Référence documentographique

Duplessis Pascal. Décodage du projet de circulaire du 18 janvier : quelle est aujourd’hui la mission réellement intégrative de la profession d’enseignant documentaliste ? Site des Trois couronnes, 25-01-2011. 1. Les quatre pôles orientant les missions

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Décodage du projet de circulaire du 18 janvier 2011 (1) : quelle est aujourd’hui la mission réellement intégrative de la profession d’enseignant documentaliste ?

Molimonster69. "Cross and circle" (2008). Creative commons. lien

Le préambule, déjà...

Le titre du projet de circulaire 2011 donne le mot « mission » au pluriel. Ce pluriel, c’est une des critiques qui reste encore 24 ans après la publication de la circulaire de 1986 « Missions des personnels exerçant dans les centres de documentation et d’information ». Très vite, la profession avait pris conscience que la mission « de caractère essentiellement pédagogique » était rendue difficilement perceptible à cause des innombrables tâches qui encombrent encore aujourd’hui la journée du professeur documentaliste. Le projet 2011 récidive donc, malgré toutes les mises en garde. En 1986, la mission organisatrice du mandat de cet enseignant était pédagogique. En 2000, elle a subitement et insidieusement été remplacée par celle de gestion, sous couvert d’un nouveau concept de management des bibliothèques appelé politique documentaire. Les divers cadrages de l’IGEN qui sont survenus en 2001, 2004 et 2007 montrent en effet que la politique documentaire surplombe, commande et subvertit progressivement la mission pédagogique, en la dégradant au moyen de la simple expression de « volet pédagogique », malheureusement en passe de rentrer dans l’usage. En janvier 2011 pourtant, un projet de circulaire replace cette mission chère au cœur des professeurs-documentalistes au premier rang des quatre axes présentés, laissant ainsi imaginer que rien n’a réellement changé. Est-ce le cas ? Que faut-il comprendre ? Pour tenter d’y voir plus clair, nous allons commencer par faire une comparaison simple des textes de 1986 et de 2001 afin de mettre en évidence leurs choix et leur structure. Nous nous livrerons ensuite à une analyse précise des tâches qui incomberaient à l’enseignant documentaliste à la lecture du texte du projet. Seule une mise à plat du document peut nous permettre de rompre un tant soit peu la rhétorique propre à un discours institutionnel dont la seule logique est de présenter un discours d’évidence et de masquer, par un usage consommé de la langue française, et comme tout discours politique qui se respecte, son véritable objet.

1- Les quatre pôles orientant les missions

En guise d’introduction, et pour prendre un peu de recul, commençons par comparer la circulaire de 1986 et le projet de janvier 2011 à propos de son argumentaire et de ses axes organisateurs.

1.1. Le texte introductif

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1.1.1. Comparaison des argumentaires de 1986 et de 2011

Il est d’usage d’inscrire une réforme comme conséquence naturelle de l’évolution d’un environnement social et culturel. Ce discours adaptationniste et naturaliste se remarque donc aussi bien en 1986 qu’en 2011.

L’argumentaire est plus bref en 86, et pointe quatre « raisons » à la nécessaire contribution des CDI : la rénovation pédagogique (en réponse à la massification scolaire), le renouvellement des programmes, l’arrivée des nouvelles technologies et, enfin, la « nécessité d’ouverture des établissements sur le monde et la société ».

Deux fois plus long, le texte introductif du projet 2011 se contente de trois arguments principaux, dont certains, comme les nouvelles technologies et le train des réformes, ne sont que des actualisations et des développements des précédents. Le troisième argument avancé peut étonner puisqu’il s’agit de la lutte contre l’illettrisme. Mais c’est le contexte technologique qui semble bien prédominer dans cet argumentaire, apparaissant à différents endroits. Le développement de la société de l’information et ses impacts sociétaux, l’essor du numérique, sont présentés d’entrée de jeu comme renforçant la mission pédagogique du professeur documentaliste. On retrouvera ensuite l’argument de la généralisation des ENT, présenté comme « essentiel », puis l’usage des TIC, passage obligé.

