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Professeur-documentaliste : un « risque » pour le système éducatif ?

CLG Beaussire. Luçon (85)

Le nouveau système d'évaluation des professeurs-documentalistes stagiaires conduit à supprimer la pédagogie de leurs pratiques. Accepter cette orientation, c'est remettre en cause la formation des élèves aux pratiques info-documentaires, formation essentielle à chaque citoyen de demain.

Nous souhaitons, en tant que professeurs-documentalistes titulaires d’un CAPES de documentation, réagir à la proposition de supprimer de l’évaluation des professeurs-documentalistes stagiaires les compétences C4 « Organiser le travail en classe », C5 « Evaluer les élèves » et C7 « Concevoir et mettre en œuvre son enseignement » à dominante pédagogique (cahier des charges de la formation des maîtres en IUFM) et aux propos de l’Inspection générale qualifiant ces « trois points inadaptés à la profession de documentaliste » (Réunion des interlocuteurs académiques de documentation, Paris, les 28 et 29 janvier 2008).

Ainsi, notre rôle pédagogique se limiterait à de « l’aide » et nos compétences ne seraient que « relationnelles » (Rapport de l’IGEN de mars 2007) ! Au-delà de cette « aide », notre tâche serait donc essentiellement celle d’un gestionnaire et d’un concepteur de politique documentaire.

Mais peut-on opposer gestion et pédagogie ?

Lorsque nous concevons une politique d’achat destinée à créer un fonds documentaire adapté aux programmes et aux sujets de recherche, lorsque nous indexons les documents en fonction des recherches prévues et des thèmes au programme, nous ne sommes pas en contact direct avec les élèves et certains peuvent penser que ces tâches n’ont rien de pédagogique.

Mais, lorsqu’ensuite, nous élaborons, en concertation avec les professeurs de discipline, les consignes de recherche en fonction des documents et de leur indexation dans la base de données, la qualité de ce travail de préparation dépend de la qualité du travail de gestion précédent. Les deux ne peuvent être dissociés et l’acte de gestion est réfléchi en fonction des séances futures à mener, en fonction des objectifs informationnels que s’est fixé le professeur-documentaliste dans la formation des élèves à la maîtrise de l’information.

Le travail de gestion est donc bien un acte pédagogique et le fonds documentaire créé, le lieu documentaire organisé qu’est le CDI (signalétique, cotation…) deviennent des outils didactiques au service de la formation des élèves.

Cette partie préparatoire (de pédagogie indirecte) est donc déterminante pour la réussite des élèves lors des recherches.

A cela vont s’ajouter les objectifs info-documentaires spécifiques à chaque séance proposée (action de pédagogie directe pour reprendre les termes de Pascal Duplessis). Quelques exemples : définir la pertinence d’une notice en fonction de la consigne, identifier les différents supports et leur cote, travailler sur la notion de document, d’auteur….

Et nous pensons que nous aborderons la notion d’auteur, pour reprendre cet exemple, avec notre spécificité de professeur-documentaliste tandis que les autres professeurs l’aborderont à la lumière de leur discipline (Cf Le Petit Dictionnaire des concepts info-documentaires de Pascal Duplessis et Ivana Ballarini-Santonocito, s.v. Auteur )

Il faut rappeler que donner aux élèves « une recherche à faire » ne signifie pas « savoir la faire », ce que certains professeurs de discipline semblent parfois penser. Un apprentissage est nécessaire car la recherche documentaire mobilise un nombre important de savoirs et savoir-faire.

Chaque professeur, professeur de discipline et professeur-documentaliste, doit donc trouver sa place dans le cadre d’une recherche et énoncer ses propres objectifs, chacun ayant seul les compétences dans sa discipline pour permettre aux élèves d’atteindre les objectifs énoncés et pour évaluer les apprentissages effectués (de la 6ème à la 3ème au collège, de la 2de à la terminale au lycée).

Engagées depuis quelques années dans une réflexion sur notre pratique pédagogique (suite à un stage établissement intitulé « Mise en recherche des élèves »), nous tentons aussi, en tenant compte de notre spécificité, de prendre en compte les particularités des élèves du point de vue des savoirs, savoir-faire et du comportement ; nous essayons aussi d’identifier leurs différentes stratégies d’apprentissage, leurs résistances, leurs motivations… Tous ces éléments nous permettent de construire nos séances avec pour objectif de tous les faire réussir dans le domaine de la maîtrise de l’information.

Ceci et tout ce qui a été écrit précédemment nous permettent d’affirmer que « nous concevons et mettons en œuvre notre enseignement », que « nous organisons le travail de la classe » que nous recevons au CDI, et que « nous évaluons les élèves ».

Et nous pensons que nous répondons ainsi aux directives de la Circulaire de mission de 1986 comme l’a démontré Isabelle Fructus dans son article sur ce même blog des Trois Couronnes (Compétences professionnelles des professeurs documentalistes et Cahier des Charges des IUFM : le grand écart de l'Institution)

Mais ces convictions ne serviront à rien tant qu’un cadre national n’existera pas, qui définira les notions et compétences info-documentaires à faire acquérir aux élèves dans le cadre d’une formation à la maîtrise de l’information qui, pour l’instant, n’a lieu que par la volonté des professeurs-documentalistes et des acteurs locaux de chaque établissement. Cadre (curriculum, programme…) qui devrait sans doute être alors accompagné d’un nombre minimum d’heures de formation à dispenser aux élèves au cours de leur cursus scolaire. Est-ce à dire qu’il faut créer une nouvelle discipline « Education à la maîtrise de l’information » ? Le débat est ouvert mais peut-être est-ce le seul moyen actuellement de faire reconnaître notre rôle de pédagogue et de le sauver.

Concernant la politique documentaire évoquée au début de ce texte, et en attendant un éventuel texte national, il nous semble qu’elle est le seul outil dont nous disposons actuellement pour nous faire entendre et faire reconnaître notre rôle pédagogique au sein de nos établissements scolaires. A nous de nous en saisir et d’y faire apparaître les priorités en matière de formation des élèves à la maîtrise de l’information et notre spécificité.

Enfin, notre rôle de pédagogue ainsi réaffirmé, nous ne voyons pas quel « risque » (Rapport de l’IGEN : « Une attention particulière doit être portée à la situation des professeurs documentalistes dont la mission ne saurait être alignée, sans risque pour le système éducatif, sur celle des enseignants chargés de responsabilité d’enseignement ») nous pourrions faire courir au système éducatif, sinon celui de former les citoyens de demain !