le triangle didactique. La première partie du texte s’en tient à l’axe épistémologique (relation Savoir – Professeur), lequel s’intéresse à l’origine des savoirs convoqués, aux finalités et aux procédures qui ont conduit à leur élaboration et à leur sélection, à la transposition didactique, enfin, qui transforme ces savoirs de référence en savoirs à enseigner (prescris par l’institution), en savoirs effectivement enseignés (en classe) et en savoirs réellement appris (par les élèves). La question posée ici reprend la première de ces préoccupations, relative à la manière dont il faudrait s’y prendre pour repérer et identifier les concepts à partir desquels forger les savoirs scolaires. Parmi plusieurs types de réponses possibles (l’entrée par les savoirs scientifiques, l’entrée par les savoirs pratiques, ou encore l’entrée par les problématiques), les auteurs font ici le choix d’une entrée inspirée par une conception a priori du domaine conceptuel : l’entrée par les concepts intégrateurs. Bien que ceux-ci réfèrent à des processus concrets, plutôt issus d’une discipline technique que d’une discipline scientifique, ce choix me semble privilégier une transposition didactique descendante (top-down) plutôt qu’ascendante (bottom-up), dans la mesure où la matrice est définie en amont et qu’elle s’inspire explicitement d’une théorie, en l’occurrence le cycle de l’information tel que le présente Yves Le Coadic. Le groupe de travail de Nantes, quant à lui, se propose de réfléchir cette année sur une approche plutôt problématisante, faisant le pari que les concepts recherchés pourraient émerger en tant que réponses scolaires possibles à des problématiques informationnelles à proposer à des élèves du secondaire. On objectera que la question du problème est pourtant traitée, et bien explicitée, par les auteurs dans la deuxième partie de leur texte. Il n’en reste pas moins qu’elle est convoquée en tant que méthode pour l’appropriation didactique des savoirs, et non pas dans le propos de faire émerger ces savoirs.

    Transposant sur le triangle didactique, je dirais que la problématisation est ici retreinte à l’axe « pédagogique » (celui des interactions Professeur - Elève) qui figure la base du triangle, alors que nous souhaiterions pour notre part la mobiliser également sur l’axe épistémologique (reliant les pôles Savoir scolaire – Professeur). Si l’on veut bien prendre au mot le projet didactique, qui est de penser le domaine conceptuel dans un seul mouvement systémique, il apparaît comme improductif de penser celle-ci de manière cloisonnée, avec d’un côté la production du savoir, d’une autre son appropriation par l’élève et d’un troisième sa mise en acte par l’activité. La même approche, ici l’entrée par le problème, devrait ainsi être utilisée pour l’ensemble des trois perspectives. Cela signifie également que la construction des situations (dont celles mobilisant les situations-problèmes) ne saurait être rejetée sur une seule des trois composantes de la situation didactique mais qu’elle pourrait être recherchée dans leur convergence, i.e. dans leur interrelation .

 

    Quid de la dimension « pédagogique » dans la recherche en didactique ?

 

    Il est à remarquer que si un consensus relativement stable se fait parmi les didacticiens des disciplines autour de la définition des axes 1 (élaboration didactique) et 2 (appropriation didactique) du triangle didactique, ce n’est pas toujours le cas pour l’axe 3 (interactions didactiques), où la limitation du champ reste floue. Il me semble par conséquent nécessaire, pour établir des bases communes à nos échanges, de commencer par clarifier ce champ qui est celui de l’expression la plus concrète du mandat pédagogique. Ce pourrait d’ailleurs être l’objet d’un échange. Pour mémoire, et pour commencer à alimenter ce débat, rappelons que Gérard Langlade (didactique du français) présente le « registre des pratiques du professeur » comme comprenant l’organisation du temps, la définition des objectifs, l’articulation des contenus et la conception de l’évaluation . Pour Yves Chevallard, il faut situer là des tâches composées, articulant théories et techniques, qui sont orientées vers l’action et la recherche d’efficacité . Cependant, les concepts didactiques que fournit l’équipe dirigée par Jean-Pierre Astolfi au registre des interactions se limitent à la coutume didactique et à l’aide didactique, excluant la référence à la situation-problème . Quant à Yves Reuter et al., c’est un axe qui ne relève pas de la didactique au motif que de cette relation duelle entre l’enseignant et l’élève est exclu le pôle des contenus ! La littérature didactique montre assez combien la base du triangle est le côté le plus fragile et le moins assuré, et qu’elle constitue cette zone instable où se cristallisent les tensions entre pédagogie et didactique. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la proposition de Agnès Montaigne et de Françoise Chapron, pour lesquelles cette dimension apparaît nettement comme étant dévolue à l’action pédagogique relevant de l’expertise et de la responsabilité de l’enseignant. Pour ma part, même si je préfère donner au processus de la situation-problème un statut d’outil permettant de travailler en interaction les trois axes du triangle, je rejoins le point de ces auteurs sur la question de la projection dans la situation didactique de la responsabilité pédagogique de l’enseignant. S’agissant du professeur documentaliste particulièrement, je m’intéresse à la question de savoir comment la réintégration de l’héritage pédagogique du mouvement de l’Education nouvelle pourrait enrichir cette dimension et participer à sa consolidation.

