Référence documentographique

Chapron Françoise. La circulaire de mission du 27 mars 2017 : En progrès, peut encore mieux faire… Les Trois couronnes, mars 2018. URL :

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/la-circulaire-de-mission-du-27-mars-2017-en-progres-peut-encore-mieux-faire

La circulaire de mission du 27 mars 2017 : En progrès, peut encore mieux faire…

Françoise Chapron est maître de conférences honoraire à l'ESPE de l'Université de Rouen, dans les 70ème et 71ème sections, et docteure en histoire contemporaine. Après 16 ans d’exercice comme documentaliste en collège, elle devient responsable de la filière Documentation à l’IUFM de Rouen de 1991 à 2011 et coordonnatrice du groupe national des formateurs IUFM documentation. Membre du jury externe du CAPES Documentation de 1995 à 2002, elle participe à l’ERTé "Culture informationnelle et curriculum documentaire" 2006-2011, elle coordonne avec Eric Delamotte la publication des actes du colloque international "L'éducation à la culture informationnelle" (Lille, 2008) parus en 2010. Adhérente de la Fadben depuis 1974, secrétaire générale depuis 1976 et Présidente de 1983 à 1986, elle reste associée à la réflexion professionnelle ensuite. Nous lui devons encore Les CDI des lycées et collèges : de l’imprimé au numérique (mise à jour en 2012), ouvrage de référence pour les collègues, les étudiants et les candidats au CAPES. Actuellement attachée scientifique de l’Institut Pierre Mendès France, elle vient de publier en 2016 Pierre Mendès France, la République en action. Nous remercions Françoise Chapron d'avoir accepté de répondre à nos questions et de nous faire partager sa réflexion sur la parution de la circulaire de mission des professeurs documentalistes.

[NDLR : ce texte inédit a été rédigé à la rentrée 2017]

1- Comment situez­-vous ce texte dans l'histoire de la profession ?

La circulaire du 27 mars 2017 s’inscrit dans une suite de trois textes dont celui-ci qui, depuis 40 ans, ont défini progressivement les « Fonctions et tâches des responsables de CDI » dans la circulaire du 17 février 1977, puis les « Missions des personnels exerçant en CDI » dans la circulaire du 13 mars 1986, à la fin de la période de la rénovation du système éducatif entreprise en 1981.

En 1989, le CAPES de Documentation, revendiqué depuis 1974, était créé par la Loi d’orientation du 10 juillet 1989. Cette décision devait redéfinir les missions, mais depuis, toutes les tentatives d’actualisation avaient échoué. C'était avant 2017.

Cette progression de la définition du métier par l’obtention d’un CAPES, autant que la formation initiale portée à deux ans et assurée par les nouveaux IUFM prévus par la Loi d’orientation du 10 juillet 1989, semblaient « ancrer pédagogiquement la fonction » comme l’avait dit Lionel Jospin le 19 mai 1989 à Strasbourg, devant 400 documentalistes réunis pour leur premier congrès organisé par la FADBEN. L’appartenance au corps enseignant et la rénovation du système éducatif impliquaient naturellement cette redéfinition du texte de la circulaire de mission de 1986 publiée avant le CAPES.

L’universitarisation des formations, la professionnalisation croissante des jeunes « enseignants documentalistes » puis « professeurs documentalistes » (appellation utilisée dans la circulaire du 23 mai 1997, forme de référentiel "des missions des professeurs de lycées et collèges") inclinait en ce sens, mais se faisait attendre malgré l’action ancienne et constante de la FADBEN et de certains syndicats, l’institution ayant « repris la main » après la fin du ministère Jospin en mai 1992.

Pour autant, à partir de 1997, pendant le gouvernement Jospin, les professeurs documentalistes furent impliqués dans les nouveaux dispositifs pédagogiques créés à la fin de la décennie en lycée et collèges (TPE, ECJS, IDD) comme ils avaient été pionniers dans l’introduction des technologies nouvelles, l’informatisation documentaire et l’arrivée de l’internet.

