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A propos de la lettre des IPR de Toulouse.

La lettre des IPR de Toulouse datée du 4 janvier et adressée aux CE et aux profs docs devrait être considérée, me semble-t-il, avec plus de circonspection et d'esprit critique. Les profs docs ne seraient-ils pas encore prévenus contre l'usage de la langue de bois ? Retour sur une lettre.

Si on la compare aux écrits dernièrement rapportés de l'IPR de Dijon 1, elle peut en effet faire illusion.

A y regarder de plus près, ces politesses ne concernent pas tant le professeur documentaliste que le conseiller technique, expert en maitrise d’œuvre de l'EMI et de la politique documentaire.

La phrase qui est souvent rapportée est celle-ci « Les professeurs documentalistes, experts de l’éducation aux médias et à l’information, sont les mieux à même de concevoir les modalités de cet enseignement, en termes de contenu, de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation. »

Je ne vois écrit nulle part que le prof doc enseigne... Il conçoit les modalités de l'EMI (nommé à tort « enseignement » !), « en termes de contenus » -c'est-à-dire qu'il peut établir un programme, réduit en fait au référentiel EMI- , « de mise en œuvre » -c'est-à-dire qu'il peut organiser et répartir les cours EMI dans les différentes disciplines (qui fera quoi et quand) - , « de suivi » - c'est-à-dire qu'il peut s'assurer que tout se passe bien sur un tableau affiché en salle des profs et en rendre compte dans un bilan de fin d'année -, et « d'évaluation » - c'est-à-dire qu'il peut proposer un référentiel de compétences EMI et veiller à ce qu'il soit validé. Mais je ne vois pas qu'il soit enseignant. Le mot reste toujours tabou pour l'institution, quelque soit son échelon, et l'on sait très bien pourquoi, notamment dans le cadre de la réforme du collège.

Par contre, je lis pour la énième fois cette affirmation selon laquelle l'EMI est « présente dans tous les champs du savoir transmis, elle est prise en charge par l’ensemble des enseignants, dont les professeurs documentalistes, qui veillent collectivement à ce que les élèves [l'] acquièrent à l’issue du cycle 4 ». Transversalité totale. Profs et profs docs sur le même plan, pas plus experts l'un que l'autre.

Je lis encore que le prof doc a « une place, voire une responsabilité toute particulière, dans la mise en œuvre d’ensemble de la réforme. » Un rôle également dans « l’accompagnement personnalisé, l’élaboration et la mise en œuvre des parcours éducatifs (citoyen, santé, avenir, éducation artistique et culturel) ». Rien de nouveau donc, mais cette impression que le « couteau suisse » de la réforme semble être trouvé. Place, rôle, expert, maître d’œuvre, d'accord, on connaît la chanson, mais enseignant... nulle part.

Est par contre rappelée, en fin de texte, la finalité de tout ceci : «  l’évolution du projet documentaire de l’établissement, ce dernier ne pouvant se résumer au seul fonctionnement du CDI. » Tout est donc bien confiné dans le carcan de la politique documentaire (rebaptisé à la baisse « projet »).

Quant à l'expertise du prof doc, réduite ici à la simple « matrice EMI de Toulouse », on voit bien qu'elle est destinée à «  l’ensemble des enseignants, dont les professeurs documentalistes ». Transversalité toujours. Le transfert d'expertise, lui, se confirme. Voir à ce propos la synthèse du TrAM EMI.

Je remarque enfin que, dans les quatre textes de référence cités en prologue ne figurent ni le Référentiel de compétences du prof doc (arrêté du 01-07-2013) ni la circulaire de mars 1986 qui sont les deux seuls textes régissant les missions du prof doc. Et pourtant, cette lettre des IPR de Toulouse a bien pour titre : " Missions des professeurs documentalistes ", accolés à " Mise en œuvre de la réforme du collège ". Ainsi, l'Inspection pédagogique de Toulouse fait fi des textes réglementaires fondamentaux des professeurs documentalistes pour imposer les missions qu'elle souhaite leur voir accomplir. Est-ce à dire qu'à présent, chaque académie peut remodeler à sa manière ce cadre en le réinterprétant ou en le réinventant ? Quels sont alors les textes cadres selon cette IPR ? Outre la loi d'orientation de 2013 qui est rappelée, nous trouvons le Socle commun, le texte organisant les enseignements au collège et la politique documentaire de l'académie...

On se rend compte qu'en l'occurrence, les profs docs sont utilisés comme courroies de transmission de la réforme du collège (voir le titre de la lettre) et que leurs missions peuvent être redéfinies selon l'actualité et les besoins. Comment réagissent les collègues de cette académie ?

Ces lignes ne sont, in fine, pas si engageantes que ça pour les IPR de Toulouse vis à vis des chefs d'établissements qui peuvent tout à fait camper sur leur position en cantonnant le prof doc à un rôle de « conseil technique », pour reprendre l'expression encore entendue vendredi dernier d'un IPR de l'académie de Nantes. Pour mettre en place l'EMI, les chefs d'établissements auront en effet bien besoin de maîtres d’œuvre. C'est également, je le rappelle, la position de l'IGEN-EVS Reverchon-Billot qui, s'agissant du rôle des profs docs dans l'EMI, demande à ce qu'on " les aide à animer le conseil pédagogique sur ce sujet " !

Je ne vois donc ici, au mieux, que l'expression bien connue d'un discours institutionnel lissé, convenu, propre à satisfaire à la fois les chefs d'établissements et les profs docs. Les premiers ne se voient pas imposer le spectre du prof doc qui enseignerait plutôt que de laisser la porte du CDI ouverte. Les seconds, bernés par l'accumulation des fonctions ainsi énumérées et leur nom collé sur toutes les portes, ne perçoivent pas l'escamotage. Je propose que l'on fasse bien la distinction entre la « reconnaissance » (" oh ! que votre contribution est précieuse !") d'un personnel et la « prise en compte » d'une certification !

Tout le monde se satisfera donc de ce texte à première lecture... en attendant la confrontation au réel à la rentrée. Mais est-il normal que l'on puisse redéfinir, au niveau académique, les missions fondamentales des professeurs documentalistes ?


NOTE :


  1. Propos écrits rapportés par un(e) collège de l'académie de Dijon sur la liste e-doc le 27 janvier dernier : "Pour info,voici la réponse faite à mon principal (qui est aussi désolé que moi) par son inspecteur à qui il avait posé la question sur une possible autonomie des profs-doc en AP et EPI : "Il n'y a pas d'opposition bien au contraire, pour associer le professeur-documentalistes aux enseignements complémentaires. Ayant pris attache de mon collègue IPR EVS pour vous confirmer ce point, je précise que le professeur documetaliste ne pourra intervenir seul devant la classe, il sera en appui du professeur d'une autre discipline sur laquelle s'appuieront les compétences travaillées. Le fonctionnement en classe, en groupe, au sein du CDI ou hors du CDI est à la diligence de l'organisation prévue. Le professeur-documentaliste pourra également traiter (comme cela se fait actuellement) l'éducation aux médias (EMI), les parcours citoyen ou avenir...dans le respect de ce cadre."