Référence documentographique

DUPLESSIS Pascal et al. Recherche des représentations des notions info-documentaires par les élèves du secondaire [en ligne]. Les Trois couronnes, 2009. Disponible sur Internet :

http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/didactique-information/recherche-des-representations-des-notions-info-documentaires-par-les-eleves-du-secondaire

Recherche des représentations des notions info-documentaires par les élèves du secondaire

"Octopus15" de Smakhtin, 2009

Poursuivant ses recherches en didactique de l'information, un groupe de travail de l'académie de Nantes a entrepris l'inventaire des représentations des élèves relatives aux notions info-documentaires. En s'appuyant sur les évaluations diagnostiques écrites, ce groupe a produit une banque d'énoncés langagiers de la 6ème à la terminale. Leur analyse devrait permettre de dégager, au-delà des représentations émergeantes, les principaux obstacles que rencontrent les élèves du secondaire à l'appropriation des savoirs scolaires de l'Information-documentation. La visée de ce projet est l'élaboration de situations-problèmes.

Qu’est-ce qu’une représentation ?

Les représentations sont généralement considérées comme des systèmes de connaissances déjà présentes dans l’appareil cognitif du sujet, que celui-ci mobilise spontanément pour répondre à une question ou pour résoudre un problème, à l’intérieur ou en dehors de tout apprentissage. Elles renvoient donc à des façons particulières de raisonner qui se réfèrent à un modèle explicatif préexistant aux apprentissages formels.

Un élève de 6ème, par exemple, énonce qu’un mot-clé est « le mot important » contenu dans la phrase. Si cette représentation, issue de sa propre perception du signifiant « clé » ou générée par le cours de français, se maintient dans le registre de validité de l’Information-documentation, elle va gêner l’apprentissage en empêchant l’élève de comprendre que le mot-clé est indissociable du concept d’indexation et en quoi il permet de comprendre le fonctionnement des moteurs et d’agir sur eux.

Organisé, structuré, ce modèle constitue le premier cadre de référence des élèves. Il évolue au gré des expériences du sujet, intégrant les informations qui le confortent, qu’elles soient d’ordre privé ou scolaire. L’intérêt est qu’elle lui fournit une grille de lecture et de prévision du monde, témoignant d’une activité de construction mentale du réel, et dont les moindres avantages sont la fonctionnalité et l’opérationnalité immédiates.

Elles permettent en outre de réaliser une économie cognitive non négligeable, préférant des solutions déjà rôdées à des remises en cause périlleuses et toujours coûteuses. La contre-partie est l’enfermement du sujet dans des structures rigides qui empêchent tout progrès cognitif. Les représentations offrent par conséquent une résistance efficace aux nouveaux apprentissages. Puisque l’élève ne peut saisir le monde qu’à travers elles, André Giordan a raison de les considérer comme autant de « prisons intellectuelles » .

Pourquoi s’intéresser aux représentations des élèves ?

Le système explicatif de la représentation interfère dans le processus d’apprentissage. Il est ainsi normal, au moment où s’élabore une nouvelle didactique, de s’intéresser de près à ces modèles de compréhension première et d’apprécier en quoi ils facilitent ou gênent les savoirs scolaires de l’Information-documentation. Il faut alors partir de l’idée qu’au-delà de la diversité des expressions des élèves se tient un nombre limité de représentations à l’œuvre. C’est bien cette exploration qui constitue la tâche première du didacticien.

Le postulat de départ est constructiviste : apprendre, c’est changer de représentation, soit par rupture avec la représentation antérieure, soit par évolution continue vers une nouvelle. Il convient alors de circonscrire les « déjà-là » cognitifs des élèves qui sont susceptibles de peser sur le processus de changement accompagnant la construction des connaissances. Ces « déjà-là » sont-ils de nature à accompagner le changement ou, au contraire, à le bloquer ?