Le contexte d’exercice, les outils, la réflexion sur les formations des élèves avaient bien changé. Le CAPES lui-même fut rénové en 2000, introduisant des changements d’outils, de techniques documentaires et de démarches dans les épreuves, ainsi que des contenus de savoirs universitaires nouveaux. Cependant, la tutelle pédagogique et l’Inspection "Établissement et Vie scolaire" restaient majoritairement centrées sur le rôle prioritaire de gestion du CDI et d’ouverture culturelle ; ceci, malgré les preuves concrètes issues des recherches et pratiques croissantes, confortant la mission pédagogique. Portés par les « Assises nationales de la documentation et de l’information » en 2003 et les travaux de recherche de l’équipe de recherche « Culture de l’information et curriculum documentaire » de 2006 à2011, ces acquis furent malgré tout durablement ignorés.

Pourtant, dès 2001, un début de réflexion autour d’un nouveau texte de mission était esquissé sous la direction de Guy Pouzard, président du jury depuis 1997, et à la suite du rapport « Information et documentation scolaire » de 2001 publié à son initiative. Le changement politique en mai 2002 et l’arrivée en 2003 de Jean-Louis Durpaire nommé Inspecteur général EVS, succédant à Guy Pouzard sur le dossier Documentation, stoppèrent ce processus, bloquant l’aboutissement d’un texte pendant 13 ans. Quelques tentatives eurent lieu jusqu’en 2010. A chaque fois, le concept de politique documentaire promu par le nouveau président de jury dans son rapport de 2004 sur Les politiques documentaires des établissements scolaires était au cœur des projets de textes, niant de fait la mission pédagogique prioritaire spécifique des professeurs documentalistes. Les tensions à partir de 2008 furent de plus en plus vives et publiques. L’inquiétude d’une disparition du CAPES, dans le contexte de mastérisation des formations initiales, était réelle. Un groupe de travail mis en place en 2010 à la DGESCO échoua aussi.

La mise en œuvre de la Refondation de l’École en 2012, a d’abord apporté quelques points positifs : inscription de notre rôle (même limité aux apprentissages numériques) dans la Loi du 8 juillet 2013, publication du référentiel professionnel des enseignants en 2013. L’intégration des professeurs documentalistes dans le groupe des enseignants, la limitation de service à 30h de présence, la possibilité théorique d’heures d’enseignement coefficientées, allaient dans le bon sens. Certes, cette possibilité était liée initialement à la nécessité de réintroduire le décret de 1980 qui encadrait l’affectation d’enseignants de disciplines en CDI. Mais, du coup, elle ouvrait des possibilités pour les professeurs documentalistes (à la condition de définir ce qui était une heure d’enseignement reconnue pour eux). En tout cas, le cadre statutaire d’exercice était amélioré.

Un groupe de travail intersyndical fut constitué en 2016, par la DGESCO, pour rédiger une nouvelle circulaire. Le premier projet était confus et inacceptable. Les organisations syndicales étaient divisées sur la priorité de la fonction enseignante. Plusieurs versions successives rééquilibrèrent les priorités des axes et les formulations de départ. L’APDEN publia même « une circulaire fictive ».

Au niveau des nouveaux programmes, l’introduction de l’ E.M.I (Éducation aux médias et à l’information), formation transversale imposée par le ministère, faisait confusion avec la formation à des connaissances et des compétences info-documentaires définies par les contributions associatives, Des items EMI furent distribués dans les programmes disciplinaires des cycles 3 et 4 (nombre d’ enseignants disciplinaires des groupes de travail n’étaient pas favorables à notre vision pédagogique).

La mise en œuvre des programmes en 2016 (avec des consignes d’application en recul sur les arrêtés) suscita de nombreuses impasses pédagogiques, voire matérielles pour les professeurs documentalistes, réduits à quelques potentielles interventions, souvent écartées, sur le terrain .Les enseignants de discipline soulignèrent souvent leur incompétence ou leurs difficultés matérielles à intégrer ces items dans leurs programmes et horaires contraints, ou au mieux dans les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) pour lesquels les professeurs documentalistes ne jouaient qu’un rôle de collaborateur de supplément le plus souvent.

