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Référence documentographique
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Le document complice ou le retour de la médiation documentaire

Le débat actuel au sein de la profession, les tensions avec l'inspection générale, me paraissent illustrer une profonde différence autour de la perception du document. Il y d'un côté les tenants de la mise à disposition et du signalement et de l'autre ceux qui pensent que cette seule logique ne satisfait pas en contexte éducatif. Entre le document et l'élève qui doit-on placer ? Qu'elle médiation doit-on instaurer ? Peut-être que les professeurs documentalistes doivent aujourd'hui imaginer une médiation de la complicité...

Il a été maintes fois avancé que nous étions des médiateurs entre les élèves et le document. La médiation documentaire est malheureusement une notion trop souvent énoncée sans précaution, comme un terme plaqué sans mention de ce qui pourrait sous-tendre une réelle médiation. Le terme peut être également rangé parmi ces gros-mots aux allures faussement scientifiques qui hérissent parfois l'enseignant qui ne se voit pas dire aux élèves : « respectez ma médiation ! ». Pardonnez moi donc de réactiver le médiateur refoulé mais pour la durée d'un court questionnement c'est promis.

Si nous nous plaçons du côté d'une logique de l'offre (numérique ou autre), nous manifestons l'effort constant de proposer autre chose aux élèves qu'un univers de surface ou l'information est plate et unidimensionnelle. La variété documentaire est bien ici un acte éducatif essentiel et dans ce cas de figure nous sommes bien médiateur. Un médiateur qui peut même revendiquer un haut degré d'expertise, des compétences importantes pour s'orienter dans la jungle des ressources, pour les mettre à disposition, les faire valoir auprès de toute la communauté éducative et accessoirement faire gagner du temps à tout le monde. Mais cette médiation reste une médiation de type instrumentale. Dans cette optique notre identité professionnelle se construit autour de l'espoir qu'une mise à disposition du document, qu'une offre documentaire, riche, variée, subtilement référencée suffit à l'élève pour affronter toutes les situations de recherche.

Cette conception instrumentale repose sur une philosophie utilitariste qui ne manipule que des usages et qui envisage un monde d'autoroutes de l'information (selon une expression consacrée). Je crois que ce discours s'il n'est pas contredit ou nuancé contribue à écraser le document, à nier sa profondeur et sa richesse. Chacun connaît l'ambiance d'anonymat et d'impunité qui règne sur une autoroute. Au volant de notre bolide, toutes portes closes, nous ignorons la planète pour avancer. Et certes nous avançons, très vite même. Mais l'autoroute c'est aussi la négation du paysage. Je regrette quant à moi les petites routes de campagne qui fleurent bon le thym et la marjolaine, ou le temps est roi et la flânerie princesse (trop bucolique ? Peut-être ?). Foncer tête baissée dans un monde d'information pour privilégier une information disponible, sans tête, sans saveur autre que l'usage que je lui destine me paraît une dérive culturelle dangereuse.

Je milite pour une médiation qui serait aussi dialogue. J'invoque un professeur documentaliste qui serait le champion du dialogue des intelligences. De ce point de vue le document ne saurait être réduit à son usage, ni même à sa richesse informative mais devient complice. Complice d'un esprit à la recherche d'une rencontre, complice d'une modestie qui admet ses manques et manifeste ses besoins, complice enfin d'une volonté qui cherche à établir un dialogue respectueux (même dans la contradiction) avec d'autres discours que le sien. La recherche documentaire impose d'abord un travail sur soi et la connaissance profonde des enjeux culturels qui se dissimulent derrière cet acte. Une culture de l'information nous manque.

Qui peut croire que nos élèves savent déjà que c'est l'altérité qui nous fait Homme ? Tous les enseignants savent que derrière l'information telle que la plupart des élèves la perçoivent il n'y a personne. Le village global est déserté.

Continuons à ne parler que d'usage du document, que d'accès aux ressources, que de mise à disposition de l'information et nous contribuerons à asseoir durablement un monde de plagiaires.

Si c'est ce que nous souhaitons...