Publications liées

Cinq textes de l’auteur pour une analyse critique du document PACIFI :

1- Le Pacifi, un océan de questions. Introduction à une analyse critique du document Pacifi. Les Trois couronnes, 01-2011

2- Le Pacifi et le tropisme procédural de l'institution. Les Trois couronnes, 01-2001

3- Le Pacifi : Une référence ambiguë au Socle commun. Les Trois couronnes, 01-2001

4- Le Pacifi : Un hiatus entre les fiches « Repères » et le cadrage institutionnel. Les Trois couronnes, 02-2011

5- Vers une validation du Pacifi par les disciplines ? Les Trois couronnes, 10-2011

Référence documentographique

Duplessis Pascal. Vers une validation du Pacifi par les disciplines ? Analyse critique du document Pacifi (5). Les Trois couronnes, 10-2011.

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/analyse-critique-du-document-pacifi-5-vers-une-validation-du-pacifi-par-les-disciplines

Analyse critique du document Pacifi 5. Vers une validation du Pacifi par les disciplines ?

Gosier beach. Louis Gély, 2008. Sous Creative commons. Modif. P. Duplessis

J’avais engagé, à partir du 1er janvier 2011, une analyse critique du document Pacifi et consacré coup sur coup quatre articles sur le sujet. La parution brutale du projet de circulaire de mission le 18 janvier, puis la rumeur produite autour du projet de transformation des CDI en "learning resources centres" m’avait un peu éloigné de ce projet inachevé. A l’occasion de l’anniversaire de la sortie du Pacifi, j’ouvre à nouveau le dossier à partir de la question lancinante de la déresponsabilisation pédagogique de l’enseignant documentaliste dont le Pacifi se fait l’un des outils les plus menaçants. Depuis 2001, l’IGEN combat avec une vigueur sans cesse croissante l’idée que le professeur documentaliste pourrait « assurer » (circulaire de 1986) et assumer un enseignement de l’info-documentation. Au contraire, elle met tout en œuvre pour que cet enseignant s’en remette exclusivement aux programmes et aux professeurs disciplinaires pour former et évaluer les acquis info-documentaires des élèves. Voilà donc que paraît ce Pacifi (oct. 2010), tellement recommandé « à l’ensemble des équipes pédagogiques et éducatives » et tellement simplifié quant aux contenus à faire acquérir aux élèves que nous nous posons la question, non seulement, de sa finalité évaluative (un référentiel de validation de compétences procédurales facile à utiliser), mais encore celle de l’attribution de la responsabilité de cette validation. Nous l’avons déjà relevé, le Pacifi, solidement ancré dans le Socle commun, propose une incroyable réduction des contenus info-documentaires en quelques 10 capacités et 10 attitudes dont la plupart sont, au mieux, seulement procédurales, et au pire, tellement transversales qu’elles n’ont que peu de rapport avec notre champ disciplinaire. Nous avons ici affaire à un resserrement épistémique considérable dont la conséquence pourrait être d’instituer, si validation il devait y avoir, un pilotage par les résultats qui pourrait bien être confié aux enseignants disciplinaires plutôt que documentalistes. De nombreux dits et indices nous le laissent d’ailleurs prévoir.

Une validation des « compétences » du Pacifi est-elle envisageable ?

Lors du colloque « Culture informationnelle : didactique, dispositifs d'apprentissage et évaluation » qui s’est tenu à Sours-Chartres le vendredi 28 mai 2010 1, Jean-Pierre Véran et Denis Tuchais, deux membres du groupe de travail ayant collaboré au Pacifi, ont préparé et tenu une conférence ayant pour titre « Evaluer les politiques documentaires des EPLE ». Au moment de présenter des axes pour « l’évaluation du service rendu par l’ECDI à l’établissement » (sic), il fut notamment question de « résultats du parcours de culture de l’information des élèves dans l’ECDI ». La nouvelle appellation du CDI, l’ECDI, choisie par l’Inspection générale ne doit pas nous retenir ici, et nous aurons l’occasion d’y revenir à un autre moment. Par contre, l’évaluation dont il est question peut intéresser notre propos.