Voilà donc retracés rapidement, (j’y reviens plus longuement dans un article publié dans le Mediadoc de décembre 2017), l’évolution chronologique des circulaires et le contexte de publication de la circulaire du 27 mars 2017 (publiée comme en 1986 dans les dernières semaines du gouvernement).

2­- Les professeurs documentalistes ont-­ils, selon vous, obtenu ou perdu quelque chose ?

Il est évident, vu que j ’ai participé directement ou indirectement à l’élaboration de quasiment tous les textes de la profession sur 40 ans, que j’en vois l’évolution positive, même si elle a été très longue et souvent incomplète, voire décevante face à nos souhaits. Cette longue durée est évidemment difficile à apprécier pour les jeunes collègues et ceux qui sont entrés dans la profession après la création du CAPES, mais elle montre le chemin parcouru et à quel point la mission pédagogique (citée en premier point dans la plus récente), que les professeurs documentalistes eux-mêmes ont revendiquée, est encore vécue comme une exigence excessive par rapport à la mission de gestion, de mise à disposition et d’animation lecture/culture qui prévalait au début du métier. Et la gestion et l’accueil demeurent toujours prioritaires pour la plupart des décideurs ou responsables du terrain, sinon pour des collègues souhaitant quitter leur discipline ou à qui on a imposé une reconversion (notamment STI ). Un « plafond de verre » subsiste, celui de la légitimité de l’intervention des professeurs documentalistes sur des contenus de savoirs et des apprentissages spécifiques dans l’acquisition d’une culture de l’information, et les professeurs documentalistes sont considérés souvent comme des enseignants marginalisés non reconnus à parité de mission, même spécifique, comme leurs collègues des disciplines constituées.

Pour autant, cette circulaire, d’une plus grande généralité de rédaction que celle étroitement contextualisée aux dispositifs existants du projet de 2010, enfin actualisée, apporte des points positifs : une introduction posant le contexte d’évolution du système éducatif et de la société, une première partie affirmant sa catégorie « d’enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias », une référence même vague, au champ des SIC, au référentiel professionnel de 2013 pour la mission principale. Les deux missions suivantes, gestion et ouverture culturelle, sont resituées dans leur importance, même si la multiplicité des tâches et fonctions demeure. Les décrets sur les obligations de service, la reconnaissance du rôle de formation des professeurs documentalistes, distinguant les objectifs spécifiques de son intervention et les collaborations interdisciplinaires, des heures d’enseignement pouvant être coefficientées, l’attribution de certaines primes pédagogiques, sont des éléments attendus.

En fait, plutôt que de parler de ce qui a pu être perdu, je préfère pointer ce qui manque ou reste flou, rapidement, car je vous renvoie aux contributions très précises et pertinentes mises en ligne sur le site Les Trois couronnes, celles de Pascal Duplessis, bien sûr, mais aussi aux analyses de Gildas Dimier et d’Alexandre Serres auxquelles j’adhère.

Pour la partie 1, il manque une énumération de quelques objectifs didactiques (mot absent) et notions essentielles liées au champ des SIC (mais la mention des pratiques informelles des élèves est un point important quant à l’approche didactique et pédagogique visée). Ni situations, ni progressions d'apprentissages ne sont proposées, ne serait-ce que dans une annexe. Et bien sûr, la subordination de ces « activités séquences » et le rattrapage de la pondération liés au "bon fonctionnement du CDI" les soumettent de fait au bon vouloir du chef d’établissement...