Dès lors, comment pourrait-on penser sereinement des situations d’apprentissage sans disposer au préalable d’une cartographie des représentations élémentaires des élèves dont on a la charge de faire progresser ? Les didactiques des disciplines ont depuis longtemps intégré ce constat et entrepris ce travail d’inventaire. Elles ont commencé par faire la critique de la pédagogie traditionnelle pour laquelle l’élève est une « table rase ». Le cours magistral fait ainsi l’impasse sur la (re)connaissance du capital cognitif de l’élève, déversant de nouveaux savoirs sur des structures non disposées à les recevoir et non préparées à les agréger. Il en résulte que l’élève superpose une nouvelle couche de connaissances non stabilisées, non suffisamment ancrées dans son système cognitif, qu’il n’utilisera pas dans le propos de s’orienter dans d’autres situations mais dans l’unique but de réussir une prochaine évaluation. Sitôt celle-ci passée, l’ancienne représentation, non pour autant déstabilisée, réapparaît, laissant l’enseignant s’étonner de la fragilité des savoirs qu’il pensait pourtant acquis.

La prise en compte des représentations des élèves s’appuie sur ces remarques. Fondamentale, elle ouvre la voie à trois perspectives didactiques :

  1. axe psychologique : tenir compte des représentations antérieures, plutôt que de les ignorer, participe à une meilleure connaissance des processus cognitifs des élèves. Révéler les obstacles aux apprentissages devrait permettre de trouver des moyens plus efficaces pour les lever, à condition de repenser les situations d’enseignement-apprentissage à partir de ces constats et de ces résultats ;

  2. axe épistémologique : penser les savoirs scolaires, non pas comme des déclinaisons des savoirs savants, mais comme le produit dialectique d’une rencontre entre ceux-ci et les représentations des élèves. Les savoirs scolaires ont une épistémologie qui leur est propre et qui les fait exister en dehors de ces deux sphères. Ils se constituent en partie à l’articulation des attentes sociales, des propositions scientifiques et des besoins psychologiques des sujets. L’analyse des représentations permet ainsi de connaître ces besoins, par la mesure de l’écart entre l’attendu et le constaté, par la connaissance des références qui servent de cadre de pensée et d’action aux élèves, par l’appréciation, enfin, de leurs possibles cognitifs ;

  3. axe praxique : l’analyse des représentations des élèves a pour but l’élucidation des obstacles aux apprentissages. Jean-Louis Martinand propose d’utiliser ces résultats pour identifier, non pas des objectifs au sens classique de compétences à atteindre, mais pour repérer ce qu’il appelle des objectifs-obstacles, qui sont les connaissances que la confrontation à l’obstacle par le sujet doit lui permettre de construire au cours de la séquence. Il invite ainsi à considérer l’obstacle, non plus comme quelque chose de néfaste devant être soit ignoré soit détruit, mais comme un véritable levier pour apprendre. L’enseignant peut ainsi s’appuyer sur les difficultés que rencontre l’élève pour lui proposer des situations d’apprentissage adaptées. Celles-ci doivent en effet lui donner l’occasion, afin de réduire et de vaincre ces difficultés, de remettre en cause ses représentations pour les faire évoluer ou les remplacer par d’autres plus opérationnelles. Le cadre des situations-problèmes offre ici une perspective incontournable.

Comment repérer les représentations ?

Jusqu’ici, les évaluations des savoirs documentaires des élèves ont exclusivement porté sur les compétences méthodologiques et procédurales, prenant pour support les productions documentaires (exposé, dossier, panneau, diaporama, page web, etc.) Mais s’agissant de concepts et non pas de savoir faire, ce type d’évaluation ne peut être retenu. Pour examiner ce que les élèves comprennent des abstractions qui sont la véritable cible de l’apprentissage, il faut pouvoir disposer de traces évoquant ce dont ils sont capables, non d’en faire, mais d’en dire. L’attention a donc été portée sur les énoncés écrits, produits en situation d’évaluation diagnostique (avant la séquence) ou/et sommative (après la séquence).

Ces énoncés ont été générés à partir de questionnaires élaborés en commun et expérimentés ensuite sur le terrain. Plusieurs niveaux de classe ont été sollicités afin d’offrir à l’analyse l’amplitude la plus large et par conséquent une vue d’ensemble des représentations selon les âges.

