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ACTU : Eleusie dénonce la variable d’ajustement

A lire sur « Le plus », le nouvel espace participatif du Nouvel Observateur, le 1er septembre 2012, cette réaction courageuse d’Eleusie de Mortagne à propos des professeurs "placardisés au CDI". Cette collègue inaugure bien la rentrée scolaire en secouant le tabou des postes de professeurs documentalistes servant de variables d’ajustement à l’institution : « Quand j'ai lu l'article paru sur Rue 89, consacré aux "mauvais profs", j'ai tiqué en lisant qu'une des alternatives possibles pour les "recaser" était de les mettre en poste au CDI ».

Dans son billet « Les "mauvais profs" placardisés à la documentation? Mon métier n'est pas une poubelle » Eleusie de Mortagne réagit à l’article du journaliste Ramses Kefi, paru dans Rue89 le 30-08-2012, qui posait la question : « Que faire des ‘mauvais profs’ ? ». Une des solutions évoquées dans ce texte, et aussitôt dénoncée, est de les affecter « à des postes de documentalistes dans les CDI ».

Notre collègue bâtit sa réponse sur deux points forts. La dénonciation de ces pratiques abusives de l’administration qui instrumentalise les postes d’enseignants documentalistes, et l'affirmation qu’être professeur documentaliste, « ça s’apprend » et que cela exige d’avoir au mieux réussi le CAPES ou, tout au moins, d’avoir bénéficié d’une véritable formation professionnelle. legende Avenir, de Theodore1967 (CC)

La question soulevée est malheureusement d’actualité, à l’heure même où, à la session 2012, pas moins d’un tiers des postes mis au concours (105 admissions sur les 157 à pourvoir) n’a pas été affecté. En contrepartie, aucune statistique –ni politique- claire n’est fournie sur le nombre exact des personnels en reconversion, en adaptation ou faisant fonction occupant de fait des postes de certifiés de documentation. Ainsi, dans de nombreuses académies, sont affectés en CDI des enseignants qui sont ou bien surnuméraires dans leur discipline, ou bien dans l’impossibilité d’affronter la classe. L’illusion première, dont peuvent être victimes ces collègues, est de penser qu’au CDI, on ne travaille pas avec les classes et les élèves alors que des séances pédagogiques en information-documentation y sont régulièrement conduites ! Une autre illusion, toute aussi tenace, tient à la croyance que la tenue d'un CDI - on dira plutôt son "ouverture"- serait à la portée de n'importe qui...

Derrière cette politique subreptice de la variable d’ajustement, derrière cette baisse des recrutements, nous retrouvons la sempiternelle désaffection, voire le reniement de l’institution pour le métier depuis plus de 20 ans et, particulièrement, ce refus de considérer le professeur documentaliste comme un véritable enseignant, avec des contenus, des progressions et des responsabilités pédagogiques. De ce déni résulte ce flou identitaire qui pèse tant sur la relation entre équipe de direction, équipe pédagogique, vie scolaire et enseignants documentalistes. Comment rehausser la valeur de l’information-documentation et les représentations que s’en font les collègues quand n’importe qui, sans CAPES ad hoc, sans formation spécifique de qualité et, qui plus est, en posture de « dé-classement », peut venir bricoler au CDI ?

Cette politique a une autre incidence qui nourrit malheureusement une vision managériale de la profession. Elle l’oriente de fait à grands pas vers des postures qui l’éloignent de sa dimension pédagogique, et la conduisent tout droit vers la promotion des seules innovations technologiques, vers la seule gestion de flux d’élèves, d’espaces, d’outils et de ressources, et vers la fonction de « chef de service » adjoint au chef d’établissement. Un collègue insuffisamment préparé ou sans formation ne possède pas cette culture professionnelle dont il a besoin pour le construire et le guider dans ses pratiques et dans ses choix quotidiens, mais qui l'arme aussi contre les dérives qu'ont lui impose et contre l'instrumentalisation qui est faite de lui.

Les victimes collatérales de cette stratégie destructrice sont, au premier rang, les élèves, lesquels ne bénéficient pas de l'enseignement info-documentaire de qualité auquel ils ont droit ni même, dans certains cas, les services divers qu'ils devraient pouvoir attendre du CDI. Ce sont encore ces collègues eux-mêmes, lorsqu'ils sont affectés sans formation professionnelle pour les préparer à ces fonctions spécifiques, pédagogiques et techniques. Ce sont enfin les collègues de discipline qui attendent des collaborations efficaces avec des professionnels formés.

Eleusie de Mortagne a bien du courage de lever ainsi le voile sur l’un des ressorts cachés qui nuisent aujourd’hui terriblement à cette profession qu’elle défend avec force. S'il reste peu évident d'évaluer le ressenti des professeurs documentalistes sur cette question, les commentaires à la suite de l'article semblent lui donner raison. Florian Reynaud lui fait d'ailleurs écho dans un article, Planqués ou dépressifs : un mépris entretenu sur les professeurs documentalistes, où il confronte l'inertie des politiques relatives à l'information-documentation à ce qui est mis en oeuvre par les professionnels depuis longtemps dans les CDI. Il se livre en particulier à un commentaire analytique de ces problématiques du recrutement et de l’image identitaire que l’institution entretient par son immobilisme, ou pire, de manière délibérée...