Autre point : le décompte des heures considérées comme enseignement reste flou et se heurte au cadrage des heures maximales de programmes le plus souvent strictement appliqué par les chefs d’établissement. Or on connaît des établissements où les responsables ont pris l’initiative de prévoir une heure en plus pour maintenir la formation déjà existante des élèves en accord avec les parents d’élèves ; cette formation de base a d’ailleurs été supprimée en 2016 au prétexte des 26h maximales des élèves, dans de nombreux établissements, déstabilisant de nombreux collègues actifs et dynamiques. Pour la compensation des heures d’enseignement, des établissements, notamment des lycées, ont tenu un « compte temps » (type RTT) pour que les professeurs documentalistes récupèrent des journées ou demi-journées sur les périodes de congés d’examens ou en fonction de besoins ponctuels. Donc, des chefs d’ établissements ont su jouer de leur autonomie pour gérer au mieux certains dispositifs et reconnaître leur travail d’enseignement info documentaire au niveau local. Surtout (je reviendrai sur la politique documentaire), la circulaire, comme c’était déjà le cas en 1986, reprend l’énumération de multiples tâches dans chaque grande mission qui n’ont pas été réduites et subsistent même actualisées.

Cela représente à la fois la richesse de l’exercice professionnel, l’exigence de professionnalisation et d’expertise des professeurs documentalistes mais aussi les impossibilités pratiques de tout mener dans le quotidien, même en dégageant des priorités liées au contexte local et au projet d’établissement.

Le problème principal reste donc que la circulaire n’est pas accompagnée des moyens humains nécessaires pour être efficace dans son application et conduit à des bricolages ou à des accommodements loin d’être satisfaisants sinon frustrants et stressants. Comme le disait Guy Pouzard en 2002, d’un projet de texte initié par Bernard Thomas son successeur (auquel il n’était pas associé ) « cette circulaire ne se donne pas les moyens de sa propre application ». La situation n’a guère changé.

3- En tant que militante infatigable en faveur du mandat pédagogique de la profession, dans quel état d'esprit avez-­vous accueilli cette circulaire pour laquelle vous avez tant œuvré ?

J’ai pris ma retraite en janvier 2012 assez inquiète du devenir des CDI et de la profession où nous avaient entraînés les coupes budgétaires et la politique menée par Jean-Louis Durpaire. La mastérisation en cours pouvait risquer de faire passer les CDI totalement financés par les collectivités territoriales sous leur « tutelle ». Et le risque existait d’être mis progressivement sous leur responsabilité, si on décidait d’y recruter des personnels titulaires d’un master obtenu en IUFM, mais ne nécessitant plus l’obtention d’un CAPES. Notre statut d’enseignant était fragilisé par le fait de ne pas être rattachés au décret du 25 mai 1950 comme les autres.

L’alternance politique a été une opportunité, et j’ai essayé, vu les contacts que j’avais gardés, en accord avec la FADBEN, de sensibiliser les nouveaux responsables en élaborant quelques notes et dossiers sur les enjeux de notre profession et de la formation des élèves.

Dès septembre 2012, j’avais pu avoir un entretien avec le sénateur David Assouline dont le Rapport sur l’éducation aux médias des jeunes en 2009 soulignait très positivement notre rôle essentiel et qui avait notamment participé à des manifestations de la FADBEN. Il put dès ce moment me rassurer sur le maintien du CAPES de Documentation crée par Lionel Jospin et nous a soutenus à la Commission de l’Éducation et de la Culture du Sénat dont il était Vice- Président dans l’élaboration du texte de la Loi de Refondation. J’ai par la suite suivi la préparation des autres textes, notamment le référentiel pour lequel la FADBEN avait fait une contribution remarquée et qui a été largement reprise dans le texte de 2013.

Pour autant, je regrettais les difficultés, voire les blocages subsistants ainsi que l’influence encore présente de la politique de l’Inspection générale EVS, des responsables de la direction du Numérique et du réseau CNDP, devenu CANOPé, qui promouvaient la version "politique documentaire" et nous associaient surtout au numérique « tendance maîtrise des outils ».