1.1.2. Un discours d’évidence : de l’évolution des techniques à l’évolution du métier

Cette insistance sur la prégnance du contexte technique comme principale cause de la nécessaire évolution des missions n’est pas nouveau. Les nouvelles technologies ont d’ailleurs toujours été associées au CDI, depuis l’audiovisuel jusqu’au réseau, en passant par l’introduction des ordinateurs dans le secondaire au début des années 90.

Le développement, par l’outil numérique, de toutes les sphères de la société, et particulièrement la sphère économique, participe d’ailleurs d’une course générale à l’innovation entretenue par le mythe techniciste du progrès. Mais s’agissant des CDI, cet argumentaire a été plus fortement développé encore par l’institution depuis 2001 (rapport Pouzard) pour justifier son projet de basculement du mandat pédagogique du professeur documentaliste vers un mandat de plus en plus gestionnaire.

L’arrivée de l’internet a bouleversé le monde des bibliothèques des années 90, poussant celles-ci à développer, pour se défendre, le concept de politique documentaire. C’est ce raisonnement que le CNDP et la DGESCO tentent de transposer dans le milieu scolaire en 2000, pour ramener progressivement l’enseignant documentaliste d’une posture de formateur d’élèves à celle du gestionnaire de ressources numériques devant son écran.

C’est bien ce chemin que creuse Mireille Lamouroux1 lorsque, après avoir longuement démontré à quel point le numérique bouleversait le monde des bibliothèques et de la documentation, elle présente les « compétences 2.0 pour le professeur documentaliste »2 . Quatre missions sont alors listées : la médiation, créatrice de services pour les usagers, la gestion de la documentation, rendue efficace par une approche qualité, la création et la gestion de contenus sur la page web de l’espace CDI et l’ENT, et enfin la veille. Le volet « enjeu de la formation » qui termine cet exposé évite quant à lui de mentionner l’enseignant documentaliste.

Cette vision techniciste de la profession, débarrassée d’une mission de formation directe auprès des élèves, mais centrée sur les ressources numériques, est inscrite dans les publications de l’IGEN au moins depuis 2001. Elle est portée, comme ailleurs, par un discours d’adaptation à l’ère de la « société de l’information », autre nom de l’ère des industries d’information et de communication. La contribution première qui est attendue du « documentaliste » n’est pas la formation ou l’éducation, mais principalement l’aménagement des accès techniques aux ressources.

1.1.3. De la nature pédagogique des missions du professeur documentaliste

Les deux circulaires tiennent à spécifier la nature pédagogique des missions du professeur documentaliste. Au-delà de cette apparente communauté d’intention, trois différences apparaissent qui appellent à la vigilance.

En 1986, cette précision est apportée dans le texte introductif, coiffant pour ainsi dire l’ensemble des quatre missions du texte. En 2011, elle n’apparaît qu’au début du premier axe, relatif à la formation. De ce fait, elle est fortement relativisée et dépendante des trois autres axes. Première différence, donc.

Deuxièmement, le texte de 86 renforce cette intention par l’ajout de l’adverbe essentiellement, insistant ainsi sur la dimension première, intégrative de cette mission ordonnant toutes les autres et dont elle constituerait l’essence. Elle ne faisait en cela que couronner les orientations prises par le rapport Tallon (1974) et la première circulaire (1979) à l’origine de la profession.

Point d’adverbe par contre dans le texte de 2001. Cette amputation laisse donc présager que la mission pédagogique n’est plus intégrative. Ceci confirme le premier point.

Plus encore l’essence des missions du professeur documentaliste n’est pas pour autant perdue : elle a tout simplement glissé de la pédagogie vers la gestion ! Ne lit-on pas, dans le libellé de l’axe 3, que « le professeur documentaliste est un acteur essentiel de la gestion et de la diffusion de l’information au sein de l’établissement » ?! Nous insistons à cette occasion sur le fait que la matrice disciplinaire de l’information-documentation, centrée sur le versant pédagogique jusqu’en 2000, a basculé depuis sur le versant gestionnaire avec l’arrivée du concept de politique documentaire. Ce projet de circulaire formalise ainsi un processus engagé depuis maintenant dix années.