 

« On ne peut rien fonder sur l’opinion, il faut la détruire »

 

    Si la référence à l’idée d’obstacle épistémologique empruntée à Gaston Bachelard est dynamisante pour penser une didactique de l’action en Information-documentation à l’écart des chemins honnis de la pédagogie transmissive dite « traditionnelle », il me semble qu’il faut aussi se garder de l’idée reçue selon laquelle l’élève serait une « table rase ». Depuis Bachelard en effet, les didactiques des sciences, notamment, ont reconnu d’une part qu’une représentation ne pouvait être ainsi « détruite » aussi simplement, et que, d’autre part, c’était l’interaction produite entre deux représentations produisant un conflit qui était à l’origine d’un déplacement de la représentation erronée. En fait, apprendre n’est pas remplacer une représentation par une vérité, mais revient plutôt à transformer progressivement des représentations en place, vers davantage de vérité. A un lexique quelque peu guerrier (« détruire, vaincre, se libérer »), mais mobilisateur !, il faudrait en substituer un autre plus emprunt de ce doute et de ces accommodations souhaitées (« faire évoluer, questionner, se distancier »). Cela dit, et qui fait certainement écho à ce que nos auteurs n’ont sans doute pas souhaité développer ici, je ne peux que rejoindre cette démarche consistant à circonscrire un problème à partir de l’analyse d’un obstacle épistémologique. J’ai pour ma part commencé à constituer un corpus à partir d’énoncés langagiers d’élèves de classes de 6ème, et dont l’analyse devrait permettre de repérer différents types d’obstacles, linguistiques (liés à la manipulation de la langue), épistémologiques (liés à l’origine de la conception) ou cognitifs (liés aux relations logiques). Il faudrait pouvoir mettre en ligne tous ces corpus, dépouillés ou non, afin qu’ils servent à constituer un inventaire des résistances à la construction des notions info-documentaires.

 

La ligne de partage des rôles entre enseignants documentalistes et enseignants de discipline

 

    Je souscris également à la revendication de la responsabilité pédagogique du professeur documentaliste dans les termes proposés dans cet article. Seulement, je remarque que cette revendication se heurte souvent sur le terrain à un mur d’incompréhension, et pour des raisons variées dont les plus fortes relèvent d’une part, des représentations erronées des collègues de discipline sur les attributions pédagogiques de l’enseignant documentaliste, et d’autre part, de la difficulté de ces derniers à les lever et à désigner clairement jusqu’où peut aller leur domaine de compétence dans l’évaluation (formative et sommative) des activités documentaires des élèves. Aussi, dans le quotidien des CDI, le partage des rôles (voire des tâches) se réalise souvent en suivant l’axe méthodologie / contenus, ces derniers étant réservés aux disciplines.

 

    Une réflexion reste donc à développer sur les expertises complémentaires des acteurs de la situation didactique, dès lors que celle-ci met en scène une activité documentaire, et où interagissent par conséquent l’élève, l’enseignant, l’information et le savoir. La situation didactique est alors le lieu de la médiation informationnelle, où documentaliste, enseignant documentaliste (n’oublions pas la partition des mandats qui caractérise notre profession) et enseignant disciplinaire coopèrent. Cette distinction des aires de compétences ne peut cependant pas être identifiée tant que l’objet de référence, qui est l’information, n’est pas suffisamment éclairci. Il convient, dès lors, de procéder à une analyse minutieuse de ce qu’est l’information. Il faudrait pouvoir projeter le statut épistémologique du concept d’information sur l’écran de la situation didactique pour voir apparaître des distinctions opératoires entre « données informationnelles », « information documentaire », « connaissance (de l’élève) » et « savoir de référence (de la discipline). Cette diffraction permettrait de mieux repérer l’extension du rôle pédagogique du professeur documentaliste.

 

    « Le camp des professeurs documentalistes »

 

    Joli titre, enfin, qui pose l’enjeu identitaire de notre profession comme suspendu à la capacité de celle-ci à construire et à légitimer une didactique spécifique de l’Information-documentation. Les auteurs pointent ce faisant la nécessité qui apparaît de faire état d’une expertise de « professionnels de l’information ». Cette revendication, dont l’objet ne saurait être contesté, permet à la profession d’avancer doublement. La première avancée se fait sur le plan didactique de la construction des savoirs à enseigner : les didactiques s’originent en effet sur un terreau disciplinaire spécifique ; leur sceau est celui de leur territoire. Il appartient donc aux acteurs de l’Information-documentation scolaire de se pourvoir des moyens conférant une légitimité à ces contenus. La seconde avancée se produit au plan statutaire : si les contenus appartiennent en propre à un champ spécifié, il est naturel que les certifiés d’enseignement de ce champ s’en emparent et en assurent la transmission auprès des élèves. Désigner « le camp des professeurs documentalistes », c’est non seulement tracer un périmètre autour de savoirs de références particuliers, mais c’est également renvoyer à une responsabilité pédagogique. Là encore, l’ignorance du statut de l’information empêche les uns et les autres de progresser. Si l’institution incite les enseignants de discipline à former les élèves à l’information (voire à la culture de l’information !) au motif qu’ils sont, comme le font remarquer nos auteurs, « des usagers d’information par définition », c’est parce qu’elle ne semble pas saisir la distinction épistémologique qu’il y a entre l’information documentaire d’une part, et l’information professée en cours d’autre part.