J’avoue que j’ai vécu des moments décourageants et amers, même un sentiment d’échec d’avoir investi tant de temps, comme d’autres, depuis 1974 dans la construction du métier, et de partir en retraite, sans avoir obtenu l’actualisation de la circulaire de 1986 à laquelle j’avais personnellement été associée. Les premiers échos du groupe de travail de 2016 n’était pas encourageants mais la version finale de la circulaire du 27 mars m’a réconfortée, malgré ses insuffisances, d’autant que seules les alternances politiques à gauche avaient généré des avancées pour la profession.

Ceci dit, le combat continue pour les jeunes générations de professeurs documentalistes en poste et il est important qu’elles soutiennent l’ action de leurs représentants professionnels et soient actives et créatives dans leur action de formation des élèves malgré les contraintes du quotidien et le manque de moyens.

4- Comment expliquez-­vous que la politique documentaire soit toujours exigée alors qu'elle est peu présente sur le terrain ?

Le concept de politique documentaire a été cité dans le rapport Pouzard Information Documentation en milieu scolaire en 2001.Guy Pouzard l’avait importé de la pratique des SCD-BU de l’Enseignement Supérieur dans le sens de la gestion des ressources et accès, car il pensait qu’une discussion annuelle au CA des établissements obligerait à mettre la question de la documentation à l’ordre du jour alors que le dossier « CDI » n’était même pas abordé dans nombre d’entre eux.

Jean-Louis Durpaire, reprenant le dossier Documentation après la retraite de Guy Pouzard, issu, lui, du réseau CNDP, l’interpréta dans un sens différent lorsqu’il publia en 2004 son rapport sur Les politiques documentaires. Et sa vision très réductrice des priorités de mission des « documentalistes » gommait largement l’aspect pédagogique promu jusque là.

En formation à l’IUFM de Rouen se développa une réflexion consistant à donner un contenu pédagogique au concept en intégrant la dimension formation (projet pédagogique) et ressources (projet documentaire)1. L’ouvrage collectif des formateurs Politique documentaire et établissement scolaire paru chez ADBS éditions en 2007, en témoigne.

Ce qui était un contre-feu, face à l’appauvrissement de notre mission du fait de l’hostilité de J.-L. Durpaire à notre réflexion pédagogique, a continué à être utilisé par l’Institution et s’est révélé une difficulté ensuite2. En effet, alors que nous avons autonomisé ensuite les contenus d’apprentissage, développé une réflexion didactique, nous nous retrouvons aujourd’hui dans une configuration issue de ce schéma qui met nos contenus d’enseignement sous la validation du Conseil d’administration, contrairement aux autres professeurs de discipline.

Je suis d’accord avec la position de l’APDEN3 qui consiste à faire admettre l’examen de « la réflexion sur la mise en œuvre » et non de la réflexion et la mise en œuvre de la formation des élèves à la culture informationnelle, pour éviter de faire valider les dispositifs et contenus de séquence par le CA.

Cela n’empêche pas au conseil pédagogique et dans les co-élaborations de projets avec les collègues d’approfondir ou de travailler la mise en œuvre elle-même. Aux professeurs documentalistes, s’ils le peuvent, de faire prendre en compte cette vision sur le terrain. Voir le texte de la motion du collège de Vonas où exerce Florian Reynaud4.

5­- Comment percevez-­vous la présence concomitante des expression "information ­documentation", "culture de l'information et des médias", "EMI" et leur articulation ?

La présence concomitante des différentes expressions est due à l’évolution des réflexions sur les objectifs d’apprentissage depuis les années 1990 et à la distinction de longue date entre contenus spécifiques en SIC et Information-Documentation d'une part et les compétences et démarches transversales méthodologiques (comme pour les médias et l’informatique depuis les années 70) d'autre part, ce que rend bien l’EMI centrée plutôt sur les médias et partagée comme enseignement transversal assuré par toutes les disciplines.

Je vous renvoie à l’analyse précise faite par Alexandre Serres dans sa contribution5.