Sous quelle forme quantitative – n’oublions pas qu’il s’agit de politique documentaire ! - le Pacifi pourra-t-il être pris en compte ? Certainement, en un premier temps, dans l’axe 2 prévu par le protocole d’inspection (2007) : « Contribuer à former les élèves à la maîtrise de l’information ». Mais s’il faut compter les « Parcours » engagés dans chaque collège et lycée, et certainement leur réussite, ne faudra-t-il pas en plus engager à partir de ceux-ci une évaluation des élèves ? La culture de la validation de compétences étant en constant développement aujourd’hui, il ne faudrait pas s’en étonner outre mesure.

Remarquons à ce propos que la structuration même du Pacifi s’y prête étonnement bien. L’organisation des critères de validation en 10 capacités et 10 attitudes permet d’imaginer sans difficulté la construction d’une grille de 20 items sur le modèle du B2i et du Livret personnel de compétences (LPC) mis en œuvre à la rentrée 2010 par la DGESCO. A chaque item correspondrait une case à cocher par l’élève sollicitant validation et une autre à l’attention du professeur attestant la compétence atteinte. L’outil pourrait se concevoir comme autonome par rapport au LPC ou bien s’intégrer dans son application numérique.

Les fortes convergences entre le document Pacifi et le document « Fiches repères pour la mise en œuvre du livret personnel de compétences au collège »2 publié dans la même collection par la DGESCO en mai 2010 obligent à penser en ces termes et à formuler cette prévision. La publication dans la même collection, le cadrage du directeur de la DGESCO, la reprise du terme de « fiches repères » nous y invitent… Il n’est qu’à lire la présentation sur Eduscol du document LPC pour s’en convaincre : « Le cahier de fiches repères est constitué de fiches repères destinées à accompagner les équipes pédagogiques. Elle fixent un cadre national pour les pratiques tout en proposant des pistes de réflexion pour organiser les apprentissages, évaluer les compétences, piloter la mise en œuvre du socle dans les établissements, gérer la liaison inter-degrés et inter-cycles. »3 C’est à s’y méprendre la teneur même du cadrage institutionnel du Pacifi.

Le Pacifi d’avant le Pacifi

Cette idée de disposer d’un outil de validation des compétences info-documentaires n’est, en fait, pas nouvelle. Quelques équipes d’enseignants documentalistes s’y étaient déjà essayées, notamment en 2003 et 2004, suite à l’impulsion donnée par le rapport Pouzard qui instaurait la politique documentaire (2001) et le lancement du B2i. Avaient été ainsi proposés le « Certificat d’aptitudes vers la maîtrise de l’information (C.A.M.I.) »4 de l’académie d’Orléans-Tours, et le « Portfolio des compétences documentaires » 5 de l’académie de Versailles publié un an après. Ces deux outils avaient en commun la reprise du modèle de la première mouture du B2i. Le portfolio a même adapté la plate-forme GIBII qui a été transformée à l’occasion pour être adaptée aux compétences info-documentaires. Le texte de cadrage de ces deux outils préconisait déjà un repérage de capacités au travers d’activités documentaires « en liaison étroite avec les disciplines ». Notons, et ce n’est pas anodin, que deux des acteurs qui ont participé à l’élaboration du document Pacifi, ont été partie prenante de ces deux projets initiaux.

En 2004, le rapport de l’IGEN sur « Les Politiques documentaires des établissements scolaires »6 s’appuie d’ailleurs sur ces deux antécédents pour promouvoir un outil de validation à l’échelon national. On peut y lire en effet, p. 41 : « Dans le prolongement de ces réflexions, en s’appuyant sur les travaux réalisés dans les académies et en s’inspirant de la démarche B2i avec ses différents niveaux, il nous paraîtrait intéressant de créer au plan national un livret ou un portefeuille de compétences documentaires et informationnelles (PCDI). Au-delà de l’intérêt que peut présenter un tel outil pour chaque collégien ou lycéen, ce PCDI contribuerait à faire évoluer les pratiques pédagogiques en invitant chaque enseignant, dans l’esprit du B2i, à évaluer dans son champ disciplinaire les acquisitions concernées. Une solution simple ne serait-elle pas relier PCDI et B2i en créant un B3i (brevet de compétences en matière d’information, d’informatique et Internet) ? » Le PCDI et le Pacifi sont donc liés, même si six années les séparent. Entre temps, l’instauration du Socle commun aura sans doute apporté de l’eau au moulin, permettant bien sûr le passage au plan national, mais plus encore la possibilité d’instaurer une validation d’envergure.