Troisième et dernière différence, si la nature de la mission n’est plus déterminée par un adverbe en 2011, elle est en revanche complétée de l’adjectif éducative. Cet apport n’est pas anodin. Notons qu’il apparaît dans l’axe de la formation plutôt que dans l’axe consacré à l’ouverture culturelle. L’effet produit, nous semble-t-il, est de tirer la formation, aujourd’hui centrée sur des contenus de savoirs (notions et capacités), vers des contenus éducatifs, de type savoir être et attitudes. L’intention est tout simplement de nous entraîner de l’horizon de la spécificité disciplinaire vers celui de la transversalité des compétences. Ainsi trouvons-nous pour premiers contenus, à peine quelques lignes plus loin, les trois piliers du Socle commun les plus transversaux : maîtrise de la langue (1), compétences sociales et civiques (6) et autonomie et initiative (7). Tous les observateurs se sont d’ailleurs étonnés que ne figurent pas dans l’axe 1 de ce projet de circulaire les autres piliers du Socle, plus « riches » en contenus de connaissances.

La mention de la nature pédagogique ne pouvait pas être explicitement minorée et encore moins supprimée, comme on pouvait s’y attendre à la lecture du rapport de l’IGEN de 2004. Pour éviter une rupture trop brutale, que ne supporterait pas la profession, même au bout de dix années de politique documentaire, les rédacteurs du texte ont choisi un léger déplacement, mais un déplacement qui jette dans l’ombre cette part pédagogique et, à bien y réfléchir, en atténue considérablement la portée.

1.1.4. Une remise en cause du statut ?

Si la circulaire de 1986, parue trois ans avant la création du CAPES, ne pouvait entériner cette avancée considérable, elle a eu le mérite d’affirmer, toujours en préambule des quatre axes, que le responsable du CDI appartenait à « la catégorie des personnels enseignants ». Ce caractère d’exclusivité, car on ne peut pas appartenir à deux catégories à la fois, était en avance de trois années sur son temps.

Cependant, cette exclusivité semble avoir disparu 25 ans plus tard si l’on en juge par les termes choisis pour figurer à la même place, à savoir, dans les deux textes, dans le tout dernier paragraphe du préambule. En effet, le terme "catégorie" est retiré et remplacé par "membre d’une équipe". Appartenir à une catégorie ne se situe pas au même plan que le fait d’être membre d’une équipe, fût-elle pédagogique. Ce nouveau glissement sémantique fait perdre ce caractère d’exclusivité puisqu’on peut être membre à la fois d’une équipe pédagogique et d’une autre administrative, voire d’une troisième, éducative comme l’est par exemple le conseiller principal d’éducation. Membre de droit du conseil pédagogique, le CPE peut en effet intervenir pour l’accompagnement personnalisé au lycée et est dernièrement cité dans le document Pacifi pour son rôle pédagogique.

Sans tirer de conclusions hâtives, nous nous refusons cependant à croire que ces atténuations réitérées sont ou bien anodines ou bien fortuites. C’est au contraire un jeu d’écriture finement exercé qui distingue bien la pédagogie de l’enseignement, évitant d’ailleurs systématiquement l’emploi de ce dernier terme, qui élude toute allusion à un savoir spécifiquement info-documentaire et qui omet de porter au nombre des textes de référence la fameuse circulaire n° 97-123 du 23 mai 1997 « Mission du professeur exerçant en collège, en lycée d'enseignement général et technologique ou en lycée professionnel », premier texte réglementaire qui ose nommer le professeur documentaliste.

A suivre…

professeur documentaliste ? 2ème séminaire académique des professeurs documentalistes. Saint-Denis de la Réunion, 3 décembre 2009. Site de l’académie de Versailles. http://www.cddp92.ac-versailles.fr/spip2/texteanim/Seminaire_La_Reunion_Conference.pdf


  1. Mireille Lamouroux est directrice des services documentaires au Scéren-CRDP de l’académie de Versailles et secrétaire générale du concours de recrutement des professeurs documentalistes depuis 2004. Collaboratrice de l’inspection générale vie scolaire, elle a conçu et mis en œuvre le programme de formation des inspecteurs chargés de la documentation. 

  2. Lamouroux Mireille. Le développement du numérique : menace ou chance pour le métier de