Bien des flous épistémologiques subsistent ou l’usage d’expressions qui font débat (et ne recouvrent pas les mêmes contenus ou démarches), même à l’intérieur de la profession. Mais on y voit aussi les précautions récurrentes de l’institution à nommer des concepts qui peuvent l’amener à une définition de contenus d’enseignement « disciplinarisés » spécifiques, susceptibles d’entraîner des revendications de postes ou une modification des objectifs d’appui aux enseignements ou de support logistique aux enseignants, qui étaient prioritaires au début , et le restent encore pour beaucoup.

6- Quelles répercussions ce texte pourrait-­il avoir sur la formation initiale et continue ?

Il y a toujours eu depuis 1991 des logiques de formation diverses en IUFM et aujourd’hui en ESPé dues, entre autres, aux équipes de formateurs, à leurs statuts, leur spécialisation et visions du métier. Le travail commun des formateurs IUFM documentation depuis 1992 a cependant tendu à élaborer des approches communes notamment à chaque réforme du CAPES.

Pour autant, au-delà des contenus et méthodologies des épreuves elles-mêmes, la philosophie des jurys, leur composition et leur direction ont forgé selon les périodes, des profils de recrutements différents, pas toujours en phase avec les visions données du métier en formation. Je suppose que le groupe actuel des formateurs, lui-même diversifié, réfléchit aux implications de la circulaire de mars 2017. Cependant j’ignore si les jurys constitués pour la session prochaine en tiendront compte ou maintiendront une vision plus traditionnelle du rôle pédagogique des professeurs documentalistes.

Il est évident que l’hétérogénéité des jurys qui perdure ne facilite pas certaines avancées didactiques et/ou pédagogiques en l’absence d’une inspection spécialisée et d’une plus grande proportion des professionnels ou chercheurs. Les personnels d’inspection, professeurs de discipline, chefs d’établissement, personnels du réseau CANOPé, y sont nombreux, ne portent qu’à la marge une vision didactique et/ou pédagogique et ne maîtrisent pas certains contenus scientifiques ou professionnels du référentiel des professeurs documentalistes (leurs compétences propres n’étant nullement mises en cause). Cette situation d’origine reste inenvisageable pour les CAPES disciplinaires (à moins qu’on n’y intègre des chefs d’établissement et des professeurs documentalistes issus de la discipline considérée pour aider à rénover leur caractère trop académique !), mais pas pour nos concours.

La mastérisation, la double contrainte du concours intercalé entre les deux années du Master et la reprise de la formation des stagiaires par les rectorats, empêchent souvent une cohérence et une continuité de formation qui existaient avant. C’est la vision de la mastérisation des métiers de l’enseignement qui est plus globalement en cause.

En revanche, la profession souffre d’une grave et ancienne insuffisance de formation continue à la fois pour répondre à l’actualisation des évolutions du numérique et des pratiques, des usages professionnels sociaux d’outils technologiques très vite dépassés ou émergents, mais également pour former aux pratiques pédagogiques et didactiques, pour apporter des contenus théoriques en SIC, en sciences de l’éducation et en psychologie des apprentissages... Comment aussi former correctement des enseignants imposés en reconversion et en réadaptation dont la compétence est peu assurée sinon défaillante ? De plus, les offres des PAF sont de moins en moins larges et réduites en volume. Des journées académiques et des réunions de bassin existent heureusement dans certaines académies mais elles sont insuffisantes pour répondre aux besoins.

7- Quelles sont les nouvelles avancées pour lesquelles la profession devrait encore se mobiliser ?

Il faut continuer à approfondir la réflexion et la formation didactique et pédagogique, intégrer les recherches qui s’intéressent aux usages et pratiques sociales d’information et de documentation, veiller à la formation au jugement critique et prévenir les dérives des réseaux sociaux et de l’information (complotisme, fake news, fiabilité de l’ information et sourçage), suivre les évolutions des technologies et des outils. Il est nécessaire d’obtenir des progrès sur des points à problèmes : ISOE, Indemnité PP, primes ou diminution d’horaires en REP qui ne sont pas réglés dans les textes parus.