A la suite du Rapport, en 2005, une équipe de l’académie de Toulouse, coordonnée par Pierre Rivano, IA-IPR EVS, souhaite apporter sa contribution à la réflexion autour du PCDI et propose un « Portefeuille de compétences à acquérir »7 dans le cadre d’une progression des apprentissages documentaires de la sixième à la terminale. Cet IA-IPR est lui aussi membre du groupe de travail du document Pacifi.

Paru en mars 2009, le dernier rapport conjoint de l’IGEN et de l’Inspection générale des bibliothèques (IGB), « L’accès et la formation à la documentation du lycée à l’université : un enjeu pour la réussite des études supérieures » ne reprend pas frontalement cette proposition, mais l’évoque cependant au détour de trois recommandations distinctes :

  • Proposer un cursus continu de formation à la maîtrise de l’information, organisé de la seconde à la terminale, et au-delà, incluant notamment la préparation à l’usage de tous les types de bibliothèques (médiathèques municipales, bibliothèques universitaires)
  • Évaluer les compétences acquises en maîtrise de l’information : un B2i lycée (Information et Internet) intégré au baccalauréat
  • Élaborer un guide présentant un ensemble structuré de situations pédagogiques

On le voit au travers de cette courte généalogie du Pacifi, la volonté de mettre en place une validation de compétences au moyen d’un outil est à l’œuvre.

Ne pas confondre évaluation des savoirs et validation de compétences

Nous avons toujours, pour notre part, défendu l’intérêt que pouvait représenter l’évaluation des savoirs info-documentaires. L’institution de cette évaluation apporterait au moins trois garanties essentielles.

Une garantie structurelle tout d’abord. Elle ne pourrait pas se comprendre hors de l’instauration d’un curriculum info-documentaire établissant un plan d’enseignement global de l’information-documentation dans le cursus de l’élève8. Un tel dispositif, fondé sur une matrice disciplinaire, désignant des acteurs, des objets d’enseignement-apprentissage, un programme et ses déclinaisons ainsi que les conditions d’enseignement et l’évaluation des apprentissages, n’a bien évidemment aucune commune mesure avec un simple « parcours » ou une « progression » en zigzags au gré des programmes disciplinaires.

Une garantie didactique ensuite, celle d’assurer la certification de connaissances et de compétences dûment construites grâce à un enseignement-apprentissage réel et solide. Un programme raisonné et fondé sur des savoirs didactisés en est la condition première. L’évaluation, dans ce cadre, sanctionnerait un apprentissage structuré qui a réellement eu lieu, et non pas des performances, indices d’une compétence supposée, qui apparaîtraient ici ou là dans un « parcours » effectué en pointillés dans le meilleur des cas. Aboutissement logique d’une formation prévue en amont, l’évaluation ne peut donc pas être rapprochée d’un dispositif de validation désordonnée de compétences, dont la conséquence serait d’orienter la formation a posteriori, dans une logique de pilotage par les résultats.

Enfin, une garantie de professionnalisation, puisque l’acte d’évaluer a une incidence cruciale sur la valeur de ce qui est enseigné et, partant, sur celle du responsable de cette évaluation. Sauf à continuer à considérer les objets d’enseignement de l’information-documentation comme des compétences transversales – ce qui n’est aujourd’hui plus admis - il est bien étonnant de lire encore que ces contenus pourraient être validés dans d’autres disciplines. Un enseignant de français est-il fondé à évaluer des acquis en Histoire-géographie ou en SES ? L’identité enseignante est intrinsèquement liée à l’évaluation et à la responsabilité qu’elle incombe en la liant directement à la formation qui la fonde.