Pour réaliser ce projet de constitution de corpus, et afin que les résultats puissent être rapprochés utilement bien que produits dans des contextes différents, l’équipe a dû convenir de plusieurs protocoles :

  • un protocole pour la réalisation et la présentation des questionnaires destinés aux classes ;

  • un protocole pour la saisie des données relatives au contexte des évaluations : leur inscription dans la séquence et dans la progression de l’année ;

  • un protocole pour le recueil des résultats constitués par les énoncés produits. Par ailleurs, un soin tout particulier a été attaché à la retranscription des réponses des élèves, jusqu’à respecter scrupuleusement l’orthographe et la ponctuation.

Comment sont organisés les corpus d’énoncés à analyser ?

Les énoncés sont regroupés dans des fichiers distincts relatifs à chacun des concepts à analyser. Par exemple, le fichier « Auteur » regroupe tous les résultats consécutifs à une ou à plusieurs questions portant sur le concept d’auteur, dans différentes classes et établissements, de la 6ème à la Terminale. Chaque fichier permet donc de disposer d’un grand nombre d’énoncés (545 pour le concept « Auteur » à ce jour, 638 pour le concept « Information ») permettant de prétendre à une certaine fiabilité des résultats de l’analyse.

A l’intérieur de ces grands regroupements, les réponses sont d’abords rassemblées selon leur contexte de production, lequel est présenté dans un cartouche rassemblant les informations utiles à l’interprétation des résultats : lieu, date, moment de l’évaluation dans la séquence, localisation de la séquence dans l’année, détails des autres concepts travaillés, énoncé attendu par le professeur, etc. Des commentaires sont ajoutés, si nécessaire, pour signaler tout point particulier devant être pris en compte.

Chaque fichier présente ses listes d’énoncés en suivant la progression curriculaire du secondaire, en commençant par le niveau 6ème. Il devrait être ainsi possible de distinguer des évolutions dans les représentations, mais d’observer également des invariants.

Quelles sont les étapes du projet ?

L’intention première qui anime ce projet est de pouvoir disposer, pour chaque concept du domaine, d’un inventaire des représentations qui font obstacles aux apprentissages. Le premier temps de ce projet, que nous présentons ici, consiste donc à établir et à rendre disponibles des corpus pertinents et fiables.

Dans un second temps, l’analyse de ces obstacles reste à conduire. Nous pensons qu’au-delà des multiples formes que prennent les énoncés langagiers obtenus, des constantes en nombre réduit peuvent être dégagées à partir desquelles induire les principaux obstacles rencontrés par les élèves.

Enfin, l’identification des principaux obstacles repérés devrait conduire à l’élaboration d’objectifs-obstacles utilisables par l’enseignant-documentaliste pour la conception de séquences pédagogiques dont l’objectif serait alors de transformer les conceptions incorrectes ou approximatives en conceptions justes. La construction de véritables situations-problèmes est par conséquent envisagée en tant que visée principale du projet.

Appel à collaborations

En attendant les premières conclusions du groupe, prévues en cours de l’année 2009, il a été jugé important et utile de mettre ces données brutes à disposition de tous, professionnels de terrain, chercheurs, étudiants d’IUFM, des Sciences de l’éducation ou des Sciences de l’information et de la documentation, et ce, dans un esprit de mutualisation et d’ouverture . Il s’agit également de (dé)montrer, une fois de plus, non seulement l’existence d’une matière conceptuelle scolarisable, mais encore l’enjeu de l’évaluation dans la construction des savoirs info-documentaires.

Ces premiers corpus seront bientôt complétés par d’autres que nous constituons en ce moment même. Cela dit, l’entreprise dépasse de loin nos seules forces. Aussi appelons-nous les collègues intéressés par ce chantier, seuls, en équipes ou en bassins, à nous aider à augmenter le nombre des concepts en cours de traitement et à multiplier ces corpus par des collectes sur de nouveaux concepts, ceci dans le but d’offrir à la profession une banque de données couvrant à terme tout le domaine conceptuel. Les équipes intéressées sont ainsi invitées à prendre contact avec nous.


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