Surtout se mobiliser pour obtenir, sans doute par étapes, vu le contexte budgétaire et la politique présentée par le nouveau Ministre :

  • une inspection spécialisée à partir peut-être d’un groupe interne à l’EVS dans un premier temps ;
  • une agrégation en débutant peut-être par une voie interne de promotion "classe exceptionnelle niveau Agrégation", comme on a créé les CAER (concours d’accès à l’échelle de rémunération) pour le privé. Cela permettrait aussi d’offrir une voie de promotion interne pour les professeurs documentalistes du terrain ou exerçant en enseignement supérieur et la possibilité de se présenter au concours d’IPR en attendant des décisions statutaires souhaitées ;
  • une augmentation des postes mis au concours et des postes d’aides documentalistes… Là c’est le problème majeur…

La circulaire est un progrès notable et attendu, un palier utile, même avec des incomplétudes ou des flous. Mais comme l’a toujours montré notre profession, c’est par le militantisme, la créativité et le dynamisme des collègues de terrain et de leurs représentants qu’on a avancé patiemment, bien que trop lentement à notre goût.

Le témoin est dans les mains de la jeune génération. Pour ma part, je suis de loin mais toujours avec intérêt et solidarité, l’action continue de la profession pour définir son identité professionnelle.

Bibliographie sommaire

  • Chapron, Françoise, Delamotte, Eric (Coord.). L'éducation à la culture informationnelle. Actes du colloque international de l'ERTé. Lille, 16-17-18 octobre 2008. ENSSIB, 2010
  • Chapron, Françoise. Les CDI des lycées et collèges : de l’imprimé au numérique. Paris : Presses Universitaires de France, 2012
  • Chapron, Françoise et Delamotte, Éric. « Vers une éducation à la culture informationnelle : jalons et perspectives » [en ligne]. Documentaliste-Sciences de l’information, n° 1, 2009, p. 4-11. Disponible sur : http://www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-information-2009-1-page-4.htm
  • Chapron, Françoise. Pierre Mendès France, la République en action. Éditions infimes, 2016
  • Chapron, Françoise. « Professeur documentaliste , « profession métissée, profession clivée »  In Les professionnels et leurs formation sous la direction d’ O.Maulini, M. Sorel, R. Wittorski. Genève : Peter Lang,2015. Exploration.Recherches en Sciences de l’éducation. Disponible en ligne https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_01079315/document

  1. Ce schéma est reproduit dans l’édition du Livre bleu des professeurs documentalistes édité par le CRDP d’Orléans en 2006. 

  2. NDLR : cette question a été à l'origine même de la création du site des Trois couronnes. Ce fut l'un des premiers billets publiés qui questionnait et critiquait le choix fait par F. Vernotte et son équipe d’enfermer l’enseignement info-documentaire dans le volet formation de la politique documentaire. Lire Duplessis Pascal. « Politique de formation » : real politic documentaire ou stratégie de la dernière chance ? Les trois couronnes, janvier 2008. URL : http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/politique-de-formation-real-politic-documentaire-ou-strategie-de-la-derniere-chance 

  3. APDEN. Nouvelle circulaire de mission(s) des professeurs documentalistes : analyse critique de l’A.P.D.E.N. APDEN, avril 2017. URL : http://www.apden.org/Nouvelle-circulaire-de-mission-s.html 

  4. Motion « Opposition au concept de politique documentaire en établissement scolaire » à lire en annexe de l'article de Florian Reynaud : "D’espoirs en désespoir, en attendant les moyens de ces missions". Les Trois couronnes, mai 2017. URL : http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/d-espoirs-en-desespoir-en-attendant-les-moyens-de-ces-missions 

  5. Serres Alexandre. "Circulaire de mission des professeurs documentalistes : les différents regards possibles..." Les Trois couronnes, juin 2017. URL : http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/circulaire-de-mission-des-professeurs-documentalistes-les-differents-regards-possibles