La question mériterait encore débat si l’on ne prenait en compte que les aspects méthodologiques et cognitifs liés à certains segments de la maîtrise de l’information, et c’est peut-être ce dont il est encore question dans l’esprit des concepteurs du Pacifi. Dans ce cas, doit-on parler d’avancée ou, plutôt, de stagnation ? En revanche, la dimension théorique de l’information-documentation, constituée de savoirs conceptuels, analytiques et opératoires tels que les ont bien repérés les auteurs des fiches « Repères », ne saurait être validée par d’autres catégories que celle des professeurs documentalistes.

En dehors même de l’argument selon lequel on ne peut, de fait, observer aucune cohérence de fond ou de forme dans les programmes des disciplines, et, a fortiori, s’en remettre à ceux-ci pour un enseignement de qualité, on peut également douter du niveau d’exigences épistémique du plus grand nombre de disciplines. Il peut paraître en effet inquiétant, pour un expert comme l’est l’enseignant documentaliste, de lire certaines approximations dans ces programmes. Par exemple dans cet extrait donné justement comme exemple à tenir dans le cadrage institutionnel du document Pacifi, s’agissant du programme de 6ème : « L’élève apprend à se repérer dans cette immense bibliothèque mondiale (sic), à trier et à hiérarchiser les informations… » (p. 3). Un enseignement digne de ce nom exige pourtant que soient rigoureusement différenciés ce qui relève des représentations et du sens commun (le web représenté comme un « immense bibliothèque mondiale »), et ce qui revient aux concepts (Web ; bibliothèques et centres de documentation ; etc.) constitutifs d’un véritable champ disciplinaire.

Sur ce point précisément, celui de la responsabilité de la validation des connaissances du domaine info-documentaire, les gages sont bien loin d’être donnés. Tout montre au contraire qu’un processus de transfert de responsabilité s’effectue de l’enseignant documentaliste vers les enseignants de disciplines mais également vers les acteurs de la Vie scolaire.

Une raison donnée à la simplification de la grille de critères

Nous avons déjà eu l’occasion de souligner la réduction épistémique dont les propositions de situations pédagogiques ont fait l’objet, en prenant l’exemple notamment de la fiche « Repère » n°6. A suivre les prescriptions du document Pacifi, toutes les actions présentées dans cette fiche pourraient être validées au moyen de trois critères seulement, le premier relatif à l’usage des dictionnaires imprimés et numériques (C1) et les deux autres au regard de la sensibilité de l’élève à la diversité culturelle (A3) et à sa curiosité (A7). Pourquoi avoir organisé une telle réduction ? On sent bien, à la lecture des ces approximations, le poids de la contrainte d’un choix effectué a priori et en dehors de la logique intrinsèque au champ disciplinaire concerné. Cette contrainte, nous l’avons analysé, consistait à extraire au moins une capacité et une attitude de chacun des 7 piliers du Socle commun afin de montrer que ces compétences se retrouvaient partout. Mais à quel prix !

En dehors de la contrainte structurelle, on peut très bien imaginer également que, dans l’esprit d’une validation qui reviendrait à d’autres disciplines, en plus de faire au plus pressé, il ait encore fallu faire simple.

C’est en tout cas ce que nous laisse penser un membre de l’équipe Pacifi, Pierric Bergeron, lorsque, lors d’une session du Groupe de travail académique (GTA) qui s’est tenu dans l’académie de Poitiers en juin 2010, il rend compte d’ « un travail autour d'un curriculum (sic) info/documentaire (groupe PACIFI) ». Il explique alors que « ces fiches seront diffusées par les professeurs documentalistes mais ont été rédigées avec le souci d'être utilisables par tous les enseignants. ». Une autre preuve nous est fournie par Blandine Raoul-Réa, une autre contributrice du Pacifi, lors d’une présentation du document à destination des lecteurs du Café pédagogique (édition mensuelle du 20 octobre 2010). Elle nous éclaire sur le cahier des charges des 10 fiches : « en limitant cette notion à quatre objectifs, les fiches gagnent en concision et précision permettant ainsi à toutes les équipes de réfléchir sur l'évaluation de ces objectifs. » Bien qu’il ne s’agisse pas ici des critères de validation tirés du Socle commun, la relation entre l’effet de « concision », l’évaluation et « les équipes » est clairement exprimée.

Ce « souci » n’est certes pas condamnable en soi, mais il pourrait le devenir s’il a pour conséquence une telle réduction des objectifs et des contenus de l’information documentation qu’ils en rendent la lecture impossible et si, par rétroaction, les formations elles-mêmes ne devenaient pas trop simplifiées pour rendre possible la validation des items. Souci de lisibilité, de faisabilité, lisons-nous. Mais plus encore révélateur d’un processus de déresponsabilisation pédagogique des enseignants documentalistes.

La délégation des formations info-documentaires aux disciplines

Le désir de rétrograder les professeurs documentalistes de leur responsabilité enseignante ne date pas du Pacifi. Cela fait à présent 11 ans que cette entreprise de déclassement de l’axe pédagogique, jugé essentiel depuis le rapport Tallon de 1974 et entériné par les deux circulaires de 1977 et de 1986, a commencé.

La greffe de la politique documentaire « en milieu scolaire », ne l’oublions pas, a été instaurée en 2000, lors d’un séminaire national organisé à Versailles sous l’égide de la DESCO et du CNDP, et dont le titre a d’ailleurs été repris mot pour mot, quatre ans plus tard, par le rapport de l’Inspection générale, « Les politiques documentaires des établissements scolaires ». Il s’est agi dès lors de remettre le document –aujourd’hui on parle plus souvent de ressources- au centre des préoccupations du « service de documentation » (sic) et d’assurer la « reprise du dossier des CDI », selon l’expression révélatrice du directeur général du CNDP d’alors.

Cette reprise en main nécessitait que soient inversées les polarités traditionnelles entre gestion et pédagogie. Afin de mieux contrôler les flux de ressources dont les établissements doivent se pourvoir (cf les « chèques ressources » présentés par le ministre de l’Education nationale le 25 novembre 2010) un système/service d’information devrait être correctement organisé dans chaque EPLE. Or, le maintien d’un tel service exigerait une expertise technique poussée et réclamerait toute la disponibilité du personnel de documentation.

Dans cette logique bibliothéconomique, l’axe relatif à la mission pédagogique du professeur-documentaliste nécessite d’être réévalué. Un discours s’est donc aussitôt mis en place, mêlant compréhension compassée sur le sentiment de non-reconnaissance dont souffre la profession, et gage de revalorisation identitaire par l’accès à un haut degré d’expertise technique et par un recentrage sur les valeurs de service. Plus prosaïquement, et pour rebondir sur la doléance récurrente des enseignants documentalistes qui se plaignaient de l’accumulation des tâches qui les assaillent au quotidien, l’Inspection générale a installé l’idée que la fonction pédagogique devait être tout simplement abandonnée : « soit le documentaliste estime qu’il doit lui-même prendre en charge la plus grande partie de la formation et, dans ce cas, sauf à exercer dans un très petit établissement, il sera rapidement conduit à renoncer à d’autres tâches, soit il fournit les outils qui vont permettre à l’enseignant disciplinaire d’assumer cette partie des programmes » 9.

En conséquence, l’axe pédagogique s’est vu rétrogradé des deux premières places en 1986 (4 axes dans la circulaire de missions) à la deuxième en 2001 (trois axes dans le rapport Pouzard) et à la troisième en 2004 (quatre axes dans le rapport Durpaire dont les deux premiers consacrent la gestion du centre)10. Il n’a repris sa première place dans le projet du 18 janvier 2011 qu’au prix de la perte de la responsabilité pédagogique du professeur-documentaliste. Dans le même temps, et ce depuis 2001, la place prépondérante est prise par la mise en œuvre d’une politique documentaire.

Plus encore, c’est à un renversement – ou à la disparition pure et simple - de sa matrice identitaire que la profession a eu affaire. Dans la circulaire de 1986, la gestion du CDI est subordonnée à la mission pédagogique qui se veut intégrative. C’est précisément l’inverse aujourd’hui lorsque l’on observe que la politique documentaire est en passe de devenir cet axe intégrateur qui englobe la pédagogie – ou « participation à la formation des usagers » – pour en faire l’un de ses volets, au même rang que l’accès aux ressources et l’ouverture culturelle. C’est tout simplement la hiérarchisation des fins et des moyens qui a été inversée ces dix dernières années.

Pour permettre au « documentaliste en milieu scolaire », selon l’expression installée par le rapport Pouzard, de se consacrer à cette nouvelle tâche très prenante, le discours institutionnel affirme qu’il est devenu nécessaire de transférer aux enseignants de discipline une partie de ses activités jugées trop chronophages, en l’occurrence les actions de formation des élèves.

Les exhortations ne manquent pas de la part de l’institution pour demander à l’enseignant documentaliste de former ses collègues de discipline à ce qu’il sait faire si bien lui-même et à reprendre sa place d’auxiliaire de l’enseignant et de prestataire de ressources. Cependant, les enseignants de discipline n’ayant pas encore les compétences requises pour former convenablement les élèves à la formation, il est tout simplement demandé à leur collègue documentaliste d’assurer en quelque sorte l’intérim ! Celui-ci doit ainsi les former en leur prodiguant des conseils et, plus concrètement, en leur transférant progressivement une expertise pédagogique acquise au cours de ces trente dernières années. Comment ? Tout simplement en transmettant aux collègues de discipline leurs fiches pédagogiques et en leur présentant, par exemple, des outils de validation afin qu’ils prennent dès que possible la pleine responsabilité de ces formations. Les lecteurs attentifs du rapport de 2004 se souviennent de ces quelques lignes : « En matière de recherche documentaire, les documentalistes interviennent essentiellement dans des contextes proposés par les enseignants : ECJS en seconde, TPE en première et terminale. Ils ont renoncé à des formations théoriques, c’est-à-dire non liées à une demande d’un enseignant disciplinaire. Leurs interventions, plutôt que de s’exprimer sous forme d’un cours de documentation, consistent à fournir aux enseignants des outils précis qui se révèlent toujours précieux pour le travail projeté. Ces apports méthodologiques se traduisent par exemple par des guides à la recherche : grille « apprendre à se poser les bonnes questions », note sur comment citer ses sources de manière normalisée selon qu’il s’agit d’un ouvrage, d’un chapitre d’ouvrage, d’un article de périodique, d’un site web ; comment constituer un panneau qui rendra compte du travail de recherche, comment réaliser une bibliographie. On trouve aussi des documents facilitant la prise de notes de références documentaires. Tous ces documents ont été créés à partir d’un constat : « les enseignants ne sont pas assez clairs dans les objectifs de recherche qu’ils posent ». En matière de recherche sur Internet, les documentalistes apportent des informations sur les types d’outils de recherche disponibles, sur leur évolution, sur les sites pertinents. Les documentalistes sont parfaitement dans leur rôle en offrant les éléments qui, d’une part, facilitent les travaux de recherche des élèves, d’autre part contribuent à leur formation méthodologique, ainsi qu’à celle de leurs collègues disciplinaires. »11 Quelques pages plus loin, on peut encore lire que « l’acquisition des compétences documentaires n’est pas l’affaire du seul documentaliste, mais le documentaliste joue un rôle premier en fournissant des outils de diverses natures à ses collègues disciplinaires. »

Avant même la parution de ce deuxième rapport sur la politique documentaire, le message était déjà bien passé et les auteurs du Portfolio de Versailles pouvaient écrire en préambule que « l’outil sera présenté aux élèves, par le professeur documentaliste, à l’occasion d’un travail de recherche. En revanche, l’utilisation de l’outil pourra être partagée, voire déléguée, aux professeurs de discipline. » C’est à peu de chose près ce que l’on trouve dans le compte-rendu du GTA de l’académie de Poitiers de juin 2010.

Dès la parution du Pacifi, le billet du Café pédagogique, déjà cité, ouvre par cet avertissement : « Un appui pour les documentalistes, mais pas seulement… » Tout est bien en suspension.

Inutile de rappeler ici les innombrables citations et propos tenus qui ont pour conséquence de renvoyer les (enseignants) documentalistes à des tâches de service technique. L’importation en milieu scolaire du concept de politique documentaire, issue du monde des bibliothèques, impacte en même temps l’idée que les enseignants documentalistes ne sont pas des enseignants, mais relèvent « de la grande famille des documentalistes et de celle des bibliothécaires »12. Le dernier numéro d'Info Doc (n°77, oct. 2011) diffusé à l'interne par l'IGEN, envoie d'ailleurs en continu de tels messages au réseau des IGEN et IA IPR EVS au travers d'une bibliographie ciblée : monde des bibliothèques, learning resources centres, intégration disciplinaire des contenus info-documentaires...

La future circulaire de mission, si elle voit le jour dans cette période aussi peu propice pour la profession, risque de surprendre ceux qui n’ont pas encore pris la mesure de ces enjeux. Les futurs SID ou ECDI, ou quel que soit le nom qu’ils pourraient prendre puisque l’Inspection générale souhaite tourner la page CDI, et qui prennent pour référence les learning resources centres, n’ont pas besoin de professeurs documentalistes, mais de bibliothécaires assurant leurs 36 heures de service dans le centre13.

A la suite de la démission évaluative, c’est toute l’identité enseignante de la profession, si chèrement conquise, qui disparaîtra.

Rappel des articles précédents sur le Pacifi :

  1. Le Pacifi, un océan de questions. Introduction à une analyse critique du document Pacifi. (01-01-2011)
  2. Le Pacifi et le tropisme procédural de l'institution. Analyse critique du document Pacifi. (10-01-2011)
  3. Le Pacifi : Une référence ambiguë au Socle commun. Analyse critique du document Pacifi. (17-01-2011)
  4. Le Pacifi : Un hiatus entre les fiches « Repères » et le cadrage institutionnel. Analyse critique du document Pacifi. (24-01-2011)

  1. Colloque « Culture informationnelle : didactique, dispositifs d'apprentissage et évaluation » . Sours-Chartres, académie d’Orléans-Tours, 28 mai 2010. « Pour un parcours de formation à la culture de l’information » 

  2. Fiches repères pour la mise en œuvre du livret personnel de compétences au collège 

  3. Eduscol. [Outils pour l'évaluation des compétences]( (http://eduscol.education.fr/pid23228-cid52432/outils-pour-l-evaluation-des-competences.html) 

  4. Senger Anne-France, Bernier Pascal, Koenig Didier. « Certificat d’aptitudes vers la maîtrise de l’information (C.A.M.I.) », 2003 

  5. Académie de Versailles. « Le portfolio des compétences documentaires ». Site de l’Académie de Versailles, 2004 

  6. Durpaire Jean-Louis. « Les Politiques documentaires des établissements scolaires ». Rapport à monsieur le ministre de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, mai 2004 

  7. Académie de Toulouse. Portefeuille de compétences documentaires : grille d’évaluation. Mise à jour : 2007-2008 

  8. GRCDI. 12 propositions pour l’élaboration d’un curriculum info-documentaire. 2010 

  9. Durpaire, 2004. Id. p. 19 

  10. Sous la pression d’une partie de la profession, inquiète sur l’avenir de son identité enseignante, l’Inspection générale a remonté d’un niveau (seulement) cet axe dans le document « Protocole d’inspection des professeurs documentalistes » de février 2007. De même, l’appellation de « professeurs documentalistes », retirée du rapport de 2004, est réapparue. 

  11. Durpaire, 2004. Id. p. 16 

  12. Durpaire, 2007. Id. p. 3 

  13. Il convient d’être très vigilent à ce sujet. Par exemple, la récente circulaire n° 2011-157 du 14-9-2011 parue au BO n°34 du 22-09-2011, relative à la « Professionnalisation des formations pour les étudiants se destinant aux métiers de l'enseignement » informe les acteurs institutionnels académiques, dont les chefs d’établissement, qu’un « documentaliste » (sic) effectue 36 heures : « Durant cette période [de stage], les activités confiées au stagiaire ne peuvent excéder, par semaine, 27 heures (stage de professeur des écoles) ou 18 heures (stage de professeur du second degré) ou 36 heures (documentaliste) ou 35 heures (CPE). » 


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